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Jeanne Gray

Jeanne Gray, tragédie en cinq actes et en vers, de Charles Brifaut, 28 février1815.

Théâtre Français.

La tragédie de Brifaut, qui avait été reçue au Théâtre Français en 1807, n'a connu qu'une représentation en 1815 et ne semble pas avoir été imprimée.

Titre :

Jeanne Gray

Genre

tragédie

Nombre d'actes :

5

Vers / prose ?

en vers

Musique :

non

Date de création :

28 février 1815

Théâtre :

Théâtre Français

Auteur(s) des paroles :

Charles Brifaut

Almanach des Muses 1816.

Ouvrage d'un écrivain qui s'était déjà fait connaître avantageusement au théâtre, et qui a montré beaucoup de talent dans plus d'un genre. Sa tragédie de Jeanne Gray n'a point réussi : c'est fâcheux. Mais quel poëte dramatique oserait se croire à l'abri d'une chute ? Heureusement, dans la carrière du théâtre, si l'on tombe on peut se relever ; et l'auteur de Jeanne Gray a prouvé que si une palme lui a échappé, il peut en ressaisir une autre.

Journal des débats politiques et littéraires, jeudi 2 mars 1815, p. 1-4 :

[Pour une tragédie, le critique doit faire un compte rendu long et détaillé, et c’est ce dont il s’acquitte ici avec application. Il commence par longuement développer le contexte historique : un petit cours d’histoire anglaise sur la succession d’Henry VIII. Puis, autre passage obligé, les tragédies sur le même sujet. Coup de chance, il n’y en a que deux, bien oubliées de surcroît. La plus ancienne est bien construite, mais elle est écrite de façon « très ridicule » : « recrépie à neuf », elle a sa place au théâtre. La deuxième est jugée très sévèrement, pour la construction comme pour le style, « presqu’aussi ridicule que celui de son devancier ». On arrive enfin à la pièce nouvelle, jugée assez bien construite, mais avec avec des éléments très maladroits (l’exemple donné de Jeanne s’asseyant pour imiter Marie est un exemple d’entorse « à la dignité tragique ». Caractères bien tracés. Certains épisodes sont vivement critiqués : l’arrivée de Marie à la Tour (de Londres) où se trouve Jeanne est jugée peu vraisemblable, le comportement de Northumberland envers Marie qu’il tente de faire arrêter est indigne, et la fin est gâchée par un propos jugés risible par le critique comme le parterre : alors qu’il y avait déjà bien des difficultés à suivre la pièce, en raison de sa complexité et de son manque apparent de cohérence (et peut-être, un peu, du désordre dans la salle), le rire du public (à une tragédie !) a empêché de bien comprendre le dénouement. Il faut encore parler du style (plein de fautes), et des acteurs, assez bons. Le critique a bien fait le tour des sujets obligatoires (il ne manque qu’une ou deux phrases sur les décors).]

THEATRE FRANÇAIS.

Première représentation de Jeanne Gray,. tragédie en cinq actes et en vers.

Le Tibère anglais, Henri VIII, mourut en 1547, laissant trois enfans, Edouard, Marie et Elisabeth, qui, après lui, montèrent successivement sur le trône. Edouard, sixième du nom, lors de la mort de son père, n'étoit âgé que de neuf ans : pupille couronné d'un ministre ambitieux, Jean Dudley, comte de Warwick plus connu dans l'histoire sous le nom du duc de Northumberland après un règne ou plutôt un esclavage de six ans, il mourut. Sa sœur Marie étoit son héritière légitime : cependant l'orgueilleux favori, maître absolu de l'esprit du jeune roi, lui avoit dicté un testament qui, intervertissant l'ordre de la succession enlevoit la couronne à Marie, sous prétexte qu'elle étoit catholique, pour la transporter sur la tète de Jeanne Gray, descendante de Henri VII, petite-nièce de Henri VIII, petite-fille de la veuve de Louis XII ; mais ni cette filiation, ni cette alliance royale ne donnoient à Jeanne de véritables droits. Son titre unique étoit dans l'esprit de Nortbumberlnnd d'avoir épousé son fils Guilfort. Par cette. usurpation il mettoit dans sa famille la puissance suprême, et il se flattoit d'en continuer l'exercice sous le nom de son fils, qu'il avoit tenu constamment dans une étroite dépendance, et d'une bru dont l'extrême jeunesse, les goûts simples et innocens, les habitudes studieuses lui promettoient une reine peu jalouse de se livrer aux occupations pénibles de la politique.

Le projet de Northumberland, malgré sa criminelle témérité, eut un commencement d'exécution et il auroit été consommé sans une cause qui heureusement sera, dans tous les temps, un obstacle insurmontable à l'usurpation. Northumberland étoit détesté, et le peuple anglais, fatigué de ses exactions et de ses cruautés, en craignit la continuation sous un règne qui alloit être le second de ce ministre. On a vu souvent les peuples souffrir avec patience la tyrannie de leurs souverains légitimes : le sentiment du devoir combat le sentiment du malheur ; et, à défaut d'amour, le respect sert encore long–temps de frein au désespoir. Mais quand l'injustice est jointe à la barbarie, lorsque la soumission est à la fois une calamité et un crime, lorsque l'instinct naturel de la conservation est renforcé par la voix de la conscience et qu'une mesure de salut public est un retour à la morale et à la vertu, la révolution est aussi prompte qu'inévitable. Northumberland en fit la funeste expérience non-seulement pour lui mais encore pour les victimes innocentes qu'il entraîna avec lui dans l'abîme.

« Le testament d'Edouard VI, dit Voltaire dans son Essai sur les Mœurs en donnant le trône à Jeanne Gray, ne lui prépara qu'un échafaud : elle fut proclamée à Londres ; mais le parti et le droit de Marie, fille de Henri VIII et de Catherine d’Aragon, l’emportèrent; et la première chose que fit cette Reine barbare, après avoir signé son contrat de mariage avec Philippe II, ce fut de faire condamnera à mort sa rivale, princesse de dix-sept ans, pleine de grâces et d'innocence, qui n'avoit d'autre crime que d'être nommée dans le testament d'Edouard. En vain elle se dépouilla de cette dignité fatale qu'elle ne garda que neuf jour : elle fut conduite au supplice ainsi que son mari, son père et son beau-père. » II est juste toutefois d'ajouter qu'elle fut gardée plusieurs mois en prison, et qu'une révolte suscitée par ses partisans ou plus vraisemblablement par les ennemis de Northumberfand, fut la cause ou le prétexte de l'exécution de la sentence portée contre elle et contre sa famille.

Tous les historiens, Rapin de Toyras, Hume, Gregorio Leti, Voltaire, le P. d'Orléans, s'accordent sur le caractère de Jeanne Gray, sur ses talens, sur sa modestie, sur la résistance courageuse qu'elle apporta à son élévation. Elle céda enfin à la crainte et aux menaces ; elle fut Reine par foiblesse : versée dans la lecture des auteurs anciens, dont elle connoissoit parfaitement les langues, elle y avoit puisé ce fonds de sagesse et de philosophie qui est le caractère de tous leurs écrits et qui, pour la jeunesse, tient lieu d'une longue expérience. Dès 1e premier moment, elle pressentit que le diadème dont on ornoit son front n'étoit qu'une bandelette de sacrifice ; que son tombeau étoit creusé sous le trône éphémère où on la portoit : elle auroit dû avoir assez de courage pour le refuser : elle n'en eut que pour en descendre et pour mourir.

Les malheurs de Jeanne Gray ont parlé à l'imagination des poëtes. Young a fait gémir sur son cercueil la plaintive élégie : dans son poème intitulé le Triomphe de la Religion sur l’Amour, on trouve, comme dans ses autres productions, beaucoup de remplissage de pensées communes jusqu'à la niaiserie (j'appelle ainsi les choses simples, exprimées avec prétention) ; mais on y trouve aussi plusieurs traits d'un génie passionné et brûlant tel, entr'autres, le songe dé la princesse qui lui retrace l'appareil des grandeurs dont elle n'a joui qu'un instant et qui forme un beau contraste avec l’arrêt de mort que l’on vient lui apporter à son réveil.

A la suite de ses Réflexions sur le Suicide (1) Mme de Staël a trouvé une occasion naturelle de reporter nos souvenirs et notre intérêt sur l'infortunée Jeanne Gray. L'auteur suppose une lettre écrite par cette princesse à un ministre de sa religion quelques jours avant sa mort. Jeanne y expose ses sentimens, et y combat les propositions d'un de ses amis qui, à l'aide du poison, veut lui épargner les tourmens et l'ignominie du supplice. Platon et Jeanne Gray elle-même auroient peut-être traité ce sujet d'une autre manière ; mais celle de Mme de Staël est toujours piquante spirituelle et originale.

La Calprenède est le premier qui, en 1637, ait songé à donner à cette aventure tragique la forme d'un drame ; sa pièce, très ridiculement écrite, quoique contemporaine du Cid et des Horaces, a du moins le mérite d'une marche rapide et régulière. Il a rejeté dans l'avant-scène tout ce qui a rapport à l'élévation et au couronnement de Jeanne : au commencement de l'action : elle est Reine. La scène s'ouvre par un conseil de conjurés, qui discutent les moyens de rendre le trône à Marie ; ses droits y sont clairement établis, ses projets annoncés avec clarté- Déjà Marie a mis en déroute l'armée que Norlhumberland a osé conduire contr'elle ; elle est aux portes de Londres ; elle entre ; tout fléchit sous son autorité : que va devenir la malheureuse Jeanne Gray ? Des alternatives de crainte et d'espérance, assez habilement ménagées, tiennent long-temps le spectateur incertain ; enfin, la politique cruelle de Marie l'emporte. Les Pairs assemblés jugent les coupables ; la sentence est prononcée ; on se flatte encore d'un retour à la clémence ; mais Marie se laisse entraîner sans effort au parti de la sévérité : le récit de l'exécution forme le dénoûment.

J'ose croire que cette tragédie, ainsi conçue mais recrépie à neuf, à peu près comme la Sophonisbe de Mairet, pourroit avoir du succès au théâtre.

En 1748, Laplace, auteur de Venise sauvée, tragédie dont le nom seul est resté dans la mémoire des hommes de lettres, d'une Adèle de Ponthieu, et d'une Polyxènc, très complètement et très justement oubliées, donna une Jeanne Gray qui n'eut qu'une représentation et qu'il retira le lendemain. Trente ans après, il la relut et la fit recevoir de nouveau à la Comédie, avec des changemens qui en faisoient, à ce qu'il dit, une tragédie toute différente ; mais à en juger par les apparences, la seconde pièce ne vaut pas beaucoup mieux que la première. Il y a plusieurs manières de faire mal, et il vient malheureusement d'être prouvé que Laplace ne les avoit pas toutes épuisées.

Laplace s'est -d'abord permis de falsifier l'histoire ; ce qui n'est jamais permis, dans les circonstances essentielles, que sous la condition tacite de tirer de celle altération des beautés remarquables. Dans sa pièce, Jeanne Gray n'est point encore mariée à Guilford. Celui-ci a un ami et un rival dans la personne de Derby, fils de Pembroc, partisan de Marie, et ennemi déclaré de Northumberland. Cette situation, la plus commune de toutes, et qui ne peut se soutenir et paroître nouvelle que par la richesse et l'éloquence du style forme tout le nœud de la tragédie. Si Jeanne se déclare pour Derby, Pembroc se range de son côté avec les nombreux amis dont il peut disposer ; mais Guilford est l’amant préféré : Jeanne est incapable de trahir l'amour pour. l'ambition ; elle périt victime de sa fidélité et entraine avec elle la perte de son père et celle de son amant. Il semble que cette intrigue puérile devoit plus naturellement entrer dans la tête romanesque de la Calprenède ; mais le poëte gascon a été plus sage que le Calésien, dont le style d'ailleurs est, dans un autre genre presqu'aussi ridicule que celui de son devancier. J'y ai cependant remarqué ces deux vers, dontt la pensée et l'expression sont également justes :

L'indulgente vertu trouve peu d'ennemis,
Et sous un règne heursux tous les cœurs sont soumis.

Laplace n'avoit pas souvent de ces bonnes fortunes.

L'auteur de la nouvelle Jeanne Gray a conçu sa pièce sur un plan tout différent ; il a eu plus d'audace que Laplace : il n'a pas craint d'introduire Marie, et de la mettre en scène avec Jeanne. Cette idée étoit bonne, mais elle présentoit une grande difficulté. De deux femmes rivales, toutes deux prétendant à la couronne, il est presqu'impossible qu'il n'y en ait pas une de foible ou de dégradée ; et voilà précisément ce qui est arrivé : la pauvre Jeanne est écrasée par Marie ; elle ne sait même quelle contenance avoir devant elle ; et une des choses qui ont commencé à égayer le parterre, c'est le moment où Marie fait avancer majestueusement un fauteuil pour s'asseoir. Jeanne comprend qu'elle ne peut pas décemment rester debout,, et s'assied de son côté : cette rivalité d'étiquette n'a pas semblé assez conforme à la dignité tragique. I1 n'y avoit qu'un moyen de faire passer cette pantomime, c'étoit de la relever par de beaux vers mais c'est ce dont l'auteur s'est le moins occupé et dans cette situation et dans tout le reste de l'ouvrage.

Il a donné plus de soin aux caractères ; celui de Northumberland est fidèlement tracé d'après l'histoire ; son ambition démesurée, son orgueil, son esprit d'intrigue, son mépris des principes contraires à ses projets, son activité même y sont représentés avec exactitude ; et cette peinture qui se borne au mérite de la ressemblance auroit eu plus d'effet si on lui eût opposé un personnage dont les desseins et les actions se fussent choqués plus souvent avec ceux de son adversaire. Dans tous les arts, on ne réussit que par les contrastes, et
Northumberland n'a sur son chemin qu'un certain Arundel aussi nul, aussi inactif que lui-même est entreprenant et hardi. C'est là sans doute une des causes de cette langueur assoupissante dont toute la tragédie est frappée Northumberland, à la vérité, est obligé de vaincre la résistance de Jeanne ; mais ce triomphe facile une fois obtenu il ne devroit rien lui rester à faire que d'aller combattre Marie ; et toutefois, pendant qu'il perd 1e temps en de vains discours, la redoutable fille de Henri est déjà aux pieds de la Tour, et menace de donner l'assaut.

Cependant elle veut prévenir par un accommodement l'effusion du sang, et elle demande à être reçue en personne dans la Tour ; mais, pour otages de sa sûreté, elle exige qu'on lui remette les deux plus jeunes filles de Northumberland.

Ce moyen n'est évidemment imaginé que pour rapprocher deux personnages qui, dans l'ordre ordinaire des choses, ne devroient se voir qu'après une victoire par laquelle leur position respective auroit été décidée. Comment Marie triomphante et maîtresse de Londres, veut-elle avoir une conférence ravec Jeanne, avec une rebelle que rien ne peut désormais soustraire à son pouvoir et à sa vengeance ? Comment, d'après la connoissance qu'elle a du caractère de Northumberland peut-elle se croire en sûreté dans la Tour sur la foi des otages qu'elle a exigés ? L'homme soupçonné d'avoir empoisonné son Roi craindra-t-il de sacrifier à sa politique dénaturée ? Et si, commettant un crime de plus, Northumberland se défait de Marie comme il en a réellement l'intention, est-il probable que l'on fera expier à des enfans innocens le forfait de leur père ? Ces réflexions ne doivent-elles pas se présenter à Marie et lui faire abjurer un projet qui compromet sa liberté et même son existence sans aucun avantage pour sa dignité et pour sa gloire ?

Que vient-elle donc encore une fois chercher dans la Tour ? C'est Guilfort, qu'elle a aimé et qu'elle aime encore ; Guilfort, l'époux de Jeanne Gray, et dont elle ignore le mariage avec sa rivale. Ici je dois l'avouer, les événemens se sont tellement compliqués, les conversations si inutilement multipliées, et les signes de mécontentement sont devenus si fréquens, qu'avec l'attention la plus soutenue, il m'a été difficile de démêler la suite de l'intrigue et de m'expliquer les allées et les venues, les marches et les contremarches, les entrées et les sorties qui n'avoient ni but probable ni résultat apparent.

Je me souviens cependant que Northumberland fait arrêter Marie, que cette violation du droit des gens excite l'indignation de Jeanne et de Guilfort, que là se trouve une scène assez forte et assez pathétique, et qui eût été mieux appréciée avec un autre entourage ; enfin j'ai deviné que l'armée de Marie, instruite par Arundel, étoit venue au secours de sa Reine. Au cinquième acte, les Pairs s'assemblent ; Northumberland, Jeanne, Guilfort, sont condamnés ; on les voit sortir entourés de soldats ; et ce triste spectacle ayant commandé un instant de silence, Jeanne en profite pour engager un officier, Arundel, je crois, à-remercier Marie de sa bonté... Ce mot, singulièrement employé, a excité de si bruyans et de si longs éclats de rire qu'il m'a été impossible ainsi qu'au public de décider si la pièce avoit été terminée. Le rideau étoit baissé depuis long-temps que l'on rioit encore du remercîment de Jeanne Grav.

Les fautes de style doivent être bien grossières et bien nombreuses, pour avoir été reconnues aussi fréquemment à une première représentation. On attribue cette tragédie à un jeune homme dont elle est le premier ouvrage, quoiqu'il en ait donné antérieurement une autre avec beaucoup de succès. J'aime mieux que Jeanne ait la priorité de temps sur Ninus : cette dernière pièce marque un progrès sensible. Il n'y a d'effrayant dans la carrière des lettres qu'une marche rétrograde.

D abord il s'y prit mal puis un peu mieux, puis bien ;
            Puis enfin il n'y manqua rien.

Que dirai-je des acteurs ? Peu de chose : cependant Mlle Georges a été très belle dans son entrée, et Michelot a été justement applaudi dans le premier acte. Talma, Lafon, Damas ont fait preuve de jugement, de prévoyance et de goût.

L'opéra de Félici, ou la Fille romanesque donné le même soir que Jeanne Gray, a réussi. Je rendrai compte de la seconde représentation.                                C.

(1) Vol. in-8°. Chez H. Nicolle, rue de. Seine, n°. 12 ; et le Normant.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 20e année, 1815, tome I, p. 402-406 :

[Un bien long compte rendu pour une pièce tombée à la première représentation, et dont le critique dit ne pas faire « une critique minutieuse ». Pour l’essentiel, son article raconte par le menu la pièce

  • en y glissant son opinion (« Cette scène contient une seconde exposition », « on est un peu surpris », « On est tout étonné », « C'est ce qu'on apprend avec surprise », «  un heureux contraste », «  C'est une beauté fournie par le sujet et développée avec talent par l'auteur. Mais il fallait en imaginer d'autres », « leur sentence de mort. La pièce avoit déjà subi la sienne »)

  • et en signalant le mécontentement du public (« cet entretien, qui a commencé à indisposer le public », « Ici les murmures et les cris du parterre ont empêché de bien suivre », « n'a pu faire entendre que ces paroles »).

Il ne lui reste plus qu’à se donner le beau rôle en refusant d’accabler son auteur par une critique de sa pièce, et en lui promettant un bel avenir.]

THÉATRE FRANÇAIS.

Jeanne Gray, tragédie en cinq actes, jouée le 28 Février.

Du sein d'une retraite où elle goûtoit un bonheur caché, Jeanne a été appelée à la cour d'Edouard VI.
Cependant elle n'est point admise auprès du Roi. Elle s'en étonne ; elle en demande les raisons ; Arondel lui répond qu'il doit les taire ; mais que le duc de Northumbcrland va venir les lui dire. Le Duc entre en effet, et lui dit :

Apprenez un secret qu'ignore tout le reste,

et il lui annonce que, si le Roi ne la reçoit pas, c'est qu'il est mort. Surprise de Jeanne à cette nouvelle inattendue ; mais combien cette surprise augmente, quand le Duc lui apprend qu'Edouard lui a légué la couronne d'Angleterre à l'exclusion de ses propres sœurs Marie et Elisabeth ! Jeanne déclare qu'elle n'acceptera point ce legs injuste. Gilfort arrive, Gilfort dont le mariage avec Jeanne est un secret pour toute l'Angleterre, excepté pour le Duc. Il employe, pour décider sa femme à accepter la couronne, tout ce que les intérêts de Jeanne, tout ce que l'amour de la gloire et le désir de rendre l'Angleterre heureuse peuvent lui inspirer d'éloquence.

Au Roi qui veut le bien il n'est rien d'impossible.

Jeanne demeure insensible à toutes les considérations. Gilfort lui déclare alors qu'il est perdu lui-même si elle refuse le sceptre ; que Marie est éprise de lui; qu'elle lui a offert sa main ; qu'il l'a refusée; qu'elle en est irritée, et qu'elle s'en vengera en le faisant périr. Ce motif détermine Jeanne à consentir. Le Duc vient au moment même lui annoncer que les grands du royaume l'attendent pour la reconnoître, et lui prêter serment de fidélité. Elle suit, quoiqu'à regret, son beau-père et son époux.

Au deuxième acte le Duc annonce à son fils qu'il a pris des mesures pour s'emparer de Marie. Gilfort s'en indigne. Il est ambitieux, mais il a l’ame noble. Il veut combattre, mais non assassiner. Le Duc lui répond :

Il faut régner : après, vous serez généreux.

Cette scène contient une seconde exposition : le Duc y avoue, que c'est lui qui, pour dominer le Roi, a calomnié et fait périr Sommerset, son premier favori ; que c'est lui dont les sourdes manœuvres ont fait exiler Marie et couronner Jeanne ; enfin il y fait presque l'aveu que c'est lui qui a avancé les jours du Roi. Pendant cet entretien, qui a commencé à indisposer le public, Marie a échappé aux pièges que lui tendoit le Duc. Elle est même entrée à Londres ; elle écrit à Jeanne une lettre où elle offre de venir seule au palais pour y avoir une entrevue avec cette Princesse, et demande qu'on lui donne pour otages les deux plus jeunes fils du Duc. Jeanne accepte cette entrevue; mais on est un peu surpris de voir le Duc y consentir, et livrer ses deux fils.

Au troisième acte paroît Marie avec Arondel. On apprend là que c'est lui qui a trompé le Duc, et sauvé Marie de ses embûches. Marie, dès les premiers vers, s'annonce comme une femme hautaine, violente, vindicative, et dont le zèle sanguinaire sera un jour funeste à l'Angleterre. Elle ignore que Gilfort est l'époux de Jeanne. Il l'a refusée proscrite et malheureuse ; elle vient dans l'intention de lui offrir sa main royale ; car elle se regarde déjà comme Reine. II paroît que la demande d'un entretien avec Jeanne n'a été qu'un prétexte imaginé par elle pour voir et pour séduire Gilfort. En effet, elle fait venir le Duc ; mais elle débute avec lui par des injures auxquelles il répond assez vivement.

Je vous ai fait trembler. — Moi ! ne le pensez pas.

On est tout étonné, après ces invectives, qu'elle lui propose le ministère pour lui, et la couronne pour son fils : on ne sait ce qu'il va lui répondre, quand Jeanne arrive pour le tirer d'embarras. Marie éclate d'abord en menaces injurieuses. Jeanne, déconcertée, est sur le point de déposer sa couronne aux pieds de celte mégère, quand le Duc l'interrompt pour donner lecture du testament du Roi, qui apprend qu'Edouard, en couronnant Jeanne, a entendu couronner l'épouse de Gilfort. Marie s'en étonne et s'en indigne ; elle fait un appel à tous les lords qui se trouvent là ; le Duc voudrait les empêcher de la suivre : toutefois ils sont, ainsi que Marie, arrêtés au sortir du palais.

C'est ce qu'on apprend avec surprise au quatrième acte. Le Duc se vante à Jeanne de cet exploit. Jeanne lui ordonne de mettre sur le champ Marie en liberté. Il refuse : elle insiste avec la noblesse la plus courageuse :

Et je suis Reine, au moins pour empêcher le crime.

Gilfort vient appuyer sa femme; le Duc leur expose que c'est tout perdre. Il prie, il menace ; c'est en vain, il est forcé de consentir, ou du moins de le feindre. Mais on apprend qu'Arondel et l'armée se sont déclarés pour Marie ; qu'ils volent à la prison pour la délivrer, et que tout est désespéré pour Jeanne et Gilfort. Le Duc et son fils sortent pour aller combattre. Jeanne aimeroit mieux tout céder. Dans son malheur, elle songe encore aux dangers de sa rivale. Sa douceur et ses bons sentimens forment un heureux contraste avec la fureur et la cruauté que va montrer Marie à son égard. C'est une beauté fournie par le sujet et développée avec talent par l'auteur. Mais il fallait en imaginer d'autres.

Au cinquième acte, Marie, qui devroit être encore en prison, se trouve, on ne sait comment, dans les appartenons où tout-à-l'heure on a vu Jeanne et toute la cour. Les cris qu'elle entend lui donnent tantôt des terreurs, tantôt des espérances. Arondel, qui craint pour elle les poignards de Northumberland, a fait tuer le Duc, et vient annoncer à Marie la victoire de son parti. Gilfort est blessé et pris. Jeanne demande à voir Marie. Elle est reçue par celle-ci avec l'ironie la plus barbare. Elle demande à mourir, pourvu qu'on laisse la vie à son époux. Elle va plus loin ; elle conseille à Marie d'épouser Gilfort, Marie sort en disant qu'un tribunal auguste va décider du destin de tous deux. On amène Gilfort. Ici les murmures et les cris du parterre ont empêché de bien suivre l'intention de l'auteur. Il a semblé que Jeanne, résolue à mourir, proposoit encore à Gilfort de racheter sa propre vie en épousant la Reine. Après un tumulte effroyable, le tribunal est venu annoncer aux deux époux leur sentence de mort. La pièce avoit déjà subi la sienne. De toute cette fin du cinquième acte, Mademoiselle Duchesnois n'a pu faire entendre que ces paroles :

                                   Dites à votre Reine,
Que nos cœurs en mourant bénissent sa bonté.

Comme la pièce ne doit pas être rejouée, il seroit injuste d'aggraver le chagrin de l'auteur par une critique minutieuse. Il a de quoi se consoler dans le succès de Ninus II qui se soutient. Nous ajouterons que Jeanne Gray est son premier ouvrage, quoiqu'il ait été joué le second. On ne peut donc dire que l'auteur tombe au lieu de s'élever, et on doit présumer qu'un grand succès réparera bientôt l'échec qu'il éprouve.

Biographie nouvelle des Contemporains, Volume 3 (Paris, 1821), p. 473 :

[Petit aperçu de la carrière d’auteur dramatique de Charles Brifaut. La notice s’achève de la façon, amusante (ou pas), suivante : « M. Brifaut fait partie de la commission de censure ».]

Son premier titre littéraire est sa tragédie de Ninus second. Quelques situations fortes et attachantes, des vers généralement bien tournés, firent réussir cette pièce, bien qu'elle pèche souvent par l'invraisemblance, et malgré la critique acerbe de Geoffroy. Avant de la livrer au théâtre français, M. Brifaut y avait fait recevoir, vers 1807, une tragédie de Jeanne Gray, celle qui a été si mal accueillie en 1814, et dont, par des considérations assez difficiles à deviner, le gouvernement impérial n'avait pas permis la représentation. M. Brifaut a donné depuis au second théâtre français une troisième tragédie, intitulée : Charles de Navarre (Charles-le-Mauvais). Mieux accueillie que Jeanne Gray : cette pièce n'a pourtant obtenu qu'un succès bien faible

La base La Grange de la Comédie Française indique que la pièce n’a connu qu’une représentation, le 28 février 1815.

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