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Junius, ou le Proscrit
Junius, ou le Proscrit, tragédie en cinq actes, en vers, de Noël-Barthélémy Boutet de Monvel, 14 germinal an 5 [3 avril 1797], .
Théâtre de la République
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Titre :
Junius, ou le proscrit
Genre
tragédie
Nombre d'actes :
5
Vers / prose
en vers
Musique :
non
Date de création :
14 germinal an 5 [3 avril 1797]
Théâtre :
Théâtre de la République
Auteur(s) des paroles :
Noël-Barthélémy Boutet de Monvel
Almanach des Muses 1798.
Essai d'un jeune-homme. Sujet compliqué ; des mouvemens ; une situation tragique au quatrième acte.
Sur la page de titre de la brochure, Paris, de l'Imprimerie de C. F. Cramer, 1797 :
Junius ou le proscrit, tragédie en cinq actes, Par le Citoyen Monvel, fils ; Représentée au Théâtre de la République le 14 germinal.
Courrier des spectacles, n° 88 du 15 germinal an 5 [4 avril 1797], p. 2-3 :
[La pièce a échoué : elle « n’a ni intérêt ni conduite » et fourmille d’invraisemblances. Le critique résume ensuite l’action. Puis il fait une petite liste des « passages qui ont le plus choqué dans cet ouvrage ». Le style est indigne de la tragédie, même si elle comporte « quelques beaux vers », dont le critique donne quatre exemples (trois étant des maximes).]
Théâtre de la République.
On donna hier à ce théâtre la première, et vraisemblablement la dernière, représentation d’une tragédie intitulée Junius ou le Proscrit. Cette pièce n’a ni intérêt ni conduite ; elle ne manque pas d’action, mais présente des invraisemblances à chaque acte. Le sujet est d'invention, et est représenté sous des noms romains.
Junius a épousé Tullie, fille de Tullius, et en a une fille nommée Octavie. Pendant la guerre entre Marius et Sylla, Junius a pris le parti du vainqueur des Cimbres, et Tullius est resté dans celui de Sylla. Après la défaite de Marius, Junius a été proscrit ; Tullius a fait casser le mariage qui l’avoit uni à sa fille, et veut la marier à Décius. Junius arrive : Tullie le voit, et refuse l'hymen qu’elle alloit conclure ; le premier acte finit. Tullius apprend le retour de Junius ; comme il lui doit la vie, il veut le sauver, et lui fait conseiller de fuir. L’imprudent Junius, seul, au milieu de Rome, veut braver Tullius, et bientôt il est arrêté : ce qui termine le second acte.
Dans le troisième acte, Junius paroît devant un tribunal, dont Tullius est président : il est condamné à mort.
Le quatrième acte le présente dans la prison, où Tullie le vient voir avec son enfant. Après s’être longuement entretenu avec elle sur son malheur, il prend son enfant, lève sur lui un poignard qu’il tenoit caché, et menace de percer sa fille, si Tullie ne jure pas de ne point épouser Décius. Tullie fait le serment qu’on exige d’elle, et sort. Décius vient généreusement pour sauver Junius ; celui-ci refuse son secours, et ne lui répond que par des injures. Céthégus, ami de Junius, vient le délivrer.
Dans le cinquième acte, Tullie et Décius ignorent encore ce qui s’est passé : on vient leur apprendre que Tullius est prêt d’être vaincu par Junius. Tullie implore le secours de Décius, qui va combattre Junius : ce dernier est défait. On le croit en fuite lorsqu’il reparoît, fatigué du combat, et la tête égarée par ses malheurs ; il reprend cependant peu-à-peu sa raison ; et après un très-ennuyeux et très-long dialogue, il se tue. On ne sait ce que disent ensuite les autres : le public n’a point voulu les écouter, et a fait baisser la toile.
Parmi les passages qui ont le plus choqué dans cet ouvrage, on peut remarquer :
Dans le premier acte, celui où Flavie, confidente de Tullie, veut trahir son secret en découvrant le retour de Junius à Tullius et à Décius, qui, étonnés du refus qu’elle fait d’épouser ce dernier, ont la discrétion de ne pas lui demander la cause de l'embarras qu’elle manifeste.
Dans le second acte, Junius. seul, proscrit et détesté dans Rome, arrache les fleurs qui ornent la porte de Décius, veut attendre Tullius, veut le percer quand il arrive, quoique suivi du peuple et d’un grand cortège.
Dans le troisième acte, Tullius, qui a fait arrêter Junius, à qui il doit la vie, ne refuse pas de présider un tribunal qui doit le condamner à mort.
Dans le quatrième acte, ce père barbare lève un poignard sur sa fille, qui n’a pas 6 ans, et veut la percer si sa mère ne jure pas de ne point épouser Décius.
Dans le cinquième acte, que vient faire Junius que l’on croit en fuite ? il vient, s’est-on écrié, mourir et tomber avec la pièce.
Le style de cet ouvrage est rarement digne du cothurne. On a cependant applaudi quelques beaux vers. En voici quelques-uns de divers endroits de la pièce :
Ils ont fui pour jamais ces jours où la licence
Armoit un factieux du fer de la vengeance.
. . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . .
Pour les cœurs généreux le malheur est sacré.
. . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . .
Le parti qui triomphe est toujours vertueux.
. . . . . . . . . . . . . . . .
Et sur le trône assis, le crime est toujours crime.
L. P.
Courrier des spectacles, n° 90 du 17 germinal an 5 [6 avril 1797], p. 2 :
[La deuxième représentation de Junius permet au critique de renouveler ses griefs, de donner le nom de l'auteur, Noël-Barthélémy Boutet, fils de l'illustre Monvel (tant pis pour lui), de dire du bien des acteurs, et de s'étonner de l'incohérence des réactions du public, en stigmatisant particulièrement le comportement d'un acteur présent dans la salla? Tout cela sent bien fort la claque au service de l'auteur, ou de son père...]
Théâtre de la République.
Nous nous sommes trompés en annonçant avant-hier que l’on avoit donné la veille la première et vraisemblablement la dernière représentation de Junius. Cette tragédie fut encore jouée hier : nous n’allâmes point la voir, persuadés que les changemens, si l’auteur avoit entrepris d’en faire, ne pourroient pas être, en si peu de temps, assez importans pour corriger les défauts que nous avons reprochés à cet ouvrage. Sans chercher plus loin ce qui a pu en permettre une seconde représentation , qui sera peut-être suivie de plusieurs autres, nous en attribuons la cause au nom de l’auteur, qui est fils de M. Monvel. A ce titre, les acteurs auront probablement cru devoir faire toute espèce de sacrifice..
Nous n’avions pas voulu nommer l’auteur, nous étant fait la loi de ne point nommer ceux dont les pièces tomberoient. Nous sommes contens que cette seconde représentation nous fournisse l’occasion de rendre justice à monsieur Talma et à M.me Petit, qui ont mérité et reçu de grands applaudissemens. M. Talma sur-tout a parfaitement rendu quelques passages du rôle de Junius.
Ce n’est pas non plus sans satisfaction que nous trouvons l’occasion de nous élever contre la partie du public, qui plus curieuse de voir le dénouement d’une mauvaise pièce, que de protéger l’art, applaudit avec transport les passages les plus détestables, et s’efforce de les soutenir contre les sifflets.
On a pu sur-tout remarquer cet esprit, que nous voulons bien croire ne pas être celui de parti, à la première représentation de la tragédie dont nous parlons. A peine paroît-il un coup de sifflet, que cent mains bien d’accord applaudissent de tous les côtés de la salle. Nous avons sur-tout remarqué un acteur de ce théâtre, que nous ne voulons pas nommer, mais qui se reconnoîtra suffisamment, en lui rappellant qu’il étoit aux premières, en face. Il devoit avoir mal aux mains le soir, car il n’a cessé d’applaudir. Trouvoit-il la pièce bonne ? Nous lui faisons l’honneur de croire le contraire. Pourquoi donc applaudissoit-il ? Nous ne craignons pas de dire qu’il faut être ennemi de l’art, pour chercher à soutenir un ouvrage que l’on sait être mauvais.
L. P.
Courrier des spectacles, n° 94 du 21 germinal an 5 [10 avril 1797], p. 2-3 :
[Avec des degrés divers dans la critique, divers extraits de comptes rendus de la tragédie. L'ensemble est plutôt sévère. On relève comme défauts principaux le choix du personnage principal, qui ne peut susciter l'intérêt, et l'absence d'intrigue, la pièce étant une suite de tirades.]
Théâtre de la République.
Nous avons donné, le 15 de ce mois dans notre 88.e N.°, l’analyse de la tragédie de Junius, représentée la veille. Les journaux qui en ont parlé s'expriment ainsi :
Dans le Miroir, 16 germinal.
La tragédie de Junius Brutus, jouée hier sur le théâtre de la République, malgré les beautés qu’on y a admirées, n’a pu échapper aux murmures et aux siffets ; le dernier acte sur-tout s’est traîné péniblement jusqu’à la fin.
Le Déjeûner, du 16 germinal.
L’auditoire fut d’abord bénévole, et même très-libéral d’applaudissemens pour les premiers actes de l’ouvrage, dont nous avons à rendre compte. Suit l'analyse.....
Il nous paroît que c’est une bien fausse conception théâtrale, que de prendre pour héros un homme sur lequel l’intérêt ne peut s’arrêter un seul instant. Or, quel intérêt peut inspirer un barbare, un misérable sans remords, qui vient étaler sur la scène toute l’impudence de son affreuse morale, qui consiste à soutenir qu’il n’y a ni vices ni vertus, et que le succès décide tout. Tout est foible dans cet ouvrage, si ce n'est le jeu intéressant de M.me Petit, et le jeu véritablement tragique de Talma.
Journal de Paris, 16 germinal.
Cette pièce ne manque ni de grands événemens, ni de grands mouvemens. Son succès cependant a été assez médiocre ; il s’en est peu fallu que la représentation n’en fût terminée au moment de la levée du poignard sur le sein d’Octavie : Junius peu intéressant d’ailleurs par sa conduite passée, par son désir toujours existant et manifesté de faire la guerre à son pays, a soulevé tous les esprits par ce mouvement atroce, qui n’a d’autre but que de tyranniser une seconde fois Tullie, et de faire le malheur d’un rival disposé à le sauver.
On peut faire à l’auteur un grand nombre de reproches, et sur le tissu de la pièce, dont chaque acte contient un fait particulier et son dénouement, et sur un grand nombre de scènes oiseuses qui n’ont d’objet que de servir de cadre à des tirades, à des demandes, à des réponses qui ne tiennent pas au sujet immédiatement, et qui souvent ont le défaut de manquer de justesse. Mais le plus grand est d’avoir voulu faire porter l’intérêt sur un monstre vil, dont le caractère n’est pas susceptible de la teinte de grandeur que l’auteur a voulu lui imprimer. Tullie elle-même ne satisfait pas entière ment le spectateur.
Cette pièce cependant prouve dans l’auteur un talent vrai ; et si, comme on le croit, elle est d’un très-jeune homme, il auroit tort de se rebuter. Il peut avoir l’espoir fondé, en suivant la marche de nos bons auteurs dans ce genre, de voir ses travaux couronnés par de grands succès.
Après les extraits des journaux, un beau morceau d'ironie sur la façon dont certains ont tenté en vain de transformer le succès en échec :
Sur la tragédie de Junius.
Honneur, cent fois honneur au théâtre de la République, qui vient d’enrichir la scène française d’un chef-d’œuvre digne du beau siècle de Louis XIV ! La tragédie de Junius doit faire époque dans l’histoire dramatique du dix-huitième siècle. Quelle éloquence mâle et nerveuse ! quels vers sublimes et frappés au coin du génie ! comme les événemens s’y succèdent avec rapidité, mais sans confusion ! quelle [sic] feu dans la diction ! quelle précision dans le dialogue, et en même-temps quelle simplicité touchante ! avec quel art admirable les vers même les plus saillans, de cette admirable pièce, sont conçus ! ils paroissent si naturels, qu’on seroit tenté de les prendre pour de la prose, si l’affiche de la porte n’annoncoit positivement que la pièce est en vers. C’est le cachet du génie ; mais la situation qui mérite sur-tout d’exciter l’enthousiasme, c’est la scène vraiment neuve du 4.e acte, dans laquelle Junius lève le poignard sur son enfant pour engager amicalement sa femme à ne point se remarier après sa mort. O Corneille ! ô Racine ! ô Voltaire ! votre gloire est à jamais éclipsée : ce n’est pas ainsi que vous faisiez des tra gédies ; mais que vos mânes se consolent ; le jeune auteur de Junius (1) vous promet un digne successeur. Encore deux ou trois chef-d’œuvres de cette force, et le théâtre de la République n’aura plus de rivaux. C’est le Menteur qui vous l’assure.
N. B. Il y avoit une telle foule à la porte du théâtre de la République, le jour de la seconde représentation de Junius, que la crainte d’y être étouffé s’étant emparé des curieux, chacun s’en est allé, et que de compte fait, il ne s’est plus trouvé que 197 spectateurs, compris 186 billets donnés.
P. S. Les amis de l’auteur ont bien fait leur devoir ; la pièce a été aux nues. On se propose d’en augmenter encore le succès aux représentations suivantes, en doublant, triplant, et même quadruplant les billets donnés ; on a convoqué, à cet effet, en plus grand nombre possible , tous les frères et amis.
(1) Le bruit s’étoit répandu le matin du jour de la première représentation de Junius, que cette tragédie étoit du citoyen Chénier ; le modeste auteur d’Azémire, d’Edgard, d’Henri VIII, etc., ne voulant point se parer des plumes du paon, fit mettre sur quelques affiches à la porte du spectacle une bande sur laquelle on lisoit ces- mots simples, mais expressifs : cette tragédie n’est pas du citoyen Chénier.
L’Esprit des journaux français et étrangers, 1797, volume 3 (mai-juin 1797), p. 276-279 :
[Le compte rendu se réduit largement à un long résumé de l’intrigue, mais un résumé fort loin de la neutralité : les jugements du critique ne manquent pas, et ils sont négatifs (le plus net : « comme il faut enfin un dénouement »). Un bref paragraphe suffit ensuite pour condamner la pièce : son défaut, c’est le choix d’un héros, « un homme sur lequel l'intérêt ne peut s'arrêter un seul instant », ce qui permet d’énumérer les empêchements à l’intérêt, qui se situent largement dans la cruaté et l’immoralité. Parce qu’une pièce de théâtre doit être morale.]
THÉATRE DE LA RÉPUBLIQUE;
Junius, tragédie, par Monvel fils. Cette pièce, annoncée depuis quelque temps ; étoit généralement crue de Chénier : aussi, dans la crainte qu'un public trop prévenu ne laissât son indulgence à la porte, une main officieuse avoit mis au crayon, sur plusieurs affiches : La pièce n'est pas de Chénier.
Aussi l'auditoire fut il d'abord bénévole, & même très-libéral d'applaudissemens pour les premiers actes de l'ouvrage, dont nous avons à rendre compte.
Junius, héros de la pièce, a été l'un des plus féroces sicaires de Marius, proscrivant, assassinant sans pitié tout ce qui tenoit au parti de Sylla, & même, d'après son caractère, tout ce qui tenoit à la vertu. Il alloit faire périr Tullius, lorsque Tullie, fille de ce dernier, & prête à être unie à Decius, se présente à Junius pour le fléchir. Le monstre, épris de ses charmes, lui accorde la vie de son père , pourvu qu'elle l'épouse ; elle y consent. Octavie est le fruit de cet hymen. Le parti de Sylla devenu vainqueur, l'atroce Junius est à son tour proscrit ; il fuit de Rome ; les nœuds qui l'unissoient à Tullie sont rompus, & Tullie, qui aime Decius, va enfin le récompenser de sa constance & de sa tendresse. Junius revient dans Rome, reparoît devant Tullie, & réclame ses droits de père & d'époux pour l'enlever ; elle le refuse, & cependant, dès cet instant, veut suspendre son nouvel hymen ; mais elle ne résiste pas aux reproches de Decius, & marche au temple. Junius se trouve sur son passage, & après, le temps nécessaire pour une longue tirade d'injures, le père & l'époux de Tullie arrivent, & l'on arrête Junius. Il est traduit devant Tullius, qui le trouve âtre son juge : celui ci, plein d'humanité, & après beaucoup de réflexions oiseuses sur le respect dû au malheur, le condamne à la mort pour la fin du jour. De sa prison, où i! est reconduit, Junius conserve l'espoir d'être sauvé par Cethegus, scélérat de sa trempe, & connoissant comme lui les moyens faciles de tromper le peuple avec les grands mots de liberté & d'amour de la patrie. L'amour qu'il a conservé pour Tullie, le tourmente aussi ; il la demande ; elle vient le voir avec leur enfant Octavie ; il montre d'abord un grand repentir de ses forfaits, puis tout à coup il devient furieux ; il prend l'enfant, menace de le tuer, si Tullie ne lui promet pas de rompre l'hymen projeté avec Decius ; elle promet tout. Decius vient à son tour, & par respect pour le malheur, il veut aussi sauver Junius ; peu sensible à cet acte de générosité à laquelle il ne croit pas, il déclare la promesse qu'il vient d'arracher de Tullie; Decius sort désespéré ; des cris se sont entendre ; c'est Cethegus à la tête d'une populace armée, qui vient délivrer Jnnius : il se met à la tête de ces brigands, & sort, respirant la vengeance. Il rencontre Tullius, entouré de ses amis, l'attaque ; Decius, averti de son péril, vole à son secours ; le parti de Junius est vaincu, & Junius errant, fuyant, retombe encore entre les mains de Tullius & de Decius, qui toujours, par respect pour le malheur, veulent encore le protéger : mais comme il faut enfin un dénouement, Junius finit par être louché de cette magnanimité ; il avoue tous ses crimes & se tue ; & Decius épouse Tullie, comme ils en étoient convenus depuis long-temps.
1l paroît que c'est une bien fausse conception théâtrale, que de prendre pour héros un homme sur lequel l'intérêt ne peut s'arrêter un seul instant. Or, quel intérêt peut inspirer un barbare, un misérable sans remords, qui vient étaler sur la scène toute l'impudence de son affreuse morale, qui consiste à soutenir qu'il n'y a ni vices ni vertus, & que le succès décide tout.
Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, seconde année, tome sixième, an 5 (1797), p. 547-548 :
Le théâtre de la République a donné, le 14 germinal, une nouvelle tragédie, Junius ou le Proscrit. Cette pièce a été jugée avec une rigueur extrême, et cependant la jeunesse de l'auteur et le talent qu'il annonce méritoient plus d'indulgence.
Le sujet est original et singulièrement conçu. Junius, partisan de Marius et complice de ses fureurs, a profilé du moment où son parti étoit triomphant pour obtenir la main de Tullie en la menaçants sur son refus, de faire périr Tullius son père. Tullie a immolé son amour pour Décius à sa tendresse filiale, et une fille, nommée Octavîe, est née sous de si funestes auspices ; mais la fortune va changer : Sylla l'emporte sur Marius, et le cruel Junius est proscrit. Tullius profite de ce moment pour faire prononcer le divorce de sa fille ; elle va épouser Décius.
Junius, bravant la mort, arrive à Rome pour persuader à son épouse de le suivre dans sa retraite avec Octavie ; il apprend le nouvel hymen que Tullie va former ; il voit passer la pompe nuptiale ; il l'arrête par ses cris : le peuple semble se décider pour lui ; mais à son nom odieux, qui rappelle tous ses forfaits, la pitié est éteint : on l'arrête, on le jette en prison ; il demande à voir, pour la dernière fois, sa fille ; Tuilie la lui amène ; Junius, saisissant un poignard caché, menace de la tuer si elle ne lui promet de respecter l'hymen qui les unit,.et de ne point épouser Décius ; Tuilie promet encore pour sauver sa fille. Décius, en rival généreux, veut faire évader Junius ; mais celui-ci rejette ses secours. Cependant les amis de Junius forcent les portes ; il s'arme, il marche au palais de Sylla ; mais il est vaincu, blessé, il vient mourir auprès de Tullie, et la dégage de ses sermens.
Cette pièce offre des situations singulières et d'un effet très-dramatique ; le style est incorrect, mais il a de l'originalité et de la chaleur ; et son jeune auteur, le citoyen Monvel fils, mérite d'être encouragé à suivre une carrière à laquelle il paroît appelé par un véritable talent.
Le citoyen Talma a très-bien joué le rôle de Junius.
Le Spectateur du Nord, journal politique, littéraire et moral, février 1798, p. 232-235 :
Junius ou Le Proscrit, donné au théâtre de la République, n'a pas eu, à beaucoup près, le même succès que Laurence [la pièce dont le compte rendu précède celui de Junius ou le Proscrit].—Junius est un de ces caractères prononcés et ardens, qui, dans les troubles civils, partagent toujours l'exaltation du parti qu'ils embrassent. Il s'est entièrement livré à Marius, l'a secondé dans ses fureurs ainsi que dans ses triomphes, et s'est acquis une malheureuse célébrité par les cruautés et les vengeances, qu'il a exercées sur le parti de Sylla.
Dans le cours de ses abominables prospérités, il n'a cédé qu'à l'amour, qui ne connoît ni factions, ni partis : il est devenu éperdument épris des charmes de Tullie, fille du Sénateur Tullius, partisan déclaré de Sylla et par cela même désigné à la hache des bourreaux de Marius.
Junius a profité de sa position pour rendre à Tullie toute résistance impossible. Il a fait dépendre du don de sa main le salut de son père ; il a contraint cette victime infortunée à lui faire le sacrifice de sa tendresse pour Décius : elle a consenti à un hymen fatal, dont est née une fille nommée Octavie.
La fortune a abandonné Marius ; et tous ses partisans ont été proscrits par Sylla, devenu maître à son tour. Tullius fait rompre par un divorce solennel les nœuds que sa fille a formés avec Junius; il veut la rendre à Décius.
Mais au moment même ou Tullie jouit de l'espérance d'un meilleur avenir, Junius s'offre tout-à-coup à ses yeux. Bravant la proscription qui le menace, il vient réclamer son épouse et les droits de sa fille Octavie. Il va bientôt jusqu'à vouloir défier son rival, jusqu'à s'opposer publiquement à l'hymen qui se prépare. Tullius le reconnoît et le nomme. Le peuple qui commençoit à s'émouvoir en sa faveur, l'abandonne et réclame sa punition. Il est saisi et conduit devant le tribunal. Il s'y défend en homme, qui ne voit dans ses juges que les agens d'un parti vainqueur, et retourne dans sa prison, après avoir écouté avec calme sa sentence de mort.
Décidé à devancer son supplice au moyen d'un poignard qu'i1 a su conserver, il veut cependant attendre l'issue des tentatives que font ses amis pour susciter en sa faveur un mouvement populaire : il profite du temps qui lui reste pour faire prier Tullie de lui accorder un moment d'entretien et de lui amener sa fille. Tullie, ne croyant pas pouvoir refuser ce dernier devoir au père d'Octavie, se rend avec elle auprès de lui. Junius emploie toute l'éloquence de l'amour et du malheur pour engager Tullie à ne pas conclure un nouvel hymen, à ne pas laisser flétrir la mémoire de son époux et du père de sa fille. En la voyant balancer, il reprend toute la fougue d'une jalousie furieuse, et sous prétexte d'arracher sa fille aux vengeances du parti de Sylla, il menace de la poignarder à l'instant même, si Tullie ne fait serment de rompre tout engagement avec Décius. L'infortunée mère prononce le serment, et Junius lui confie de nouveau son enfant.
Cependant les amis de Junius ont réussi à soulever le peuple ; la prison est forcée ; Junius est délivré. Il veut conduire le peuple au palais de Sylla ; mais Tullius et Décius arment leur parti, et parviennent à vaincre leurs ennemis. Junius au désespoir vient dans le palais de Tullius dégager Tullie du serment qu'il lui a arraché, et se punir lui-même à leurs yeux.
Quelques Journalistes ont attribué cette pièce à Chénier, mais elle est de Monvel fils, qui, pour son début dans la carrière dramatique, a eu fort peu de succès On a jugé que le moindre défaut de cette pièce étoit d'être mal écrite, et que, si le plan étoit tragique jusqu'à un certain point, l'exécution étoit extrêmement vicieuse. Le caractère de Tullie a paru mal dessiné ; la scène du Tribunal, qui eût pu être belle, a été trouvée froide et pleine de traits déplacés ; l'intérêt qui doit aller croissant, a été dans le sens inverse, et au cinquième acte, le caractère de Junius a semblé effacé ; on n'y a plus vu qu'une froide et mesquine imitation de Zamore. Telles sont à-peu près les remarques des critiques mêmes les plus disposés à traiter favorablement le Citoyen Monvel fils, qui a, comme on le voit, grand' besoin d'étudier encore les bons modèles.
(Nous continuerons cet article dans les cahiers suivans.)
[Je n'ai pas trouvé cette suite...]
D’après la base César, la pièce de Boutet fils a été jouée 9 fois au Théâtre français de la rue de Richelieu, du 3 avril au 17 mai 1797. L’attribution au jeune Boutet est fortement appuyée par une série de références à des sources plus ou moins contemporaines (de l’Histoire du Théâtre Français d’Etienne et Martainville (an 10) au catalogue de la BNF).
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