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Le Jeune Savant, ou l'Homme qui ne sait rien

Le Jeune Savant, ou l’Homme qui ne sait rien, comédie en un acte et en prose, par M. Rougemont ; 18 octobre [1810].

Théâtre de l'Impératrice.

Titre :

Jeune Savant (le), ou l’Homme qui ne sait rien

Genre

comédie

Nombre d'actes :

1

Vers / prose

prose

Musique :

non

Date de création :

18 octobre 1810

Théâtre :

Théâtre de l’Impératrice

Auteur(s) des paroles :

M. de Rougemont

Almanach des Muses 1810.

Sujet tiré d'un conte de madame de Genlis. Le style de la véritable comédie ; de l'esprit, et une critique de mœurs assez fine.

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez M.me Masson, 1810 :

Le Jeune Savant, comédie en un acte, en prose, Par B. de Rougemont. Représentée sur le Théâtre de S. M. l'Impératrice, par les Comédiens ordinaires de LL. MM. II. et RR. le 18 octobre 1810.

Est-on Marchand ? on veut faire de son fils un banquier ; Est-on Barbier ? on veut en faire un chirurgien ; Est-on Meûnier ? ont veut en faire un Savant.

Scène 4.

Mercure de France, tome quarante-quatrième (1810), n° 484 (Samedi 27 Octobre 1810), p. 537-538 :

[Plagiat ? Emprunt ? Personne ne l'a vu, à part le critique du Mercure de France.]

Théâtre de l'Impératrice. Le Jeune savant, comédie en un acte et en vers, de M. Rougemont.

« Qui trop embrasse, mal étreint. »

C'est ce proverbe que M. Rougemont a mis en action. Charles, fils de Thomas, riche meunier, a été envoyé à Paris par son père, pour y recevoir une éducation plus soignée que celle qu'on aurait pu lui donner au village ; mais cette éducation, quoique très-brillante, est loin d'être bonne ; Charles a appris un peu de tout, c'est-à-dire, qu'il ne sait rien. Il aime Elisa, fille de Germeuil ; le père lui destine la main de sa fille, mais, avant de les marier, il entend corriger Charles de sa présomption et de sa confiance en ses prétendus talens. Il lui annonce donc que son père, en lui donnant une éducation aussi dispendieuse, a plus consulté sa tendresse que la prudence, et que les dépenses qu'il a faites ont totalement ruiné le bon Thomas. A cette nouvelle, Charles, en bon fils, veut se servir d'un de ses talens pour faire exister son père, et comme il croit exceller dans toutes les sciences et tous les arts d'agrément, il n'est embarrassé que de choisir entre le dessin, la musique ou les mathématiques ; mais à la nouvelle de sa ruine, les maîtres qui le flattaient lorsqu'il était riche, lui disent à présent , sans détour, qu'il ne sait rien.

Lorsque Germeuil a assez prolongé la confusion de Charles, il lui apprend que son père n'a rien perdu, et que c'est une leçon qu'on lui a donnée ; Charles promet de la mettre à profit, et la main d'Elisa sera sa récompense s'il persévère dans ses bons sentimens.

Cette petite comédie a obtenu un succès non contesté. Le public a tenu compte à l'auteur de l'intention comique de son ouvrage, celle de corriger un jeune homme d'un défaut devenu, il faut le dire, plus commun qu'il ne l'était il y a quelques années. Rien de plus ridicule qu'un jeune pédant ; la jeunesse est l'âge de l'étourderie et non de la morgue.

Mais, en attaquant ce ridicule, M. Rougemont n'aurait pas dû prendre, dans le joli vaudeville du Retour au Comptoir, l'idée de la scène principale, celle où les maîtres de Charles, en apprenant sa ruine, lui disent crûment qu'il n'a pas profilé de leurs leçons.

Malgré cet emprunt dont peu de personnes se sont aperçues, la pièce mérite le succès qu'elle a obtenu ; elle est écrite en vers assez bien tournés, et quelques petits traits de satire générale ont égayé l'assemblée Les acteurs ont bien secondé l'auteur. Firmin, sur-tout, s'est fait remarquer dans le rôle de Charles.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, année 1810, tome V, p. 381 :

ODÉON. THÉATRE DE L'IMPÉRATRICE.

Le Jeune Savant, ou l'Homme qui ne sait rien, comédie en un acte et en prose, jouée le 18 octobre.

Ce jeune Savant est un petit présomptueux qui se croit un oracle, et à qui l'on prouve qu'il ne sait rien. Le développement de ce caractère donne lieu à des scènes plaisantes et dialoguées avec esprit.

Charles, fils de riches paysans, a été élevé dans un collège à la mode, et n'a reçu qu'une éducation superficielle. Ses maîtres de dessin et de musique le flattent tant qu'ils le croyent riche, et le désabusent dès qu'on leur dit qu'il est ruiné. L'épreuve à laquelle on le met, démontre la bonté de son cœur. Il promet de s'adonner sérieusement à l'étude des mathématiques : on l'excuse, et il épouse sa maîtresse. Cette pièce a obtenu beaucoup de succès.

L'auteur est M. de Rougemont. Le rôle du Jeune Savant a été joué avec talent par M. Firmin.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome XII, décembre 1810, p. 285-288 :

[Pièce à succès, qui répond parfaitement à la définition de la comédie, plaire et éduquer, donner, « sous une forme agréable et piquante, une leçon et une moralité également utiles ». L’idée revient à la fin du compte rendu, qui rappelle que le « but de la comédie, qui est de corriger, s'il se peut, mais surtout d'amuser ». Le personnage du jeune savant est placé «  dans la position la plus naturelle et la plus vraisemblable ». Fils d’un richer fermier, il manifeste des dons qui poussent son père à lui faire donner une éducatiion soignée. Il apprend tout, mais se voit refusé quand, devenu amoureux, il demande la main d’une jeune fille. Le père de celle-ci veut éprouver à la fois « son amour filial et ses facultés intellectuelles » en lui faisant croire que son père est ruiné. Le fils montre alors sa volonté de réparer le malheur qui touche sa famille : il va travailler pour rendre la fortune à sa famille. Il est alors accepté pour gendre parcelui qui l’avait mis à l’épreuve. La pièce a été bien jouée. Elle est de Rougemont, dont le critique vante le « zèle louable à saisir les circonstances mémorables de ce règne », faisant de la pièce une signification politique. Ce jeune avant est le produit d’une forme d’éducation périmée, quand l’instruction publique a rétabli un enseignement approfondi, mais spécialisé, et non plus l’acquisition de connaissances encyclopédiques. Et l’auteur se montre le soutien d’une politique d’éducation généreuse, donnant naissance à une génération de jeunes savants qui « savent que les hommes universels ne sont les premiers dans aucun genre, et [qu’]ils ont droit d'aspirer un jour à ce rang dans le genre qu'ils ont embrassé ». Dans cette fin de compte rendu, on dépasse nettement le sens qu’on pourrait donner à la pièce (une banale comédie au sujet plutôt convenu) pour associer l’auteur à une volonté politique globale, à la politique impériale en matière d’éducation.]

Théâtre de l’Impératrice.

Le Jeune Savant.

Cette comédie nouvelle, donnée avec beaucoup de succès au théâtre de l'Impératrice, est un petit ouvrage renfermant, sous une forme agréable et piquante, une leçon et une moralité également utiles. L'auteur a mis en action avec un art digne de remarque, le développement de cette maxime qu'on ne saurait trop recommander : Sachez bien quelque chose. Son jeune savant a voulu tout apprendre : il croit tout savoir, mais il ne sait rien, et malheureusement c'est là ce qu'il ignore le plus.

L'auteur, en traçant le caractère de son jeune savant, l'a mis dans la position la plus naturelle et la plus vraisemblable. Charles, qu'au village ses parens, riches fermiers, appellaient Charlot, a montré d'heureuses dispositions, ou l'on a cru les apercevoir : son bonhomme de père, cédant à un mouvement d'affection plus encore que de vanité paternelle, a voulu qu'il reçût une éducation brillante ; il l'a envoyé à Paris, où des maîtres de toute espèce ont entretenu le jeune élève dans une confiance aveugle sur sa facilité, ses dispositions, ses progrès et même ses talens. Au bout de quelques années, le maître de dessin persuade à Charles que son crayon sent le Raphaël, le musicien lui proteste qu'auprès de lui Méhul serait un écolier, et le jeune homme se garde bien de n'en rien croire. Mais c'est peu de ces arts d'agrément : Charles a été lancé dans la carrière des sciences ; mathématiques, physique, chimie, botanique, histoire, géographie, statistique même, je crois, on lui a tout montré, et il s'est persuadé qu'il avait tout appris.

Savant ou non, Charles est amoureux ; il prétend à la main de la jeune fille du chevalier de Germeuil, militaire retiré, qui refuse son consentement non pas à Charles, fils d'un fermier, mais à Charles dont il croit l'éducation manquée, la tête livrée à une ambition chimérique, et peut-être encore le cœur gâté par l'excès de sa vanité. Il imagine un moyen d'épreuve, ou plutôt il ne l'imagine pas, il l'emploie après tant d'autres auquel il a réussi : il fait accroire à Charles, pour éprouver à-la-fois et son amour filial et ses facultés intellectuelles que son père a mesuré imprudemment sur sa fortune les frais d'éducation de son fils, qu'il a fait des entreprises douteuses, qu'il a éprouvé des malheurs et qu'il est ruiné : l'auteur a trouvé fort heureusement ici le moyen de rendre son jeune homme intéressant, en restant fidèle au developpement de son caractère. Charles n'est point effrayé de sa situation: sa vanité l'égare encore alors même qu'elle le soutient ; au lieu de travailler pour la gloire, il travaillera pour la fortune, il sera l'appui de la vieillesse de ses parens, et à l'instant le voilà qu'il [sic] congédie les maîtres qu'il payait, pour devenir maître lui-même et se faire payer à son tour ; mais ici la scène change avec la décoration. Les maîtres qui flattaient l'élève riche, se moquent de leur nouveau rival ; ils dessillent cruellement les yeux de celui dont ils n'attendent plus rien ; l'un d'entr'eux plus honnête et plus généreux, le professeur de mathématiques venait engager Charles à renoncer à un état dans lequel il ne faisait aucun progrès ; mais apprenant sa situation, il vient noblement à son secours, l'encourage, l'exhorte au travail, et dans son changement de fortune augure bien pour ses progrès : Charles embrasse avec chaleur la proposition du maître qui s'est montré son ami : il voit ouverte devant lui la carrière militaire, il va étudier et servir : mais l'épreuve a réussi ; M, de Germeuil est content, il annonce à Charles qu'il est toujours riche, mais il lui rappelle qu'il a encore besoin d'être instruit ; et cependant observant avec gaieté qu'il est des choses qu'on apprend facilement sans maître, et que de ce nombre est l'amour des deux jeunes gens, il couronne cet amour en les unissant.

La pièce est fort agréablement jouée, Firmin y déploie beaucoup d'aisance et d'à-plomb ; sa petite suffisance est très-comique : il est surtout fort plaisant de l'entendre encore vanter ses dispositions, quand il ne peut plus vanter ses talens. L'auteur est M. de Rougemont, déjà connu par différens succès, surtout par un zèle louable à saisir les circonstances mémorables de ce règne, où les sentimens publics aiment trouver au théâtre un interprête ingénieux et fidèle : son nouvel ouvrage a réussi completternent, et il le méritait : depuis les petites comédies spirituelles et piquantes où l'auteur de la Petite-Ville a placé, dans des cadres ingénieux, le tableau des ridicules du jour, le même théâtre ne compte aucun ouvrage qui soit plus voisin du but de la comédie, qui est de corriger, s'il se peut, mais surtout d'amuser : le ridicule, tracé par l'auteur, n'est peut-être pas pris à sa véritable date ; il l'attaque trop tard, mais on sait que parmi nous, il faut le saisir au passage : celui ci n'existe plus que par exception, et dans quelques éducations isolées et domestiques ; la manie de tout apprendre fut quelque temps un signe de décadence. Apprendre à fond, et spécialement, tel est le principe heureusement rétabli de l'enseignement public, sur lequel se modèlent peu-à-peu les enseignemens particuliers : il ne faut donc pas trop presser les conséquences des idées de l'auteur ; il ne faut pas l'accuser de calomnier la jeunesse actuelle, ni même de trouver trop nombreuses les branches ouvertes dans la vaste carrière de l'instruction ; il sait qu'elles sont toutes utiles, et toutes entretenues par la munificence d'un gouvernement éclairé.

A l'entrée de la route, il a pu voir rester quelques jeunes savans ; mais, à l'extrémité opposée, il reconnaît et honore sans doute les noms de beaucoup de savans qui sont fort jeunes. Ces hommes-là n'ont pas, il est vrai, prétendu être universels ; ils ont pour cela une ambition trop éclairée : ils savent que les hommes universels ne sont les premiers dans aucun genre, et ils ont droit d'aspirer un jour à ce rang dans le genre qu'ils ont embrassé.                   S....

Geoffroy, Cours de littérature dramatique, tome quatrième (1819) p. 480-482 :

[Geoffroy s'en prend à la fois à la jeunesse et à ceux qui l'éduquent, et donne du monde une image peu flatteuse.]

M. Rougemont.

LE JEUNE SAVANT.

On se plaint de la présomption des jeunes gens, qui s'imaginent savoir beaucoup parce qu'ils ont eu beaucoup de maîtres. On les accuse de se croire de grands docteurs, quand ils ne sont encore que de très-faibles écoliers ; peut-être les jeunes gens sont-ils excusables de n'être pas modestes quand tout ce qui les environne conspire pour leur donner de l'orgueil : idolâtrés par leurs parens, flattés par leurs maîtres, comblés de prix et de couronnes, pardonnons-leur de se regarder comme des personnages d'importance. Le ton général de la société est d'encenser la faiblesse, de préconiser la médiocrité, de crier merveille à la moindre étincelle d'un faux esprit : le germe même d'un véritable talent serait étouffé sous ces adulations. N'ai-je pas vu un bambin de treize ans faire jouer une comédie, et jouer lui-même le grand homme jusqu'à la première représentation de ce chef-d'œuvre, où il n'y avait pas l'ombre d'esprit et de bon sens. C'est contre cet esprit de flatterie que M. Rougemont a composé sa pièce du Jeune Savant ; et s'il manque quelque chose à l'exécution, il faut l'excuser en faveur de l'intention.

Charles, fils d'un meunier riche, a reçu ce qu'on appelle une brillante éducation ; on lui a donné toutes sortes de maîtres ; ces maîtres bien payés ont vanté les progrès de leur élève. Le jeune homme, dont l'auteur a fait exprès un petit sot, prend à la lettre les éloges de ses maîtres ; il est plein de fatuité, se vante froidement de savoir tout ; et du haut de son érudition, son père le meunier lui paraît bien petit. Le bonhomme Thomas est enchanté de son fils ; mais un M. Germeuil, dont il lui destine la fille, redoute la vanité du jeune homme : il veut le corriger. Le moyen qu'il emploie n'est pas neuf, mais il est efficace : il fait accroire à Charles que son père est ruiné par une banqueroute ; à cette nouvelle, le jeune homme se montre du moins bon fils ; car il propose de faire servir ses talens au soulagement de son père. Ses maîtres, qui ne savent pas encore sa disgrâce, le fortifient dans cette espérance : le maître de dessin dit à son élève qu'il dessine presque comme Raphaël ; le maître de musique l'exhorte à composer un grand opéra seulement pour s'amuser ; mais quand on leur signifie que le jeune homme n'a plus de quoi payer leurs flatteries, ils lui disent alors la vérité sans ménagement , et cette vérité est qu'il ne sait rien.

Il y a dans le rôle du maître de musique quelques traits satiriques sur une branche de commerce aujourd'hui plus active que jamais dans la littérature, et surtout au théâtre. Il s'agit d'un opéra dont le succès a coûté cinquante louis : Germeuil se récrie sur la somme ; le maître de musique convient que les succès et les réputations sont des denrées fort chères, et il ajoute que l'auteur de l'opéra, s'il a encore deux succès pareils, est un homme ruiné. Ce n'est pas d'aujourd'hui que les succès s'achètent : on cite le poëte Dorat qui se ruina véritablement à soutenir ses pièces, et surtout à les faire imprimer avec des gravures magnifiques, beaucoup plus estimées que l'ouvrage. Mais Dorat n'y entendait rien : il y a aujourd'hui une manière plus fine de jouer à ce jeu-là, une espèce de martingale. Il ne faut point épargner les frais aux premières représentations ; il faut pouvoir disposer de deux cents jeunes prôneurs en cabriolet, qui parcourent rapidement les maisons de Paris, crient partout merveille, excitent la curiosité et fassent venir du monde. Règle générale, le monde va où il sait qu'il va du monde ; la foule produit la foule : on ne va point s'amuser au théâtre ; on y va s'ennuyer en grande compagnie, comme à un thé, comme à une fête.

Revenons à notre jeune homme : honteux de voir qu'il ne sait rien ; raillé par Germeuil, son beau-père futur ; persiflé par son père lui-même, le bon Thomas ; plaint par sa maîtresse Elisa, jeune personne d'une excessive ingénuité ; quand on le croit assez corrigé, on cesse de le mystifier ; on lui apprend que son père n'a rien perdu de sa fortune, et il épouse sa maîtresse. La pièce a été très - applaudie : le fond en est extrêmement mince, mais on y remarque d'excellens traits de mœurs. (20 octobre 1810.)

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