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Le Jaloux malade

Le Jaloux malade, comédie en un acte mêlée de vaudevilles, d’Emmanuel Dupaty, 9 pluviose an 13 [29 janvier 1805].

Théâtre du Vaudeville.

Almanach des Muses 1806

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Collin, an xiii – 1805 :

Le Jaloux malade, comédie en un acte et en prose, mêlée de vaudevilles, représentée pour la première fois sur le Théâtre du Vaudeville, le 9 pluviôse an xiii ; Par Emmanuel Dupaty.

Courrier des spectacles, n° 2887, du 10 pluviose an 13 (30 janvier 1805), p. 3 :

Le Jaloux malade, qu’on a joué hier pour la première fois au Théâtre du Vaudeville, n’est pas mort quoiqu’il eût un médecin ; c’est une pièce pleine d’esprit, et qui fait bâiller ; ce sont des mots charmans, sur des scènes vuides d’intérêt, et des étincelles tirées de morceaux de glace.

L’ouvrage est de M. Dupaty. Nous en parlerons d’une manière plus étendue.

Courrier des spectacles, n° 2888, du 11 pluviose an 13 (31 janvier 1805), p. 2-3 :

[Voilà un compte rendu abondant, et qui ne craint pas de donner de vigoureux conseils d’une saine morale à un auteur que le critique croit égaré sur de bien mauvaises voies. Il s’ouvre d’ailleurs sur un appel à l’union de la raison et de l’esprit conformément aux « loix de la nature » : ce serait produire des pièces « d’une constitution plus forte, d’un caractère plus décidé, d’une phisionomie plus parfaite » (constitution, caractère, physionomie : trois mots forts pour décrire une pièce. La pièce nouvelle a eu beaucoup de succès, on a beaucoup ri des saillies, des bons mots, des traits d’esprit, mais c’est peut-être au détriment de l’essentiel, un sujet plein d’intérêt, un plan bien conçu, une action animée, des scènes s’enchaînant de façon rigoureuse, dans le respect des convenances et de la décence. L’analyse de l’intrigue va montrer combien l’auteur est loin d’avoir rempli ce programme. L’histoire que le critique résume avec minutie montre un « jeune fat, perdu de d ettes et uniquement occupé de ses plaisirs » devenu jaloux de la femme qu’il aime et qu’il veut épouser. Il la fait espionner, et tente de la surprendre en pleine tromperie. Mais il se blesse en tentant de poursuivre celui qu’il prend pour son rival. Blessé, le voilà cloué au lit. Sa maîtresse l’apprend, et fait tout pour être auprès de lui. Elle va jusqu’à se déguiser en vieille garde-malade pour veiller sur lui. Elle pousse même la sollicitude jusqu’à payer ses dettes que son oncle refuse de payer, tout comme il refuse qu’il épouse sa bien aimée. Elle va jusqu’à tenter, mais en vain, de convaincre l’oncle du caractère excessif de son attitude. Tout paraît perdu, mais elle quitte son costume de garde-malade et prouve combien elle a été fidèle à ce « jaloux malade » qui ne semblait pas le mériter : comme dans tout bon vaudeville, l’oncle cède, et le jeune fat épouse son infirmière bénévole. On arrive ainsi au moment du verdict : bonne ou mauvaise pièce. Le critique entreprend de démolir complètement la pièce de Dupaty : son intrigue est « froide, stérile et dénuée de mouvement ». Mais ce n’est pas, de loin, le plus grave. Elle est surtout inconvenante, pleine d’invraisemblances,et (mais ce n’est qu’un surplus d’indignité) de détails inutiles. Invraisemblable, le caractère de ce « jeune fat », de cet incroyable, qui se montre jaloux, quand son caractère suppose au contraire qu’il soit indifférent de ce que les femmes peuvent bien penser de lui. Même remarque pour le caractère de la jeune femme : comment « une jeune femme bien née » peut oublier à ce point sa dignité et se déguiser en soubrette, puis en garde-malade pour s’introduire chez son amant ? Une telle attitude es censée montrer l’incroyable décadence des mœurs de l’époque. Autrefois, ce n’était pas les jeunes femmes qui se déguisaient pour voir leur amant, mais les jeunes gens pour voir leur maîtresse, et le critique utilise l’exemple de l’Avare de Molière pour montrer que c’était un comportement bien plus moral. Autre scandale, la façon dont le jeune homme parle à son oncle : « voilà d’heureux modèles à offrir à notre jeunesse » ! Seule excuse qu’on puisse trouver à l’auteur : il n’a pas voulu faire une comédie (dont on sait bien qu’elle doit corriger les mœurs en faisant rire), il s’est contenté d’accumuler bons mots, saillies et calembours et de les déverser « au hazard » dans des scènes devant mettre en valeur les « grâces de Mad. Balmont ». Il ne s’agissait plus que d’accumuler des couplets à la gloire de la belle actrice, et sur ce plan, l’auteur a réussi : ses couplets ont beaucoup plu, on a même apprécié ses calembours (les critiques n’aiment pas les calembours, c’est juste bon pour les farces grossières). Il faut bien finir, et le critique donne de vigoureux conseils à l’auteur : qu’il cesse de s’égarer dans la voie qu’il empruntée, et qu’il s’attache à respecter les bienséances : ce qu’il doit viser, c’est « les suffrages des honnêtes gens, et pour cela abandonner les « maximes de la rouerie » au profit d’une saine morale.]

Théâtre du Vaudeville.

Première représentation du Jaloux malade.

Je me demande souvent : Pourquoi tant de jeunes écrivains qui travaillent tous les jours à faire des mariages de théâtre, ne songent-ils pas plus souvent à marier l’esprit à la raison ? Ce contrat ne seroit-il pas aussi intéressant, cette union aussi légitime que toutes les alliances dont ils s’occupent ? et suivant les loix de la nature, les productions qui en naitroient ne seroient-elle pas d’une constitution plus forte, d’un caractère plus décidé, d’une phisionomie plus parfaite ?

Le Jaloux malade a eu, à la vérité, un succès prodigieux ; les saillies y sont si vives, le choc des bons-mots si brillant, les aigrettes d’esprit si pétillantes que les sens en ont été fatigués, éblouis, et qu’on étoit tenté de demander grâce à l’auteur ; mais le sujet présente-t-il de l’intérêt, le plan est-il bien conçu, l’action est-elle animée, les scènes sont elles utiles, les convenances observées, les caractères décens ? voilà ce que l’on pourra décider après un court exposé de la pièce.

Dorval est un jeune fat, perdu de dettes et uniquement occupé de ses plaisirs. Dans le cours de ses distractions, il est devenu amoureux, et même jaloux de Mad. de Fierville, jeune veuve honnête, aimable et jolie, mais légère, inconséquente et coquette. Comme le dessein de Dorval est de l’épouser, il veut, avant tout, s’assurer de sa fidélité et faire observer sa conduite.

Trois valets sont continuellement occupés à la suivre, à épier ses démarches, à rendre compte à leur maître de toutes les visites qu’elle fait et qu’elle reçoit. C’est une lieutenance de police très-surveillante et très-active. Dorval averti que Mad. de Fierville doit recevoir un jeune homme chez elle et le soir, se hâte de se rendre et de se cacher chez son in fidèle ; il se place donc en embuscade dans la maison pour observer lui-même ce qui va se passer. Malheureusement il se place mal, et se presse trop ; en voulant suivre son rival, il tombe dans l’escalier, renverse un porteur de porcelaine, va rouler sur un porteur d’eau, inonde une partie de la maison, et se retire froissé, mouillé, honteux, sans avoir vu personne, et n’emportant de celte expédition qu’une entorse qui l’oblige à rester chez lui.

Voilà donc le Jaloux, si non malade, au-moins estropié. Le médecin accourt ; Mad. de Fierville apprend l’accident ; son cœur s’émeut de pitié ; elle envoie pour garder Dorval une vielle confidente qu’il ne connoît pas ; elle-même elle se déguise en jeune ouvrière pour entrevoir au moins, à travers la porte, l’objet de ses sollicitudes et de ses affections ; mais cette visite furtive ne suffit pas à tant d’amour ; elle éloigne sa confidente, se présente sous le déguisement d’une garde-malade âgée, s’habille et se couvre le visage de manière à ne pas être reconnue, se fait annoncer comme une allemande accoutumée à soigner les malades, et s’assied auprès de son amant pour prendre soin elle-même d’une santé si chère.

On juge bien que Dorval est trop aimable pour ne pas avoir une foule de créanciers qui assiègent sa porte ; un oncle ou un tuteur, qu’il tance comme il convient, et des valets qui n’ont d’autres gages que des coups de canne, et d’autre nom que celui de marauds. C’est là ce qui constitue au suprême dégré l’homme charmant, délicieux, incroyable ; voilà les modèles à proposer à nos jeunes gens. Tandis que Mad. de Fierville est occupée à charmer l’ennui de son malade, l’oncle bourru arrive, déclare qu’il s’opposera au mariage de son neveu, lui fait mille reproches sur sa mauvaise conduite, et lui signifie qu’il ne paiera pas les trois-cents louis dont il vient de s’endetter envers le juif Benjamin. Le neveu reçoit toutes ces remontrances en homme qui sait se conduire ; il prie son oncle de se retirer, de ne point lasser de ses cris inutiles ses oreilles délicates, et sur-tout de ne pas provoquer son sommeil par des sermons ennuyeux. Mad. de Fierville fait mieux, elle profite des renseignemens qu’elle vient d’acquérir pour envoyer à Benjamin les trois cents louis que doit Dorval ; elle parle elle-même à l’Oncle pour l’engager à ne pas juger Mad. de Fierval si défavorablement. Mais elle ne gagne rien, le vieil Oncle persiste à déclarer que c’est une coquette, une étourdie, une femme qui ne prend aucun soin de sa réputation ; et pour démontrer ce qu’il avance, il déclare qu’à l’instant où il parle, Mad. de Fierville à pris un déguisement pour se rendre incognito chez, un homme.

Alors la jalousie du neveu s’exalte au dernier dégré, et le triomphe de l’oncle paroît assuré, lorsque Mad. de Fierville, quittant sa capote, son grand fichu, son tablier et sa robe de toile, se montre dans le costume le plus léger, le plus brillant, et prouve à son jaloux qu’il n’a pas sçu à quel rare modèle de sensibilité, de dévouement et de constance il adressoit ses hommages. Bientôt on apprend que Benjamin a été rembourse de ses trois cents louis, et l’on sait que c’est encore à Mad. de Fierville que l’on est redevable de cet acte de générosité. Tant de vertus convertissent l’oncle et le neveu, et le mariage est décidé sur-le-champ.

Il est facile de concevoir combien cette intrigue est froide, stérile et dénuée de mouvement ; combien elle offre d’inconvenances dans les situations, d’invraisemblances dans les caractères, d’inutilités dans les détails. Comment se persuader qu’un merveilleux tel que Dorval, qu’un être capricieux, frivole et léger devienne tout-à coup jaloux ; qu’il attache assez d’importance à la possession d’une femme pour risquer de se casser les jambes en voulant s’assurer de sa fidélité ? Est-il, parmi tous les excellens de nos jours, un seul incroyable qui voulût souffrir une égratignure pour la plus belle personne de Paris ? Ne sait on pas que ce sont eux qui font aujourd’hui des heureuses, et que les femmes doivent se trouver très-satisfaites, quand on veut bien accueillir leurs soupirs ?

Et quand l’auteur du Jaloux malade nous montre une jeune femme bien née, s’abaissant aux déguisemens les plus humilians, se présentant tantôt en grisette, tantôt en garde-malade, pour s’introduire auprès de sou amant, ne nous donne-t-il pas une idée suffisante de la bienséance de nos mœurs et de la pudeur des femmes ?

Autrefois c’étoient les amans qui se déguisoient pour voir leurs maîtresses. Dans l’Avare de Molière, Léandre se cache sous les habits d’un jardinier pour parler à son Elise ; mais les nôtres connoissent mieux l’étendue de leurs droits, et savent jouir de leur supériorité ; c’est pour eux que les coussins, les bergères et les sophas sont réservés ; c’est de-là qu’ils daignent recevoir les hommages qu’on leur adresse. Ce sont les femmes qui soupirent, qui font les déclarations, se jettent à leurs pieds, et se plaignent de leurs rigueurs.

Voulez-vous un autre exemple de la perfection de nos mœurs ? écoutez le Jaloux malade ; avec quelle délicieuse impertinence il parle à son oncle ! comme il le prie de se taire ! comme il le conjure de ne pas l’ennuyer ! comme il l’invite à sortir de chez lui, à ne pas lui causer des nausées, enfin à se dépêcher de payer les dettes dont il lui a remis la note !

Voilà d’heureux modèles à offrir à notre jeunesse naissante, et d’excellens préceptes pour la réformation des mœurs !

Je ne sais quel a été le dessein de M. Dupaty en composant son Jaloux malade ; mais tout me porte à croire qu’il n’a point eu intention de créer une action et de donner une pièce de théâtre. Il s’est occupé pendant quelque tems à recueillir des bons mots, des saillies vives et pétillantes, à rassembler de jolies antithèses et quelques calembourgs ; et quand sa collection lui a paru suffisante, il a étendu toutes ses richesses sur la surface de quelques scènes liées au hazard, dont il a confié le succès aux grâces de Mad. Belmont.

La pièce n’est donc ici qu’un accessoire, le point capital étoit d’encadrer des couplets dans une action bien ou mal conçue, et de louer les beaux bras, les beaux yeux, la belle voix de la belle actrice chargée du rôle principal. Sous ce rapport, M. Dupaty a obtenu le succès le plus complet ; tous ses madrigaux ont été accueillis avec une extrême faveur ; il n’est pas même jusqu’aux calembourgs qui n’aient profité des heureuses dispositions de l’assemblée, et qu’on n’ait applaudis comme les meilleures saillies.

Il seroit fâcheux que M. Dupaty attachât sa réputation à ces sortes d’ouvrages ; ils réussissent, un moment, et s’évanouissent ensuite comme des éclairs fugitifs. Une seule scène raisonnable, vingt vers bien tournés et forts d’idées valent mieux que cent couplets brillans d’antithèses, de pointes, de madrigaux et d’épigrammes. On ne sauroit trop conseiller à M. Dupaty de s’attacher à un genre plus solide, de respecter davantage les bienséances et de préférer aux maximes de la rouerie de nos jours, des principes faits pour obtenir les suffrages des honnêtes gens.

La Revue philosophique, littéraire et politique, n° 14, an XIII de l'Ere Française – 2me trimestre, 20 pluviose (9 février 1805). p. 315-316 :

Le Jaloux malade, en un acte.

De tous les tourmens de la jalousie qu'accompagné toujours une activité dévorante, le plus cruel sans doute est celui de se voir enchaîné malgré soi dans un espace circonscrit et de ne pouvoir développer son activité physique. C'était donc déjà une conception comique, spirituelle et neuve que cette première idée de faire retenir un jaloux chez lui par un accident, sans aucun danger, comme celui d'une entorse : mais c'en est une seconde tout aussi piquante peut être de nous donner le spectacle de sa jalousie en nous rassurant sans cesse sur son objet par la présence de la personne aimée qui, tandis qu'on la soupçonne de légèreté et d'indifférence, s'occupe à soigner le malade sous un déguisement et à le guérir ainsi de sa double maladie morale et physique.

Lorsqu'une situation est bien conçue, tous les effets comiques qu'elle renferme en sortent naturellement, et l'on n'a plus besoin de ces ressources accessoires, de ces bluettes d'esprit disparates, trop souvent prodiguées dans nos comédies actuelles, sur-tout dans les pièces en vaudevilles.

M. Dupati doit lui-même convenir aujourd'hui que de la justesse des conceptions et de la simplicité des ressorts résultent une plus grande facilité de travail, des effets plus piquans, un esprit plus approprié au sujet que l'on traite, enfin un succès plus réel et plus flatteur. Sa jolie comédie de la jeune Prude et celle du Jaloux malade sont des ouvrages qui font autant d'honneur à la maturité de ses réflexions et de son talent qu'à la vivacité de son esprit, et peut-être doit-il savoir gré à la sévérité des censeurs qui, dans ses premiers ouvrages, ont osé contrarier, par intérêt pour lui, sa fécondité surabondante et quelquefois un peu désordonnée.

Toutes les situations de la comédie du Jaloux sont amenées, filées et développées avec art ; l'invraisemblance dont on pourrait accuser d'abord le déguisement de Mme de Fierville que ne reconnaît pas son amant, est même, quoi qu'en aient dit beaucoup de journalistes, sauvée avec infiniment d'adresse et très facile à oublier. Une foule de traits piquans dans le dialogue et parfaitement amenés par les situations même ou par les caractères, annoncent aussi de l'excellent esprit, non de celui qui joue uniquement sur le mot, mais de cet esprit fin qui surprend sans éblouir et qui décèle de la profondeur, en ce qu'il renferme plus de sens qu'il n'en montre d'abord. C'était là celui de Molière et des bons modèles. J'en citerai quelques exemples pris dans le Jaloux malade.

Madame, dit une vieille gouvernante à la jeune amante du jaloux, croyez-en mon expérience, la pitié est un sentiment qui sauve les hommes et qui perd les femmes. Aussi, continue-t elle, j'ai pris mon parti, plus de pitié. Ce trait est charmant ; il est de ceux qui excitent toujours le rire de bon ton.

Il en est de même de celui du médecin qui, jaloux de montrer la considération dont il croit jouir, se vante naïvement d'avoir eu la confiance de feu Dorval, du feu duc, de feu le baron, feue la princesse, etc., et à qui son malade répond : Mais, Docteur, tous vos malades sont donc des ci-devant ?

Cette jolie pièce est une de celles dont le succès doit aller en croissant, et je ne doute pas qu'elle n'attire incessamment la foule à son tour au théâtre du Vaudeville, s'il est réellement encore quelque trace de bon goût et de bon esprit.

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