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La Méprise volontaire, ou la Double leçon
La Méprise volontaire, ou la double Leçon, comédie en un acte et en prose, mêlée de chants, par M. Alexandre Duval, musique de mademoiselle Seneschal de Kerkado, 5 messidor an 13[24 juin 1805].
Théâtre de l’Opéra-Comique (salle Favart).
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Titre :
Méprise volontaire (la), ou la double Leçon
Genre
opéra comique (comédie mêlée de chants)
Nombre d'actes :
1
Vers / prose
prose, avec couplets en vers
Musique :
oui
Date de création :
5 messidor an 13 [24 juin 1805]
Théâtre :
Théâtre de l’Opéra-Comique (salle Favart)
Auteur(s) des paroles :
M. Alexandre Duval
Compositeur(s) :
Mlle Seneschal de Kerkado
Dans ses œuvres complètes, tome dixième (Bruxelles, 1825), Duval présente sa pièce comme une « comédie en un acte et en prose, mêlée de chants ». Une notice précède le texte de la pièce, p. 3-7 :
Notice sur le Méprise volontaire.
Je dois le sujet de cette petite pièce à un article du Spectateur anglais. Ce sujet convenait bien plus à une comédie qu'à un opéra : cependant il obtint du succès ; mais il en aurait obtenu davantage, si le principal rôle en femme eût été joué par l'une de ces actrices que l'opinion publique encourage, et qui trouvent dans cet appui du public une confiance qui ne peut qu'accroilre le talent. L'actrice estimable qui s'était chargée de représenter le caractère d'une femme qui a dû à son éducation les mœurs et les habitudes d'un homme, avait trop peu de confiance dans ses moyens pour se délivrer de la timidité qu'elle portait dans tous ses rôles : cette timidité, jointe aux grâces de sa personne, en l'éloignant de la vérité, jeta sur le personnage que j'avais mis en scène, une indécision de caractère qui devait nuire, et qui en effet nuisit à l'ensemble de mon petit drame que je crois assez bien conçu. A ce défaut d'exécution dans la représentation, il s'en joignit un autre qui ne tenait qu'à moi seul. En puisant dans une chronique étrangère, je n'avais point assez réfléchi que ce petit sujet, qui est tout-à-fait dans les mœurs anglaises, cessait d'être vrai aux yeux des Français. En effet, ce ridicule d'aimer les chevaux, la chasse et tous les exercices qui ne conviennent qu'aux hommes, ne pouvait être senti que par un petit nombre d'individus qui connaissent bien les mœurs de nos voisins, ou plutôt de nos voisines. Le parterre français (et peut-être n'a-t-il pas tort) rapporte tout à lui seul ; et il est difficile de l'amuser par la peinture d'un ridicule qui n'est pas de sa connaissance. Quel intérêt pouvait-il prendre à une femme qui n'a de femme que le nom ? Quelques années plus tard, il aurait pu reconnaître le modèle du jeune homme qui semble appartenir à l'autre sexe par la niaiserie de ses goûts, par son ignorance des exercices du corps, enfin. par toute la sottise de son éducation : mais au moment où j'ai donné ma pièce, il n'existait plus de jeunes gens de cette espèce, et la révolution ayant donné une éducation toute guerrière à nos jeunes Français, ce personnage a dû paraître une anomalie. Cependant il ne produisit point un mauvais effet à la représentation, parce qu'il se trouvait être le contraste assez plaisant de mon héroïne. Cette bluette comique, qui aurait pu l'être davantage, si, pour le développement de mes caractères, je n'avais été retenu dans les bornes d'un opéra, cache une grande pensée qui a pu fournir à Fabre d'Églantine le sujet de sa comédie en cinq actes, intitulée les Précepteurs; et comme ce ne sont pas de ces grandes pensées qui doivent inspirer de petits ouvrages, si j'avais pu me rappeler la pièce de mon infortuné confrère*, je me serais gardé de traiter un sujet qui exige une scène plus vaste que celle de l'0péra-comique.
L'ouvrage est peu de chose et le nom seul fait tout,
a dit Piron dans sa Métromanie. J'ai connu toute la vérité que renferme ce vers à l'instant de la représentation de ma petite pièce. Le hasard m'ayant fait connaître madame de Carcado, et passer quelque temps à sa maison de campagne, je fus tout étonné de rencontrer une jeune personne qui réunissait au talent de la peinture celui de la musique ; elle portait ce dernier à une perfection rare ; et le célèbre Tarchi, qui lui avait donné des leçons de composition, avait une si haute idée de son écolière, que je résolus de lui donner ce petit ouvrage. Je ne doute pas qu'elle n'eût un jour peut-être égalé son maître, si les comédiens, par une prévention qui tenait à son titre de femme, ne lui avaient promptement fermé la carrière. Pendant toutes les répétitions de l'ouvrage ; acteurs et musiciens étaient devenus les sincères admirateurs du talent de mon jeune compositeur, ils ne savaient qu'admirer le plus ou du chant ou de la variété. des accompagnements ; tous cherchaient à deviner quel était l'artiste inconnu qui allait tout-à-coup briller sur la scène lyrique : l'un donnait l'ouvrage à un jeune étranger nouvellement arrivé de Rome; l'autre à un maître consommé de l'École française, qui voulait garder I'incognito. Enfin, le jour de la représentation arriva; et s'il se manifesta quelques signes de mécontentement, la musique n'eut point à les partager ; elle obtint, au contraire, un brillant succès. Mais lorsqu'à la fin de la pièce, on eut, selon l'usage, fait connaître les noms des auteurs, le public fut tout surpris de savoir qu'il devait le plaisir qu'il avait éprouvé à une jeune demoiselle de 19 ans, par galanterie, il redoubla les applaudissements. Mais il n'en fut pas de même des vieux amateurs et de plusieurs des acteurs qui avaient admiré la musique pendant les répétitions ; ils changèrent complètement d'opinion ; et, comme il leur semblait impossible qu'une jeune demoiselle pût composer la musique d'un opéra, pendant les douze ou quinze représentations que la pièce obtint, ils trouvèrent convenable de déprécier dans le monde l'ouvrage qu'ils avaient admiré avant de connaître le nom de son auteur. Telles sont pourtant les petites jalousies, ou les préventions de coterie, qu'elles suffisent souvent pour vous faire prendre en dégoût un art que l'on eût peut-être cultivé avec le plus grand honneur. Je sais qu'un jeune artiste, par sa qualité d'homme , peut triompher de ces obstacles ; mais il n'en est pas ainsi d'une demoiselle, dont la timidité s'effraie d'une première contrariété. Certes , mademoiselle le Sénéchal de Carcado avait tout ce qu'il fallait pour parcourir avec succès la brillante carrière du théâtre ; mais je conçois que cette première injustice, que ‘le public n'a point partagée, ait pu l'en dégoûter tout-â-fait : peut-être aura-t-elle senti que les plaisirs d'un doux intérieur étaient préférables à l'avantage de faire un peu de bruit dans le monde, et que les femmes devaient se contenter de plaire par leurs charmes naturels, et de contribuer à notre bonheur par leur esprit et leur caractère.
Courrier des spectacles, n° 3051 du 6 messidor an 13 [25 juin 1805], p. 2 :
[La première information donnée dans l’article, c’est le nom de l’auteur du livret, puisque ce nom garantit la qualité de l'œuvre, à la fois spirituelle, pleine d’intérêt, bien construite, et de plus d’un but « honnête et utile » : elle donne des leçons profitables aux jeunes gens des deux sexes. Il s’agit d’un jeune homme qui, de retour de voyage constate chez sa fiancée et son frère une étrange inversion des valeurs : elle est virile autant qu’il est efféminé. Pour les « guérir », il entreprend de leur montrer l’incongruité de cette inversion, et il parvient à faire revenir chacun d’eux aux occupations de son sexe. La pièce a connu le succès qu’elle mérite « à quelques taches près »; et la musique manque certes un peu de consistance (elle « est d’une composition un peu vague »), mais présente de beaux morceaux. Son auteur : une demoiselle (écrire de la musique serait donc une activité du sexe faible ?).
Théâtre de l’Opéra-Comique.
La Méprise volontaire, ou la Double Leçon.
Cet ouvrage est de M. Duval; c’est annoncer qu’on y trouve de l’esprit, de l’intérêt, des mots piquans, des scènes bien faites, et tout ce qui caractérisé les productions d’un écrivain connu par des succès mérités. Le but en est honnête et utile ; et l’auteur y dorme des leçons dont beaucoup de nos jolies femmes et de nos petits maîtres pourroient profiler.
Il suppose que Valmont, jeune Anglais d’un esprit sage et d’un caractère grave, se propose d’épouser Elisa, qu’il a vue quelques années auparavant, et dont le souvenir est resté profondément gravé dans son cœur ; il quitte Londres pour se rendre auprès d’elle. Elisa est à la chasse, et il apprend avec beaucoup d’étonnement que depuis qu’il a cessé de la voir, cette jeune personne, si douce, si timide, a pris des goûts bizarres, des airs cavaliers ; qu’elle préfère les exercices violens aux modestes occupations de son sexe ; qu’elle a contracté le langage, le ton et les habitudes des hommes ; mais, par un contraste assez singulier, elle a un frère élevé par une vielle tante d’une manière si ridicule, qu’il a toute la timidité et la foiblesse des femmes, qu’il en partage les goûts et les travaux. Valmont profite de cette singularité pour donner une double leçon à Elisa et à son frère. Il feint de croire qu’ils ont voulu l’un et l’autre le tromper, et qu’ils ont changé à dessein d’habit et de nom.
D'après cette supposition, il feint d’adresser ses hommages au frère d'Elisa, et de traiter Elisa comme si elle étoit un homme. Elisa cherche inutilement à le désabuser, il s’obstine à la méconnoitre ; et quand elle paroit enfin disposée à se fâcher, il lui demande si les airs qu’elle affecte, le langage qu’elle parle, les occupations auxquelles elle se livre ne décèlent pas le sexe masculin. Il fait la même leçon a son frère, et prétend qu’un homme qui brode, qui n’ose monter à cheval, qui s’effraye des moindres dangers ne peut être qu’une femme. Cette méprise volontaire amène des scènes très-piquantes qui ont été très-bien jouées par Chenard, Elleviou, Moreau, Paul, et Mad. Rolandeau. Enfin Eisa sent qu’elle doit reformer sa manière de vivre ; elle se présente avec les ornemens de son sexe, et après quelques explications, parvient à reconquérir le cœur de son amant. De son côté , le jeune homme abjure sa timidité et ses aiguilles pour prendre les mœurs et le ton d’un homme.
Cette pièce a eu beaucoup de succès, et à quelques taches près, méritoit les suffrages du public. La musique est d’une composition un peu vague, mais elle offre quelques morceaux très-agréables, sur-tout l’air d’Elleviou, et le trio entre cet acteur, Moreau et Paul; elle est de Mlle. Sénéchal.
L’Esprit des journaux français et étrangers, tome XI, thermidor an XIII [juillet 1805], p. 275-277 :
[Une pièce à titre multiple, puisqu’on l’avait annoncée avec un autre titre qui lui convenait aussi. Le résumé de l’intrigue nous fait voir une bien belle histoire pleine de bonne et saine morale, qui nous invite à traiter les filles comme des filles, et les garçons comme des garçons (mais c’est déjà moins important pour eux, et le frère d’Elisa n’est guère là que pour le contraste). Le critique insiste bien sûr sur cet aspect édifiant de la pièce : « Qui n'apperçoit tout ce que ce sujet a de moral ! » : on est bien dans la comédie (qui châtie en faisant rire). De ce fonds, l’auteur a su tirer « des scènes très-comiques », du moins aux yeux des contemporains de la pièce : les exemples donnés peuvent nous sembler sexistes ! L musique mérite aussi toute l’attention du critique par sa qualité (un produit de l’école italienne), mais plus encore par son auteur, une jeune femme de dix-neuf ans, qui pratique un art peu illustré par des femmes (la pièce parlerait-elle d’elle ?). Le commentaire se ressent bien sûr de cette situation : « ce qu'elle ne doit qu'à son âge, à son sexe, c'est une grace, une fraîcheur virginale, que l'on trouve ou plutôt que l'on sent dans presque tous les morceaux de musique de cette jolie pièce ». Cette jeune femme, d’illustre famille féodale entre donc « dans la liste des compositeurs de musique » pour « y occuper une place honorable ».]
THÉATRE DE L'OPÉRA-COMIQUE.
La Méprise volontaire, ou la double Leçon.
On avait d'abord annoncé cette pièce sous le titre des deux Educations : et, en effet, ce titre pourrait également lui convenir.
Une jeune personne a été élevée à la campagne par un père qui lui a formé un caractère mâle, courageux, lui a inspiré le mépris des occupations molles et sédentaires. Elle a pour frère un jeune homme élevé par une vieille dévote ; et ce jeune homme est, comme on le pense bien, timide, indolent à l'excès : il ne sait ni monter à cheval, ni manier les armes ; mais en revanche il dessine bien les fleurs et brode passablement au tambour, etc.
L'un et l'autre sont corrigés par une espèce de philosophe, Valmont, qui vient pour épouser Elisa (c'est le nom de la jeune personne), qu'il n'a pas vue depuis plus de six ans , et qui avait encore, lorsqu'il la quitta, la douceur et les habitudes de son sexe. Il feint de croire qu'on a voulu s'amuser un instant dans le château, en lui présentant Elisa sous les habits de son frère, et le jeune homme sous les habits d'Elisa. Plus Elisa s'emporte à l'idée d'être prise pour un homme, pour un militaire même déguisé, plus elle fournit, par ses emportemens, des armes contre elle-même. – Elle sent, à la fin, que, pour être parfaite, il ne faut point qu'une femme se dépouille, pour ainsi dire, de son sexe ; et elle retourne à l'aiguille et aux fuseaux.
Qui n'apperçoit tout ce que ce sujet a de moral ! Le travers que l'on y ridiculise existe plus qu'on ne croit ; et dès-lors il est justiciable de la comédie.
C'est du fonds que nous venons d'indiquer, que M. Duval a su tirer des scènes très-comiques. La scène où l'amant propose un duel à la moderne amazone ; la scène où celle-ci reproche à son frère ses manières efféminées ; celle où ce jeune homme piqué, s'enflamme tout-à-coup d'une noble ardeur, et veut se battre contre tout le monde, produisent de l'effet, et excitent le rire. Mais une scène qui serait digne de la haute comédie, et à laquelle l'auteur, qui devait faire un opéra-comique, n'a pu donner les développemens nécessaires, est celle où Elisa corrigée, au moins en apparence, et redevenue femme, emploie tout le manége, la coquetterie de son sexe, pour faire tomber son amant à ses pieds, triomphe, et se venge en lui faisant approuver tout ce qu'il blâmait en elle, un quart d'heure auparavant.
Il nous tarde de parler de la musique. Le public n'a pas appris, sans étonneraient, qu'elle était l'ouvrage d'une demoiselle- de 19 ans (Mlle. Le Sénéchal de Kercado). Goût pur, accompagnemens travaillés, mais sans recherche et sans affectation, quelquefois de l'énergie dans l'expression, tout prouve que l'auteur a cherché en Italie ses modèles, qu'elle a étudié les ouvrages des grands maîtres. Mais ce qu'elle ne doit qu'à son âge, à son sexe, c'est une grace, une fraîcheur virginale, que l'on trouve ou plutôt que l'on sent dans presque tous les morceaux de musique de cette jolie pièce.
On ne citait presque aucune femme dans la liste des compositeurs de musique. Mlle. de Kercado est destinée à y occuper- une place honorable. Son nom figure, avec gloire, dans l'histoire de l'antique chevalerie ; il deviendra célèbre dans celle des beaux-arts.
Magasin encyclopédique, ou Journal des sciences, des lettres et des arts, 10e année, 1805, tome IV, p. 193-194 :
THÉATRE FAVART.
La Méprise volontaire, ou La double Leçon
Une jeune femme élevée par un oncle bizarre, a contracté toutes les habitudes, pris tous les goûts étrangers à son sexe. Elle est toujours à cheval, passe les journées à la chasse, et vêtue en amazone, dédaigne la parure et les ressources de la coquetterie si ordinaire aux femmes. Son frère, confié aux soins d'une vieille tante dévote, est au contraire timide comme une femme, et passe son temps à dessiner ou à broder. Belton leur cousin, qui devoit épouser la jeune personne, et qui la revoit après six ans de séparation, étonné d'un semblable changement, entreprend de la corriger ainsi que son frère. Il feint de les prendre l'un pour l'autre, et les pousse à bout par un persifflage fort ingénieux. La jeune femme piquée, et voulant lui prouver qu'elle n'a pas perdu ces grâces qui font le principal ornement de son sexe, reprend des habits plus convenables, et fait tomber à ses pieds le philosophe Belton.
La pièce est originale, le rôle du jeune frère est surtout neuf et joué d'une manière très-comique par un acteur peu remarqué jusqu'à présent, M. Paul, qui en a tiré tout le parti possible. Elleviou, Chenard, Moreau et madame Rolandeau ont très-bien joué les autres rôles.
Cet ouvrage, pour le style et la morale, ne peut que faire honneur à M. Duval, son auteur. La musique est de mademoiselle Seneschal de Kerkado, qui annonce de grandes dispositions. On a même remarqué deux ou trois morceaux extrêmement agréables.
D’après Nicole Wild et David Charlton, Théâtre de l'Opéra-Comique Paris : répertoire 1762-1972, p. 331, la Méprise volontaire a été joué à l’Opéra-Comique jusqu’en 1807.
* Il a péri sur l’échafaud, pendant nos troubles politiques, avec la faction qui se composait des Danton, des Camille Desmoulins, etc.
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