La Méprise (Creusé de Lessert, 1814)

La Méprise, opéra comique en un acte, livret d'Auguste Creuzé de Lesser. Musique de Sophie Gail. 20 septembre 1814.

Théâtre de l'Opéra-Comique.

Titre :

Méprise (la)

Genre

opéra-comique

Nombre d'actes :

1

Vers ou prose ?

 

Musique :

oui

Date de création :

20 septembre 1814

Théâtre :

Théâtre de l’Opéra-Comique

Auteur(s) des paroles :

Auguste Creuzé de Lesser

Compositeur(s) :

Sophie Gail

Almanach des Muses 1815.

Ouvrage d'un auteur connu par plus d'un succès à plus d'un théâtre, qui n'a pas été aussi heureux que de coutume. Mais à qui n'arrive-t-il de se tromper ?

 

Nicole Wild, ‎David Charlton, Théâtre de l'Opéra-Comique, Paris: répertoire 1762-1972 – P. 331 :

LA MEPRISE Opéra-comique en 1 acte. Livret d'Auguste Creuzé de Lesser. Musique de Sophie Gail. 20 septembre 1814 (Feydeau). Livret d'après L'Étourderie, comédie de Barthélémy-Christophe Fagan. 1 représentation.

 

L'Esprit des journaux français et étrangers, année 1814, tome IX (septembre 1814), p. 252-256 :

[La première question posée est celle de savoir si l’auteur du livret est coupable de plagiat. Il a avoué son larcin, ce qui suffit aujourd’hui pour l’innocenter, mais autrefois, il aurait mérité le sort promis aux voleurs (le critique ne craint pas d’évoquer la pendaison !). Son seul apport serait le changement de titre, heureux aux yeux du critique. Celui-ci résume ensuite à la fois la pièce plagiée et l'œuvre du supposé plagiaire : les deux pièces ne diffèrent que par des détails. Et la comparaison est au profit de la pièce ancienne. Ce que Creuzé de Lesser a introduit n’est pas un apport positif : « action moins vive et [...] traits de divers caractères beaucoup moins plaisans », substitution maladroite d’une veuve à la vieille fille impatiente, qui rend la confusion oins vraisemblable. Le critique a beau chercher, il ne trouve pas de point de supériorité à M. Creuzé, dont les paroles sont accusées d’être niaises. Dommage pour la musique « facile, légère et spirituelle », elle ne pouvait empêcher la chûte, qu’a seulement retardée la présence du duc de Berry.]

THÉATRE DE L'OPÉRA COMIQUE.

La Méprise , opéra comique en un acte.

L'auteur des paroles de cet opéra s'est empressé de faire l'aveu public qu'il en avait pris le sujet dans une comédie de Fagan. Il s'est donc mis à l'abri de l'accusation de plagiat qu'on eût eu le droit de lui intenter, sans la prudente franchise avec laquelle il a confessé son larcin. La nouvelle morale littéraire est assez commode ; il suffit d'avouer qu'on a pris l'esprit dans un autre pour en devenir légitime possesseur ; l'aveu consacre la propriété. Autrefois il était plus difficile d'assurer son droit, il fallait déguiser, en l'embellissant, l'objet qu'on avait dérobé. Quand vous saviez en augmenter la valeur, il devenait votre bien ; et le voleur d'un diamant brut obtenait toujours sa grace, et même des éloges, quand il en en faisait un bijou brillant : c'était presque la loi de Sparte, qui ne punissait que les voleurs maladroits.

Il faut bien combiner les lois d'après les mœurs du pays auquel on les destine ; le code du Parnasse doit être indulgent pour les larcins, ne fût-ce que pour éviter la dépopulation de la contrée. C'est à un poëte obscur, nommé, je crois, Petit, qu'est échappée cette plaisante boutade :

Ah ! si sur le Parnasse on pendait les voleurs,
Que l'on verrait en l'air des squellettes d'auteurs !

M. Creusé de Lessert, auteur, après Fagan, de la Méprise, est absous par la nouvelle législation littéraire ; mais il n'eût pas trouvé grace auprès de l'ancienne loi, car il n'a pas embelli le sujet qu'il s'est approprié. Le changement le plus heureux qu'il y fait, est le titre, l'action toute entière roule sur une méprise plutôt que sur une étourderie.

Un vieillard a une femme jeune et jolie et une sœur surannée qui se sent pour le mariage l'appétit le plus vif Un jeune homme devient amoureux de la séduisante épouse que, sur des faux renseignemens, il croit la sœur du vieillard, tandis qu'il le suppose le mari de la plus âgée et de la moins jolie des deux dames. Il demande donc en mariage cette prétendue sœur, parle de son amour avec l'accent le plus passionné ; il est accueilli par le mari, charmé de trouver l'occasion de se débarrasser de sa ridicule sœur, mais qui exige que l'amoureux, dont il trouve la passion assez extravagante, obtienne le consentement de son épouse : l'amant voit successivement les deux dames, et, toujours dans l'erreur, prend la sœur pour l'épouse et l'épouse pour la sœur. Cette méprise amène des scènes plaisantes, par l'art qu'a mis l'auteur à n'employer que des mots qui favorisent le quiproquo et en prolongent la durée : une seule des expressions qui devaient naturellement se présenter détruirait toute la pièce. Enfin, quand le spectateur s'est assez long-temps amusé de la méprise, une explication la fait cesser. L'amant se retire tout désappointé, mais moins encore que sa tendre future qui voit fuir l'hymen dont elle est si friande.

Je viens de donner à la fois le précis de la comédie de Fagan et de l'opéra de M. Creuzé. Ils ne diffèrent que par les détails et par la manière plus ou moins piquante dont le quiproquo est présenté et soutenu. Il faut convenir que l'avantage n'est pas du côté du nouvel auteur. Dans l'Etourderie de Fagan, la méprise est peut-être poussée un peu trop loin : mais il en résulte des scènes si agréables, que le spectateur se prête volontiers à l'illusion et jouit de l'effet, sans approfondir la cause.

M. Creuzé, sans parvenir à rendre le quiproquo plus vraisemblable, a rendu l'action moins vive et les traits de divers caractères beaucoup moins plaisans. Au lieu de laisser l'amoureux par méprise s'introduire témérairement dans la maison de sa belle, et déclarer lui-même la passion subite et invincible qui lui donne l'air et le langage du fou, c'est un frère de ce romanesque amant qui se charge de négocier son mariage.

Je cherche en vain le motif qui a déterminé l'auteur à substituer à la vieille fille impatiente du célibat, une veuve dont les désirs doivent être bien moins pressans, à moins qu'on n'applique ici l'axiôme : ignoti nulla cupido. Cette veuve, qui ne porte plus le même nom que son frère, ôte une excuse à la méprise du jeune homme. Il est bien plus naturel qu'il se trompe entre madame et mademoiselle Géronte, qu'entre madame de Ferville et madame de Bellecourt.

Le parallèle entre les deux ouvrages pourrait être fort long sans offrir un seul point favorable à M. Creuzé, que je n'aurais eu garde de nommer s'il n'avait signé la lettre dans laquelle il ne s'est accusé que de la moindre circonstance de son délit. Je suis persuadé qu'il en sent à présent toute l'étendue, et qu'il craint que l'ombre de Fagan ne vienne l'éveiller en sursaut en lui criant :

Dis-moi que t'ai-je fait pour m'outrager ainsi ?

On dirait qu'il a pris à tâche de déshériter les paroles des airs d'opéra de l'insouciante indulgence qu'on était convenu de leur accorder. Il nous a forcés d'entendre un recueil de phrases lyriques si.... si.... si niaises (pardon, j'ai cherché un autre mot, je ne l'ai pas trouvé), qu'elles auraient découragé Figaro. Exemple :

Je suis aimé ! quelle nouvelle !
Je suis aimé ! ciel ! aimé d'elle !

Et puis : je sais quelqu'un quelqu'un qui vous aime. Et puis : mon amant favori, c'est mon bon mari.... Et puis, et puis.... quel dommage qu'une musique facile, légère et spirituelle ait été la compagne de ce poëme réprouvé ; mais il était de poids à entraîner dans sa chûte dix partitious.

La présence de S. A. R. le duc de Berri a long temps contenu les sifflets , qui n'ont éclaté qu'à la fin.                                  Martainville

Le spectateur ou Variétés historiques, littéraires, critiques, politiques et morales ; Par M. Malte-Brun, tome second (juillet, août et septembre 1814), n° XIX, p. 419-422 :

[M. Malte-Brun est embarrassé pour rendre compte de la pièce : il ne l’a pas vue, parce qu’il ne pensait pas qu’elle tomberait dès sa première représentation, et il est réduit à couvrir sa négligence de l’autorité d’Horace, avec ces deux demi-vers empruntés à la deuxième épitre du livre II, vers 51-52 (avec reprise de la traduction qu’en a faite Voltaire). Une bien courte absence a suffi pour empêcher le critique de faire son devoir. Cet incident est aussi l’occasion de noter que « l’Opéra-Comique n’est point heureux dans ses emprunts au Théâtre-Français. Une chute de plus pour ce théâtre.

La pièce de Fagan (Christophe-Barthélmy Fagan de Lugny), l’Etourderie, est une comédie en un acte. Elle a été jouée seule le 22 février 1738, mais elle appartenait à un spectacle comportant trois comédies en un acte et un prologue, les Caractères de Thalie (l’Inquiet, l’Etoruderie, les Originaux), créé le 18 juillet 1737 et joué 326 fois à la Comédie Française, de 1737 à 1890.]

Opéra-Comique. – La Méprise, opéra-comique en un acte ; paroles de M. Creusé de Lesser ; musique de madame.......

La Méprise, qu’on nous pardonne cet abus de mots, en est une assez forte d’un homme de beaucoup d’esprit ; mais il n'est pas le seul coupable ; et nous aussi nous avons commis une méprise, et nous en devons l'aveu. Cette pièce, dont nous entreprenons l'analyse, faut-il le dire ? nous ne l’avons point vue....., par excès d’estime pour ses auteurs. Mais pouvoit-on prévoir une aussi lourde chute, quand tout, au contraire, semblent présager, sinon un succès, du moins quelques» représentations. En effet, que de motifs pour croire que la première ne seroit pas aussi la dernière !

Notre siècle, disions-nous, n’est pas inventif il est vrai ; mais le public a été officiellement averti que la donnée de ce nouvel ouvrage étoit prise d’une comédie d'un auteur estimé, de ce Fagan qui, à son tour, et comme tant d’autres malheureux confrères, a pu s'écrier :

. . . . . . Paupertas impulit audax
Ut versus facerem. . . . . . . .

L’indigence est le dieu qui m'inspira des vers.

Rassurés de ce côté, devions-nous être inquiets du style et des agrémens de détails ? Le facile et delicat auteur des Chevaliers de la table ronde, d'Amadis des Gaules, et d'autres jolis ouvrages, s’étoit publiquement, et par anticipation, déclaré le père de celui-ci.

Quant à la musique, tout le monde s’accordoit pour l'attribuer à une dame connue par un brillant succès au même théâtre : il ne falloit pas être Grec pour le deviner.

Après une absence’ dont la durée n'excédoit point l’une de ces trois fameuses unités recommandées par Aristote, et dont se sont moqués Shakespear et Kotzebue, quel est notre étonnement d’apprendre et la naissance et la fin prématurées de l’Etourderie de Fagan, si malheureusement convertie en Méprise !

Un peu confus de cette mésaventure, nous nous sommes promis, à l'avenir, la plus sévère exactitude aux premières représentations ; et dans ce moment nous jurons bien de ne plus faire, même en faveur de M. Creuzé de Lesser, d’exception à cet avis de Francaleu.....

.... Le sort d'une pièce est-il en notre main ?
Nous en voyons mourir du soir au lendemain.
Celle-ci peut n'avoir qu'une heure ou deux à vivre.

Au surplus, l'Opéra-Comique n’est point heureux dans ses emprunts au Théâtre-Français, et particulièrement à ce pauvre Fagan, qui, s’il vivoit encore, gémiroit bien d’avoir vu mutiler en peu de temps deux de ses jolies comédies. Mais depuis prés de soixante ans il n’est plus de ce monde et chacun sait que fort heureusement les morts ne se plaignent pas.

La Méprise, paroles et musique, est allée rejoindre Angéla ; sa place, au vaste répertoire des chutes, est immédiatement après S. M. Alphonse, roi d'Aragon, de récente et triste mémoire. Requiescant !

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