La Journée aux interruptions, ou Comme on travaille à Paris

La Journée aux interruptions, ou Comme on travaille à Paris, comédie en trois actes et en prose, 28 novembre 1806.

Théâtre de l’Impératrice.

Titre :

Journée aux interruptions (la), ou Comme on travaille à Paris

Genre

comédie

Nombre d'actes :

3

Vers / prose

en prose

Musique :

non

Date de création :

28 novrmbre 1806

Théâtre :

Théâtre de l’Impératrice

Auteur(s) des paroles :

 

Courrier des spectacles, n° 3581 du 29 novembre 1806, p. 3 :

[Une fois de plus, il s’agit pour le critique de rendre compte d’un échec sans appel. Il commence par annoncer que la pièce était précédée d’une grande réputation : « un petit chef-d’œuvre d’esprit, de goût et d’originalité », on allait s’amuser, mais à propos de funérailles et de cercueils. Le résultat : des sifflets comme on n’en avait jamais entendu. Pour expliquer cet échec, le critique n’a besoin que de résumer une intrigue réduite à rien, sinon une succession d’interruptions en tout genre, entre mauvais goût et procédés éculés. La pièce montre une tempête, mais c’est celle qu’elle suscite dans le public qui l’emporte : les acteurs jouaient bien leur rôle, mais pas l’auteur. Et la pièce n’a pas été achevée.]

Théâtre de l’Impératrice.

La Journée aux interruptions, ou Comme on travaille à Paris.

II ne faudroit pas choisir cette pièce pour modèle, si l’on vouloit avoir une idée de la manière dont on travaille à Paris II seroit difficile de réunir plus d’inconvenances et d’absurdités de toute espèce. Cependant l’ouvrage avoit des prôneurs ; il avoit été lu dans de petits cercles ; on le donnoit d’avance pour un petit chef-d’œuvre d’esprit, de goût et d’originalité ; c’étoit un feu d’artifice d’où jaillissoient de toutes parts les bons mots, les traits fins et les épigrammes d’une finesse et d’un sel exquis. On promettoit sur-tout une gaîté folle ; et pour le prouver, on nous a donné des détails charmans sur les cérémonies des funérailles, et l’on nous a montre des oiseaux de mort revêtus de leur costume, et venant faire des plaisanteries sur des cercueils ; aussi jamais pièce n’a-t elle été siffle plus outrageusement.

Les héros de l’ouvrage sont deux auteurs du Vaudeville ; l’un n’a pas trois louis pour payer un habit, et l’autre n’en a pas deux pour payer le terme de son loyer. La maison qu'ils occupent appartient à une espèce d’imbecille nommé Platin. Cet imbécille âgé de cinquante ans, veut épouser la fille de M. Plumard, jeune personne âgée de seize à dix-sept ans. Les deux auteurs du Vaudeville, qui craignent d’être interrompus dans leurs profondes méditations, chargent expressément leur vieux portier Germain de tenir la porte fermée ; mais M. Platin doit être un personnage privilégié. Il entre donc pour demander des couplets à nos deux auteurs ; ceux-ci le renvoyent avec une épigramme. M. Platin se fâche, et leur donne congé. Des locataires arrivent pour voir le logement ; il faut les recevoir ; le tailleur apporte un habit ; il faut encore le recevoir ; mais l’un des deux auteurs lui doit une redingotte, et fuit précipitamment, dans la crainte qu’on ne lui présente le mémoire. Les deux poëtes ont encore un ami nommé Folleville. Il est épris de la même beauté pour laquelle soupire M. Platin. Il vient trouver ses camarades, pour leur faire part de ses amours, il les fatigue de ses importunités, et les quitte enfin pour enlever la demoiselle. Ces détails remplissent le premier acte.

Au second, les deux poëtes habitent une autre maison. Folleville apprend la mort de M. Plumard, père de son amante. Un homme qui sait que Folleville prend un grand intérêt à la famille Plumard, vient en habit de deuil lui proposer des pleureuses à quarante sous par face ; on fait entrer tous ces croquemorts avec leur livrée, ce qui présente, comme on voit, un spectacle et des idées très gaies. Ce n’est pas tout : après s’être offerts une première fois, ils reviennent une seconde, et emportent le déjeûner des poëtes. Un vieux chicaneur arrive pour conter aux deux auteurs qu’il avoit un procès avec M. Plumard, etc. D’autres incidens tout aussi neufs succèdent à ceux-là, et les poëtes, las, excédés d’importunités, prennent le parti de fuir dans les bois.

Au troisième acte , eu se trouve transporté dans une forêt. Comme on venoit d’assister à un enterrement, on pouvoit croire que c’étoient les Champs Elysées ; mais on nous a avertis que c’étoit le Bois de Boulogne. A peine les deux poètes y sont-ils arrivés, qu’ils sont troublés par des joueurs de ballon. Ensuite c’est leur ami Folleville qui vient cacher à Auteuil la fille qu’il a enlevée ; c’est un commissaire de police que M. Platin a mis a- la piste de Folleville ; puis c’est M. Platin lui-même qui se bat en duel avec un pistolet chargé à poudre. Enfin c’est un orage, du tonnerre, de la pluie, etc. Ici le vent des sifflets s’est tellement mêlé à la tempête, que la pièce n’a pu finir.

Les acteurs ont très-bien joué ; l’auteur a très-mal fait ; le public a très-justement sifflé, tel est à-peu-près le résultat de cette représentation.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 11e année, 1806, tome VI, p. 440 :

[Bizarrerie, mauvais goût, dépassement des « bornes de la décence », la pièce aurait pu réussir si elle avait évité ces écueils. Le reproche qui est fait aux auteurs, c’est d‘être allés trop loin dans « le désir d’être méchans ». En plus, le fonds n’est pas original, puisque c’est celui des fâcheux (ou des Fâcheux ?).

La Journée aux Interruptions, ou Comme on travaille à Paris ; comédie en trois actes et en prose.

Heureusement que ce n'est pas toujours comme cela qu'on travaille à Paris. Cette production étoit d'une bizarrerie capable de lui faire obtenir le plus grand succès ; mais les auteurs avoient trop sacrifié au mauvais goût, et le désir d'être méchans leur avoit fait passer les bornes de la décence. C'est surtout une scène où le bureau de deuil tout entier venoit sur le théâtre, et où l'on rioit pour ainsi dire sur des corps morts , qui a porté à la pièce le coup mortel. Quant au fonds, c'était celui des fâcheux ; il n'avoit donc rien de neuf. L'ouvrage ne devant pas être rejoué, il est inutile d'entrer dans de plus grands détails.

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1807, tome I (janvier 1807) p. 290-291 :

[Le titre de la pièce fournit la base du compte rendu fait sur elle : la pièce a été interrompue (cela veut-il dire qu’elle n’a pas été achevée, ou simplement que sa carrière s’arrête après cette première représentation ?). En tout cas, malgré quelques points positifs (conception de l’intrigue et capacité à la « faire marcher »), la pièce est insupportable : « le mauvais goût de quelques scènes et l'inconvenance du style et des plaisanteries » a lassé le public, et le critique relève que les théâtres étrangers eux-mêmes n’atteignent pas à la bizarrerie de cette pièce (et pourtant...) : comment entasser autant « d’incidens burlesques », comment faire d’une pièce à tiroir « un imbroglio compliqué ». Ces auteurs ne manquent pas de talent, mais ils passent les bornes, en dénaturant le « vrai genre » de la comédie, en ramenant le spectacle « vers l'enfance de l'art dramatique », en osant se faire les censeurs de ce siècle et des auteurs leurs confrères. Oui, on peut chercher l’originalité, mais à condition que « le goût en tempère les écarts ». L’article ne permet pas trop de savoir ce que montrait la pièce, mais il est évident que les limites du tolérable sont dépassées aux yeux du critique, et peut-être aussi du public (mais c’ets bien sûr le critique qui parle en son nom).]

La Journée aux interruptions , ou comme on travaille à Paris.

Il est probable que les auteurs de la pièce, car ils sont deux, à ce qu'on dit, ne s'attendaient pas à l'interruption fâcheuse qu'ils ont éprouvée, et leur propre histoire est une scène de plus dans leur ouvrage. Il serait difficile de l'analyser : jamais peut-être on ne rassembla dans un sujet plus d'incidens burlesques ; jamais d'une pièce à tiroir proprement dite on n'avait encore essayé de faire un imbroglio compliqué : les théâtres espagnol, anglais, allemand fourniraient à peine l'ensemble d'un entassement plus bizarre Si le mauvais goût de quelques scènes et l'inconvenance du style et des plaisanteries n'avait soulevé l'indignation et fatigué la patience des spectateurs, on aurait été forcé peut-être de reconnaître dans le plan, à travers sa bizarrerie même, une manière assez forte de concevoir une intrigue et assez adroite de la faire marcher. C'est précisément ce talent-là même qui me fait un devoir de reprocher aux auteurs de l'employer à dénaturer le vrai genre, à nous reporter vers l'enfance de l'art dramatique, et de se permettre encore avec un pareil systême la censure de son siècle et de ses confrères. Que l'heureuse sévérité du public à leur égard leur serve enfin de leçon et leur persuade que l'originalité peut avoir son mérite, mais quand le goût en tempère les écarts. Leur titre promettait quelque chose de piquant ; l'application , par leur faute, en a tourné contre eux, et chacun s'écriait en sortant : Le titre est rempli, c'est la journée aux interruptions ; comme on travaille à Paris !                            L. C.

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