La Journée des dupes, ou l'Envie de parvenir

La Journée des dupes, ou l'Envie de parvenir, comédie en cinq actes et en vers, par M. Armand Charlemagne ; 2 mars 1815.

Théâtre de l'Odéon.

Titre :

Journée des dupes (la), ou l’Envie de parvenir

Genre

comédie

Nombre d'actes :

5

Vers / prose ?

en vers

Musique :

non

Date de création :

2 mars 1815

Théâtre :

Théâtre de l’Odéon

Auteur(s) des paroles :

Armand Charlemagne

Almanach des Muses 1816.

Intrigue qui roule sur un quiproquo. Fond assez mince. Du mouvement, de la gaîté. Scènes comiques ; vers bien tournés. Grand succès.

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Barba, 1816 :

La Journée des dupes, ou l'envie de parvenir, comédie en cinq actes et en vers, Représentée, pour la première fois, à Paris, par les Comédiens du Théâtre royal de l'Odéon, le 2 mars 1815.

Journal des débats politiques et littéraires, 4 mars 1815, p. 2-4 :

[La nouvelle pièce, dont le journal désigne sous un titre original, ne paraît pas bien neuve, même si les souvenirs du critique ne sont pas très précis. Et l’auteur n’a fait qu’utiliser « une anecdote connue », ce qui est excusable. Mais il faudrait ramener la pièce à de plus modestes dimensions : si elle est gaie, elle est aussi trop longue. L’analyse qui en est donnée ensuite insiste sur l’inutilité de certains personnages et le manque de vraisemblance de certains éléments de l’intrigue. Le dénouement, trop prévisible, a pourtant plu au public, et la pièce a réussi. Elle a été suivie d’un concert dont le critique préfère ne rien dire.]

THÉATRE DE L'ODËON.

Première représentation de la Manie de Parvenir, ou l’Inconnu, comédie en cinq actes et en vers, par M. Armand Charlemagne.

Il y a environ vingt ans que, sur l'un des trente-trois théâtres secondaires qui existoient alors à Paris, j'ai vu jouer un certain Prince-Comédien, ou Comédien-Prince, avec lequel le nouvel Inconnu me paroît avoir des rapports, sinon d'identité, au motns de ressemblance, et très frappans. Tout ce que je puis me rappeler de l’ancienne pièce, c'est que, comme dans celle d’aujourd’hui, un comédien passe pour un personnage considérable, y reçoit des hommages intéressés, y promet sa protection, y fait la cour à la fille de la maison, est enfin reconnu et honnêtement éconduit, le tout à peu de chose près comme dans la pièce d’aujourd’hui.

Ce ne seroit pas la première fois que l’on auroit essayé sur le public cette innocente mystification. Dans les premiers temps de la transmission de Louvois à l’Odéon, on annonça, sous un titre nouveau la première représentation d'une comédie en trois actes et en prose, jouée quelques années auparavant à la Cité. Le parterre ne fut point dupe : les dates étoient trop rapprochées et les souvenirs trop frais. Grand tapage, grands murmures ; on crie à la suprise [sic], à la trahison. Dans le fort du tumulte, on distingue aux troisièmes loges un homme qui gesticuloit avec feu et sembloit demander !a parole. C'est l'auteur, s'écrioit-on (c'étoit lui en effet.) Ecoutons-le. L'auteur commence sa justification ; on ne l’entendait pas. Au théâtre ! au théâtre ! En un clin-d'œil le personnage descend, et se montre sur le théâtre en homme qui connoissoit le terrain. Il salue modestement le public, et lui explique comme quoi une pièce déjà donnée étoit cependant une pièce nouvelle par les changemens, les cerrections, les améliorations qu'elle avoit subis On excusa la petite tricherie de l'auteur en faveur de sa démarche : la comédie fut écoutée avec indulgence ; elle est même restée au théâtre.

Je n'accuse point M. Charlemagne d’avoir voulu nous jouer un semblable tour. Comme le fond de l’ouvrage est une anecdote connue, il a pu même après un autre, s'en emparer et l'arranger pour la scène à sa manière. Dans tous les cas, le grand malheur ne seroit point d'avoir ressuscité une pièce depuis long-temps oubliée, mais de ne lui avoir rendu la vie que pour éprouver la douleur de la voir périr une seconde fois, comme Eurydice, aux portes du jour.

J'espère toutefois que ce présage malheureux ne se réalisera pas. L’Inconnu n'est pas, il est vrai, d'une complexion robuste et d'une santé à toute épreuve ; sa taille est trop élancée, ses proportions trop gigantesques : en rapprochant ses membres, en le rapetissant, la nourriture mieux distribuée lui donneroit plus de consistance et de force. Du reste, il est d’un heureux tempérament, gai, vif, enjoué, naturel ; il aime rire et fait rire les autres; il a des bons mots et des saillies heureuses, mêlées, à à la vérité, de plaisanteries détestables dont il faudra bien qu'il se déshabitue, s'il veut voir la bonne compagnie. M. Chartemagne fera bien de le réduire à sa juste mesure, et de perfectionner son éducation.

M. Wolf est un honnête magistrat de Berlin, qui veut absolument parvenir au ministère, et qui, pour atteindre son but. enfante tous les jours de nouveaux projets de statistique, de diplomatie et de finances ; il recherche le crédit et la faveur des hommes en place ; son ambition surtout est d'arriver jusqu'au Roi ; sûr que le Grand-Frédéric ne l’aura pas plus tôt connu, qu’il s’empressera d’attacher à sa personne et à son administration un magistrat aussi recommandable par son zèle et par ses lumières.

Wolf retire dans sa maison deux parentes fort jolies, dont la fortune ne répond pas à la naissance, et auxquelles il sert de tuteur et de père. L'une est titrée comtesse : à la bonne heure ; car un titre ne donne pas à dîner, et une couronne a fleurons n'est pas un patrimoine : l'autre est chanoinesse, et il me semble qu'elle seroit beaucoup mieux placée dans son chapitre qu'à Berlin. Mais au fond, toutes !es deux sont déplacées dans l'ouvrage où elles ne figurent qu'en personnages épisodiques, et ne concourent en rien au nœud de l'intrigue, ni au progrès de l'action. C'est par elles que M. Charlemagne devra commencer les retranchemens, s'il .se détermine à réduire sa pièce à trois actes.

Sophie, fille de M. Wolf. a un penchant décidé pour Ernest, jeune officier ; mais le père ne veut marier sa fille qu’à un homme qui approche du Roi : cet obstacte est bientôt levé ; Ernest vient d'être nomme par Frédéric intendant de ses jardins. Cette singulière promotion auroit dû être motivée par quelque raison de convenance : quelle vraisemblance, en effet, que Frédéric prenne un jeune militaire pour son jardinier en chef ? Il y a trop de disparité entre les deux états et les connoissances qu'ils supposent.

Dans le moment où toute la famille Wolf félicite Ernest sur sa nomination, on annonce un ineonnu. fort mal en point, qui demande l’hospitalité. Cet homme est introduit, et raconte que, tout près de la ville, il a été arrêté par des voleurs qui lui ont pris tout son bagage, ses habits et son argent : sans ressource pour le moment, il réclame l’humanité de M. Wolf, qui lui fait donner à déjeuner. Cependant il tient consceil sur le parti qu’il doit prendre à l'égard de l’étranger. Est-ce un honnête homme ? est-ce un fripon ? Dans le doute, on s'arrête au plus sûr : en conséquence, un certain Benoni, précepteur dans la maison, mais qui n'y donne pas des leçons de politesse, se charge d'aller mettre l’inconnu à la porte aussitôt après son déjeuner.

Notre homme se retire, et n'ayant encore ni feu ni lieu, ni moyens de s'en procurer, il va rêver à sa triste situation dans les jardins du roi : ce prince avoit la bonne habitude de s'y promener lui-même. Ernest y est déjà à son poste, et il aperçoit les regards du roi se fixer sur ce même inconnu qui étoit le matin chez Wolf ; il entend même Frédéric se dire : « Cet homme qu je vois là-bas couvert des haillons de la misère, je l'ai vu plus d'une fois assis dans un palais, revêtu d'habits magnifiques, escorté d'une suite nombreuse, entouré de courtisans, de gardes et de flatteurs. » Ernest n'a rien de plus pressé que de venir annoncer cette grande nouvelle à M. Wolf, et celui-ci se désespère d'avoir, par l'expulsion d'un si haut personnage, manqué une occasion certaine de se bien mettre avec le roi : un homme connu de Frédéric ! un homme puissant lui-même et probablement souverain ! Quelle école de l'avoir chassé avec tant d'inhumanité !

Wolf appelle tous ses gens ; il ordonne à Ernest de courir après l'inconnu, et de le ramener, de gré ou de force, dans sa maison. Bientôt on les voit reparoître tous les deux. Wolf se confond en excuses, rejette la faute sur Benoni qui consent à l'endosser, et détermine, sans beaucoup de peine, le prin.ce offensé à boire avec lui, à dîner, l’oubli de~son injure. Arrive un tailleur apportant à l’inconnu, de la part du roi, un hahit superbe ; l'or éclate sur la
broderie, et les poches sont remplies d'or. L'illusion de Wolf, celle de toute sa famille redouble ; l’inconnu prend plaisir à l'entretenir ; il paroît s'amuser des démonstrations de respect qu'on lui prodigue ; il les reçoit avec beaucoup de dignité : on voit bien que c'est un effet de l'habitude.

Wolf se flatte que son altesse voudra bien parler de lui au roi ; la comtesse et la chanoinesse demandent une place dans la cour, ou du moins dans les Etats du prince. Mais le prince est difficile : il ne distribue pas les places au hasard ; il exige avant tout des talens dans les sujets qu’il approche de lui. On ne peut pas mieux tomber : la chanoinesse danse à ravir, ce qui n'est pas très conforme aux règles capitulaires ; la comtesse chante et pince de la harpe, et, pour ne laisser aucun doute dans l'esprit du prince, elle lui donne à l’instant un échantillon de son talent.

Vient le tour de l'aimable Sophie ; le pauvre Ernest a un rival bien dangereux : une altesse, .peut-être une majesté ! Comment soutiendra-t-il la concurrence ? La tête a tourné à Wolf ; il se flatte qu'un souverain va être son gendre. Heureusement pour les deux amans, la p.a.santerie ne va pas plus loin ; pressé de déclarer ses titres, sa naissance, l’étranger, par une très jolie tirade, renonce à l'incognito :

On m'a vu revêtu du manteau de Crésus,
On m'a vu mendier sous les haillons d’Irus.
. . . . . . . . . . . . . . . . . .

Je fus prince et berger, je fus et tout et rien,
Riche, pauvre. en un mot, je suis comédien.

Ce dénoûment, quoique trop tôt indiqué, a fait le plus grand plaisir ; on se figure l’étonnement des deux femmes ; Wolf fait dételer ses quatre chevaux, Ernest épouse Sophie et le comédien, qui est en même temps directeur de spectacles, rejoindre sa troupe qui soupire après son retour.

Clozel a dû être doublement satisfait de la soirée. Il a très bien joué le personnage du comédien ; et grâce au concours des spectateurs, l’argent trouvé dans ses poches n'aura pas été pour lui une vaine fiction ni un simple jeu de théâtre.

Je ne dis rien du concert, dont l’effet a été médiocre relativement au choix des morceaux et à la manière dont ils ont été exécutés.                        C.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences des lettres et des arts, année 1815, tome II, mars 1815, p. 189-192 :

[La pièce met en scène un bourgeois ambitieux et ceux qui gravitent autour de lui avec la même ambition dévorante. La rencontre d’un étranger mal vêtu qu’ils accueillent bien mal devient source de remords quand ils voient que le roi tient cet homme en haute estime, et tous veulent flatter celui qu’ils croient favori du prince, voire un prince souverain, tous croient leurs projets prêts à aboutir, jusqu’à ce qu’on sache qui il est, un acteur. La pièce est jugée plaisante, mais elle repose sur un « fond de plaisanterie […] toujours à peu près le même », « réponses équivoques » et « mots à double sens » qui sont interprétées par « les fous ambitieux ». Bonne appréciation du style, à part « quelques inversions un peu dures » (la pièce est en vers). Le critique croit que la pièce, déjà plaisante, gagnerait encore à être plus courte.]

La Journée des Dupes, ou l'Envie de parvenir, comédie en cinq actes et en vers, jouée le 2 Mars.

La scène est à Berlin, chez M. Wolf, bourgeois ambitieux, qui se croit appelé à réformer le monde par ses plans, et à réaliser le rêve de l'abbé de Saint-Pierre.

L'ardeur du bien public le mine et le dévore,
Il ne veut qu'être utile à tout le genre humain.

Il va donner la main de sa fille à Ernest, jeune officier que le Roi honore d'une bienveillance particulière ; il espère que son gendre lui fournira l'occasion d'entretenir le Roi de ses travaux philanthropiques qui ne peuvent manquer d'être adoptés aussitôt que connus.

L'envie de parvenir possède encore une Comtesse et une Chanoinesse, pupilles de Wolf, qui voudraient bien se lancer à la cour ; ce désir tourmente jusqu'à Benoni, qui habite la maison en qualité de précepteur. Petit rimeur nourri de miel, faiseur d'énigmes, Œdipe de Berlin, Benoni voit avec dépit tous ses talens enfouis dans l'obscurité. Sophie, fille de Wolf, est la seule raisonnable.

Un inconnu, dans un équipage plus que modeste, se présente chez Wolf ; il raconte que des voleurs l'ont dévalisé sur la route ; à un accueil assez froid succède un congé assez dur ; heureusement pour lui, l'étranger est armé d'une philosophie imperturbable ; il s'est fait un joyeux système de fatalité qui ne lui permet de s'étonner, ni de s'affliger de rien ; il reçoit avec la même insouciance le bien et le mal.

Bientôt Wolf a lieu de se repentir de 1'accueil inhospitalier qu'il a fait à l'inconnu ; Ernest. accourt lui apprendre que le Roi, en le voyant passer, l'a reconnu, et a dit que la fortune volage avoit réduit à un bien triste état un homme qu'il avoit vu dans la plus brillante situation, couvert des habits les plus magnifiques ; et le discours du Monarque étoit accompagné de témoignages d'intérêt pour le mystérieux étranger. Aussitôt la tête de l'ambitieux travaille ; quelle occasion il a manquée ! Un homme que le Roi connoit, un homme qu'il aime ; il faut le retrouver, réparer les torts qu'on vient d'avoir envers lui, l'inviter à dîner, Ernest se charge de cette commission, et s'en acquite heureusement. L'inconnu accepte le repas somptueux et délicat que Wolf a fait préparer avec le plus grand soin. Pour la réussite de ses projets, il compte beaucoup sur le talent de son cuisinier.

L'hôte, pour lequel on a fait tant de frais, arrive avec le modeste habit qui le matin lui a valu une disgrâce ; tout est changé ; ce n'est plus un malheureux qui implore des secours, c'est un seigneur, un prince ami de la simplicité, mais qui peut rendre de grands, services : il est connu du roi.

Ceux que le roi connoît sont tous bons à connoître.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
A la cour il .n'est pas de petit ennemi;
Du portier d'un ministre il faut être l'ami.

Bientôt le Roi envoye à l'étranger un habit magnifique. Ce présent dissipe tous les doutes, confirme toutes les idées, achève de tourner toutes les têtes. Il parle d'emplois qui sont à sa disposition ; il laisse échapper ce mot, mes sujets. Tout est découvert, c'est un prince souverain; et voilà Wolf qui déja pense à lui donner sa fille ; il cite Roxelane, qui épousa Mustapha, et Catherine que Pierre-le-Grand éleva sur le trône. La Comtesse et la Chanoinesse veulent être Dames d'honneur ; Benoni, que le prince a trouvé plaisant, se croit déja un personnage ; enfin il consent à dire son secret, à trahir son incognito. Toute la famille s'assemble, et apprend que son hôte illustre est.... comédien et directeur d'une troupe foraine : adieu tous les projets., toutes les espérances; c'est la journée des dupes.

Cette pièce offre beaucoup de scènes plaisantes, mais le fond de la plaisanterie est toujours à peu près le même. Il ne consiste que dans les réponses équivoques et les mots à double sens que le comédien prononce tantôt de bonne foi, tantôt pour se divertir, et dans les ridicules interprétations que leur donnent les fous ambitieux, trop frappés de leur idée favorite pour en admettre une autre.

Quelques inversions un peu dures sont le seul défaut qu'on puisse reprocher au style de cette comédie, dont les vers sont faciles et souvent heureux.

Je finirai en louant son plus grand mérite : elle divertit ; plus courte elle amuserait davantage.

L'auteur est M. Armand Charlemagne.

D’après Paul Porel et Georges Monval, L'Odéon: histoire administrative, anecdotique et littéraire (Paris, 1876), p. 274, la pièce a eu « huit ou dix représentations.

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