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Les Jeunes Femmes

Les Jeunes Femmes, comédie en trois actes et en vers, de Dorvo, 3 octobre 1809.

Théâtre de l'Impératrice.

Titre :

Jeunes femmes (les)

Genre

comédie

Nombre d'actes :

3

Vers / prose

en vers

Musique :

non

Date de création :

3 octobre 1809

Théâtre :

Théâtre de l’Impératrice

Auteur(s) des paroles :

Dorvo

Almanach des Muses 1810.

Tourville, pere d'Olympe, est forcé de s'embarquer ; il confie sa fille aux soins de sa sœur ; celle-ci la laisse en mourant entre les mains d'un tuteur qui a la faiblesse de l'abandonner à ses caprices. Elle fait la connaissance d'un jeune fat et d'une coquette, qui lui font contracter des dettes, et l'engagent à mener une vie dissipée. Malgré le tourbillon qui l'enleve à elle-même, elle ne peut s'empêcher de ressentir de l'estime et de l'amour pour Gercourt, jeune sage, qui l'adore en dépit de ses égarements. Le pere revient de son voyage, et trouve sa fille en proie aux mauvais conseils d'une veuve sans principes, madame Darmancourt, et d'un jeune étourdi nommé Florival ; il accorde son amitié à Gercourt, qu'il trouve digne de sa fille ; il fait tourmenter Olympe par ses créanciers, en leur disant qu'ils ne seront point payés ; mais il s'agit d'éconduire Florival : on lui fait donc croire qu'Olympe est ruinée ; et le voilà parti. Olympe rompt ensuite avec cette Darmancourt, qu'elle a su apprécier. Ce changement de conduite attendrit Tourville ; il se fait connaître à sa fille, et la marie à Gercourt.

Cette comédie a obtenu un succès assez flatteur.

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Fages, 1809 :

Les Jeunes Femmes, comédie en trois actes et en vers, Par H. Dorvo, Représentée, pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de S. M. l'Impératrice et Reine, à l'Odéon, le Mardi 3 Octobre 1809.

Journal de l’Empire, 6 octobre 1809, p. 3-4 :

[Dans le feuilleton du Journal de l’Empire, on ne craint pas de se montrer sévère, et le Théâtre de l’Impératrice est une cible apparemment facile pour les sarcasmes du critique. La pièce a été applaudie, mais toutes les pièces nouvelles le sont à ce théâtre (efficacité de la claque ?). Quant à la pièce, elle met en scène trois jeunes femmes, censées représenter tout l’éventail de la féminité. Une veuve, une jeune fille, une « marchande de modes ». Bien sûr les deux premières ont des dettes envers le mari de la troisième, et elles ne peuvent les payer. Toute la pièce tourne autour de cette dette, qu’un escroc tente d’utiliser pour épouser la jeune fille, qu’il croit riche. Quant il apprend que son père est ruiné, ou mort, il se récuse, naturellement, Mais on découvre à ce moment que le vieux moraliste qui harcèle la jeune fille de ses conseils moraux est en fait son père, qu’il est riche, et que tout est résolu : la dette est payée, la jeune fille épouse son bien aimé. Le jugement porté sur la pièce est sévère : plus d’acteurs que d’action, des propos parfois peu sensés, et des incidents mal amenés. Enfin, la pièce devrait froisser les jeunes femmes qui ne vont pas soutenir une pièce qui veut qu’elles soient dépendantes de leur mari pour les questions d’argent. Il n’était pas utile de faire trois actes pour montrer la naïveté des jeunes femmes en matière d’argent. Les acteurs ont bien rempli leur rôle, et la pièce a été constamment applaudie. Mais l’auteur a préféré ne pas paraître, malgré la demande pressante du public.]

Théâtre de l’Impératrice.

Les Jeunes Femmes.

Il ne faut pas demander si la pièce a été applaudie : toutes les pièces nouvelles sont applaudies à l'Odéon. Il faut encore moins demander si la pièce est bonne car si elle étoit bonne on ne la joueroit pas à l'Odéon. Il faut donc se borner à demander ce que c'est que la pièce nouvelle intitulée les Jeunes Femmes : il y en a trois qui sans doute représentent tout le corps des jeunes femmes. L'une est fille, l’autre femme, et la troisième veuve. La veuve, appelée madame d'Armancour, est pis que nulle ; car elle ne sert qu'à donner mauvais exemple à la jeune fille qu'on nomme Olympe. La femme est Mad..Bertrand, marchande de modes ; elle fait crédit aux deux autres avec l’intention de leur faire payer les plaisirs qu’elle partage avec elles. Ces trois jeunes femmes ne rêvent que bals, fêtes et parures sans jamais songer à ce que cela coûte. Un certain Dubreuil, parent de madame d'Armancour, espèce de tuteur d'Olympe, est spectateur tranquille de leurs folies ; le marchand, M. Bertrand, crie que la veuve et la fille lui gâtent sa femme; et pour se venger, il les fait assigner l’une et l’autre. Le mémoire se monte à treize mille francs ; et elles n'ont pas le sou. Cette assignation effarouche les plaisirs et répand la consternation. La jeune fille, comme la moins endurcie a des regrets et des remords Un vieillard nommé Bodson, fait sur tout cela beaucoup de morale, et fatigue sur-tout par son aigre censure Mlle Olympe, laquelle ne l’épargne pas à son tour. Enfin le plus insipide de tous les personnages est un roué, nommé Florival, lequel a pour ami Gercour, jeune homme doux. timide et modeste, qui. malgré sa gaucherie, ose aspirer à la main d'Olympe et qui même ne lui déplaît pas. Gercour est riche : il est touché de la situation d'Olympe, dont le père passe d'abord pour ruiné, et ensuite pour mort ; il veut payer ses dettes et se sert pour cela de son ami Florival. Cet escroc reçoit la somme. et. au lieu de l’employer suivant l’intention du donateur, il est tenté de s’en servir contre lui. pour gagner le cœur d'Olympe ; mais il renonce à ce projet dès qu'il apprend qu'Olympe est ruinée. Le vieux censeur gronde plus que jamais : il force Olympe à lui remettre un portefeuille qu’il croit rempli de billets doux ; il le trouve plein de. lettres de son père. Le bon homme n'y tient plus ; il se fait connoître pour M. Tourville, père d'Olympe, lequel n’est ni ruiné ni mort, mais revient des Indes avec cent mille écus. M. Bertrand est payé. Olympe épouse Gercour, et l’escroc Florival, pressé par sa conscience, restitue l’argent qu'on lui avoit confié.

Il y a beaucoup d'acteurs et peu d'action dans cette pièce, qui. est en trois actes ; ce qu’elle a de plus passable est emprunté de tous côtés : quelquefois on y parte de fort bon sens ; toujours on y agit contre toute raison. Les incidens sont mal préparés, mal liés ensemble. Je doute que les jeunes femmes protègent l’ouvrage ; car l’auteur voudroit qu'on ne leur fît point crédit à l’insu de leurs maris : précaution utile peut-être, mais idée très-illibérale.

Ce n'étoit pas trop la peine de faire trois actes pour montrer qu’une jeune fille sans expérience, abandonnée à elle-même, qui se croit riche, et à qui l'on fait crédit, contracte plus de dettes qu’elle n’en peut payer. Madame Dacosta a de l’aplomb, de la décence et de la grace dans le rôle d'Olympe. Les deux autres, fort bien remplis par mesdemoiselles Regnier et Delille. sont fort peu de chose. Le seul rôle un peu comique est celui du marchand Bertrand, joué assez plaisamment par Chazet. Dugrand est quelquefois intéressant dans le rôle du père. Le fat Florival est odieux jusqu’au dégoût. La pièce a été très-applaudie d’un bout à l’autre. On a vivement demande l’auteur ; et quand on a su que c’étoit M. Dorvo, on a fort insisté pour qu’il parût et vînt jouir en personne de son succès ; mais il a eu la modestie de résister à une invitation si séduisante.

Mercure de France, tome trente-huitième (1809), n° CCCXXIX (samedi 7 octobre 1809), p. 373-374 :

[Le compte rendu s’ouvre sur une analyse précise du sujet. Il insiste largement sur le contraste entre les deux amants de l’héroïne, en contestant au passage le caractère de l’un, « un fat et un roué, caractère dont on ne trouve plus de modèle dans la société ». Le retour incognito du père, parti autrefois aux Indes, permet un dénouement déjà utilisé dans d’autres pièces. Le critique donne ensuite son opinion. Intrigue « compliquée et embarrassée de plusieurs personnages » inutiles, titre trompeur («  Ce n'est point à beaucoup près ainsi que les jeunes femmes vivent dans la société » – et de dire tout ce qu’une demoiselle ne fait pas). D’où le verdict : à un plan « essentiellement vicieux » il oppose un style « la partie brillante de l'ouvrage », où « on reconnaît une plume exercée » (le crtique triche : il connaît l’auteur !). Pour l’interprétation, félicitation pour un acteur et surtout une actrice, qui « joint à une bonne diction une tenue noble et décente », ce qui est devenu si rare.]

Théâtre de l'Impératrice. Les jeunes Femmes, comédie en trois actes et en vers.

Tourville, forcé de partir pour l'Inde, confie sa fille Olympe, enfant au berceau, aux soins d'une sœur qui ne survit que peu de tems au départ de son frère. Olympe alors est élevée dans la maison de Dubreuil son tuteur ; mais en grandissant elle apprend qu'elle est fille unique d'un homme opulent, et croyant qu'elle peut impunément satisfaire tous ses désirs, elle fait des dettes, et soutire les assiduités de plusieurs amans. Florival et Gercourt se disputent sa main ; le premier est un fat et un roué, caractère dont on ne trouve plus de modèle dans la société, mais que l'on est convenu de conserver au théâtre, parce qu'il est dramatique, et qui d'ailleurs sert ici à donner plus de physionomie au caractère de Gercourt, amant délicat et timide. Ces deux messieurs apprennent qu'Olympe tourmentée par quelques créanciers, s'est adressée à son tuteur, mais que celui-ci a refusé de faire aucune avance ; Florival désirerait bien saisir cette occasion, et offrir à Olympe la somme dont elle a besoin, mais il ne possède que de la bonne volonté : Gercourt, plus riche, n'ose hasarder cette démarche, et en cela il agit conformément à son caractère, en respectant les convenances qui ne permettent point à une demoiselle bien élevée d'accepter de l'argent d'un jeune homme à quelque titre que ce soit. Quoi qu'il en soit, Gercourt s'adresse à Florival, qui lui promet de risquer l'offre en son nom auprès d'Olympe.

Sur ces entrefaites, arrive de l'Inde un monsieur Bodson que Dubreuil seul connaît, et qu'il présente comme un ami de Tourville. Le lecteur devine aisément que ce Bodson n'est autre que Tourville, qui, à la faveur dé l'incognito, vient juger lui-même de la conduite de sa fille ; ce rôle est calqué sur celui de l'Habitant de la Guadeloupe, et sur l'oncle du Tartuffe de mœurs, dont le dénouement a aussi fourni l'idée de celui des Jeunes femmes. La principale différence, c'est que dans l'original il n'y a qu'une conversion, celle de Florville ; au lieu que dans la copie, tout le monde se convertit jusqu'au roué Florival.

L'intrigue de cet ouvrage est compliquée et embarrassée de plusieurs personnages que l'auteur aurait pu se dispenser de faire. paraître. La pièce est bien loin d'ailleurs de remplir son titre. Ce n'est point à beaucoup près ainsi que les jeunes femmes vivent dans la société. Une demoiselle ne court pas les bals et les assemblées, seule avec une jeune femme mariée ; elle ne reçoit pas à la fois les hommages de deux ou trois hommes, au moins aussi long-tems qu'elle conserve l'espoir de s'en attacher un sérieusement. Le plan est donc essentiellement vicieux ; le style est la partie brillante de l'ouvrage ; plusieurs tirades sont écrites avec un talent remarquable, et partout on reconnaît une plume exercée. L'auteur demandé avec empressement, a été nommé ; c'est M. Dorvo, connu par la comédie de l'Envieux.

Les acteurs, par l'ensemble de leur jeu, ont puissamment contribué au succès de l'ouvrage, On doit particulièrement citer Clozel, chargé du rôle de Florival, et madame Dacosta, qui remplissait celui d'Olympe. Cette jeune actrice joint à une bonne diction une tenue noble et décente, avantage qui la faisait remarquer dans les actrices de l'ancienne comédie française, et dont les débutantes actuelles ne paraissent pas très-jalouses de conserver la tradition.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 14e année, 1809, tome V, p. 375 :

[Un rapide résumé de l’intrigue fait apparaître que la pièce se range dans la catégorie des comédies où le retour d’un père absent remet de l’ordre dans sa maison. Le rappel de deux titres d’autres pièces invite à la rattacher à ce courant moralisateur. Toutefois, le critique affirme que l’auteur ne connaît pas la société dans laquelle il situe sa pièce, et que le succès qu’elle a obtenu tient à son écriture (« de la chaleur dans le style, quelques tirades écrites avec vigueur »). Un acteur, et surtout une actrice sont cités avec éloge.

L'Habitant de la Guadeloupe est une comédie en trois actes, de Louis-Sébastien Mercier, 1786.]

ODÉON. THÉATRE DE L'IMPÉRATRICE.

Les Jeunes Femmes, comédie en trois actes et en vers, jouée le 5 octobre.

Une jeune personne qui doit avoir de la fortune, en dispose d'avance et fait toutes les folies que peut inspirer à une jeune tête trop de liberté. En effet, Olympe a deux ou trois amans, fait des dettes, se ruine, va faire pis, peut-être, lorsqu'un inconnu arrive de l'Inde pour juger sa conduite, et voir si avec sa mauvaise tête elle a bon cœur. Cet inconnu est son père, il ramène l'ordre dans la maison où son apparition et ses sermons corrigent tout le monde, jusqu'à un fat, espèce de gens qui se corrige pourtant très peu. Le rôle du Père est un peu celui de l'Habitant de la Guadeloupe, ou de l'oncle du Tartufe de mœurs ; l'auteur a peint le monde en homme qui ne le connoît guères ; il fait agir sa jeune personne comme on n'agit pas dans la bonne compagnie : mais de la chaleur dans le style, quelques tirades écrites avec vigueur ont fait réussir la pièce. M. Clozel et Madame Dacosta s'y sont distingués. Cette dernière a fait remarquer sa diction juste et pure, et un jeu excellent. L'auteur est M. Dorvo.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome XI, novembre 1809, p. 271-275 :

[La comédie est de tous les genres le plus difficile, et rares sont ceux qui y réussissent malgré leurs qualités. C’est encore le cas de la pièce de Dorvo, à qui ses qualités (comique, versification, style, etc.) ne garantissent pas un franc succès. Auteur à l'œuvre déjà abondante dans de nombreux genres (il s’est égaré jusqu’à écrire un mélodrame), il revient ici à la comédie. Sa pièce veut montrer les dangers du culte du luxe et des plaisirs, particulièrement chez les femmes. Sa démonstration consiste à mettre une jeune femme au contact de jeunes gens très différents, « l'un le modèle des jeunes gens, l'autre fait pour les corrompre tous », et de la sauver en faisant opportunément réapparaître un père disparu : tout finit par un mariage, et le bon mariage. Le jugement que le critique porte sur la pièce est sévère : pièce dénuée d’art, manque de vraisemblance, d’unité d’action, de ton aussi (comique, larmoyant, selon les moments). L’auteur paraît aussi ignorer les lois de la bonne société. Les personnages ne semblent pas bien dessinés à l’exception de la figure paternelle et de celle d’un marchand ridicule. Les acteurs ont « joué avec ensemble ». Malgré ses défauts, la pièce a été applaudie, et elle le mérite : le début de la pièce « est d’un fort bon ton », mais l’auteur se montre maladroit « quand il faut faire marcher l’action ». L’auteur mérite d’être encouragé.]

Les Jeunes Femmes.

Il faut bien qu'en effet une comédie soit une production bien difficile, et véritablement l'œuvre du démon, puisque parmi tant de personnes versées dan» les lettres, ayant le sentiment des beauté» de nos modèles, versifiant avec pureté, élégance, facilité, ayant des idées saines sur ce qu'est la comédie, observant bien, critiquant avec justesse, saisissant le ridicule avec art, ou moralisant avec adresse, un si petit nombre réussit à inventer une action à laquelle soit lié le développement d'un caractère de manière à plaire, intéresser, instruire et amuser à-la-fois.

Par exemple, dans la pièce nouvelle donnée au théâtre de l'impératrice, sous le titre des Jeunes Femmes, l'auteur a prouvé qu'il avait des intentions comiques ; que son vers parfois méritait cette épithète ; que son style avait du naturel, de la correction, et même une certaine vigueur ; qu'il avait étudié certains caractères qu'on rencontre fréquemment dans le monde, surpris des habitudes dangereuses, épié des ridicules et des travers qui seraient de mode aujourd'hui, s'ils ne l'avaient été de tout temps : et qu’enfin il sait concevoir une scène, la tracer avec art et l'écrire avec talent. Ne croirait-on pas après cela que cet auteur va être admis à partager un des prix de son art, que sa raison, d'accord avec son esprit et son goût, réglant son imagination, on va lui devoir un ouvrage honorable pour son nom, et destiné à un beau succès à la scène ? Eh bien ! l'on s'abuse ; il faut encore plus que tout ce que nous lui avons accordé pour obtenir dans ce genre d'une si désespérante difficulté, un succès réel unanimement reconnu : il faut un don particulier, ou peut-être la réunion si rare de tous les dons de l'esprit, de toutes les leçons de l'expérience, et de tous les fruits de l'étude et de la méditation : il faut sur-tout l'art de répandre agréablement la morale que l'on prétend rendre utile, et renoncer à corriger les hommes, si d'abord on n'a eu le secret de les intéresser ou de les divertir. S'étonnera-t-on après cela que parmi le nombre prodigieux de nos auteurs, celui des auteurs comiques soit si rare ?

M. Dorvo est celui de la pièce nouvelle ; c'est à lui qu'on devait l'Envieux, pièce dont la première représentation précéda de quelques heures l'incendie de la belle salle de l'Odéon, et dans laquelle on remarqua plus d'esprit et d'imagination que d'art, de jugement et de méthode. D'autres ouvrages du même auteur ont eu depuis des succès divers ; il a écrit dans des genres différent, s'est, je crois, rendu coupable d'un drame assez inconnu pour que le titre échappe à la mémoire, et même est descendu jusqu'au mélodrame. Il revient aujourd'hui à la comédie, Muse difficile et jalouse plus que toutes ses sœurs ensemble, qu'il ne faut pas quitter un moment si l'on veut obtenir d'elle un regard de bonté. Toute infidélité lui parait un crime irrémissible, et elle fait payer cher non pas les faveurs qu'elle accorde, mais celles qu'on a demandées à d'autres qu'elle.

M. Dorvo a voulu peindre les excès du luxe, les suites de la dissipation, le danger des sociétés où le plaisir est le dieu auquel on sacrifie tout ; il a voulu cependant prouver que la vertu n'était pas absolument incompatible avec l'amour du plaisir, du faste, et de l'éclat ; que chez les femmes, ces goûts tenant à un fond de vanité dont les mouvemens et les résultats s'appliquent à tout, les conséquences pouvaient n'avoir guères plus d'importance que le principe ; que les écarts, d'une tête inconsidérée pouvaient facilement chez elle céder aux leçons d'une amitié éclairée et d'une sagesse bienveillante ; que la nature perdait rarement ses droits chez ce sexe pour lequel les premiers sentimens sont un premier besoin d'aimer, et que la voix d'un père n'invoquait presque jamais en vain à l'appui des préceptes de la vertu, l'autorité de son exemple.

Près de ses jeunes femmes que le torrent entraîne, et qu'un mauvais choix de liaisons est au moment de perdre, l'auteur a placé un curateur ami intègre et fidèle, deux amans, l'un le modèle des jeunes gens, l'autre fait pour les corrompre tous, et un père qu'un faux nom cache aux yeux de sa fille, placée entre des amis suborneurs et des créanciers intraitables.

On voit d'ici que la jeune femme a été entraînée à de folles dissipations ; que l'un de ses prétendans l'abandonne quand elle est ruinée ; que l'autre lui reste fidèle ; que son père observe sur elle les effets de 1a situation où il la laisse pour lui donner une leçon forte ; que cette leçon est donnée par un créancier de la plus mauvaise humeur ; que déterminée à tout sacrifier pour dégager sa parole, elle ne veut cependant renoncer ni à une bague, don de sa mère, ni se désaisir [sic] d'un portefeuille où les lettres de son père sont renfermées ; on conçoit qu'une reconnaissance, un pardon, un mariage et une conversion de tous ceux qui, dans la pièce, se sont montrés sous des traits odieux, forment le dénouement.

La pièce est dénuée d'art, l'intrigue manque de vraisemblance, l'action d'unité ; l'ouvrage tient tantôt au genre comique, tantôt il a le ton larmoyant ; il n'égaie pas assez ceux qu'il n'a pas réussi à faire pleurer, et manque à-la-fois les deux buts auxquels tendait l'auteur. Ce dernier a paru sur-tout privé d'une connaissance bien exacte de ce qui se passe dans le monde, et des relations qui existent dans les diverses classes de la société. Son fat est un véritable chevalier d'industrie, qui se déshonore en plein théâtre, et annonce fort inutilement sa conversion par écrit ; l'amour de l'honnête Dercourt pour la jeune dissipatrice, n'est ni développé, ni intéressant ; on ne sait pas assez si celle-ci n'écoute pas ses veaux parce que son rival a retiré son hommage : le personnage du curateur est un véritable hors-d'œuvre ; celui de Mme. Darancourt, amie expérimentée de la jeune personne, est très équivoque, et l'on est choqué de ne pas la voir bonne amie au dénouement. Le rôle du père est naturel, mais trop passif ; pour celui de M. Benoît, marchand de la rue St.-Denis, qui prétend gouverner sa femme qui le berne, jaloux, intéressé, crédule, qui persécute pendant trois actes sa débitrice, et dit plaisamment au moment où il est payé : Messieurs, j'étais tranquille; ce rôle a fait beaucoup de plaisir : il est vrai, il est comique : tout ce qu'il dit est dans la nature du personnage, et dans les convenances de son état. Ce personnage fait portrait, et le portrait doit être ressemblant. Ce rôle est joué avec un talent très-remarquable par Chazet, dont le public commence à apprécier le jeu naturel et facile, et la diction soignée. Toute la pièce est, en général, fort bien jouée : Dugrand joue bien le rôle du père, et Mme. Dacosta est très-intéressante dans celui de la jeune femme ; les autres rôles sont peu considérables ; ils sont bien distribués, et joués avec ensemble.

La pièce dont il s'agit a été constamment applaudie, et elle le méritait malgré ses défauts : on doit désirer que le théâtre secondaire fasse souvent de telles acquisitions, et montre avec le zèle soutenu qui le caractérise, un goût aussi éclairé pour les productions qui tiennent de la bonne comédie ; c'est au moins de bon exemple : or, le premier acte de celui-ci est d'un fort bon ton ; le style en est ferme, soutenu, plein de franchise et assez gai ; les forces de l'auteur ne l'abandonnent que lorsqu'il faut faire marcher l'intrigue qu'il a ourdie, la suivre et la dénouer. Quoiqu'il en soit, il est digne de beaucoup d'encouragement ; jusqu'ici le public ne l'a pas gâté; mais en applaudissant faiblement des ouvrages qui avaient besoin d'indulgence, il a toujours semblé dire à l'auteur qu'il espérait de lui et des travaux plus soutenus, et des productions meilleures ; c'est un honneur qu'il ne fait pas toujours à tel auteur qu'il applaudit sans conséquence, et comme ne lui en demandant pas davantage.              S...

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