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La Mort de Duguesclin

La Mort de Duguesclin, drame héroïque en 3 actes et en vers, de Dorvo, 27 juin 1806.

Théâtre Français.

Titre :

Mort de Duguesclin (la)

Genre

drame héroïque

Nombre d'actes :

3

Vers ou prose ,

en vers

Musique :

non

Date de création :

27 juin 1807

Théâtre :

Théâtre Français

Auteur(s) des paroles :

Hyacinthe Dorvo

Almanach des Muses 1808.

Une seule représentation.

Journal de l’Empire du 30 juin 1807, p. 1-2 :

[L’article de Geoffroy est à l’unisson de l’échec de la pièce : il souligne combien la représentation a été l’occasion pour le parterre de faire preuve de son esprit caustique et de ridiculiser le spectacle. On notera seulement que le critique conteste la simple possibilité que l’on puisse adapter au théâtre la mort naturelle d’un théâtre, la pièce devenant une interminable conversation d’un homme à l’agonie. Même le style a prêté le flanc aux moqueries, occasion pour Geoffroy de distinguer de façon très conservatrice entre des mots n’appartenant pas pour lui au même niveau de langue (bijoux, bas, contre diamants, noble). Il n’explique pas, par contre, le chahut qui accueille l’arrivée d’une délégation venue se plaindre des souffrances que provoque la guerre. Plus largement, il considère que le portrait tracé de Duguesclin, n'est pas conforme à la réalité historique : sentences d’humanité et traits de bonté ne correspondent pas à ce qu’il sait de lui (ou de l'idée qu'il s'en fait). Et la mort même de Duguesclin a été perturbé par des risées et des quolibets : « ce qui a fait le plus rire, est précisément ce qui devoit être le plus intéressant ».]

Théâtre Français.

La Mort de Duguesclin.

Ce triste drame a fait beaucoup plus rire que la plus plaisante comédie ; il a fourni la matière de je ne sais combien de quolibets, de pointes et de bons mots : ces facéties du parterre sont quelquefois des critiques très-fines et très-justes. On a dit, par exemple : Duguesclin au premier acte est bien plus malade de la fièvre ; au second, il tombe en foiblesse, et meurt au troisième : cette histoire abrégée de la représentation fait aussi très bien sentir le vice du sujet. Quand on veut mettre sur la scène la mort d’un héros, il faut que ce soit une mort théâtrale, une mort brillante, et non pas une mort commune et ordinaire, suite naturelle d’une maladie : on voit avec plaisir au théâtre un guerrier blessé, parce que sa blessure est honorable et rappelle son courage ; mais une maladie ne rappelle que les infirmités humaines, auxquelles les grands hommes sont sujets comme les autres. Un conquérant malade doit rester dans son lit, et non pas se montrer au public. Les héros de tragédie, de drame et de roman ne doivent jamais ni boire, ni manger, ni manquer d’argent, parce que ce sont des besoins trop vils ; à plus forte raison ils ne doivent jamais être malades, si ce n’est des suites d’une large blessure qu’ils auront reçu en faisant des prodiges de valeur ; c’est ainsi que Bayard blessé a très-bonne grace sur son lit ; mais quelle figure y feroit-il, s’il y étoit malade d’une fluxion de poitrine ou d’une inflammation de bas-ventre ?

Comment peut-on hasarder de faire parler, pendant trois actes, un homme qui va mourir dans trois heures, et par conséquent réputé à l’agonie ? Saint-Prix, qui donne quelquefois le ton d’un mourant à des personnages pleins de vie et de santé, étoit parfaitement choisi pour le rôle de Duguesclin.

Le premier acte promettoit quelque chose, du moins du côté du style ; mais l'espérance s’est bientôt évanouie. Ce sont les bijoux de Jeanne de Laval, femme de Duguesclin, qui ont commencé à mettre le parterre en belle humeur. C’est ici qu’on reconnoît le pouvoir d’un mot : le terme de bijoux est familier et bas ; celui de diamans est noble : c’est ce qui désole les traducteurs anciens, et ce qui donne beau jeu aux ennemis de l’antiquité. Avec quels mots ignobles dans notre langue, quoique très-élégans en grec, Voltaire fait le procès à Euripide, et le rend complètement ridicule. L’auteur de la Mort de Duguesclin n’est pas excusable de n’avoir pas senti la différence que met l’usage entre les bijoux et les diamans : cependant, ce défaut d’usage est au fond d’un poëme, une faute légère, quoique plus sévèrement punie qu’une faute contre le bon sens. Le plus médiocre écrivain peut aisément éviter un mauvais mot, de même qu’il peut échapper au plus grand poète. Combien Corneille et Molière n’ont-ils pas d’expressions qui suffiroient aujourd'hui pour faire tomber une pièce ! Quoi qu’il en soit, Jeanne de Laval, représentée par mademoiselle Georges, remet ses bijoux à son mari pour payer l’armée. L’action est noble, l’actrice est belle ; mais le terme est trivial.

L’entrée de Baptiste aîné a été très-orageuse : cet acteur représente un vieillard qui vient à la tête de plusieurs paysans, se plaindre des ravages de la guerre. Cette députation et son chef ont été accueillis par de grands éclats de rire, mêlés de plusieurs sifflets : on n’a pas même entendu les plaintes et les griefs du vieillard ; mais pour le dédommager des pertes qu’il a essuyées, le généreux Duguesclin se fait apporter les bijoux de sa femme, et les lui donne : présent qui ne peut pas consoler le vieillard des huées du parterre.

L’auteur prête à Duguesclin beaucoup de sentences d’humanité, de traits de bonté et de sensibilité qui ne sont guère conformes au caractère que l’histoire lui donne. Il fait arrêter le sire de la Rivière, sur les plaintes des paysans, et le fait ensuite relâcher sans motif. Sa femme surprend une lettre du même sir de la Rivière ; elle soupçonne avec beaucoup de fondement qu’elle renferme des calomnies contre son mari : Duguesclin déchire la lettre sans la lire. Ce trait est d’un héros ; mais la conduite de sa femme, qui a interceptée [sic] cette lettre, n’est pas d’une héroïne.

Ce qui a fait le plus rire, est précisément ce qui devoit être le plus intéressant. La mort de Duguesclin a été singulièrement égayée. La harangue que le gouverneur de la ville adresse à Duguesclin mort, en lui remettant les clefs, a excité des risées et fait éclore une foule de quolibets. Quand on veut mettre en scène les hommes illustres de la France, il faut avoir assez d’art et de talent pour les représenter d’une manière qui ne soit pas indigne d’eux.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome VIII, août 1807, p. 264-270 :

[Bien que la pièce ait échoué, elle a droit à un compte rendu minutieux. Mais cette minutie met surtout l’accent sur les insuffisances de la pièce. La principale est que c’est une pièce vide, où il ne se passe rien, où tout était facile à deviner... Conséquence, le désordre de la salle , qui empêche d’entendre le troisième acte. Il ne restait que la pantomime pour comprendre l’intrigue. Celle-ci se réduit à bien peu : le gouverneur de la ville assiégée finit par faire ce qu’il avait annoncé, et pose les clés de sa ville sur le cercueil de Duguesclin. Le public en était réduit à se divertir en se moquant du texte de la pièce. Le critique relève aussi que les personnages, et Duguesclin au premier chef, sont bien pâles (Duguesclin est qualifié de « prodigieusement sentimental »), et il prend soin de rectifier l’image du grand guerrier, références historiques à la main. Comment a-t-on pu « lui donner un pareil rôle dans une pareille pièce ». Si le nom de l’auteur est connu, c’est par une indiscrétion, et pas à la demande du public.]

THÉÂTRE FRANÇAIS.

Première représentation de la Mort de Duguesclin, drame héroïque en 3 actes et en vers.

La catastrophe de cette pièce est la mort de Duguesclin. Il était bien naturel que le sujet de la pièce fût sa maladie : la première scène est le bulletin de sa santé ; à la seconde scène, le duc d'Anjou vient lui conseiller de voir un médecin ; au second acte, on vient savoir de ses nouvelles ; au troisième, il recommande son ame à Dieu ; il meurt enfin, et le public l'a enterré, il ne s'en relevera pas : voilà les événemens de la journée. Quant aux détails, ce que j'en pourrais dire, c'est que

.    .    .    .    .    .    .    .    . Au milieu des huées,
Du carillon, des nez, des toux, des paix-là ! paix !
J'ai trouvé.... quoi.... ? ma foi, j'ai trouvé tout mauvais.

Et le public a été si bien de cet avis que le troisième acte s'est dit presque entièrement au milieu du tumulte, sans qu'il fut possible d'en rien saisir ; mais on savait heureusement que le trait était la mort de Duguesclin ; et comme on le voyait étendu sur un canapé, parlant tantôt à son épée, tantôt à ses amis pleurant autour de lui, cette pantomime instruisait suffisamment, et on se doutait qu'il n'avait rien de bien intéressant à nous communiquer, car il en aurait eu le temps dans les deux premiers actes qui sont absolument vides. Il est donc à croire que nous n'avons rien perdu. Nous avions d'ailleurs appris, par l'exposition, autant qu'on a pu comprendre quelque chose à l'exposition , que la scène se passait devant la ville de Châteauneuf-le-Randan, assiégée par Duguesclin, et devant laquelle on sait en effet qu'il mourut de maladie. On nous avait dit que la place ne pouvait plus tenir ; le gouverneur était venu ensuite nous le dire lui-même, et promettre à Duguesclin que s'il n'était pas secouru le lendemain, il lui remettrait les clefs de la ville, mais qu'il ne voulait les remettre qu'à lui-même. Il n'avait pas fallu dès-lors un grand effort de mémoire pour se rappeller le trait connu de ce gouverneur de Châteauneuf-le-Randan, qui ayant promis à Duguesclin de lui remettre les clefs de son fort le 13 Juillet, et le trouvant mort du 12, n'en tint pas moins parole, et remit les clefs sur le cercueil de son vainqueur. Nous avons bien jugé que c'était-là que l'auteur en voulait venir, et c'est-là en effet qu'il en est venu, grace au courage des acteurs qui ont tenu ferme, quoiqu'en vérité la place ne fut pas tenable, jusqu'après la mort de leur général et la remise des clefs qui ont été déposées à ses pieds. Au surplus, ils s'étaient sûrement préparés au courage nécessaire pour soutenir un tel ouvrage, lorsqu'ils ont eu celui de le recevoir. Un motif de curiosité avait soutenu la patience du public pendant la première moitié de la pièce ; comme jusqu'au milieu du second acte il ne s'était rien présenté, absolument rien qui pût donner l'idée d'une intrigue, d'un intérêt quelconque   que tout s'était passé en complimens que se font Duguesclin, Jeanne de Laval, son épouse, Olivier de Mauny, le duc d'Anjou, Hugues de Caurelay, gouverneur de la ville assiégée, qui en sort tout exprès pour se mêler à la conversation, tandis que le sire de la Rivière, qu'on nous a dit être ennemi de Duguesclin, fait la mine dans un coin, on ne sait pas pourquoi ; on attendait toujours qu'il arrivât quelque autre chose, quelque chose qui ressemblât au commencement d'une action, et cette attente, toujours trompée soutenait merveilleusement l’attention des spectateurs : il a pourtant bien fallu prendre son parti, et tâcher de se divertir d'une autre manière. C'est alors le style de la pièce, alternativement trivial et boursoufflé, qui a fourni aux plaisirs du parterre. Chaque hémistiche est devenu le sujet d'une gaîté plus ou moins fondée, jusqu'au moment où cette gaîté parvenue à son comble, n'a plus laissé entendre du spectacle que les spectateurs. Jeanne de Laval, qui arrive à la fin du premier acte, et à laquelle dans l'entr'acte on a donné un tournois, raconte, au second, à son mari qu'elle a vendu, tous leurs biens pour secourir les malheureux ruinés par la guerre :

Il ne nous reste rien,

Duguesclin.

Pas même vos bijoux !

Cette expression, d'un usage peu relevé, a excité de tels rires, qu'on n'a pas pu savoir alors à quel usage étaient réservés ces bijoux destinés pourtant à jouer un grand rôle dans la pièce : on l'a appris deux scènes après. Des paysans d'un village ennemi, que des Français ont pillés au mépris de la trève, viennent se plaindre à Duguesclin, qui s'écrie : :

. . . . . De mon épouse apportez les bijoux.

On apporte la petite boîte qui avait été serrée avec grand soin ; Duguesclin apprend à ses soldats qu'il la destinait à payer leur montre qu'ils n'ont pas reçue depuis long temps, mais que comme de raison ils permettront que les paysans aient la préférence ; comme de raison aussi les soldats y consentent et tout est réparé. Mais il se trouve que l'auteur de cette violation des droits de la guerre est le sire de la Rivière, qui jusques-là n'a rien fait que recevoir les injures que tout le monde lui adresse, sans qu'on en sache la raison. Duguesclin en l'apprenant entre dans une colère épouvantable ; il lui jure que la tempéte va tomber sur sa tête ; il le fait arrêter par ses soldats qu'il appelle en leur criant : A moi, mes vrais amis ; ce qui est pour un général une singulière manière de commander à ses soldats. Le sire de la Rivière arrêté demeure sur le théâtre pour être témoin de la scène des bijoux, et quand la scène finit, Duguesclin lui fait rendre son épée, lui dît qu'il ne sera plus question de rien, et on ne parle plus de cette aventure. Au troisième acte,le sire de la Rivière annonce qu'il a fait entrer, en secret, du secours dans la ville assiégée, pour dégager le gouverneur de sa promesse envers Duguesclin ; on vient lui dire que sa trahison est découverte et déjouée ; le duc d'Anjou l'exile ; c'est en être quitte à bon marché.

Les personnages de ce drame sont en tout d'une débonnaireté remarquable. Duguesclin est sur-tout prodigieusement sentimental, ne parlant que par sentences sur l'humanité , la sensibilité , le pardon des injures. C'était un excellent homme que Duguesclin, mais il ne passait pas pour être beau parleur ; il n'ayait jamais voulu apprendre à lire, et battait ses maîtres lorsqu'ils essayaient de lui faire prendre sa leçon. Il avait de plus une si mauvaise tournure, que les gens du peuple, que sa réputation attirait en foule pour le voir, se disaient ensuite : Pourquoi avons-nous icy musé et notre métier délaissié à faire pour regarder un tel damoisel, qui est un laid chevalier et mautaillis. On s'étonnait sur-tout de sa figure trapue et de ses gros poings carrés, qui, au reste, tenaient bien ce qu'ils promettaient ; car un jour, dans les prisons du prince de Galles, ayant à se plaindre de son geolier, il le tant battit, qu'il ne put être sur ses pieds de huit jours. Quant aux ressources de son imagination, voici ce qu'on lit dans des mémoires de Duguesclin, écrits il y a environ cent cinquante ans, par un théologal d'Arras, au chapitre intitulé : Stratagémes de Duguesclin. Le duc de Lancastre, qui assiégeait Rennes défendue par Duguesclin, avait fait faire une tour de bois, d'où on lançait sur les assiégés des traits d'arbalête qui les incommodaient beaucoup. « Comme cette tour était très-meurtrière, disent les mémoires, Bertrand (Duguesclin) s'avisa d'un stratagéme pour en rendre les efforts inutiles ; il se mit à la tête des plus braves de sa garnison pour faire une sortie sur les Anglais ; il passa sur le ventre à tout ce qui se présenta pour lui résister, et s'étant ouvert le passage à grands coups de sabre jusqu'à la tour, il y mit le feu malgré les assiégeans ; après quoi il rentra dans la ville à la tête de ses Bretons, se faisant jour à travers de tous les assiégeans qui voulaient l'envelopper ». C'étaient là les stratagêmes de Duguesclin ; je crois que de son temps il aurait joué de bons tours à l'auteur, qui aurait voulu lui donner un pareil rôle dans une pareille pièce.

On juge bien que cet auteur n'a pas été nommé, du moins sur le théâtre. Un journal, moins discret que les acteurs, le nomme M. Dorvo.                          P

Mémorial dramatique ou almanach théâtral pour l'an 1808, p. 47-48 :

La Mort De Duguesclin, drame héroïque en 3 actes; en vers, de M. Dorvo. (27 Juin.)

Tout le monde connaît ce trait de l'histoire de Duguesclin : il faisait le siège du fort de Châteauneuf-de-Randon ; les Anglais avaient promis de se rendre après un delai déterminé , s'ils n'étaient pas secourus. Le délai expire ; mais dans l'intervalle Duguesclin, frappé d'une maladie sérieuse, perdit la vie. L'ennemi tint sa parole ; et pour rendre un hommage éclatant à la mémoire d'un grand homme, ce fut sur le cercueil de Duguesclin qu'il vint déposer les clefs du fort.

Tel est le fait dont M. Dorvo s'est emparé. Comment a~t-il pu se hasarder de faire parler pendant trois actes un homme qui va mourir dans trois heures ? Au premier acte Duguesclin est malade ; au second acte la maladie augmente, et au troisième le héros est mort avec la pièce, au bruit des sifflets, des risées du parterre et des loges ; enfin ce drame a fait beaucoup plus rire que la plus plaisante comédie. Quand ou veut mettre en scène les hommes illustres de la France , il faudrait savoir les représenter dignes d'eux.

D’après la base La Grange, la pièce de Hyacinthe Dorvo n’a pas survécu à sa première représentation du 27 juin 1807.

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