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La Mort de Vincent Malignon

La Mort de Vincent Malignon, trait historique en un acte et en vers, de Gosse, 9 vendémiaire an 3 [30 septembre 1794].

Théâtre de Nantes.

L'assassinat de Vincent Malignon a eu lieu le 2 floréal an 2 [21 avril 1794]. Le site tombe-sepultures.com, dans la page qu'il consacre au Panthéon, évoque le sort de Vincent Malignon, dont le corps n'a pas été retrouvé. Son nom figurera, prévoit le décret de la Convention, sur la colonne du Panthéon. Ses assassins n'ont pas été identifiés, et quatre-vingts habitants de Saint-André de Cuzières furent emprisonnés, jugés, condamnés à mort. Mais la chute de Robespierre leur a permis d'échapper au supplice.

Sur la page de titre de la brochure, à Nantes, de l'Imprimerie constitutionnellement de P.-F. Hérault, an 3 :

La Mort de Vincent Malignon, Agent national de la commune de Clays, département de l'Ardêche, Trait historique en un acte et en vers, par Gosse, citoyen français ; Représentée, la première fois, le 9 vendémiaire, an 3 républicain, sur le théatre de Nantes.

Le texte de la pièce est précédé d'un extrait du rapport du comité de Salut public « sur l'assassinat de Vincent Malignon, Agent national de la commune de Clays, département de l'Ardêche, puis d'une lettre du président de la Convention nationale à la famille de Malignon.

EXTRAIT DU RAPPORT

DU COMITÉ DE SALUT PUBLIC,

Sur l'assassinat de Vincent Malignon, Agent national
de la commune de Clays, département de l'Ardeche
.

Une révolution comme la nôtre, que les derniers excès du vice & de l'oppression ont amenée, ne peut être qu'un combat à mort entre le crime & la vertu.

Le succès n'est point douteux, mais la lutte est pénible ; & trop souvent il faut déposer sur des tombeaux quelques-uns des lauriers destinés à parer le triomphe de la République.

Eh ! comment la vertu n'aurait-elle pas des martyrs, si le crime la manace [sic], s'il déploie contre elle les ressources de la perfidie & les attentats de la fureur ! Inébranlable dans ses devoirs, elle n'oppose aux complots que la prudence & la justice ; aux menaces, qu'un courage à tout épreuve ; aux dangers, qu'un dévouement sans bornes.

Mais, lorsque la vertu, modeste & sans défiance s'oublie elle-même, le peuple vous charge de la défendre, de la couronner, de la venger.

D'une main vous tenez les palmes qu'il destine à l'homme de bien ; de l'autre, les foudres qu'il lance sur les coupables.

Je viens vous presser de déployer ce double pouvoir. Dans une des sections de la République, appellée le département de l'Ardêche, & à peu de distance de la plaine de Jalès, existe une commune où l'amour de la révolution n'a jamais pu s'acclimater : c'est la commune de Creuzières, ci-devant Saint-André.

Les habitants de cette contrée criminelle portèrent toujours avec répugnance le signe sacré de ralliement des hommes libres : ils firent plus, ils foulèrent aux pieds la cocarde tricolore, & l'infame cocarde blanche y fut arborée dès les premiers temps des combats pour la liberté. C'est là que le traître Dusaillant a tramé ses complots ; c'est là qu'il a recrûté publiquement son armée ; c'est là qu'il a rencontré des scélérats dignes de composer son état-major ; c'était là que se ralliaient les conjurés ; c'est de là que sont sortis les brigands qui ont assiégé le château de Banne.

Cependant, au milieu de cette tourbe perverse, l'on distinguait deux patriotes purs & courageux, Vincent Malignon & son fils.

Presque seul pour la cause du peuple, Malignon père veut détromper ses concitoyens égarés : Dusaillant craint les effets heureux des instructions de Malignon père, & du zèle de Malignon fils ; il les fait enlever & jetter dans un cachot. Ils y demeurent long-temps sous la main cruelle des traîtres : enfin, ils parviennent à s'échapper, se refugient d'abord dans d'épaisses forêts, &, à travers mille dangers, rejoignent l'armée des patriotes.

L'orage se dissipe ; les brigands périssent ou sont dispersés ; leurs chefs ne sont plus ; & les braves Malignon reviennent dans leurs foyers. Mais, par une fatalité inexplicable, leur maison était devenue la proie des flammes au milieu de l'embrâsement auquel l'armée avait livré la commune de Creuzières, ce repaire dangereux de contre-révolution.

Vous vous êtes hâtés de réparer ce malheur, & vous avez accordé une indemnité au patriote Malignon.

Il semblait qu'après tant d'épreuves, Malignon père allait goûter en paix les fruits de sa persévérance & de sa vertu ; mais il était réservé à un sort plus glorieux ; il était digne de périr pour la cause pour laquelle il avait tant souffert, & ses perfides compatriotes étaient bien faits pour devenir ses assassins.

Il avait été nommé procureur de la commune de Creuzières. Doux sans mollesse, ferme comme la loi, il exerçait ses fonctions en véritable magistrat du peuple. Survint le décret du 23 août, qui appellait une partie des citoyens à l'honneur de défendre la patrie. Le fils de Malignon, hors de la requisition par son âge, veut donner l'exemple à ses concitoyent [sic] : il s'enrôle & part. Les jeunes gens de sa commune, forcés d'obéir à la loi, partent aussi ; mais, infesté de royalisme, c'est pour eux un tourment de demeurer sous les drapeaux de la liberté ; ils abandonnent lâchement leur poste, & retournent dans leur commune s'unir à ceux qui formaient des vœux contre la prospérité de la République.

Malignon, comme agent national, devait dénoncer cette violation de la loi au district de Tenargues ; il le fait avec son courage ordinaire : quelques lâches sont saisis, les parents qui leur avaient donné asyle sont arrêtés. L'effroi s'empare aussitot des coupables, ils ne voient plus de ressources que dans le cœur bon & généreux de Malignon ; ils courent lui exprimer leur repentir, & le prier de solliciter leur grace.

Malignon se laisse toucher ; il vole au district de Tenargues, l'invite à oublier une faute qu'effacent des regrets sincères, & revient leur annoncer leur pardon : on leur délivre des feuilles de route pour rejoindre l'armée.

Vous pensez peut-être que bientôt, au champ de l'honneur, ils laveront, dans le sang des ennemis de la République, la faute d'avoir oublié un moment leurs devoirs, vous connaîtriez mal les cœurs ulcérés d'aristocratie ; ils sont capables de feindre, ils sont incapables de tout sentiment de vertu.

Les lâches, qui venaient de laisser couler des larmes hypocrites, essaient de nouveau d'échapper à la requisition ; mais, désespérant de tromper une seconde fois leur généreux bienfaiteur.... ô comble de la scélératesse !.... ils projettent de l'assassiner.

Le 2 floréal, vers les dix heures du soir, Malignon revenait du chef-lieu de la commune ; il était à cinquante toises de la dernière maison, lorsqu'un coup de feu l'atteint & le renverse.

Ses meurtriers n'attendent pas qu'il ait rendu le dernier soupir ; ils s'emparent de son corps expirant & ensanglanté, avec une fureur qui n'a d'exemple que parmi les tigres, le traînent à six cents toises plus loin, & le plongent au fond d'un précipice, où ils cherchent à ensevelir, dans un éternel oubli, & leur forfait & leur victime. Mais la trace du sang les trahit ; elle conduit les patriotes à la tombe du malheureux Malignon, & leur crie de punir ses assassins.

Au premier bruit de cet événement affreux, l'indignation & la douleur s'emparent de toutes les ames. Les administrateurs du district, mus par un sentiment qu'ils ne peuvent comprimer, oublient un moment qu'à la Convention seule appartient de décerner les honneurs publics, au nom du peuple entier; qu'elle seule doit régler la division du territoire de la République. Ils ordonnent que le précipice qui recèle le corps de Malignon fera comblé ; qu'une pyramide élevée au-dessus transmettra à la postérité son nom avec le récit du crime qui l'a privé du jour.

Ils font saisir les scélérats sur lesquels tombent de justes soupçons : ils ordonnent l'anéantissement d'une commune qui n'a produit que des monstres, & qui n'a pu souffrir sur son territoire la présence d'un seul homme de bien.

Le comité de salut public, qui est instruit à l'instant, donne des ordres; un commissaire se transporte sur les lieux ; les faits sont recueillis, & un plus grand nombre de prévenus arrêtés.

Cependant, que faisait le jeune Malignon pendant ces scènes d'horreur, qui, en lui enlevant son père, répandaient le deuil & la désolation dans sa famille ? Il versait généreusement son sang pour sa patrie ; il venait de perdre le poignet gauche en combattant les farouches Anglais à Toulon, ses frères d'armes, qui voient son sang couler, l'invitent, le pressent de sortir des rangs ; mais lui, qui ne croit pas qu'un Français doive quitter vivant le champ de l'honneur, répond avec une fierté républicaine, digne du patriote auquel il devait le jour : « Le bras droit me reste, c'en est assez pour manier mon sabre ; laissez-moi, je veux aussi frapper les ennemis de mon pays ». Et il s'élance de nouveau au milieu des hasards.

O saint amour de la patrie ! & vertu ! voilà les hommes que vous formez. Comment se trouve-t-il des cœurs assez dépravés, pour préférer à vos divins attraits les remords déchirants d'une conscience dont s'est emparé le crime!

Vous ne laisserez pas, citoyens, tant de vertus sans récompense. La mémoire de Malignon père est chère à la patrie, la patrie s'empressera de l'honorer : son épouse, ses enfants, peu favorisés de la fortune, doivent retrouver dans la munificence nationale l'appui qu'ils ont perdu. Malignon fils, riche de ses vertus & de celles de son père, doit avoir part aussi aux bienfaits de la République. Déjà sa valeur l'a placé au grade de lieutenant ; mais vous penserez sans doute qu'il a droit à une autre récompense, & vous vous empresserez de lui donner un témoignage éclatant de la reconnaissance publique, en faisant écrire à sa famille une lettre de satisfaction par votre président.

Représentants du peuple, patriotes, vous tous, amis sincères de la liberté, songez que l'union seule fait votre force ; serrons-nous plus que jamais, soyons sourds à toutes les suggestions, poursuivons sans relâche la faction qui veut perdre la liberté ; regardons, frappons comme ennemi du peuple tout ennemi du gouvernement révolutionnaire, qui le défend des attentats de la tyrannie ; et cependant, honorons et vengeons ceux qui sont tombés sous ses coups victimes de leur dévouement héroïque.

Projet de décret :

La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de salut public, décrète :

ART. Ier. Le nom de Vincent Malignon, agent national de la commune de Creuzières-Saint-André, assassiné lâchement par d'infames contre-révolutionnaires, le 2 floréal de l'an II de la République française, sera inscrit sur la colonne du Panthéon.

II. La Convention nationale charge son président d'écrire une lettre de consolation à la famille de ce martyr de la liberté, dans laquelle le président exprimera en même temps la satisfaction de la Convention pour la conduite héroïque que Malignon fils a tenue au siége de Toulon.

III. La veuve et les enfants de Vincent Malignon jouiront d'une pension de 300 liv. chacun, payable par quartier & d'avance, sur la présentation du présent décret, à compter du 2 floréal dernier, jour de l'événement affreux qui les priva de leur époux et père.

IV. Tous les individus arrêtés comme prévenus d'être les auteurs ou complices de l'assassinat de Vincent Malignon, seront traduits au tribunal révolutionnaire, pour y être jugés sans délai. L'accusateur public fera les diligences nécessaires pour découvrir les autres auteurs & complices de cet attentat, & les fera pareillement traduire au tribunal révolutionnaire pour y subir aussitôt leur jugement.

V. Le nom de la commune de Creuzières-Saint-André est supprimé, & remplacé par la dénomination de la commune de Clays, du nom de la rivière qui arrose son territoire.

VI. L'insertion du présent décret au Bulletin tiendra lieu de publication.

Ce décret est adopté.

___________

LETTRE

D U

PRÉSIDENT DE LA CONVENTION NATIONALE

A la famille de Malignon.

Vincent Malignon, martyr de la liberté, est mort pour son pays ; mais il vivra éternellement dans la mémoire des hommes. La convention nationale, en décernant au courageux magistrat du peuple les palmes immortelles des vertus civiques, s'est empressée de placer sous le glaive de la loi les meurtriers de ce généreux républicain. Le décret qui décerne les honneurs publics à Vincent Malignon, et qui ordonne la prompte punition des auteurs de l'attentat commis sur sa personne, a consacré en même temps, et le droit que chacun de vous avait à la bienfaisance nationale, et à la satisfaction que je suis chargé d'exprimer au jeune Malignon, pour la conduite héroïque qu'il a tenue au siége de Toulon. Vous trouverez, les uns et les autres, dans le souvenir des actions vertueuses d'un père, et dans le généreux dévouement d'un fils digne de lui, une consolation réelle, et cette idée touchante et sublime que Vincent Malignon et son fils ont mérité et obtenu la reconnaissance de la patrie.

Signé, Élie Lacoste, président

de la Convention nationale.

La Convention approuve cette lettre.

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