Jésus-Christ, ou la Véritable Religion, tragédie en cinq actes, en vers, de de Bohaire.
Tragédie non représentée (Théâtre de la Nation)
Almanach des Muses 1793
Pièce qui rappelle les anciens Mystères qui se jouoient il y a quatre ou cinq cens ans dans les églises. Madelaine paroît dans cette prétendue Tragédie, et la confidente lui dit qu'elle peut adorer Jésus :
Mais l'aimer dans l'espoir
qu'une amante pourroit avec un autre avoir !
c'est se tromper, Madame.
Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez la Veuve Duchesne, 1792 :
Jésus-Christ, ou la véritable religion. Par M. de-Bohaire.
Après la liste des personnages, l'auteur s'adresse aux Comédiens du Théâtre de la Nation (p. 3-6) :
LETTRE de l'Auteur, aux Comédiens du Théâtre de la Nation.
Messieurs,
Je vous ai présenté ma Tragédie, intitulée : Jesus-Christ, ou la véritable Religion. Ce genre étant nouveau, vous avez paru desirer qu'il acquît une sorte de consistance dans le Public auparavant de vous décider à la représenter.
Les Cultes sont libres, la nature l'a dit avant nos loix ; la morale du nôtre paroît la plus conforme à la raison, sur-tout quand on s'en tient à l'Evangile. Mon but est d'en apprécier, en quelques sorte, le véritable sens en faisant parler, mettant en action ses différens caracteres, et d'ajouter, s'il est possible, à-la publicité du sublime d'une œuvre, que J.-J. Rousseau lui-même a citée comme divine.
Je déclare d'ailleurs, que je n'ai pas entendu, et que je n'entends point prendre aucune part dans les querelles scolastiques, et autres, relatives à la Religion ; ma Tragédie n'est que l'extrait de l'Evangile : heureux ! si mon style a pu atteindre l'énergie de ce prodige en morale !
Je dois prévenir, que la lecture d'un ouvrage aussi important, ne convient pas aux esprits foibles et susceptibles de préjugés ; ces gens-là ne voudront jamais voir d'un bon œil, la représentation d'un tel sujet sur le Théâtre.
Je desire modeler le spectacle de cette Pièce sur celui d'Athalie ; former des chœurs et même des danses. Je me propose, de vous engager à prier l'Académie de Musique de vouloir bien se prêter à contribuer, autant qu'il sera en elle, à l'éclat et à la pompe de la Représentation, en y faisant paroître aussi les sujets dont les talens nous sont si précieux dans le chant et la danse.
Certes, un Spectacle qui donneroit un ensemble aussi parfait, ne pourroit manquer d'avoir un grand succès, il s'exécuteroit tour-à-tour dans la salle de l'Opéra et dans la vôtre.
J'enverrai des Exemplaires aux différentes Personnes en place ; en les suppliant de s'y intéresser, et de faire ensorte que mon projet soit exécuté.
Je terminerai, Messieurs, par vous renouvcller une observation que je vous ai déjà faite, relativement à la manière dont vous décidez du sort des nouvelles Pièces.
L'Acteur est, sans-doute, un des premiers à consulter sur cet article ; mais avec tout cela, la réputation de 1'Auteur ne doit pas dépendre de la seule opinion du Comédien.
Or, l'on sait qu'à force d'intrigues,vous vous trouvez assaillis, et forcés quelquefois d'accueillir le faux mérite, tandis que par la même raison, le véritable talent ne pourroit s'approcher dc vous.
Il faudroit donc un Comité, pour juger les nouvelles Pièces.
Gardons-nous de le composer comme nos nouveaux Tribunaux.
Que la morgue de l'Acteur n'égale pas celle de certains Avocats .
Ces derniers se sont distribués les places de Juges : Ne les avoir choisi presque tous que parmi les Avocats, cela a été aussi abusif, que si on ne les eût pris que parmi les Procureurs.
Les uns dédaignent trop la forme, et les autres en sont les esclaves.
Pour éviter un abus semblable, il faudrait que le Comité fut composé d'un nombre égal d'Auteurs et d'Acteurs.
L'Auteur pourroit défendre sa Pièce, être présent à la décision ; on établiroit d'ailleurs le régime nécessaire : la Comédie en corps ne seroit jamais consultée, que d'après la décision du Comité ; en tout temps, il lui seroit libre de faire ou de ne pas faire la dépense de la Représentation ; de maniere que, comme on le voit, ses droits seroient toujours conservés.
Seulement, les ouvrages acquerraient plus de crédit ; on ne feroit pas attendre aussi long-temps les Auteurs ; et si la Comédie refusoit de faire la dépense de la Représentation, la gloire de 1'Auteur n'en souffriroit pas au moyen de la décision du Comité, quand elle seroit favorable, et alors elle pourrait s'imprimer et publier avec succès.
Dira-t-on que les Auteurs refuseront de se trouver avec les Acteurs ? Ils seroient bien petits ! s'il leur.restoit encore des préjugés, sur-tout, dans le temps où nous existons.
A cet égard, je suis toujours étonné qu'un Corps tel que celui des Comédiens, aussi utile aux beaux arts, aussi considérable dans l'Etat, n'ait pas un seul sujet à l'Assemblée-Nationale et à l'Académie.
Par exemple, MM. de Larive et Monvel, ne valent-ils pas ces Cuistres d'Avocats, qui deshonorent ceux dont j'ai parlé ?
L'un seroit-il donc si déplacé à l'Assemblée, et l'autre à l'Académie ?
O préjugés !.... préjugés ! Et nous nous vantons de n'en avoir plus ! Ah! que nous sommes encore éloignés du but que nous prétendons avoir atteint ! Monarque ou Sujet, Général ou Soldat, Auteur ou Danseur, Orateur ou Scribe, avec tous, ce monde est un Théâtre, chacun en est l'Acteur, pour jouer le rôle que le hazard lui a distribué : mais les vertus et les talens, seuls , distinguent le Comédien, tel que soit son genre, sublime ou mince, triste ou gai.
Je suis avec la plus grande considération,
Messieurs,
Votre, etc.
Mercure Français, n° 26 du samedi 30 juin 1792, p. 129-132 :
[La pièce à présenter, non représentée, bien sûr, sort de l’ordinaire à bien des égards, et le critique, après une anecdote destinée à montrer l’aveuglement des religieux, choisit d’ironiser sur cette tentative de faire de la Passion un sujet de théâtre. Il ridiculise les prétentions de l’auteur avant de donner un exemple de son style. Il insiste pour finir sur le sérieux de l’auteur.]
Jésus-Christ, ou la Véritable Religion, Tragédie ; par M. de Bohaire. A Paris, chez la veuve Duchesne & Fils, Libraires, rue Saint-Jacques, au Temple du Goût.
Voltaire reçut un jour une lettre du Gardien d’une Capuciniere de Province : le Moine lui mandait qu’on avait joué dans son Couvent la Tragédie chrétienne de Zaïre avec la plus grande édification ; que la Piece avait été fort bien exécutée ; que le rôle de Zaïre était parfaitement rempli par un jeune Novice d’une très-jolie figure, dont on avait caché la barbe dans un sachet couleur de rose, &c. Il ajoutait, après beaucoup de compliments à l’Auteur, qui avait été assez heureux pour trouver un sujet si touchant & si édifiant, qu’il ne lui manquait plus, pour mettre le comble à sa gloire, que de traiter un sujet bien plus touchant encore & plus édifiant, la Passion de Notre-Seigneur J. C. Là-dessus, le bon Gardien s’échauffait merveilleusement & déployait toute son éloquence pour prouver qu’aucun sujet de Tragédie ne pouvait entrer en comparaison avec celui-là. J’ai vu la lettre ; elle était curieuse, mais pas tant que la Piece de M. Bohaire.
Voltaire répondit qu’il ne se sentait pas un génie capable de soutenir un si grand sujet. M. Bohaire n’a pas été aussi modeste ni aussi timide. Il nous apprend dans une Lettre aux Comédiens, que sa Tragédie est d’un genre nouveau. Il est bien vrai que depuis long-temps nous avons une foule de genres nouveaux, si nous en croyons les Préfaces des Auteurs ; mais il faut avouer que la Piece de M. Bohaire a quelque chose de particulier.
Il nous prévient que la lecture d’un Ouvrage aussi important ne convient pas aux esprits faibles & susceptibles de préjugés ; que ces gens-là ne voudront jamais voir d’un bon œil la représentation d’un tel sujet sur le Théâtre. C’est dommage ; mais peut-être, en récompense, cet important Ouvrage conviendra-t-il mieux aux esprits forts : ce qui est certain, c’est qu’il faudrait avoir de l’humeur pour le voir d’un mauvais oeil.
L’Auteur désire modeler le spectacle de cette Piece sur celui d’Athalie, former des Chœurs & même des Danses, & prier l’Académie de Musique de se joindre aux Comédiens Français. Pourquoi pas ? Il y a déjà quelques années que j’attends le Massacre des Innocens en Opéra-Comique, & le Déluge universel en Ballets. En attendant, voilà qu’on nous promer la Passion en Chœurs & en Danses : il est clair que nous avançons.
M. Bohaire est convaincu qu’un ensemble aussi parfait ne pourrait manquer d’avoir un grand succès. Cela est extrêmement vraisemblable.
Maintenant, pour donner une idée du genre & du style de la Piece, je crois que quelques vers suffiront.
Et Salomon lui-même, en son plus grand éclat,
Ne fut pas mieux vêtu que l’est le seringat.
. . . . . . . . . . . . . . . . . .
Couronné d’une épine, & le visage en sang,
De tous ces assassins, Jésus est vers le flanc,
Un roseau dans la main, vêtu de l’écarlate,
Suivi de Magdeleine, & de Marie & Marthe.
Dans leurs forfaits, c’est peu de le mystifier ;
Ils ont déjà la croix pour le crucifier.
On nous dispensera, sans doute, d’en citer davantage ; mais il est bon d’avertir, de peur qu’on ne s’y méprenne, que cet Ouvrage a été composé le plus sérieusement du monde, & que si les Juifs ont mystifié le Sauveur, l’Auteur très-certainement n’a voulu mystifier personne.
Ajouter un commentaire