Jocrisse, chef de brigands, mélodrame comique en un acte et en prose, de Merle et Dumersan,14 septembre 1815.
Théâtre des Variétés.
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Titre :
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Jocrisse chef de brigands
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Genre
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mélodrame comique
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Nombre d'actes :
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1
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Vers / prose
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en prose
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Musique :
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non (?)
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Date de création :
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14 septembre 1815
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Théâtre :
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Théâtre des Variétés
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Auteur(s) des paroles :
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Merle et Dumersan
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Journal des débats politiques et littéraires, 16 septembre 1815, p. 1-2 :
[Avant de parler de la pièce nouvelle, le critique a besoin de montrer sa surprise (sans doute exagérée) devant la présence aux Variétés, théâtre voué à des comédies peu raffinées, d’un mélodrame, genre réservé à d’autres théâtres (la Porte Saint-Martin, par exemple). Ce début montre que la séparation des genres est forte, mais le critique prend soin ensuite de minimiser cette « usurpation », en en faisant « un hommage expiatoire ». Le résumé de l’intrigue nous montre ensuite que la pièce est bien dans la lignée des autres apparitions théâtrales de Jocrisse, dont les traits principaux sont soigneusement respectés (il est maladroit, il reçoit des coups, il parle de manière peu compréhensible). Le paragraphe de conclusion emploie enfin le mot qui convient : non pas un mélodrame, mais une parodie de mélodrame, qui aurait été plus réussie si l’ironie en avait été plus nettement montrée. Les acteurs sont mis en cause dans cette insuffisance relative, à l'exception des acteurs principaux, qui ont su caricaturer les vrais acteurs de mélodrame. La pièce a réussi, puisque les auteurs ont été nommés.]
THÉÂTRE DES VARIÉTÉS.
Première représentation de Jocrisse, chef de Brigands, mélodrame en un acte et en prose, par M. Merle et Dumersan.
Un mélodrame aux Variétés ! De quel droit et à quel titre a-t-il osé se présenter dans le temple de la Folie ? Comment n’a-t-il pas reculé d'effroi à l'aspect de ces murs qui ne retentissent chaque soir que des éclats d’une gaieté bruyante, qui ne son ébranlés que par les convulsions du rire ? Comment, lorsqu’il a franchi le seuil, Brunet ou Potier ne se sont-ils pas écriés à l'instant :
Que veut-il ? De quel front cet ennemi de Dieu
Vient-il infecter l'air qu'on respire en ce lieu ?
Qu'y aura-t-il désormais d’inviolable et de sacré, si le sanctuaire de Momus, si le dernier asile de la gaieté française est indignement profané par un sombre usurpateur que la joie effarouche, qui ne marche entouré que des soupçons, de la haine et des poignards de la terreur, qui ne se plaît qu'a persécuter l’innocence, et qui ne s'abreuve que des larmes de ses victimes ?
Rassurez-vous, amis de la folie et de la joie. Ce que vous avez été tentés de prendre pour une usurpation, n'est au contraire qu'un hommage expiatoire. Le mélodrame, il est vrai, s'est montré aux Variétés. mais comme un coupable paroît dans le palais de Thémis, pour y entendre son arrêt, et y subir sa condamnation. Tout s'est d'ailleurs passé dans les règles : l’exécution s'est faite en riant ; des grelots ont été l'instrument du supplice, et le patient lui-même, vu l’énormité de ses torts, a dû trouver la correction assez douce et assez plaisante.
Jocrisse, à qui ses nombreuses maladresses ont valu depuis longtemps surnom de Brise-Tout, chassé de chez M. Duval sans espoir d'y rentrer, s'est mis au service d’un seigneur italien qui l’a emmené dans son château au fond dela Calabre. Là, fidèle à ses habitudes, il a fait connoissance avec une jolie laitière, en lui cassant son pot au lait. Le maître qui n’entend pas raillerie sur cet article, met Jocrisse à la porte, et voilà notre imbécille obligé de reprendre, avec son petit paquet et son bâton blanc, le chemin de la France.
Il traverse une forêt occupée par des brigands qui viennent de perdre leur illustre chef Tranche-Montagne. Comment le remplacer ? La bande noire, qui ne trouve dans aucun de ses membres les qualités requise, s'adresse à une autre troupe qui qui envoie le fameux Brise-Tout, l'un des siens, digne de commander l’honorable compagnie. C'est cette ressemblance de noms qui porte Jocrisse au faîte de fa puissance. Il est entendu des brigands au moment où, se croyant seul dans la forêt, il récapitule les exploits auxquels il doit son surnom. A l’instant on l’entoure, on le salue, on le proclame chef ; Jocrisse croit qu'il est question d'être chef de cuisine ; il confesse la médiocrité de ses talens, et se réduit, si l’on veut, au rôle de Marmiton : tant de modestie ajoute à sa gloire et redouble l’admiration de ses camarades. Il consent enfin à présider la société, attendu qu'il pourroit bien dit-il, y retrouver son cousin Nicolas. On le fait descendre dans la caverne : bientôt il en sort armé suivant l'ordonnance : poignard, sabres, pistolets, moustaches, grand bonnet de poil, vêtemens bigarrés : tout cet équipage, qui est de rigueur, est rendu plus grotesque encore par l’allure et la physionomie de celui qui le porte.
Les brigands vont à la quête, et laissent leur capitaine, en le chargeant de veiller à la garde du trésor et à celle d'un jeune homme et d'une jeune fille qu’ils ont arrêtés depuis quelques jours, et qu’ils tiennent enfermés dans une tour. Or la raptive est une fille de M. Duval, l'ancien maître de Jocrisse, laquelle s'est laissée enlever par son compagnon d'infortune. Une romance, chantée à une fenêtre grillée, fait connoître la prisonnière à Jocrisse. Un entretien qu’il a avec elle lui .explique la suite et les funestes resultats de son escapade.
Cependant M. Duval a suivi les fugitifs à la piste : un accident survenu à sa voiture, l'oblige de s'enfoncer dans la forêt ; il s’égare, et se trouve net à nez avec Jocrisse qu’il a peine à reconnoître sous son nouveau costume. Instruit de la dignité à laquelle s’est laissée il vient d’être promu, M. Duval lui en fait d'abord sentir toutes les conséquences, et lui annonce que son élévation momentanée pourroit bien sous peu le porter un peu plus haut. Jocrisse résiste ; il a bu das la coupe du pouvoir, et la tête commence à lui tourner. M. Duval substitue alors à ses exhortations inutiles des argumens plus décisifs et plus victorieux ; il tombe avec sa canne sur le brave capitaine qui ne songe pas même à se défendre, ni à faire usage de ses armes. Jocrisse promet de donner son abdication, mais il désire proroger son pouvoir pour opérer la délivrance des deux captifs. H remet à M. Duval 20,000 fr. déposés dans le trésor confié à sa surveillance, avec la précaurtion de s’en faire donner une reconnoissance.
M. Duval s'éloigne : Jocrisse concerte avec les prisonniers des moyens d'évasion. Les brigands surviennent, entendent le complot, saisissent Jocrisse, et pour le punir de sa trahison, l'attachent à un arbre dans l'intention de le faire périr. Une alerte les oblige de s'éloigner. La laitière, que le hasard amène en cet endroit, vole au secours de Jocrisse, et coupe ses liens. M. Duval est allé avertir la maréchaussée ; elle arrive, fond sur les brigands qui se défendent vigoureusement. De là combat à outrance, grand cliquetis de sabres
qui se croient, se frappent, se brisent ; attitudes tragiques ; tout l'appareil enfin de la pantomime des boulevards. La victoire se range du côté de la justice. L'innocence de Jocrisse est proclamée ; M. Duval unit sa fille à l'amant qu'elle avoit choisi ; il reprend Jocrisse à son service et celui-ci termine par une morale en amphigouri, par une de ces phrases tautologiques, dont il est l'heureux inventeur : « La Providence veille sur les hommes, parce qu’elle ne les perd pas. de vue; et le seul moyen de suivre toujours le sentier de la vertu, est de ne jamais s'en écarter. »
Cette parodie est gaie par momens ; elle l’auroit paru davantage si, dans les invraisemblances accumulées probablement à dessein, les intentions des auteurs avoient été plus fortement prononcées. L’ironie, le persiflage ne font aucun effet quand ils ne sont pas soupçonnés. Peut-être est-ce la faute des acteurs, ce qui ne doit s’entendre ni de Brunet, qui est très plaisant, comme d'ordinaire, dans Jocrisse, ni d'Ourry et de Cazot qui ont contrefait à s'y méprendre Tautin et Lafargue, du théâtre de la Gaieté Cette irrévérence sera vivement sentie par les deux héros du mélodrame ; mais peut-être y sont-ils accoutumés : les Variétés ne sont pas le seul théâtre où l’on se permette d'emprunter leurs gestes, leurs voix et leur déclamation
On a demandé et nommé les auteurs. C.
Magasin encyclopédique, ou journaux des sciences, des lettres et des arts, année 1815, tome V, p. 441-442 :
THÉATRE DES VARIÉTÉS.
Jocrisse, Chef de Brigands, mélodrame comique en un acte et en prose, joué le 14 Septembre.
Des brigands qui exploitent une forêt de la Calabre, ont perdu leur capitaine Tranche-Montagne, ils se sont adressés, pour lui trouver un successeur, à leurs camarades d'une autre contrée. Le secrétaire de cette bande noire leur répond qu'on leur envoye le célèbre Brisetout, qui sait prendre toutes les formes, et joue avec le plus grand naturel les rôles les plus opposés. On les prévient en outre qu'il se déguisera peut-être pour mettre à l'épreuve leur sagacité; aussi se tiennent-ils sur leurs gardes. Sur ces entrefaites, Jocrisse traverse la forêt, et déplore ses malheurs qui l'ont fait renvoyer de toutes ses conditions ; il convient qu'il a bien mérité le nom de Brisetout que lui a donné l'un de ses maîtres, M. Duval, il se rappelle encore avec horreur qu'il a manqué d'empoisonner sa famille. Un des brigands, qui l'a entendu, ne doute pas qu'il ne soit le capitaine que l'on attend. La troupe est sous les armes, et lui rend hommage en lui offrant la place de chef. Il est installé, revêtu du costume conforme à la profession, et il accepte, parce qu'il a faim. Cette dignité lui donne occasion de rendre la liberté à Mademoiselle Duval, qui est prisonnière de la bande noire, et de la réunir à son père, à qui il prête, moyennant un reçu, la somme appartenant aux brigands, et qu'il avoit en garde. Ceux-ci s'aperçoivent qu'il les a trahis ; ils l'enchaînent ; mais il est délivré par Perrette, jeune laitière, qu'il aime. Obligés de se défendre contre les soldats envoyés à leur recherche, les brigands combattent, mais ils succombent. Jocrisse abdique, et rentre au service de M. Duval.
Il y a dans ce mélodrame plusieurs scènes très-plaisantes, entre autres celle où le chef de brigands, armé de pied en cap, se laisse docilement donner des coups de bâton par son ancien maître.
Le dialogue offre plusieurs traits d'une philosophie satirique.
Brunet a joué Jocrisse avec une niaiserie solennelle qui a beaucoup fait rire : il est brigand de la meilleure foi du monde.
Les auteurs de cette pièce sont MM. MERLE et DU MERSAN.
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