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Le Mariage de Scarron
Le Mariage de Scarron, comédie en un acte meêlée de vaudevilles, de Barré, Radet et Desfontaines. 19 Floréal an 5 [8 mai 1797].
Théâtre du Vaudeville.
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Titre :
Mariage de Scarron (le)
Genre
comédie mêlée de vaudevilles
Nombre d'actes :
1
Vers / prose
prose, avec des couplets en vers
Musique :
vaudevilles
Date de création :
19 floréal an 5 (8 mai 1797)
Théâtre :
Théâtre du Vaudeville
Auteur(s) des paroles :
Barré, Radet et Desfontaines
Almanach des Muses 1798.
Mariage de Scarron avec Mlle d'Aubigné, tel à peu-près qu'il est raconté dans les mémoires du tems.
Le personnage de Scarron assez bien saisi : celui de Ninon-Lenclos fort au-dessous de l'opinion que l'on s'en est formée.
Les auteurs ont vaincu la grande difficulté, celle de rendre supportable l'idée du mariage d'une jeune-personne avec un impotent.
Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Migneret, Desenne, Huet, Brunet, Vente, an 6 – 1797 :
Le Mariage de Scarron, comédie En un acte et en prose, mêlée de vaudevilles ; Par P. Y. Barré, J. B. Radet et F. G. Desfontaines. Représentée pour la première fois au théâtre du Vaudeville, le 19 floréal, an 5, (8 mai 1797, v. st.)
Courrier des spectacles, n° 124 du 21 floréal an 5 [10 mai 1797], p. 2-3 :
[Mettre Scarron sur la scène du Vaudeville, c'est satisfaire un vœu très cher, au moins pour le critique, et il est satisfait par la pièce nouvelle, au succès aussi grand que mérité. Le compte rendu résume l’intrigue en y mêlant des couplets remarqués à la représentation. On voit les amis littéraires de Scarron, étonnés de sa décision d’épouser « une jeune et jolie femme », lui qui est contrefait. Mais s’il a ce dessein, c’est que Scarron veut la faire échapper à sa condition présente, jugée indigne d’elle. A cette action simple, les auteurs ont ajouté une autre intrigue sentimentale mettant en scène « la belle Ninon de l’Enclos » et d’autres épisodes, le tout faisant de la pièce « un vaudeville très-agréable » (mais quid de l’unité d’action ?). Le personnage de Scarron est très bien saisi dans la pièce, et l’acteur qui l’interprète est jugé excellent. Les autres personnages forment un fond réussi au tableau. Presque tout paraît réussi dans la pièce : « saillies fines et délicates », « couplets [qui] ont fait plaisir ». Un seul reproche : la pièce est longue à prendre forme, jusqu’à ce qu’enfin Scarron paraisse. Et les interprètes des principaux rôles sont dignes d’éloges.]
Théâtre du Vaudeville.
Depuis long-temps on desiroit voir sur la scène du vaudeville le facétieux Scarron. Hier ce théâtre offrit au public le Mariage de Scarron ; cette pièce a eu le succès le plus grand et le mieux mérité. Voici qu’elle [sic] est l’analyse de cet ouvrage :
Scarron voulant tirer mademoiselle d’Aubigné du dur esclavage où elle est retenue chez madame de Neuillant, sa parente, conçoit le dessein de l’épouser. Déjà le bruit a couru par toute la ville que Scarron veut subir les loix de l’hymen, quand Ménage, son ami, vient le voir, et lui reproche très-brusquement la folie qu’il va faire de se marier, tout impotent qu’i1 est, avec une jeune et jolie femme ; Ménage lui dit :
Air : Pour bien régaler mes amis.
(Persico).
Oh oui , l'homme le plus parfait
Est souvent trompé par sa belle ;
Et toi, malade et contrefait,
Tu veux trouver femme fidelle.
Scarron lui répond :
Mais sans doute avec mes appas,
Je trouverai cette merveille ;
Un mari comme on n’en voit pas
Doit trouver femme sans pareille.
Ménage, ne pouvant le faire changer de résolution, sort ; Scarron dit à Meaugin, son valet, de prier mademoiselle d’Aubigné de vouloir bien venir un instant ; mademoiselle d’Aubigné arrive ; Scarron lui déclare que son dessein est de l’arracher au sort affreux sous lequel elle gémit ; il lui offre deux moyens, d'accepter une dot pour entrer dans un couvent, ou de l'épouser ; mademoiselle d'Aubigné, par sentiment de reconnoissance, accepte la dernière proposition. On entend les tambours de la ville ; on vient féliciter Scarron sur son mariage ; il dit à Meaugin d’aller remercier les tambours.
Air : Du pas redoublé.
On tambourine mes amours,
Ah pour moi ! quelle gloire :
Vas trouver pour moi les tambours,
Et donne-leur pour boire.
Dis-leur bien que je suis comblé
De leur bonté discrette ;
Mais qu’au lieu du pas redoublé
Ils battent la retraite.
Les auteurs, MM. Barré, Radet et Desfontaines ont ajouté à cette simple action, l'intérêt que la belle Ninon l’Enclos prend pour son ancien amant, M. de Villarceaux. Elle veut réussir à le mettre dans les bonnes grâces de mademoiselle d’Aubigné, pour laquelle il ressent de l’amour. Quelques épisodes ; celui de Giraud, auquel Scarron vend son canonicat ; celui de la jeune fille qui lui est envoyée par Boisrobert et Sarrazin, pour être gouvernante des enfans qu'il peut avoir ; la dot qu’il donne à cette jeune fille pour épouser son amant ; ces épisodes, disons-nous, ont, avec l'action principale, fait du mariage de Scarron un vaudeville très-agréable. Le personnage de Scarron est infiniment bien saisi et rendu avec beaucoup d’originalité par M. Carpentier. Les autres personnages qui ne sont plus que secondaires, comparaison faite avec le rôle de Scarron, ont des nuances de caractères qui font bien ombres au tableau. La brusquerie de Ménage, et les répliques bouffonnes de Scarron, sont très-piquantes. En général, cet ouvrage est rempli de saillies fines et délicates. Beaucoup de couplets ont fait plaisir, et notamment ceux que nous avons cités plus haut. Une seule chose a paru froide et languissante, ce sont les scènes jusqu'à l’arrivée de Scarron ; elles traînent un peu en longueur jusqu’à son entrée ; mais une fois Scarron en scène, la pièce n’a plus rien que d’agréable et d’ingénieux.
Mademoiselle Sara l’Escot a fort bien joué le rôle de mademoiseile d’Aubigné ; M. Duchaume a bien rendu celui de Ménage : et mademoiselle Blosseville a bien chanté dans celui de Ninon l’Enclos.
D. S.
Courrier des spectacles, n° 125 du 22 floréal an 5 [11 mai 1797], p. 3 :
[Défense de la pièce, contre un collègue qui a affirmé avoir assisté à un échec. Même si elle ne repose que sur le rôle de Scarron et qu'elle utilise une anecdote connue de la vie de l'écrivain, elle est gaie. Et elle a été bien jouée.]
Théâtre du Vaudeville.
Nous lisons, dans le Feuilleton des spectacles, que le vaudeville du mariage de Scarron n’a pas réussi. Nous trouvons cette assertion entièrement dénuée de fondement ; c’est le public selon nous, qui juge qu’une pièce a ou n’a pas réussi ; or, ce qui prouve qu’il n’étoit pas du dernier sentiment, c’est qu’il a demandé les auteurs. C’est à la critique à faire connoître les raisons qu’elle a de trouver telle ou telle chose mauvaise ; quant à nous, sans nous aveugler sur les défauts qui existent, nous pensons que le mariage de Scarron n’est pas sans esprit, comme quelqu’un nous l’écrit ; qu’il y a au contraire infiniment de .gaîté et de saillies ; il est vrai, tout est répandu sur le rôle de Scarron, mais cela devoit être pour faire ressortir le principal-personnage. Personne n’ignore le trait du canonicat, la manière dont Scarron marchanda le pot-de-vin et les épingles ; ce sont tous ces petits détails qui rendent l’épisode gai ; sans ces détails, la scène entière ne seroit rien. M. Carpentier rendit hier le rôle de Scarron avec encore plus de perfection qu’à la première représentation. M, Chapelle, dont par erreur d’impression, nous ne parlâmes pas hier, a fort bien rempli le rôle de Meaugin. Nous pensons qu’en faisant des coupures dans les premières scènes, et quelques suppressions dans celle de Scarron et de Giraud, cet ouvrage ne pourra manquer d’avoir, nous le répétons encore, le plus grand succès.
D. S.
Courrier des spectacles, n° 126 du 23 floréal an 5 [12 mai 1797], p. 3-4 :
[Petite querelle entre auteurs de la Société du Vaudeville et petit rappel des règles du savoir-vivre à M. de Ségur jeune.]
Aux Rédacteurs du Courrier des Spectacles.
Du 22 floréal, an 5.
Messieurs,
Voulez-vous bien nous accorder une petite place dans votre journal, pour répondre à une inculpation grave de M. de Ségur jeune, insérée dans le Déjeûner du 21 floréal courant.
M. de Ségur nous accuse d’avoir accablé de plaisanteries cruelles des prêtres infortunés, respectables par leur malheur et leur courage ; et cela, dans une pièce où le mot prêtre ne se trouve pas, car il n’est question que de simples bénéficiers, ce qui, sans doute, est bien différent. En effet, qu’y a-t-il de commun entre des êtres intéressans et dignes de la vénération de leurs ennemis mêmes, et ces chanoines hypocrites, paresseux et gourmands, que Boileau a si fort timpanisés ! M. de Ségur peut-il croire, en conscience, que ce qui regarde les uns, puisse s’adresser aux autres ; et n’est-il plus permis de trouver mal ce qui n’étoit pas bien ?
Nous sommes persuadés que notre intérêt seul a dicté la critique de M. de Ségur ; mais nous lui observerons, qu’ayant assisté à la lecture du mariage de Scarron, il auroit pu nous dire alors ce qu’il imprime aujourd’hui, et que s’il n’a fait ses remarques qu’à la première représentation, il devoit au moins nous les communiquer après la pièce, et essayer de nous convaincre en particulier, avant de nous accuser en public, lui qui est de la Société du Vaudeville, et qui nous aime.
Au reste, la seconde représentation nous a convaincu [sic] comme la première, que le public n’étoit pas aussi farouche dans sa dévotion que M. de Ségur jeune ; il a ri en voyant le valet du poète Ménage, marchander le bénéfice du poète Scarron, comme un aune de drap (1), et n'a rien trouvé-là d’applicable aux prêtres malheureux, à qui chacun de nous voudroit ouvrir ses bras et son cœur.
Les auteurs du mariage de Scarron, Barré, Radet et Desfontaines.
(1) Chacun sait que Scarron a effectivement vendu son canonicat à Giraut, valet de-chambre de Ménage, moyennant 3000 liv.
Courrier des spectacles, n° 128 du 25 floréal an 5 [14 mai 1797], p. 3 :
[Rebondissement, et annonce de la fin d'une polémique en effet assez vaine...]
Aux Rédacteurs du Courrier des Spectacles.
Du 24 floréal.
Messieurs,
A notre réponse, insérée dans votre journal d’hier, M. de Ségur le jeune a répliqué dans le Déjeûner et clans le Miroir, qu’il nous avoit fait des observations, lors de la lecture du mariage de Scarron. A cela nous ne répondrons rien, à moins que M. de Ségur le jeune n'exige une attestation de douze on quinze personnes qui étoient, comme lui, présentes à la lecture de notre pièce, et qui sont prêtes à signer qu’il ne nous a pas dit un seul mot de la scène dont il se plaint aujourd’hui, et que son unique observation a été relative au personnage de Ninon qu’il vouloit nous faire supprimer.
M. de Ségur nous a écrit : nous avons répondu ; il a répliqué : nous avons riposté ; en voilà bien assez sur un objet qui ne méritoit pas l’importance qu’il a plu à M. de Ségur le jeune de vouloir lui donner. La pièce existe, c’est au public à la juger, ainsi que l'intention de celui qui attaque et de ceux qui se défendent.
Les auteurs du mariage de Scarron, Barré, Radet et Desfontaines.
Courrier des spectacles, n° 129 du 26 floréal an 5 [15 mai 1797], p. 2-4 :
[Petit florilège des critiques positives que la presse a publiées sur ce Mariage de Scarron.]
Théâtre du Vaudeville.
Nous avons rendu compte du mariage de Scarron, dans les numéros 124 et 125 de notre journal. Voici le jugement que les autres journaux ont porté :
Feuilleton des Spectacles, 21 floréal.
On a applaudi quelques couplets chantés par M. Carpentier, qui joue avec beaucoup de vérité et de gaîté le rôle de Scarron ; tous les autres rôles de cette pièce n'ont rien de saillant, et l'on a généralement improuvé la scène entre Scarron et le valet de Ménage.
Le Déjeûner, 21 floréal.
Les trois scènes qui précèdent l'arrivée de Scarron, sont un peu traînantes, et peut-être que le rôle de Ninon n'est ni aussi gai ni aussi léger qu’il auroit pu l’être ; tout paroît avoir été sacrifié à celui de Scarron, qui est charmant et plein de saillies. Le public a blâmé le rôle d’un valet-de-chambre de Ménage, qui vient acheter le canonicat de Scarron.
Journal de Paris, 21 floréal.
Le rôle de Scarron, qui n'étoit pas sans difficulté, fait infiniment d’honneur au talent des auteurs. Scarron a de la singularité, ce qu’il faut pour être piquant, et des qualités estimables, une philosophie douce, une gaité imperturbable. Le mariage de Scarron a eu beaucoup de succès. Le citoyen Carpentier, pour qui chaque nouveau rôle est une occasion de développer plus de talent, a été fort applaudi dans le rôle de Scarron. Mademoiselle Sara l’Escot joue le rôle de mademoiselle d’Aubigné avec grâce, simplicité et noblesse.
Journal Littéraire de Clément, 22 floréal.
Le mariage de Scarron a réussi, quoique peut-être quelques scènes épisodiques, ou des critiques un peu longues, sur des objets qui n’existent plus, en retardent la marche, et nuisent à l’effet. Ninon l’Enclos n’y est présentée que de profil, mais avec grâce ; Scarron y paroît avec sa gaité ordinaire, mais plus décente.
Journal d'indications, 23 floréal.
Le mariage de Scarron a eu le plus grand succès. Scarron paroît à-la-fois dans cet ouvrage un homme sensible, un poète galant, un philosophe épicurien. Les rôles de Ninon, de Ménage, du vieux portier, sont peints d’après nature. On voit avec plaisir paroître ces personnages ; leur langage, leur costume ajoutent au plaisir, à l’intérêt; on a déjà beaucoup critiqué un rôle de chanoine plaisamment placé dans ce vaudeville ; on a mal interprété l’intention des auteurs. Ce chanoine, de la façon de Scarron, étoit digne de figurer dans un chapitre du Mans ; il pouvoit prêter à la malignité, à la plaisanterie : mais les auteurs savent respecter sans doute des infortunés.
Ce vaudeville est un des meilleurs ouvrages de ce théâtre ; on y remarque sur-tout de bons couplets, une franche gaité, de l’esprit, de la délicatesse, du bon goût, de la décence et une douce philosophie.
Carpentier a rendu parfaitement le rôle de Scarron ; ce jeune acteur fait tous les jours dans son art les plus grands progrès.
Le rôle de Mlle. d’Aubigné est confié à la jeune Sara ; elle se fait distinguer par un jeu naturel, par beaucoup de noblesse et de dignité.
Le Censeur dramatique, ou journal des principaux théâtres, tome II (1797), n° 11 (20 Frimaire an 6), p. 65-77 :
[Un long article, qui fait l'éloge des pièces comiques inspirées de personnages littéraires.]
Pièces imprimées et représentées.
Extrait.
Le Mariage de Scarron, Comédie en un acte et en prose, mêlée de Vaudevilles, par P. Y. Barré, J. B. Radet, et F. G. Desfontaines, représentée, pour la première fois au Théâtre du Vaudeville, le 19 floréal an 5, (8 mai 1797) prix, 24 sous: chez Migneret, Imprimeur, rue Jacob, n°. 1186, le Libraire du Vaudeville, Desenne, Huet, Brunet, et Vente ; an 6 = 1797.
Cet Ouvrage est du petit nombre de ceux qui réunissent la vérité historique à la fidélité des caractères ; tous les faits sur lesquels il est bâti sont connus, et il y a beaucoup de mérite à les avoir réunis dans le cadre étroit d'un seul acte, et à avoir rassemblé, dans un espace aussi resserré, tant de Personnages connus.
C'est une jouissance pour ceux qui savent apprécier le beau siècle de Louis XIV, de retrouver ici plusieurs hommes célèbres qui contribuèrent à l'honorer. On aime à reconnoître sur la Scène les individus que l'Histoire nous a rendus familiers ; on se plaît à les voir agir, à les entendre; et cette douce illusion nous reporte en quelque sorte au temps où ils ont vécu.
Ce n'étoit pas une entreprise aisée de mettre Scarron sur la Scène, et de lui conserver son caractère historique dans toute sa pureté, sans lui rien faire perdre de son enjouement, et sans l'avilir, en le présentant comme une espèce de -Bouffon : rôle, il en faut convenir, qu'il se plaisoit peut-être un peu trop à jouer.
Les Auteurs de ce joli petit Ouvrage, non-seulement ont su éviter cet écueil, mais ils nous ont représenté Scarron dans toute son amabilité, et avec une teinte de philosophie et de sensibilté qui le fait beaucoup valoir, et inspire pour lui un grand intérêt.
L'intrigue de cette Pièce est fort simple, mais elle sert à mettre le principal caractère en situation d'une manière très adroite.
La fameuse Ninon de l'Enclos, s'appercevant que le Marquis de Villarceaux, son Amant, s'est très refroidi pour elle, et qu'il a conçu une grande passion pour Mlle d'Aubigné, qui est son amie, se sacrifie généreusement pour assurer, par cet hymen, le bonheur de cette jeune personne. Elle part pour Saint-Maur, afin d'obtenir de Mme de Neuillant sa tante, un consentement à la faveur duquel Mlle d'Aubigné puisse librement disposer de sa main.
D'un autre côté, Scarron qui, quoiqu'infirme, cul-de-jatte et Chanoine, a conçu beaucoup d'affection pour Mlle d'Aubigné, l'a fait prier de passer chez lui, et lui propose ou de lui payer sa dot dans un Couvent, ou de l'épouser. Ce dernier parti est accepté avec reconnoissance par Mlle d'Aubigné, dont le cœur est libre, et en qui ce sentiment tiendra lieu d'amour. En sorte que, lorsqu'à la fin Ninon revient avec le consentement de Mme de Neuillant, elle est un peu surprise de ce qui s'est passé pendant son absence ; et ce consentement sert pour un autre que celui en faveur duquel elle l'avoir sollicité. Quelques scènes épisodiques, quoique cependant très bien liées à l'action, jettent de la gaieté dans cette petite Comédie. L'une est le marché que fait Scarron avec Giraud, Valet-de-Chambre de Ménage, auquel il vend 3,400 liv. son Canonicat du Mans, qu'il ne peut plus garder, puisqu'il se marie ; l'autre est l'envoi que de malicieux amis lui font d'une Gouvernanre pour ses enfans ; il la dote avec une partie du prix du Canonicat.
S'il y a un reproche à faire à cet Ouvrage, c'est d'être trop court : peut-être les Auteurs auroient-ils dû donner plus de développement à l'action ; et, avec la quantité de Personnages qu'ils nous offrent, faire deux actes au lieu d'un, n'eût pas été difficile. On regrette surtout que Ninon ne soit pas davantage en Scène.
Tous les caractères de cette Comédie sont puisés dans l'Histoire, et conservés très fidèlement. On leur fait parler à chacun leur langage ; celui de Mlle d'Aubigné est noble, décent, spirituel et fin.
Ninon nous offre cet heureux mélange de gaieté, de bonté, d'amour et de philosophie, qu'une petite teinte de cynisme contribuoit à rendre plus piquant encore. Cette femme, la plus aimable, peut-être, et la plus spirituelle qui ait paru depuis deux siècles, unissoit les vertus d'un honnête homme aux agrémens de son sexe. Malgré la liberté de ses mœurs, elle avoir su se faire des amies des femmes les plus vertueuses, qui se sont toujours très bien trouvées de ses conseils. On sait qu'elle écoutoit dans ses goûts bien moins l'intérêt que le penchant de son cœur ; c'est ce qui les excusoit et les anoblissoit en quelque sorte aux yeux des gens sévères. Elle est l'unique exemple d'une Courtisane qui ait vécu dans la plus haute Société, sans y être déplacée ; dont les femmes recherchèrent la compagnie avec autant d'avidité que les hommes, et dont le nom, devenu à jamais célèbre, commande l'estime presqu'autant que l'admiration. Nous aimerions à voir Ninon sujet principal d'une Comédie. En lui conservant son caractère et son esprit, en la mettant bien en situation, en l'entourant des Gens-de-Lettres et des Grands qui furent ses amis, on réveilleroit encore en nous d'agréables souvenirs (3).
Ménage est bien peint tel qu'il nous est présenté dans les Mémoires du temps, brusque, caustique et franc. Mais il n-'est là qu'esquissé,-et ne paroît en quelque sorte que dans une scène.
Le Marquis de Villarceaux n'a pas un caractère assez prononcé-dans l'Histoire, pour être bien piquant au Théâtre. C'étoit un Seigneur, comme tant d'autres, aimant le plaisir, et ne se piquant pas de constance. Mais il falloit qu'il fût aimable pour avoir captivé Ninon, qui n'étoit pas femme à s'attacher à un homme sans esprit.
Quoique ces divers caractères soient bien traités, c'est surtout pour celui de Scarron que nous réservons nos éloges. Il étoit difficile de le faire mieux ressortir en aussi peu de temps, et de lui avoir fait dire sans affectation, dans quelques scènes, une grande partie des bons mots que l'Histoire du temps a consacrés. Il est sur le Théâtre pendant les seize dernières scènes de la Pièce ; et l'on peut dire que loin d'ennuyer ou de fatiguer, il trouve toujours moyen d'intéresser, d'amuser, ou de plaire. Il varie son ton selon les personnages ; il est bon homme, jovial, homme sensible ; et toutes ces nuances sont rendues avec autant d'esprit que d'art. Ce rôle est vraiment un chef-d'œuvre, et la Pièce une vraie Comédie, qu'avec un peu de soin il n'eût pas été difficile d'arranger sans musique, et qui alors n'eût point été indigne de paroître sur le Théâtre François.
Quand nous disons avec un peu de soin, nous entendons non-seulement un peu plus de développement dans les caractères, mais la révision de quelques fautes dans les détails. Notre oreille, par exemple, a été singulièrement choquée d'entendre, dans la scène 13, Scarron parler du peu de succès du Misanthrope. C'est un anachronisme d'autant plus impardonnable, qu'il n'est personne qui ne sache que ce second chef d'œuvre de la Scène Françoise, n'a paru qu'en 1666, et que Scarron étoit mort dès 1660. Comment MM. Barré, Radet et Desfontaines ont-ils pu faire une pareille faute ? If faut bien compter sur l'ignorance du Public, pour l'avoir hasardée ; car il est impossible d'imaginer que des époques si connues dans notre Histoire littéraire, soient étrangères à ces trois Hommes de Lettres.
Le plus grand mérite de cet Ouvrage est dans les caractères et dans le dialogue. C'est là qu'on trouve les choses les plus fines, les traits les plus piquans. Ainsi les Couplets sont donc en général peu saillans ; et cela doit être ainsi dans tout Vaudeville qui sera vraiment une Comédie. Ce n'est pas à dire cependant que ces Couplets soient dénués de sel et d'agrément. On en va juger par quelques-uns pris au hasard.
Mlle d'Aubigné répond à Ninon, qui la presse de consentir à un mariage avantageux pour elle;
Air: Maman vous a dit dans six ans.
A mon mari n'apportant rien
Que ma naissance et ma misère,
Je lui devrai, je le sens bien,
Mon existence toute entière :
Mais, hélas ! un pareil lien,
Malgré moi, de loin m'inquiète.
Celle qu'on épouse sans bien
Est une Esclave qu'on achète.
Cette dernière réflexion ne se vérifie pas toujours. Combien d'hommes, surtout à Paris, ont épousé des femmes sans fortune, qui n'en sont pas moins devenues les tyrans du ménage ! mais souvent, dans un Couplet, l'antithèse l'emporte sur la vérité : on cherche plutôt à bien dire qu'à penser juste.
Dans la scène très intéressante et très bien faite de Mlle d'Aubigné avec Scarron, c'est ainsi qu'elle l'engage à mettre à l'avenir, dans ses Ouvrages, plus de délicatesse et plus de décence :
Air: Guillot un jour trouva Lisette.
Par un agréable délire,
Un Auteur gai se fait aimer,
Mais lorsqu'il excite le rire,
Qu'il sache se faire estimer.
Quand le rire arrache un suffrage, (bis.)
Désavoué par la Pudeur,
Le Public applaudit l'Ouvrage ;
Mais que pense-t-il de l'Auteur ? (bis.)
Voici comment Ninon tire l'horoscope de Mlle d'Aubigné, qui ne se doutoit assurément pas qu'après être devenue veuve de Scarron, elle épouseroit, à plus de cinquante ans, Louis XIV.
Air: Pauline, au printems de son âge.
Puisqu'aujourd'hui d'un choix si rare
La raison vous fait un devoir,
Sans doute le sort vous prépare,
Ce qu'on ne peut encor prévoir ;
Qui sait si, malgré sa puissance,
Un jour un illustre Barbon
N'envîra pas la survivance
De vos tendres soins pour Scarron ? (bis.)
Nous n'aimons pas trop cette expression de Barbon, en parlant d'un aussi grand personnage que Louis-le-Grand; et nous ne savons trop si l'on peut envier la survivance de tendres soins.
Le Couplet suivant nous plaît davantage. Il est d'autant mieux fait, qu'on a su y conserver presque mot à mot ce que Scarron dicta au Notaire.
Air-: L'Amour galant, c'est son ouvrage.
Elle m'apporte en mariage,
D'abord, deux grands yeux fort mutins ;
Ajoutez un très-beau corsage,
Une paire de belles mains,
Un cœur pur, une ame excellente
Et quatre bons louis de rente :
Mais le plus flatteur, à mon gré,
C'est ce que personne ici ne lui conteste,
Beaucoup d'esprit, que je ferai
Mieux valoir que le reste.
Il étoit difficile de rendre en vers, avec plus de précision, les propres mots de Scarron.
Nous aurions aimé à citer, selon notre usage, quelques Couplets du Vaudeville qui termine la Pièce. Mais, à notre grand regret, nous n'en avons trouvé aucun d'assez saillant. Ce Vaudeville est extrêmement simple, pour ne rien dire de pis, et les Auteurs y ont été fort sobres d'esprit.
On peut juger, par cet Extrait rapide, du mérite de ce petit Ouvrage. A part quelques longueurs dans les premières scènes ; à part quelques plaisanteries usées et de mauvais goût sur les Chanoines, qu'il falloit d'autant moins se permettre, que d'abord ils ne méritoient point ces sarcasmes, et qu'ensuite ils sont aujourd'hui dans le malheur; à part quelques négligences, fautes légères qu'il est si facile d'effacer : cet Ouvrage est l'un des plus jolis, des plus piquans et des plus gracieux qui aient paru depuis long-temps sur le Théâtre du Vaudeville; et ce n'est pas peu dire.
Nous invitons les Hommes-de-Lettres aimables qui ont consacré leur plume à ce Théâtre, à en enrichir le Répertoire de productions pareilles. Avec du soin et de l'esprit, il est peut-être moins difficile de faire réussir ces Pièces anecdotiques que d'autres. Le Public éclairé aime tant à revoir les Hommes célèbres, avec les Ouvrages desquels on a familiarisé son enfance, que pour peu qu'on lui en offre des portraits ressemblans, il est assez indulgent sur les couleurs. Aussi toutes les Pièces de ce genre ont-elles réussi sans exception. Il est si doux d'entendre parler des grands Hommes qu'on s'est accoutumé de bonne heure à révérer, que la reconnoissance qu'on éprouve aide à l'illusion qu'on cherche. D'ailleurs 1a collection de ces Pièces anecdotiques, parmi lesquelles on distingue Piron avec ses Amis, le Menuisier de Nevers, les Troubadours, le Souper de Molière, Santeuil et Dominique, l'Apothéose de Favari, &c., offrira une suite de tableaux très intéressans pour les amis des Arts. Ce sera une petite galerie littéraire, dans laquelle on se promènera volontiers, et où les souvenirs seront égayés par de jolis Couplets. Nous aimerions à voir figurer pour son compte le bon La Fontaine dans cette galerie. Il nous semble qu'il y a-dans sa vie plusieurs traits de bonté et de naïveté qui pourroient plaire au Théâtre.
Nous dirons peu de chose de la manière dont est joué le Mariage de Scarron, parce que l'Amateur du Vaudeville en parlera peut-être un jour dans ses Articles du courant du Répertoire ; et nous ne voulons pas lui dérober la satisfaction de payer à ces Artistes le tribut d'éloges qu'ils méritent. Mais nous ne pouvons nous refuser au plaisir de rendre à M. Carpentier la justice la plus entière et la plus signalée. La manière étonnante dont il joue le rôle de Scarron, sans s'y permettre la plus légère charge, et avec une finesse, un naturel et une vérité également précieux, prouve qu'il est vraiment Comédien, et Comédien distingué. Ce rôle, en donnant la juste mesure du talent de cet Acteur, a fait faire un pas de Géant à sa réputation. C'est à lui à soutenir d'aussi brillantes espérances : en se tenant toujours éloigné de la charge, ressource qu'il faut laisser à la médiocrité, en soignant son jeu et sa diction avec le même esprit, cela, ne lui sera point difficile.
Mme Sara nous paroît aussi avoir parfaitement saisi le caractère de Mlle d'Aubigné. Elle y met un aplomb, une grâce-vierge, une décence, une noblesse, une finesse aimable enfin, qui achèvent de caractériser ce rôle : on voit qu'elle s'y est identifiée avec beaucoup d'intelligence.
Mlle Blosseville rend assez bien celui de Ninon ; et le rendroit mieux encore, sr elle y mettoit un peu plus d'esprit et de finesse.
On voir, par ces détails, que ce petit Ouvrage, qui reparoît souvent sur le Répertoire, est exécuté avec tout le soin qu'il mérite. Si l'Auteur du Roman comique revenoit un instant parmi nous, nous croyons qu'il se reconnoîtroit dans ce portrait, et qu'il ne manqueroit pas de remercier, en style burlesque, MM. Barré, Radet et Desfontaines d'avoir si bien su saisir sa ressemblance.
C'est à eux que nous demanderons ce portrait de La Fontaine, dont nous parlions tout à-l'heure, et dans lequel la bonne Mme de la Sablière, Mme .de Sévigné, Boileau, Racine, Chapelle et Molière pourroient figurer agréablement. Ces Messieurs mériteront de plus en plus des Gens-de-Lettres, en nous retraçant ainsi successivement les actions les plus piquantes de la vie des Hommes celèbres du dernier siècle.
Les Pièces de ce genre sont en effet doublement intéressantes et par les portraits qu'elles nous offrent et -par les souvenirs qu'elles font naître en nous. Nous ne voulons pas exiger que tous les Vaudevilles roulent sur-des sujets littéraires, mais nous pensons que quelques traits de la vie privée d'un Homme de Lettres célèbre, encadrés avec art dans une intrigue légère, et assaisonnés de Complets bien tournés, ne peuvent manquer de plaire aux gens d'esprit, qui forment, à la longue, l'opinion publique. D'ailleurs, ce genre est loin d'être épuisé, il offre encore une moisson abondante et neuve. Les Auteurs du Vaudeville, en exploitant cette mine féconde, ajouteront un fleuron à leur couronne, et pourront ainsi entremêler de quelques lauriers les fleurs qui la composent.
Le Censeur dramatique, ou journal des principaux théâtres, tome II (1797), n° 12 (30 Frimaire an 6), p. 129-140
Correspondance.
Lettre de l'Amateur du Vaudeville aux Auteurs du Journal des Théâtres.
Quelqu'obligeante que puisse paroître pour moi, Messieurs, l'espèce d'invitation que vous me faites à la suite de l'Extrait du Mariage de Scarron, et malgré le zèle qu'elle doit m'inspirer, je ne puis cependant m'empêcher de vous observer que vous m'avez mis vous-même hors d'état de le mettre à profit ; car outre qu'il seroit évidemment bien imprudent à moi de risquer quelques nouvelles réflexions sur cette Pièce, sur-tout auprès de celles que vous avez présentées au Public, vous m'avez ôté jusqu'à la possibilité de contredire ou de discuter avec vous, puisque je ne pourrois le faire sans me mettre en contradiction avec mon propre sentiment, qui est absolument conforme au vôtre au sujet de cette Pièce. Cependant, Messieurs, par un dernier effort d'amour-propre, pour ne pas tromper tout-à-fait votre attente, ou pour éviter le reproche d'être resté sans réponse, je vais essayer d'user de la seule ressource que vous m'ayez laissée, en présentant quelques observations sur les Artistes qui ont contribué au succès du Mariage de. Scarron ; vous y rencontrerez peu d'idées neuves pour vous, parce qu'à vrai dire, elles ne sont guère autre chose que la conséquence et la suite de vos propres réflexions.
Le Mariage de Scarron m'a toujours paru devoir être mis au nombre de ces Ouvrages auxquels on a donné au Théâtre le nom de Pièces à tiroirs, c'est-à-dire, dans lesquelles les scènes sont effectivement comme des tiroirs qu'on peut ajouter ou retrancher à volonté dans un meuble sans nuire aucunement à sa structure principale. Aussi a-t-on vu dans le Mercure Galant, le Procureur Arbitre, et quelques autres Pièces de ce genre, des scènes entières coupées quelquefois, lorsque le défaut d'Acteurs, l'embarras du moment, ou quelques circonstances imprévues l'exigeoient, sans que la Pièce ait pour cela manqué d'ensemble, souvent même sans que !e Public se soit apperçu de la coupure. Ces sortes d'Ouvrages dramatiques ont de tout temps été les moins estimés des Gens - de – Lettres, comme étant ceux qui exigent le moins de conception ; qualité la plus rare et la plus précieuse dans tous les Ouvrages d'Art.
» II y a cependant de grandes difficultés à traiter ce genre, qui, par-dessus tous les autres, demande un fonds inépuisable d'esprit et de détails saillans ; on sent dès lors qu'il peut très-souvent rencontrer sa place, et même très agréablement, dans le Vaudeville, dont le plan doit généralement être très simple, et qui ne doit briller que par les détails ; et je suis même peut-être en droit de m'étonner qu'on n'en ait pas plusieurs fois.fait l'essai sur le Théâtre consacré à ce genre agréable.
» Au surplus, on doit des éloges aux Auteurs du Mariage de Scarron, d'avoir trouvé ce moyen, le seul peut-être de rendre agréable un sujet ainsi ingrat. Il n'est pas difficile en effet de s'appercevoir que la gaieté dans cet Ouvrage ne pouyoit résulter que du ridicule, qui devoit naturellement jaillir du Mariage d'un cul-de-jatte, avec une personne parée des charmes de la jeunesse, de l'esprit et de la beauté. L'on sent parfaitement aussi que ce ridicule devoit être manié avec infiniment de délicatesse pour ne pas rendre méprisable le principal Personnage, qui est en même temps celui sur lequel on a voulu faire reposer l'intérêt. La difficulté étoit grande sans doute ; il falloit que Scarron fût toujours plaisant, et jamais trivial, ni humilié : et c'est là où les Auteurs ont montré toute la finesse de leur talent ; ils ont fait de Scarron le but des sarcasmes, des plaisanteries de ses amis, tous hommes justement célèbres, et parmi lesquels on en compte plusieurs qui ont contribué à embellir le beau siècle de Louis XIV ; et cependant le ridicule ne s'attache jamais sur Scarron personnellement ; il se tire toujours d'affaire, soit par la supériorité de l'esprit, soit par la sensibilité, et se montre toujours supérieur aux plaisans.
» D'abord, son ami Ménage, homme brusque et chagrin, vient le gourmander sur son projet de Mariage, dont il vient d'apprendre la nouvelle. Scarron lui répond d'abord avec beaucoup de gaieté, et finit par lui lire son épitaphe ; et, par cette simple lecture, parvient à le faire rougir de la dureté de ses expressions, envers un malheureux ami, plutôt à plaindre qu'à tourmenter.
» II veut avouer ses projets de Mariage à Mlle d'Aubigné, et il se tire de ce pas difficile par un moyen qui fait honneur à son esprit autant qu'à son cœur, en offrant à cette jeune personne de l'épouser, ou de lui payer sa dot dans un Couvent.
» Une jeune fille bien naïve est envoyée à Scarron par deux autres de ses amis, qui ont eu vent de ce Mariage ; elle se présente de leur part pour être la Gouvernante de ses enfans futurs. Scarron qui sent le piquant de cette plaisanterie, s'en venge en exerçant un acte de bienfaisance envers cette jeune fille, et en la renvoyant dire à ses amis que s'ils savent plaisanter, il sait, lui, placer son argent.
» D'autres railleurs lui envoyent les Tambours de la Ville ; Scarron, étonné du bruit, et après s'être informé du sujet, répond à cette nouvelle plaisanterie par un couplet ingénieux, sur l'Air du Pas redoublé, qu'il adresse à son Domestique.
On tambourine mes amours :
Ah ! pour moi quelle gloire !
Va trouver Messieurs les Tambours,
Et donne-leur pour boire,
Dis-leur combien je suis comblé
De leur bonté discrète :
Mais qu'au lieu du Pas redoublé,
Ils battent la Retraite.
» Enfin, vis-à-vis de M. de Villarceaux son rival, il feint d'avoir peur et de craindre le duel, et feint d'implorer le secours de Ménage, qui revient en ce moment.
» Après avoir donné aux Auteurs le juste tribut d'éloges qu'ils méritent, et être entré dans quelques détails sur le plan de cette Comédie, qui étoient indispensables à. mon sujet, je vais me hâter de remplir la tâche que je me suis imposée, en analysant de mon mieux le talent des Artistes qui ont paru dans cette Pièce qui a fait ou confirmé la réputation de plusieurs Acteurs de ce Théâtre, où peu d'Ouvrages ont été joués avec plus d'ensemble et de soin.
» C'est un des avantages du genre de Pièces dont nous venons de parler, que l'Auteur étant à-peu près le maître des caractères qu'il glisse, dans ses Scènes, peut 1es choisir tous très saillans, et sur-tout les faire contraster l'un par l'autre par la manière dont il les place ; par conséquent donner beaucoup d'éclat et de moyens de se montrer aux sujets qu'il emploie. Mais en revanche un défaut assez commun dans ces sortes d'Ouvrages, c'est qu'il s'y rencontre presque toujours un personnage nul, espèce de pivot. autour duquel tournent tous les autres, et que l'on voit évidemment n'être mis là que pour être le Compère des interlocuteurs, leur donner leurs répliques, et leur fournir les occasions de se faire applaudir. Celui qui remplit un tel peronnage est absolument la victime de ses camarades, ce qui ne peut se faire qu'en jetant un peu de ridicule et même de froid sur la Pièce elle- même, où il ne figure que comme un bouche-trou.
» Les Auteurs du Mariage de Scarron ont non-seulement évité cet inconvénient, mais encore donné le caractère dominant au personnage qu'ils ont rendu le pivot de leur Pièce ; c'est Scarron lui-même qu'on apporte sur la Scène dans une chaise roulante et qui ne bouge pas de places jusqu'au moment où tombe la toile. On sent ce que l'intérêt y gagne.
» M. Carpentier a été chargé de ce rôle important, qui a fait faire un très grand pas à sa réputation, et c'est en effet, et sans contredit, celui dans lequel il est placé le plus avantageusement. Sa diction y est pure et mélangée du ton de la gaieté et de la sensibilité ; la manière dont il fait à Ménage la lecture de son épitaphe, est extrêmement touchante, et arrache deslarmes ; enfin l'illusion gagne les Spectateurs, qui croyent en lui voir réellement Scarron, d'après les-notions que l'Histoire nous donne sur cet homme original.
» L'Observateur peut trouver dans ce rôle les moyens d'apprécier et d'analyser les talens de M. Carpentier, qui est bien loin d'avoir ailleurs cette supériorité. Je me bornerai à rédiger ici les différentes opinions que j'ai entendu énoncer à ce sujet, bien persuadé que cela ne pourra que tourner au profit de l'Art, et que M. Carpentier lui-même, dont le caractère m'est bien connu, ne prendra qu'en bonne part les observation que je me permets.
» Un des grands avantages qui résultent de ce rôle en sa faveur, est la situation dans laquelle il se trouve, et qui lui ôte l'embarras des positions, ainsi que des gestes de main en grande partie. Or, c'est une remarque que l'on a pu faire sur cet Artiste, que dans plusieurs de ses autres rôles, et notamment dans les Valets, il.manque souvent d'aplomb, et que ses gestes de main le mettent dans un embarras visible ; je m'empresse donc de profiter, pour lui adresser cette observation, de l'occasion du Mariage de Scarron, qui beaucoup mieux que ce qu'on auroit pu lui dire, lui prouvera d'une manière évidente que du moment où il aura su se corriger de ce défaut beaucoup plus essentiel qu'il ne le croit, il pourra espérer de joindre le suffrage des Gens de goût à celui du Public, à qui il est déjà depuis long-temps en possession de plaire. On l'engage aussi à donner un peu plus de mobilité à sa physionomie, qui est souvent un peu froide, en évitant cependant le genre grimacier, qui est le pire de tous. On lui reproche enfin la mauvaise habitude de lever presque continuellement les sourcils, ce qui fait rider désagréablement son front, sans rien ajouter à la vérité de l'expression de son visage. A travers ces légers défauts, je suis le premier à rendre justice au naturel et à la gaieté qu'il répand dans presque tous ses rôles.
» J'aurai peu de choses à dire sur Mme Blosseville, qui remplit dans cette Pièce le rôle de Ninon de Lenclos, qui, quoiqu'il soit le plus saillant de l'Ouvrage, a été rendu avec une foiblesse telle qu'il n'a produit presqu'aucun effet. Nulle dignité, nulle noblesse, nulle finesse, nulle grâce dans le maintien, une diction d'une monotonie accablante, enfin un déhanchement dans la marche, qui rend méconnoissable une Artiste qui a obtenu jadis dans le rôle de Suzanne des succès mérités.
» M. Hyppolite a été vu avec plaisir dans le rôle de Giraud, qui, quoique très comique, a paru révolter plusieurs personnes auxquelles il a semblé odieux. Je m'abstiendrai de toutes réflexions sur ce sujet, qui, dans le temps, a été assez amplement discuté.
M. Lenoble a rendu avec beaucoup d'intelligence et de vérité le rôle de Menage ; il a fait regretter de ne le pas voir employé plus souvent et plus utilement.
» Quant à Mme Sara, elle a approfondi le rôle peu signifiant de Mlle d'Aubigné d'une manière• toute particulière ; elle s'est sacrifiée à la Scène et à la vérité, en se gardant bien de confondre Mlle d'Aubigné , jeune personne dans l'âge de l'innocence et de la pudeur, avec Mme de Maintenon, veuve de Scarron, et femme de Cour. Tout son jeu s'est ressenti de cette distinction bien faite et bien sentie ; une grande décence dans son maintien; une belle simplicité dans sa diction, même dans sa scène avec Ninon ; mais beaucoup de noblesse et de grâce partout où elle en a pu mettre ; les yeux presque toujours baissés, et ne les relevant qu'avec lenteur ; un mélange de douceur et de modestie bien difficiles à saisir. On ne sauroir dire avec meilleur ton et plus de délicatesse, la période dans laquelle elle engage son Mari futur à épurer son style, auquel elle reproche un peu trop de liberté. Au surplus, comme je ne serois que l'écho de toutes les personnes qui sont témoins des succès journaliers de Mme Sara, et qu'en lui prodiguant des éloges, je ne tiendrois qu'un langage trop rebattu, je crois, Messieurs, que, même pour le bien de l'Art, on doit suivre une autre marche-vis-à-vis de cette Artiste inttéressante. Semblable à ces chef-d'œuvres de l'Art typographique, qu'un fameux Imprimeur exposoit jadis à l'examen du Public, en promettant récompense à quiconque y pourroit découvrir quelques légers défauts, je m'appliquerai, non pas à faire remarquer les nombreuses beautés qu'on peut trouver en elle, mais plutôt à découvrit ces légers défauts que les prestiges de l'Art empêchent d'observer dans son jeu ; et pour commencer à remplir cette tâche difficile, je lui adresserai quelques reproches sur son peu de coquetterie et de soin dans ses toilettes, sur-tout depuis quelque temps ; et quoique le costume dont elle a fait choix dans le Mariage de Scarron, soit parfaitement bien entendu, je crois lui pouvoir observer qu'il est un peu trop fané pour pouvoir convenablement figurer, surtout à côté de l'habillement éblouissant de paillettes, dont est parée Ninon de Lenclos, qui, à la vérité, devoit être mise beaucoup plus richement que Mlle d'Aubigné ; mais certes la fille adoptive de Mme de Neuillant n'eût jamais osé se montrer en public qu'avec une parure dont l'ordre, et surtout la propreté, ne déshonorassent pas son rang et sa naissance. Au surplus, comme mon dessein n'est nullement de lui déplaire, et que d'ailleurs je ne sais pas au juste à qui doit s'adresser ce reproche, je n'y insisterai pas davantage.
» Mlle Fleury a déployé, dans le petit rôle dont elle est chargée, un naturel précieux. Nous engageons cette jeune personne à articuler un peu davantage sa diction, surtout dans le chant, dans lequel on perd, avec elle une grande partie des paroles. Nous l'engageons surtout à soigner sa santé; car le défaut de moyens, causé pair la foiblesse de sa poitrine, est à-peu-près le seul reproche que nous ayions à lui faire, du moins pour l'instant ; il l'empêche de tirer un parti plus avantageux du talent de diction et de sensibilité qu'elle a reçu de la Nature, et auquel elle joint une figure agréable, dans laquelle la finesse se mêle à la douceur.
» Voila, Messieurs , à quoi se bornent les observations que j'ai été à portée de faire sur les Artistes qui ont paru dans Scarron, dans les 2 ou 3 représentations que j'ai vues de cette Pièce ; je desire que ces observations, que je soumets d'ailleurs à vos lumières, puissent trouver grâce devant vous, et-.surtout ne pas déplaire aux Artiste à qui je les adresse, qui ne,verront jamais en moi qu'un Amateur de leur Art, et même un Proclamateur de leur talent, toutes les fois que l'occasion m'en sera présentée.
» J'ai l'honneur, &c.
L'Amateur Du Vaudeville.
Magasin encyclopédique, ou Journal des sciences, des lettres et des arts, 3e année (1797), tome I, p. 247-249 :
On doit savoir gré aux auteurs du Vaudeville d'avoir choisi pour sujet les hommes les plus distingués du siècle de Louis XIV et du commencement du règne de Louis XV. Ces personnages inspirent toujours un intérêt réel ; et en plaçant ingénieusement les mots heureux qui leur sont échappés, on est sûr de réunir des traits de comique ou de sen.timens naturellement faits pour plaire : c'est, en outre, un moyen de rappeler à une jeunesse frivole des hommes qu'il seroit glorieux d'imiter, de lui apprendre quelques anecdotes que les gens du monde même ne doivent pas ignorer.
Ces sortes d'ouvrages ne sauroient peut-être réussir qu'au Vaudeville, parce que la vie de ces écrivains ne peut pas offrir des événemens propres à faire une bonne comédie dans toutes les règles de la poétique ; mais des anecdotes touchantes ou gaies peuvent aisément être le sujet d'un petit acte sans prétention, où l'on ne demande que de l'esprit, de la grâce et de la.gaieté dans les couplets.
C'est sous ce rapport que les ouvrages de ce genre donnés au Vaudeville, tels que le Menuisier de Nevers, le Souper de Molière, Santeuil, Piron avec ses Amis, ont été applaudis, et principalement ces deux derniers ouvrages ; le mariage de Scaron mérite de leur être associé.
Les auteurs ont mis ingénieusement en opposition deux prétendant à la main d« Mademoiselle d'Aubigné qui forment un contraste plaisant, le beau et
galant Villarceau et le malade et galant Scaron. Mademoiselle de Lenclos, qui s'apperçoit du changement de son amant Villarceau, et de son goût nouveau pour Mademoiselle d'Aubigné, au lieu de lui faire des reproches, sert son amour , et va demander le consentement de Madame de Neuillan, qui prend soin de Mademoiselle d'Aubigné.
On voit l'abbé Scaron dans sa chaise roulante auprès de ses papiers. Menage survient ; il apprend la folie que Scaron veut faire de se marier ; il veut l'en détourner : efforts inutiles, celui-ci répond par des plaisanteries. Mademoiselle d'Aubigné est introduite ; c'est le moment où Scaron va lui demander sa main ; il est critique ; il lui expose d'abord les mauvais procédés dont il sait que Madame de Neuillan assaisonne ses bienfaits ; il lui fait voir sa personne en butte aux entreprises des courtisans ; le mépris et l'abandon qui l'attendent si, sans fortune, elle épouse un homme riche ; il n'y a pour elle cependant d'autre parti que le couvent ou le mariage ; il lui offre son argent pour le couvent ou sa personne pour le mariage ; l'amitié et la reconnoissance décident Mademoiselle d'Aubigné ; elle l'accepte pour époux.
Le bruit du mariage de Scaron se répand ; ses amis, Voiture, Chapelle, Boisrobert lui font, à ce sujet, différens tours.
Voiture lui envoie Babet, jeune paysanne, pour être la gouvernante de ses enfans. Scaron apprend que Babet veut entrer en service seulement pour gagner cinquante écus, afin d'épouser son amant ; Scaron lui donne cent écus dans la crainte de les faire trop attendre.
Il donne pour boire aux tambours de la ville, envoyés par Boisrobert, et les prie de battre la retraite au lieu du pas redoublé.
Enfin il vend son canonicat du Mans au valet de chambre de Ménage, après s'être bien assuré qu'il a les sept péchés capitaux, et qu'ainsi il est propre à être un bon chanoine. Ninon arrive avec le consentement de Madame de Neuillan à ce que Mademoiselle d'Aubigné dispose de sa main ; elle a cru servir Villaneau ; mais celui-ci n'est que le témoin du bonheur de Scaron, et il est forcé de signer son contrat.
Cette jolie petite pièce est des citoyens Radet, Barré et Desfontaines.
Elle a été jouée avec infiniment de naturel et d'esprit par le citoyen Carpentier, et tout le monde a applaudi les grâces et la décence de la citoyenne Lescaut dans le rôle de Mademoiselle d'Aubigné.
Les costumes sont bien observés, à l'exception de celui de Ninon , qui est très brillant , mais d'un goût trop moderne.
Magasin encyclopédique, ou Journal des sciences, des lettres et des arts, 3e année (1797), tome I, p.556 :
[Un nouveau couplet, ajouté à la pièce pour faire taire une polémique : la question de la fermeture des couvents est une question d’actualité.]
Les trois auteurs de la jolie pièce du Mariage de Scarron ont détruit, d'une manière charmante, le reproche qu'on leur a fait d'avoir nui à l'intérêt que 1es prêtres malheureux doivent inspirer. Scarron, pour justifier le prix exorbitant de son bénéfice, dit qu'il a besoin d'argent pour venir au secours d'une pauvre religieuse, dont le couvent a été supprimé :
Air : Aimé de la Belle Ninon.
Dans un couvent paisiblement
De ses jours on attend le terme,
Et voilà que subitement
Un beau jour le couvent se ferme.
Fermer les couvens , est-ce bien ?
On peut sur çà faire un gros livre ;
Mais du moins à ceux qui n’ont rien
Faut-il assurer de quoi vivre?
Ce couplet a été vivement applaudi.
D’après la base César, la pièce a été jouée 28 fois en 1797 (à partir du 8 mai), 37 fois en 1798, 22 fois en 1799 (toutes les représentations au Théâtre du Vaudeville, sauf celle du 10 décembre 1798 (au Théâtre du Marais).
(3) On sait que Voltaire, dont Ninon avoit-chéri l'enfance, et que même elle avoit couché sur son testament, a mis sur la Scène, dans sa Comédie du Dépositaire, l'un des beaux traits de la vie de cette. femme, célèbre par sa probité, autant que par son esprit. Mais Voltaire, si bien traité par les autres Muses , n'a jamais été l'enfant gâté de Thalie ; aussi cette Pièce est-elle un Ouvrage à refaire.
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