La Maison isolée, ou le Vieillard des Vosges

La Maison isolée, ou le Vieillard des Vosges, comédie en 2 actes, en prose mêlée d'ariettes, de Marsollier, musique de d'Alayrac, 22 floréal an 5 [11 mai 1797].

Théâtre de la rue Favart, ci-devant Théâtre italien

Almanach des Muses 1798.

Heureux mélange d'intérêt et de comique. Le vieillard des Vosges est aimé, considéré, fêté par les habitans des hameaux voisins. Il rencontre un jeune soldat qui a des besoins, et auquel il fait accepter sa bourse. Attaqué ensuite par des brigands dans sa demeure isolée, il est sauvé par ce même soldat que le hasard a fait séjourner dans le canton.

Quelques longueurs dans les épisodes. Rôle plaisant d'un valet niais, contrariant, poltron, mais plein de zèle pour son maître.

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez les Libraires. 1797 :

La Maison isolée, ou le Vieillard des Vosges, comédie en deux actes et en prose, mêlée d'ariettes. Paroles de Marsollier. Musique de d'Alairac.

Courrier des spectacles, n° 126 du 23 floréal an 5 [12 mai 1797], p. 2-3 :

[Après la lourde chute du Jeune Henry, un succès, et même « le plus grand succès ». Le résumé de l’intrigue est fait de façon très minutieuse, détail après détail, sans bien montrer l’enchaînement de l’action. Le critique insiste sur le peu d’action du premier acte, composé de détails jugés trop longs. Le deuxième acte suscite plus d’intérêt. Une fois l’intrigue décortiquée, après rappel des longueurs, surtout au premier acte, le critique évoque les points positifs de la pièce, « beaucoup d’intérêt, de jolis détails, des pensées très-heureuses, et exprimées très-délicatement ». Le rôle du vieillard lui paraît sacrifié au profit de celui du serviteur. Les interprètes sont cités, avec éloge. La musique est « infiniment agréable (c’est bien vague !), avec mise en avant d’un morceau au deuxième acte. Les auteurs ont été demandé, et le compositeur s’est montré.]

Théâtre de la rue Favart.

Autant il nous fut pénible de dire que le poème du jeune Henry avoit essuyé une lourde chûte, autant nous avons de satisfaction à pouvoir annoncer que l’opéra de la Maison isolée a eu le plus grand succès.

Des voleurs exerçant leurs ravages dans les montagnes des Vosges, ont appris qu’un vieillard, nommé Evrard, a touché un remboursement-de 3000 l. ; ils prennent la résolution d’aller lui voler cette somme. Zozo, domestique du vieillard, revient du marché, et retourne à la maison de son maître, quand il voit la troupe de voleurs ; ceux-ci, pour mieux connoître la vérité, se disent chasseurs, et fort adroitement ils parviennent à savoir de Zozo que les 3000 liv. sont remboursées à son maître : ils laissent là le pauvre Zozo. Depuis ce moment, jusqu’à l’arrivée du père Evrard, la scène ne contient que des détails agréables, mais fort inutiles à l’action ; en un mot, des longueurs. Le vieillard arrive ; il est fatigué ; les filles du village voisin vont chercher des branchages pour porter Evrard jusqu’à sa maison. Pendant ce temps, arrive un hussard Français ; il passe par cet endroit pour aller retrouver son père ; il voit le bon vieillard : il s’écarte un peu de son chemin pour l’assurer de ses sentimens pour son grand âge ; Evrard est sensible à cette marque d’attention ; il le prie de venir chez lui, le hussard refuse : il continue sa route. Un orage se fait entendre ; les jeunes filles apportent des branches d’arbre ; on reconduit ainsi le vieillard chez lui * ; les voleurs suivent de loin le cortège, afin d’examiner la situation de la maison d’Evrard. Le premier acte n’a pas beaucoup d’action ; ce ne sont que des détails dont plusieurs ont paru beaucoup trop longs. Le second acte offre plus d’intérêt que le premier. Le vieillard, de retour à sa maison, va prendre le repas du soir, quand on cogne à la porte ; c’est le hussard qui revient demander l’hospitalité jusqu’à ce que l’orage soit passé. On le fait souper ; le bon Evrard lui fait don d’une bourse pour son vieux père indigent. Le Hussard part ; Zozo, resté seul, s’endort ; les voleurs entrent par une fenêtre dont ils ont scié les barres de fer ; ils se glissent dans la chambre ; Zozo se réveille entendant du bruit ; il tremble ; il va voir si son maitre est endormi ; puis, en revenant, il apperçoit la main d’un des voleurs qui prend une bouteille sur une table ; la peur le saisit encore plus ; il frémit pour la vie de son maitre : il crie ; les voleurs s’emparent de Zozo ; lui ôtent tout moyen de crier, en lui mettant un mouchoir sur la bouche. Ils vont alors à la chambre d’Evrard, le traînent jusques sur la scène, et sont prêts à l’assassiner, quand le hussard, qui s’étoit douté de cet événement, vient au secours de son bienfaiteur ; le délivre, ainsi que Zozo. Evrard -lui offre, ainsi qu’à son père, de venir habiter avec lui.

Cet opéra , quoi qu’avec de grandes longueurs au premier acte,et quelques-unes au second, a eu beaucoup de succès, et il mérite d’en avoir. Il y a beaucoup d’intérêt, de jolis détails, des pensées très-heureuses, et exprimées très-délicatement ; entr’autres, la manière avec laquelle le vieillard donne une bourse au hussard, a fait le plus grand plaisir. Nous avons trouvé le rôle du vieillard trop foible et trop sacrifié à celui de Zozo , qui est le personnage auquel on fait le plus d'attention ; M. Dozainville l’a joué avec beaucoup de naturel ; M. Philippe a bien rendu le rôle de vieillard ; M. Chenard, celui du Hussard, et Mme. Saint-Aubin l’emploi de Claire, jeune fille, ayant la confiance d’Evrard, et amante de Zozo, La musique est infiniment agréable ; on a remarqué un beau morceau que chante M. Chenard au second acte.

L’auteur est M. Dalavrac, et celui du poëme M, Marsollier. Il n’y a que le premier qui ait paru ; il a été fort applaudi.

D. S.

Courrier des spectacles, n° 130, 27 floréal an 5 [16 mai 1797], p. 3 :

[L'abonné annonce deux contre-sens dans la musique : un chœur très bruyant quand il s'agit de passer inaperçu (et la musique puissante doit être réservée aux moments extraordinaires), et une musique qui paraît indiquer que l'orage a cessé, alors qu'il pleut encore quand le rideau se relève. Remarque complémentaire : il faut que les auteurs évitent les « allusions aux circonstances présentes », nuisibles à l'intérêt et moyen démagogique d'obtenir les « applaudissemens d’une classe de spectateurs », au vif déplaisir de « l'homme de goût ».]

Aux Rédacteurs du Courrier des Spectacles.

Paris, 24 floréal.          

Messieurs,

Permettez-moi de vous communiquer quelques observations que j’ai faites à la première représentation de la Maison isolée ; il y a dans la musique deux contre-sens très-marqués ; l’un dans le chœur qui termine le premier acte. Les paysans emmènent en chantant le bon Evrard, pendant que des voleurs cachés les observent, et chantent bas pour n’être point remarqués. Je ne sais pourquoi, à la fin du chœur, les uns et les autres crient, ni à quoi servent les coups de timballe, et le forté de l’orchestre, dans ce moment, où il n’est arrivé rien d’extraordinaire, qui puisse les motiver.

Le deuxième contre-sens est dans l’entr’acte, Le premier acte finit par un orage ; lorsque la toile est baissée, un chant de hautbois, qui remplit l’entre acte, semble annoncer un style champêtre ; et l’on est très-étonné, lorsque la toile se lève, de voir que l’orage a continué pendant l’entr’acte, et qu’il dure encore ; je suis étonné que de pareille contre-sens aient pu échapper à un compositeur accoutumé à des succès sur la scène.

Je crois que c’est ici l’occasion d’engager les auteurs dramatiques à ne pas remplir leurs pièces d’allusions aux circonstances présentes ; rien de plus nuisible à l'intérêt, en ce qu’elles font oublier la scène au spectateur, pour l'occuper de ce qui y est étranger ; c’est un moyen peu difficile d’obtenir des applaudissemens d’une classe de spectateurs, et qui mécontente toujours l’homme de goût.

L. P., abonné.          

Réponse des Rédacteurs.

Nous remercions notre abonné des observations qu’il nous a transmises ; leur justesse et l’honnêteté qui les accompagne ne peuvent manquer de les faire accueillir de ceux auxquels elles sont adressées. Nous le prions de nous faire part de même de toutes celles qu’il jugera utiles à l’art, et de concourir par-la [sic] au but que nous nous sommes proposés dans ce journal.

Dans le Courrier des spectacles n° 133 du 30 floréal an 5 [19 mai 1797], p. 3, Le Pan, un des rédacteurs, dissipe un malentendu : les initiales L. P. de l'abonné ne sont pas les siennes, et le courrier n'est pas de lui.

Courrier des spectacles, n° 132 du 29 floréal an 5 [18 mai 1797], p. 2-3 :

[D'un compte rendu à l'autre, on voit revenir des reproches identiques, et des compliments semblables. La pièce a généralement été bien accueillie par les critiques.]

Théâtre de la rue Favart.

Nous rendîmes compte de la Maison isolée ou le Vieillard des Vosges, dans notre numéro 126. Voici le jugement que plusieurs journaux ont porte sur cet opéra :

Le Déjeûner, 24 floréal.

Cet opéra est rempli de traits heureux et finement exprimés ; nous y trouvons cependant plusieurs défauts ; entr’autres quelques longueurs au premier acte, et l’invraisemblance du dénouement, où un seul homme en tue cinq autres bien armés ; au reste, cet ouvrage est charmant ; une foule de jolies pensées, d’allusions fines, ont été vivement applaudies ; l’intérêt est bien ménagé, et tous les détails sont gracieux ; la musique est digne des paroles, elle est pleine d’esprit, et réunit à-la-fois la sensibilité, la délicatesse et la légèreté.

Le Miroir, du 24 floréal.

Le premier acte offre plus de situations et de tableaux épisodiques que d’action ; mais tous les détails en sont si intéressans, et madame Saint-Aubin et M. Dozainville, y mettent un talent si aimable, que l’on seroit fâché peut-être que cela fût autrement. Le second acte, qui est d’un intérêt vif et rapide, mérite d’être vu en action, pour être bien apprécié. Si le soldat, lorsqu’il sort de la maison, n’annonçoit pas le dénouement, il y auroit peut-être plus d’intérêt encore, attendu que, dès qu’il arrive, on se doute bien qu’il sera le vainqueur des assassins. La musique est d’une fraicheur, d’une simplicité et d’un style qui caractérisent la touche de M. Dalayrac, dont les brillans succès se comptent par le nombre infini de ses charmans ouvrages.

Chronique de Paris, du 24 floréal.

A quelques longueurs près, dont il est facile de débarrasser l’action, cet ouvrage est très-intéressant ; il y a de très-jolis détails, une excellente morale ; on est bien aise de voir un militaire qui réunit au courage le respect pour la vieillesse, et la reconnoissance pour les bienfaits. Les rôles sont peut-être sacrifiés à celui de Zozo.

Journal d'indications, du 24 floréal.

Cet opéra a eu le plus grand succès ; des détails agréables, des idées heureuses, des applications ingénieuses, une morale douce et sentimentale, des procédés délicats, font le mérite de cet ouvrage ; mais les scènes sont trop multipliées ; des longueurs fatigantes nuisent à l’intérêt et à la marche de l’action. Le premier acte offre sur-tout des détails minutieux, qui, sans doute, disparoîtront dans les représentations qui doivent suivre. La musique est douce, agréable, harmonieuse ; l’ouverture a été vivement applaudie; un air de bravoure chanté par le hussard, a présenté de grandes beautés aux connoisseurs.

Feuilleton des Spectacles, 24 floréal.

Le grand talent de M. Marsollier est d’intéresser les spectateurs par des détails toujours neufs et piquans ; il a su assortir son opéra aux mœurs actuelles : de-là, des sorties contre les marquis des fournitures, et contre le débordement de nos mœurs , le tout traité avec beaucoup de délicatesse. Il a aussi parsemé avec art quelques traits de morale qui ont été fort goûtés.

Petites Affiches , du 25 floréal.

Un léger épisode du roman de Victorine a fourni le fonds du sujet de cet opéra. M. Marsollier a donné, dans cet ouvrage, une preuve de plus du talent qu’on lui connoissoit ; des tableaux frais, un intérêt doux, souvent du comique, et de la terreur bien ménagée, voilà ce qu’on trouve dans sa pièce, à laquelle nous reprocherons néanmoins quelques longueurs, et des situations vides d’action et trop prolongées ; en resserrant un peu quelques scènes, la pièce ne laissera plus rien à désirer. La musique offre de la grace, de l’harmonie claire et bien distribuée, du chant sur-tout, et une rare intelligence de la scène.

Après les jugements de différents journaux, le Courrier des spectacles fait le point de l'évolution de la pièce (finies, les longueurs) et de l'interprétation.

M. Marsollier a fait à son opéra de la Maison isolée, plusieurs coupures qui donnent plus de vivacité aux autres jolis détails dont son premier acte est rempli ; cet opéra doit avoir, croyons-nous, un très-grand succès. M. Dozainville a supérieurement joué le rôle de Zozo ; et les autres artistes, MM. Chenard, Philippe, Fleuriot et madame Saint-Aubin, l’ont très-bien secondé.

D. S.          

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, troisième année (an V, 1797), tome 1, p. 244-246 :

La Maison Isolée donnée au théâtre de l'Opéra-Comique National, rue Favart, le 22 floréal, a beaucoup réussi : l'auteur, le citoyen Marsollier, qui a obtenu de nombreux succès sur ce théâtre, a pris pour sujet une anecdote insérée dans différens journaux.

Evrard , vieillard respecté dans les Vosges par ses vertus et sa bienfaisance, est allé à la ville recevoir un remboursement de mille écus. Des voleurs apprennent cette nouvelle ; ils font jaser son valet pour s'en assurer et savoir le nom du vieillard : les jeunes filles du canton l'attendent comme leur père. Il paroît, et après avoir été spectateur de leurs amusemens, l'orage les force tous à rentrer ; les jeunes filles portent le bon vieillard sur des branchages ; les voleurs suivent à la piste la troupe joyeuse, pour connoître la maison d'Evrard et s'y introduire.

Pendant qu'Evrard est au pied de la montagne avant de rentrer, un hussard passe près de lui : accoutumé à chérir et respecter la vieillesse, il lui demande la permission de. l'embrasser; le caractère bon, franc et loyal du soldat l'intéresse ; il veut le retenir ; mais Charles va rejoindre son vieux père ; il ne peut différer un moment : cependant la tempête l'a fait s'égarer, et à l'instant où Evrard est à table avec son valet et sa servante, on frappe ; c'est le bon soldat ; il est accueilli avec transport par Evrard qui le force ensuite, de la manière la plus délicate, à accepter des secours dont il a besoin. L'orage se dissipe ; Charles sort ; le valet lui fait présent de sa petite lanterne. Les voleurs s'introduisent aussitôt par un volet ; ils saisissent le valet qui , malgré sa poltronerie, apprenant qu'on en veut à son maître, crie au secours : on lui couvre la. bouche d'un mouchoir ; le vieillard est entraîné par les voleurs ; ils vont lui faire souffrir des tortures pour savoir où est son argent ; mais aussitôt Charles rappelé par les cris qu'il a entendus, tombe sur ces brigands, les renverse, et délivre l'homme respectable dont il a reçu l'hospitalité et des bienfaits.

Le premier chœur des voleurs qui se proposent d'aller à Paris rejoindre leurs confrères a été très-applaudi.

On pourrait reprocher à cet ouvrage d'être un peu long pour ne présenter qu'un seul fait. Evrard attaqué par les voleurs et délivré par Charles, et de se soutenir un peu par des tableaux et des accessoires qui ne tiennent pas au fonds : l'emploi du valet niais, amoureux de la servante, est usé ; mais en général l'ouvrage a fait plaisir, et il a été applaudi.

Les deux auteurs, les citoyens Marsollier et Dalayrac ont été demandés.

La pièce est jouée par les citoyens Philippe, Chenard et Dozainville, et par la citoyenne Saint-Aubin.

 

D'après la base César, la pièce a été jouée 14 fois en 1797 (à partir du 11 mai), 20 fois en 1798, 7 fois en 1799.

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