Le Ministre Anglais

Le Ministre Anglais, comédie en cinq actes et en vers, par M. Ribouté ; 26 février 1812.

Théâtre Français.

Titre :

Ministre anglais (le)

Genre

comédie

Nombre d'actes :

5

Vers ou prose ?

en vers

Musique :

non

Date de création :

26 février 1812

Théâtre :

Théâtre Français

Auteur(s) des paroles :

François-Louis Riboutté

Almanach des Muses 1813.

L'auteur paraît avoir eu la prétention d'offrir au public une pièce à caractère ; mais il s'est embarrassé dans les fils d'une intrigue que les spectateurs ont eu beaucoup de peine à débrouiller. Un ministre ambitieux, mais d'un caractère fier et généreux, se trouve dans la nécessité pénible de choisir entre son avancement et l'intérêt de son amour. L'amour l'emporte après de longs combats. Sa disgrâce est assurée ; ses amis l'abandonnaient, lorsqu'un de ses secrétaires, le jeune Wilson, qui vient de recueillir une succession immense, vient à son secours, et sauve l'honneur du ministre en lui prêtant une somme considérable dont il avait le plus pressant besoin. Celui-ci, touché de ce noble procédé, lui accorde la main de sa nièce, et quitte le ministère après s'être uni à celle qu'il aime. Tel est en peu de mots le fond de cette pièce. L'auteur l'a surchargée de nombreux épisodes qui fatiguent l'attention sans ajouter beaucoup à l'intérêt. On a remarqué quelques tirades fortement écrites ; mais en général le style est très-négligé, et le dialogue froid et sententieux n'est point celui de la comédie.

Peu de succès.

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez J. G. Dentu, 1812 :

Devant le peu de succès de sa pièce, Riboutté a cru bon de faire précéder le texte du Ministre anglais d'une préface justificatrice, que Geoffroy se fera un plaisir de critiquer vertement :

Préface1

Je livre à l'impression mon second ouvrage, joué sur le Théâtre Français, et je donne à mes lecteurs le tableau fidèle d'une persécution aussi cruelle que peu méritée, et qui a pour principe le succès de l'Assemblée de Famille. Je ne m'abusai point sur les défauts de l'ouvrage, ce succès me flatta sans m'éblouir ; mais j’étais loin de penser que je lui devrais bientôt des ennemis dangereux et puissans. Ceux qui m'ont calomnié, persécuté ont-ils eu a se plaindre de mes procédés, de mon orgueil ? Quels sont mes torts à leur égard ? Leur ai-je disputé quelques faveurs ? Non : je n’ai jamais rien sollicité. Les éloges accordés à l'Assemblée de Famille ne m'ont point donné l'assurance qui favorise souvent une louable ambition. J’avais reçu du public indulgent, une faible branche de laurier, mais je la dérobais à tous les regards. Je craignais jusqu'aux éloges, tant jétais convaincu de peu les mériter, tant j’étais étonné de les obtenir ! Cependant l'Envie sema contre moi les bruits les plus injurieux : elle dit que je fesais de grands sacrifices, que j'achetais les suffrages du public, ainsi que ceux inserés dans le feuilleton du Journal de l'Empire ; en un mot, que je devais cet instant de bonheur à une honteuse prodigalité(1).

J'ai fait de grands sacrifices ! Et comment ? Suis-je allé frapper à toutes les portes pour chercher des spectateurs ? Ai-je trouvé des êtres assez vils pour servir ma vanité ? Mais la salle n'a-t-elle pas offert pendant le cours des représentations de l'Assemblée de Famille le tableau d'un public indépendant et incapable de bassesses.

A chaque représentation, disent mes ennemis, je prenais une grande quantité de billets d'avance(2). Que le caissier du théâtre s'explique ! Je n'ai jamais reçu que ceux indiqués par l'usage ; j'ai suivi la règle commune.

Ils disent que, dans ma libéralité, j'ai abandonné mes droits d’auteur au théâtre. M. Sauvan, fondé de pouvoir de beaucoup d'hommes de lettres, les a toujours reçus.

J'ai payé les suffrages du public ! Mais une simple réflexion suffit pour me justifier. Peut-on acheter les larmes des pères, des mères, des enfans, de tout un public rassemblé ? J’en appelle à ceux qui ont honoré de quelques pleurs le sort de ma jeune orpheline. Ces pleurs ! feignaient-ils de les répandre ? Que chaque spectateur n’écoute pas un bruit vulgaire, mais interroge son ame. S'il peut se dire : oui, je me suis attendri, j'ai pleuré ; les sensations de l'ame étant les mêmes pour tout le monde, la cause du succès ne se trouve-t- elle pas dans cet intérêt qui fait couler des larmes ?

Le Journal de l'Empire donne des éloges à l'Assemblée de Famille, et mes ennemis s'empressent de calomnier ces éloges. Mais, n'y a-t-il que ce journal, qui ait dit du bien de l'Assemblée de Famille ?

Le Moniteur poussait même l'indulgence jusqu'à dire que le style de cet ouvrage rappelait en quelque sorte celui de M. Colin-d'Harleville. Avais-je sollicité cette faveur que je ne méritais à aucun égard ? Quatre ans se sont écoulés, et je ne connais point M. Sauvo.

La Gazette de France a fait plusieurs articles sur cette comédie, et toujours les éloges ont balancé la critique. Je ne sais pas encore quel était son rédacteur.

Les articles du Publiciste, rédigés par madame de Meulan, étaient écrits avec goût et avec modération. Madame de Meulan avait-elle reçu mes visites ? je n'ai jamais eu l'honneurde la voir.

Je connaissais alors très-peu MM. les rédacteurs du Courrier de l'Europe, du Journal de Paris, Voyez les articles de janvier 1809. Quelle mesure ! Quelle sagesse dans la discussion ! Quelle urbanité dans les termes(3) !

Cette réunion de tous les journaux, modérés dans leur critique et trop indulgens dans leurs éloges suffisait, sans doute, pour justifier l'empressement du public.

L'Institut, dans son rapport sur les prix décennaux, a parlé de l'intérêt qui se trouve dans cet ouvrage. Mes ennemis feignent de ne pas l'apercevoir, et supposent que, pour obtenir un peu de renommée, j'ai employé des moyens bas, honteux, et, j'ose le dire, indignes de la franchise de mon caractère. Mais est-il une seule action dans les habitudes de ma vie, qui puisse autoriser ce soupçon ?

Dès ma première jeunesse, j'ai consacré dans tous les tems, chaque jour, quelques heures à l'étude. J'ai souvent esquissé des plans dramatiques; j'en ai rempli quelques-uns, et je n'ai jamais confié ces faibles essais qu'à l'amitié la plus discrète.

Avant l'Assemblée de Famille, j'avais à peine fait imprimer quelques vers ; je craignais même d'en lire. Je ne travaillais que par penchant, par délassement, pour exercer mon imagination qui ne sait pas rester oisive. C'est le hasard qui m'a fait présenter l'Assemblée de Famille au Théâtre-Français : elle était dans mon porte-feuille depuis une année, et je ne songeais pas à la faire connaître ; tout-à-coup, un désir de gloire, sans mesure comme sans pudeur, serait venu maîtriser mon ame, et me faire sacrifier jusqu'à l'estime de moi-même !... En vérité, mes ennemis ont une logique bien contraire à la marche de l'esprit humain ! Je me suis beaucoup trop étendu sur ces calomnies ; mais je devais cette explication à des lecteurs peut-être prévenus, et j'entre dans quelques détails sur ce qui s'est passé pendant les cinq premières représentations du Ministre Anglais. On y verra les effets de cette calomnie qui me »poursuit depuis si long-tems.

Mes ennemis attendaient une scène hasardée au troisième acte, pour commencer le tumulte. Le public, dans cette occasion, m'a donné une grande preuve.de bienveillance. Quel intérêt, quel charme doit offrir un ouvrage de ce genre, lorsque la pensée du spectateur, distraite par le bruit, n'embrasse point le plan de l'auteur, et ne peut pas suivre la marche des évènemens ? Les situations sont alors sans effet, le dialogue sans vie, le style sans couleur ; en un,mot, il n'y a point de comédie.

Le lendemain de la première représentation, les journaux ont déchiré l'ouvrage de la manière la plus cruelle, et je le dis sans amertume, mais pour expliquer les faits, quelques articles annonçaient une joie secrète dans leurs rédacteurs : on eût dit que ce qui devait m'inquiéter était pour eux un superbe triomphe. Cependant, deux journaux donnaient quelques éloges au Ministre anglais ; ils attendaient pour prononcer sur l'ouvrage, une seconde représentation : l'un était le Journal de l'Empire, et l'autre le Journal de Paris.

La seconde représentation, écoutée par un public impartial, dans le plus grand calme, a réussi. Le devoir de tous les rédacteurs, même sans égard pour les procédés, était de dire la vérité, ce qu'ils avaient vu, ce qui s'était passé ; que l'auteur avait obtenu la récompense de ses efforts, un peu d'encouragement ; que son nom avait été proclamé.... Est-il un seul journal qui ait rempli ce devoir ? Ainsi, la critique a renoncé à son plus beau privilége, à la jouissance de consoler un auteur mal entendu, ou jugé trop précipitamment.... Ensuite, elle devait examiner toutes les parties de l'ouvrage, le plan général, les scènes et le style. C'est sur ces discussions, sagement établies, écrites avec goût et avec décence, que les hommes, rassemblés au spectacle, forment de bons jugemens, que l'auteur peut avancer dans la carrière : c'est alors que l'art de la critique mérite d'être protégé. Mais quel est donc son but, lorsque par des diatribes sanglantes, dirigées contre un ouvrage, sans examen, sans analyse, sans méthode, et dans un style souvent barbare, elle éloigne le public, décourage les acteurs, et détruit l'espoir d'un auteur qui a fait de grands efforts pour concevoir et achever une comédie en cinq actes ?

Le célèbre critique du Journal de l'Empire, en exposant, dans son Feuilleton, d’une manière favorable le plan du Ministre anglais, avait annoncé de nouveaux articles(4). Pourquoi le Feuilleton promis a-t-il été remplacé par un dialogue insipide et injurieux, renfermé dans le corps du journal ?

Le Journal de Paris, dans un article rédigé par un littérateur très-distingué et très-indépendant dans ses opinions, a donné quelques éloges au Ministre anglais : on choisit un autre rédacteur pour continuer la critique de la pièce. L'article prouve que ce choix n'avait, point pour but de ménager l'auteur.

Il est encore un moyen de succès, même pour un ouvrage médiocre, et je place le mien dans cette hypothèse ; c'est de rendre justice aux acteurs, et pas un journal n'a parlé de M. Fleury dans le rôle du Ministre, de M. Damas dans celui de Wilson, etc. etc.

Le plan de mes ennemis s'est signalé par .des diatribes et par le silence(4). C'est l'esprit d'opposition qui rend la critique aimable, piquante et utile aux hommes de lettres ; mais il n'y a plus de littérature, lorsque des hommes, tous grouppés sur un seul point, forment une espèce de secte, et maîtrisent l'opinion publique.

Comment ! dans le Ministre anglais, il ne se trouve pas une seule scène, une seule tirade, un seul vers qui mérite des éloges ? Et par quelle fatalité les rédacteurs, qui toujours mêlent à la critique des encouragemens, même pour les plus petits ouvrages, sont-ils tous sortis de leur caractère ?.... Une comédie en cinq actes, qui soutient les épreuves de la représentation (le Ministre anglais est à la sixième), quels que soient ses défauts, mérite des égards. C'est un ouvrage de longue haleine, c'est. une tâche difficile à remplir, et le siècle n’offre point de Molière, de Regnard, de Destouches, j'ajouterai même de La Chaussée ; car c'est quelque chose, dit La Harpe, qu'un style toujours pur et toujours élégant ; c'est quelque chose que d'être encore joué avec succès cent ans après sa mort(5). Je ne fais pas rire, disent mes censeurs, et ils me traitent avec une sorte de dédain. Mais sont-ils donc si plaisans ? Admirons cette gaîté qui naît d'une situation neuve, des ridicules bien observés, de tous les temps, de tous les lieux dont la source est inhérente au cœur humain ; mais mettons à sa juste place cette bouffonnerie fondée sur quelques traits, ou sur des caractères bas, indignes de la noblesse de notre scène. Le théâtre français est un beau monument qu'il faut conserver dans toute sa pureté. Le mauvais goût le menace de toute part(6). On ne saurait trop en soutenir la dignité dans la conception des ouvrages dramatiques, dans les caractères, dans le style. Cette franchise si vantée, et si digne de l'être, a besoin d'être définie : elle est un écueil. Tout le monde admire le style naïf de La Fontaine : qu'un fabuliste cherche à l'imiter ; s'il n'est pas trivial, il a trouvé le secret de ce grand homme ; mais pas un écrivain ne se présente. Il en est de même de la franchise de l'admirable Molière.

Le Ministre anglais est en quelque sorte suspendu(7). Je ne saurais m'en plaindre : pourquoi donner un ouvrage lorsque l'auteur est privé des droits accordés à tous ceux qui cultivent les lettres ? Des hommes, dont je respecte les talens, ont trouvé le sujet et les situations de cette comédie dignes de la scène ; mais j'espère, par de nouveaux efforts, donner plus de mouvement et d'intérêt à l'action, et justifier l'indulgence du public qui l'a honorée de son suffrage.

Je ne quitterai pas la plume sans repousser d'horribles calomnies, devenues assez générales pour mériter une justification de ma part.

La découverte de Conaxa. a fait naître une querelle littéraire : elle a troublé les jouissances de l'auteur des Deux Gendres, et la calomnie s'est empressée de m'accuser de soufler le feu de la discorde. A l'entendre, j'ai trouvé ce manuscrit, j'en ai répandu des copies, fait des lectures, j'ai tout préparé, tout arrangé, tout payé ; enfin, sans. moi, cette pièce serait encore ignorée. Qu'est-il résulté de tous ces propos ? Le voici : mes détracteurs se sont réunis pour crier au scandale, les indifférens m'ont blamé, mes simples connaissances ont douté, et mes amis (le nombre en est très-borné) ont répété partout : Il ne s'est mêlé de rien ; mes. amis seuls ont eu raison.

Puisque la calomnie veut jouir du double privilége de me persécuter et de me donner le nom de persécuteur, je vais expliquer tous mes torts à l'égard de l'auteur des Deux Gendres, mais je n'ai pas la pensée de me justifier à ses yeux, c'est au public seul que je m'adresse.

On parlait dans le monde, depuis huit ou dix jours, de Conaxa, lorsque je fus informé que des copies de cet ouvrage se trouvaient dans plusieurs mains. J'en lus même d'assez longs fragmens, mais je croyais ces fragmens infidèles ; je n'avais rien comparé, et je ne me permettais aucun jugement. D'ailleurs, cette découverte n'était pour moi d'aucune importance(8). Cependant, j'appris que l'on faisaitrcirculer que je devais faire une lecture de Conaxa dans un lieu public. Indigné de cette fausse supposition, j'eus l'honneur d'écrire de suiteà S. E. le ministre de la police genérale, pour démentir ce fait controuvé, et que je regardais comme très-injurieux.

Ce bruit prit quelque consistance. Les administrateurs du théâtre de l'Odéon me firent l'honneur de venir chez moi, pour me demander des renseignemens sur Conaxa, et me prier de leur en remettre le manuscrit, parce .qu'ils voulaient. monter la pièce. Je leur répondis que j'ignorais absolument l'existence de l'ouvrage dont ils me parlaient ; que les fragmens que j'avais lus n'offraient rien d'authentique, et que je n'avais aucune espèce de renseignemens à leur donner.

Il y avait cependant plus de dix jours d'écoulés entre ma lettre à S. E. le ministre, et la demande des administrateurs de l'Odéon. Comment! moi, qui ne songeais qu'à persécuter l'auteur des Deux Gendres, je n'avais pas été à la Bibliothèque me convaincre de la vérité ; et si j'en étais persuadé, pourquoi me montré-je si franc, et peut-être si modéré, quand le théâtre se présentait pour servir ce que mes ennemis appellent mon ressentiment ?

La querelle s'échauffe, la discussion s'engage, et je me tiens toujours à l'écart, et je mets un point de délicatesse à n'en jamais parler, à ne jamais dire mon avis.

Les brochures se succèdent, et toujours la calomnie répète que je verse des flots d'or pour accabler l'auteur des Deux Gendres.

M. Lebrun-Tossa écrit : elle répand que c'est moi qui l'excite, qui le porte à faire ses Révélations : elle accuse même M. Lebrun de recevoir un salaire, et moi de le présenter. Mais connais-je cet auteur ? Je le déclare, je le jure, je n'ai pas souvenir d'avoir vu M. Lebrun-Tossa. J'ignore absolument quel il est. J'aurais pu, si j'étais un si grand persécuteur, l'aller trouver ; le prier de me donner quelques renseignemens. Eh bien ! je n'ai jamais eu l'honneur de lui parler.

Il en est de même de M. Bouvet, qui a publié deux ou trois brochures. J'en puis dire autant des auteurs de la Lettre d'Alexis Piron, de l'Examen critique des Deux Gendres, des Escarmouches, etc., etc. De tous ces écrits, je n'ai lu que ceux de M. Lebrun-Tossa. Certes, si j'ai mis si peu d'empressement à suivre ce grand procès, ce n'est pas par égard pour M. Étienne ; je ne lui en devais point ; mais c'est que je lis pour trouver des jouissances, et que les ouvrages polémiques ne sauraient m'en offrir ; c'est que toutes ces discussions étaient sans intérêt pour moi.

Beaucoup de gens sont allés à la Bibliothèque examiner et vérifier le manuscrit de Conaxa. Dans le système de mes ennemis, je devais être le premier à le faire. Il y a plus de quatre ans que je n'ai mis les pieds à la Bibliothèque impériale.

Les caricatures ont suivi les Révélations et autres écrits ; mais je m'estime trop, je me crois trop au-dessus de ceux qui me calomnient, pour descendre à me justifier de l'indigne soupçon de diriger et de payer secrètement les artistes qui les dessinent ou qui les gravent. Ceux qui me supposent tant de bassesse, ont perdu toute pudeur. Ce sont des lâches que je dois mépriser. Lorsque je suis chez moi paisible, ils me font agir en tous sens, ils me peignent comme un homme injuste ou passionné, ils me prêtent des intentions que je ne saurais pas même concevoir. N'est-ce donc rien, que l'exemple d'une vie sans. reproches; que des habitudes très-simples ; qu'un désintéressement absolu ? Il est pénible de trahir les secrets de l'ame; mais dût-on me taxer d'un peu de vanité, puisqu'il s'agit de paraître au tribunal de l'opinion, je dois me peindre tel que je suis, et c'est en présence de ce tribunal respectable, que j'atteste que tous les bruits répandus sur le succès de l'Assemblée de Famille sont calomnieux, que la découverte de Conaxa ; que les manuscrits publiés, les brochures, les pamphlets, les caricatures ; que tout enfin m'est étranger. Je dirai plus : les outrages n'ont fait naître en mon ame, que le mépris. Depuis que j'ai eu le malheur d'entrer dans la carrière littéraire, je n'ai éprouvé que des peines, des dégoûts, et cependant je ne me suis mêlé d'aucune intrigue, je ne tiens à. aucune secte ; tout cela déshonore la littérature. Se peut-il que les arts qui offrent tant de charmes, qui élèvent la pensée, qui devraient n'inspirer que des sentimens délicats, soient environnés de l'envie, de la haine et de toutes les passions basses qui dégradent le cœur de l'homme !

J'ai dit la vérité, et si la calomnie m'a privé de l'estime de quelques personnes attachées à l'auteur des Deux Gendres, et qui ne connaissent point mon caractère, j'espère qu'elles seront entièrement désabusées. Mais si elles gardent leurs préventions, je le déclare, j'aurai assez d'élévation dans l'ame pour ne rien regretter.

J'ignore celui qui, le premier, a répandu ces bruits injurieux à ma réputation; mais je le somme, quel qu'il soit, de ne plus agir dans l'ombre ; je le somme d'imprimer des preuves, des faits, des indices ; en un mot , tout ce qui peut même autoriser le plus faible soupçon : jusque-là, je le tiens pour un calomniateur(9).

1 Je demande grâce pour les négligences, les défauts de style, les répétitions que l'on trouvera dans cette préface. Je ne m'occupe que d'exprimer ma pensée, et je laisse courir ma plume.

(1) Mes ennemis, accablés de bienfaits, parlent beaucoup de ma fortune, quoiqu'elle soit extrêmement bornée, et que mon existence soit très-simple et.très-ordinaire.

(2) Il faut eu excepter la première représentation : ce jour-là, tous les auteurs sont obligés de répondre aux désirs de quelques amis, et même de simples connaissances , etc.

(3) Comment ! je voulais subjuguer l'opinion ! et je n'ai pas même fait une seule visite, une seule démarche pour adoucir la sévériîé de ceux qui devaient me juger !

(4) A l'occasion de cet article, on a répandu les bruits les plus odieux, on a écrit des lettres anonymes et surpris la confiance de quelques hommes distingués, amis et même protecteurs des arts, et j’en suis la victime. On a dit que j’avais donné quinze cents francs pour cet article ; mais quand vous calomniez, ne soyez pas absurdes. Si un écrivain était assez lâche pour me vendre ses éloges, et si j'étais assez vil pour les acheter , nous saurions l'un et l’autre garder notre secret. Je le répète , au nom de l'honneur c’est un mensonge infâme. Quelle réputation est à l'abri de cette lâcheté ! Je puis cesser d'écrire ; j’y perdrai peu de choses : mais je ne cesserai jamais de parler des blessures que la calomnie m’a faites.

(4) Telle est l'influence de la critique sur l'opinion , que si elle s'obstinait à garder le silence sur tel ou tel ouvrage dramatique, ou à le déchirer impitoyablement, le public ne songerait pas à le juger Cette pensée peut s'appliquer à tous les arts et à tous les artistes.

(5) La Chaussée a cependant un véritable défaut : c'est d'être romanesque. Il serait un second Térence s’il eût imité la nature

(6) Je parle ici de l'influence des mélodrames. Ces ouvrages monstrueux usent les sensations de l'ame, et la rendent insensible aux véritables beautés de l'art.

(7) Je ne retire point cet ouvrage du théâtre; il reste au répertoire, à la disposition de MM. les acteurs.

(8) La carrière des arts est très-étendue : chacun se place où son talent le lui permet. Les arrêts des journaux ne sont pas ton confirmés par l'équitable avenir.

(9) Cette préface sera sans doute l'objet de quelques railleries amères ; mais je ne répondrai point. J'écris une espèce de brochure pour la première fois de ma vie , et probablement ce sera la dernière. Dans tous les cas , je jure que je n’ai jamais été et que je ne serai jamais ni l'auteur ni l'instigateur de tout écrit qui n'aurait pas ma signature.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome III, mars 1812, p. 278-286 :

[Le critique commence pr nous donne le moyen de distinguer les bons et les mauvais plans de pièces de théâtre, c’est la facilité avec laquelle on en fait l’analyse. Bien entendu, il ne s’en cache pas, ce début est là pour dire tout le mal qu’il pense de celui de la nouvelle pièce de Riboutté. Il s’agit ensuite de montrer en quoi cette pièce est défaillante. D’abord le titre, qui a l’inconvénient de généraliser à tous les ministres anglais ce qu’il dit de son personnage. En fait, au lieu d’un caractère, il montre une situation. Ce qui n’empêche pas le critique se livrer lui-même à des généralisations audacieuses, sur la façon dont les théâtres anglais traitent les Français qu’ils mettent sur la scène, et sur « le trait le plus caractéristique du ministère anglais ». Deuxième défaut de la pièce : le grand nombre de personnages peu significatifs dont le ministre anglais est entouré (« Beaucoup de monde, pas un personnage saillant, donnant la vie et le mouvement à l'intrigue »). Le critique en dresse une liste détaillée et peu favorable dans l’ensemble. Le plus important de ces personnages est Wilson, qui est brouillé avec le ministre dont il a été longtemps l'ami et le secrétaire. L’action principale de la pièce est le combat politique de ce Wilson, qui toutefois, lorsque le ministre « est près de sa ruine et de son déshonneur », le sauve. La fin d ela pièce comporte les indispensables mariages, et montre que le ministre a compris enfin qui étaient ses vrais amis, et qu’il accepte de ne plus être ministre. Cette action principale est jugée « dénuée d'intérêt et dépourvue de comique », qui sont pourtant les ingrédients nécessaires à la réussite d’une comédie. A la place, d’interminables digressions sur toutes sortes de sujets, plus à leur place au Parlement qu’au théâtre. Et l’action de Wilson a encore l’inconvénient de rendre le sens de la pièce très incertain : Wilson aide Mortimer, mais son aide est ambiguë, elle l’avilit et empêche qu’on sache si Mortimer est « un homme à louer, à blâmer ou à plaindre ». Les autres personnages secondaires sont présentés comme peu utiles, sinon pour ralentir l’action. Et leurs interventions sont présentées comme déplacées et invraisemblables. Bien que jouée par les premiers sujets du théâtre, on voit mal comment sauver la pièce : la prmeière représentation aété houleuse, entre applaudissements et sifflets, l’auteur n’a pas été nommé, mais compte représenter sa pièce. Le critique se déclare prêt à signaler son éventuel succès.]

THÉATRE FRANÇAIS.

Le Ministre Anglais.

Il existe un thermomètre. assez sûr de la sagesse ou de la défectuosité du plan d'un ouvrage dramatique; ce thermomètre est la facilité ou la difficulté qu'on éprouve à en faire l'analyse.

Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément.

Quand le plan d'une comédie est bien conçu et régulièrement exécuté, que l'action est claire, le nœud fort, l'obstacle difficile, et les moyens de dénoûment naturels, la pièce, sa division, l'enchaînement de ses scènes, tout jusqu'aux noms des personnages et aux vers de situation et d'effet se grave aisément dans la mémoire : dans la conversation, le récit en serait intéressant et facile ; la plume à la main, l'analyse ne coûte pas davantage ; on suit une pente aisée sur laquelle l'auteur lui-même semble se donner peu de peine à vous conduire par la main.

Mais quand l'ouvrage est un problème, à commencer par le titre ; quand le genre de cet ouvrage n'est pas déterminé dés les premiers actes, s'il s'agit d'un comique de caractère, ou d'un comique de mœurs, ou d'un ouvrage fondé sur l'intérêt ; quand les personnages se multiplient, et que l'intérêt décroit en proportion de leur nombre, de leur nullité, de leur peu de liaison entre eux ; quand il faut que le lecteur fasse avec eux tous connaissance, ce que le spectateur lui-même a eu beaucoup de peine à faire ; lorsqu'enfin, après ces premières difficultés vaincues et ces points nombreux éclaircis, on ne trouve pas un but précis vers lequel on marche, une action qui vous attache et vous entraîne par sa vraisemblance, son intérêt ou son comique, c'est une tâche alors vraiment désespérante que de rendre compte d'une telle production ; sur-tout si la représentation n'a pas été très-calme, si les applaudissemens et les sifflets se sont livrés la guerre pendant les trois derniers actes, si les acteurs se sont souvent troublés, et si dans le tumulte on a dû perdre quelque mot essentiel, quelque moyen, quelque trait nécessaire à l'intelligence exacte du drame.

Je n'ai pas besoin de dire dans laquelle des deux situations je me trouve en prenant la plume pour parier du Ministre Anglais : ce début seul a suffi pour l'annoncer, pour indiquer de la contrainte,.de l'incertitude, de l'embarras ; au lieu de ce début, si j'eusse été dans la première des deux situations indiquées, je serais entré de suite en matière, l'analyse serait déjà faite, le lecteur instruit, et mou objet accompli : très-malheureusement il n'en est rien.

L'intention de l'auteur a été de faire une comédie de mœurs, et de nous peindre particulièrement les mœurs anglaises : son tableau manque d'ensemble et d'effet, et le coloris est loin d'être toujours local. Au lieu de tracer un caractère, l'auteur nous offre une situation ; au lieu d'un personnage, un titre ; au lieu d'un homme tel que tous les pays en produisent, c'est spécialement un Anglais qu'il présente, et cet Anglais n'est pas un homme ordinaire, c'est l'Anglais ministre : voilà , semble nous dire l'auteur par son titre, voilà ce qu'ont été, ce que sont, ce que seront les ministres anglais. Ce titre, qui généralise ainsi son application, me paraît une faute ; car si l'on donnait à Londres le Ministre français, on ne prétendrait pas sans doute en offrir le type, et dire qu'ils ont tous ressemblé à ce type; il semble qu'il faudrait s'entendre, prendre un parti, et choisir, par exemple, entre Richelieu ou Mazarin, entre Dubois ou Fleury, entre M. de Choiseul et M. Turgot. Assurément ces ministres ne présentent pas une physionomie égale, et un caractère de ressemblance tel qu'on pût les confondre sous cette dénomination générale et absolue, le Ministre français.

Mais il faut reconnaître et apprécier l'intention de l'auteur. Les théâtres anglais ne mettent jamais un Français sur la scène que pour le livrer, sous l'aspect le plus ridicule, aux huées des amphithéâtres ; nous avons plus de goût et de décence ; nous cherchons à saisir la ressemblance, et à peindre la physionomie sans en exagérer les traits ; or, le trait le plus caractéristique du ministère anglais, bien plutôt que de tel ou tel ministre en particulier, son système fondamental, son esprit de suite, son moyen perpétuel de gouvernement est cette influence publique, avouée, incontestable, acquise à force d'or sur les élections, et sur les votes parlementaires ; et comme un ministre qui n'a plus la majorité n'est plus ministre, comme il peut conserver cette majorité par une faveur éclatante du roi, comme il peut la conserver aussi par une grande alliance de sa famille ou de sa personne avec des familles de l'opposition, comme il se peut que dans cette situation, l'ambition l'emporte sur l'amour, notre auteur a imaginé de mettre son ministre, lord Mortimer, précisément dans cette dernière position ; son idée en elle-même, quoique peu neuve, pouvait être fort dramatique, mais tout dépendait de l'exécution, et surtout des personnages dont Mortimer serait entouré

Or, que voyons-nous autour de lui ? Beaucoup de monde, pas un personnage saillant, donnant la vie et le mouvement à l'intrigue. L'énumération des rôles présente : une sœur de Mortimer, parisienne dans toute la force du terme, qui n'a d'anglais que le chapeau de Paméla ; un lord Spencer, élégant, assez ressemblant au marquis français de la Coquette corrigée ; une jeune nièce de Mortimer, petite ingénue, rôle plus visiblement arrangé à la taille de Mlle. Mars, que composé dans l'esprit général de l'ouvrage ; un frère qui arrivé des grandes Indes avec des millions fort nécessaires au dénouement, mais qui n'est pas autrement lié à l'action ; un Norlis, faux ami du comte, personnage qui a le plus contribué à répandre sur l'ouvrage l'obscurité, le vague et l'incohérence qui sont ses défauts essentiels ; une belle et sensible anglaise, aimée de Mortimer, qu'il est bien tenté de quitter dans la prospérité, et bien heureux de retrouver dans la disgrace ; rôle peu saillant, mais d'une couleur intéressante, le seul de ceux de femmes qui appartienne bien au sujet et aux localités, enfin, un M. Wilson, long-temps ami et secrétaire du ministre, brouillé avec lui pour avoir remporté un prix à l'académie d'Edimbourg, en plaidant la cause de la liberté des mers. Dans le cours des cinq actes, ce Wilson, dont la politique ne s'est apparemment pas formée à l'école du ministre qu'il a servi pendant quinze ans, est remercié par Mortimer ; nommé à la chambre des Communes, il y siège, si je ne me trompe, combat les projets du ministre, les fait échouer, et enfin, lorsque Mortimer, menacé d'une enquête pour avoir employé les fonds publics à acheter des suffrages, est près de sa ruine et de son déshonneur, ce même Wilson se venge en consacrant à sauver son ancien ami, un immense héritage que le frère de Mortimer lui avait rapporté d'Amérique. Il épouse la nièce de Mortimer, et Mortimer sa fidelle Amanda ; il a reconnu ses faux et ses vrais amis, et l'opposition ayant triomphé, il va au-devant de sa disgrace en quittant le ministère.

En indiquant ainsi les personnages au milieu desquels agit Mortimer, ou. plutôt au milieu desquels il s'agite, discute et délibère en sens contraire sans agir, nous avons peut-être réussi à donner au lecteur une idée suffisante de la situation principale.

Elle est malheureusement dénuée d'intérêt et dépourvue de comique ; c'est pourtant à l'un de ces deux ressorts qu'il faut se résoudre à devoir le succès d'un ouvrage dramatique. Ce succès ne peut être dû à des détails, plus ou moins étrangers au sujet, à des discussions qui auraient de l'importance et de l'intérêt partout ailleurs qu'au théâtre, à des tirades pour ou contre le système de la liberté des mers, tirades dont tout le talent imaginable ne pourrait dissimuler la ressemblance avec les opinions parlementaires dont on ne s'attend pas à trouver la répétition dans une comédie.

L'auteur paraît s'être trompé sur l'effet du rôle de Wilson : la position de ce personnage est fausse, invraisemblable ; son acte de générosité envers Mortimer avilit ce ministre sans dénouer l'intrigue d'une manière satisfaisante ; on voit bien Mortimer retiré du ministère, on le voit bien ruiné, lui et l'ami qui lui consacre sa fortune ; mais enfin il épouse celle qu'il aime, il retrouve des amis sûrs et vrais ; est-il recompensé, est-il puni ? L'auteur a-t-il voulu le condamner ou l'absoudre ? Mortimer est-il un courtisan victime de son ambition, ou un homme d'état victime de la fermeté de son caractère ? Est-ce un homme à louer, à blâmer ou à plaindre ? Si on l'ignore , il faut convenir que le but moral de l'ouvrage est aussi faiblement indiqué, que les situations faiblement liées entre elles, peu attachantes et peu vraisemblables.

Voilà pour les deux personnages principaux. Il serait trop long de dire combien de fois les autres rôles secondaires viennent rallentir, et embarrasser l'action que l'on voit si difficilement faire un pas ; il serait trop long de compter leurs allées et venues, leurs conversations, leurs débats, leurs digressions hors de propos ; on en jugera par un exemple : la discussion politique que les murmures du public ont si mal accueillie, s'ouvre au quatrième acte, au moment où Mortimer en danger, devrait être tout entier à l'exécution de ses projets. Ses ennemis conspirent, le dénoncent et vont le perdre : les élections, le parlement, la dignité qu'il vient de recevoir, ses réponses sur le mariage projetté, sa conduite avec Amanda, voilà bien des motifs d'occupations, et c'est cet instant que l'auteur choisit pour lui faire soutenir dans son salon, contre son secrétaire et contre son frère, une sorte de thèse sur les principes du droit des gens.

Ailleurs, c'est un valet-de-chambre qui, toujours au sallon, vient y prendre part à la conversation de deux jeunes lords ; dans un autre moment, l'Anglaise aimée de Mortimer, donne à la jeune miss de sévères leçons sur sa toilette, et s'occupe gravement à substituer des fleurs à quelques diamans placés sur la tête de la nièce d'un ministre, et de telles digressions, et de telles futilités remplissent des scènes entières ; il faut en convenir, de semblables hors-d'œuvres, quand même ils seraient préparés avec art, placés avec adresse, soutenus par la force, l'élégance ou le charme du style, seraient encore blâmables ; on a pu reconnaître si ceux que nous critiquons, avaient l'un de. ces moyens de justification.

Nous ne pensons pas que cet ouvrage, dans l'état d'imperfection où il a été représenté, quoique confié à tous les premiers sujets du théâtre, pût obtenir un meilleur sort que celui qui a été son partage : souvent applaudi, sifflé avec opiniâtreté, il a été entendu jusqu'à la fin, et la toile s'est baissée au milieu du tumulte formé par les opinions contraires. Le nom de l'auteur a été long-temps demandé, tandis que les signes de mécontentement semblaient défendre de le prononcer : cette agitation s'est prolongée jusqu'au commencement de la petite pièce, mais l'opposition est demeurée la plus forte, et l'auteur n'a pas été nommé : l'ouvrage toutefois doit reparaître ; si des changemens heureux lui assurent plus de succès, nous remplirons un devoir agréable en le faisant connaître.                 S....

L'Ambigu, ou variétés littéraires et politiques, vol. XXXVII (Londres, 1812), n° CCCXXVIII (10 mai 1812), p. 263-269

Feuilleton de Geoffroy.

Théâtre Français.

Le Ministre Anglais, Comédie en cinq Actes et en Vers, représentée le 24 Février 1812, par M. L. Riboutté, Auteur de l'Assemblée de Famille. Un Vol. in-8vo.

M. Riboutté est de ces gens dont parle Voltaire,

Qui, par malheur, ne sont pas nés plaisants.

Je n'ai, de ma vie, lu une aussi lamentable complainte que la préface du Ministre Anglais. Ce comique-là prend les choses bien au tragique. Tout auteur tombé a un peu d'humeur, et se plaint de ce qu'il appelle la cabale ; c'est un petit soulagement permis qui n'offense personne. Mais ce qui décele une vanité excessive, profondément blessée et furieuse dans ses ressentiments, c'est d'imaginer, c'est d'écrire qu'on est en butte à la haine et à l'envie, qu'on a été la victime de calomnies horribles et de diatribes sanglantes, en un mot, d'une persécution cruelle exercée par des ennemis dangereux et puissants : tout cela parce qu'on a fait une méchante piece, que le public l'a trouvé telle, et que les critiques ont pensé comme le public. M. Riboutté assure que ce déchaînement a eu pour principe le succès de l'Assemblée de Famille. J'ai vu tous les gens de lettres, sans exception, scandalisés, pour le seul intérêt de l'art, d'un succès qu'ils regardaient, avec raison, comme le triomphe du mauvais genre : mais je n'en ai pas vu un seul qui en fût jaloux, et qui souhaitât d'en obtenir un pareil au même prix. A propos de prix, quelques gens ont prétendu, à ce qu'il paraît, que l'auteur n'avait pas eu sa gloire à bon marché ; c'est-à-dire qu'il avait payé les complaisances des comédiens, les applaudissements des spectateurs, et les éloges d'un journal. Il entre, à ce sujet, dans une fort longue justification : il appelle en témoignage le caissier du théâtre et le fondé de pouvoirs des auteurs dramatiques. Mon avis est qu'en cela il a pris une peine très-superflue à tous égards. Un homme est bien le maître d'abandonner ses droits d'auteur à la comédie, de payer le spectacle à ses amis et connaissances, et même de témoigner sa gratitude au journaliste capable d'en recevoir les marques. M. Ribontté n'a rien fait de tout cela, soit ; j'aime à le penser pour l'intérêt de sa gloire, et surtout de sa bourse. Mais une simple dénégation sans preuves, et cet appel au témoignage de gens qu'on ponrrait avoir engagé au silence et que personne d'ailleurs ne se souciera d'interroger, suffisent-ils pour confondre ceux qui ont inventé ces bruits et désabusé ceux qui aiment à les croire ? non, sans doute. Au reste, diront-ils, l'auteur, en traitant d'action lâche, vile, infâme, la spéculation d'amour-propre qu'on lui impute, veut faire prendre le change au public. Il est évident qu'il n'affecte tant d'horreur pour ses miseres-là, qu'afin de repousser avec plus de force et d'avantage un soupçon qui nuit à sa renommée littéraire. Ce n'est point sa délicatesse qui est offensée, c'est sa vanité. Il feint de défendre son honneur que personne n'attaque ; dans le fait, il vole au secours de sa gloire contre laquelle nombre de gens s'élèvent. Donner de l'argent pour recevoir en échange des applaudissements et des louanges, est une affaire tout comme un autre, plus loyale peut-être que beaucoup d'autres, puisqu'enfin il n'y a personne de lésé, et que chacun y trouve son compte, même le public qui s'imagine voir une bonne pièce lorsqu'il voit une salle bien garnie. « Peut-on, dit M. Riboutté, acheter les LARMES des pères, des mères, des enfants ? (Assemblée de Famille, comme on voit). J'en appelle à ceux qui ont honoré de quelques Pleurs, etc. Ces Pleurs, feignaient-ils de les répandre ? . . . Si chaque spectateur peut se dire : oui, j'ai Pleuré . . . la cause du succès ne se trouve-t elle pas dans cet intérêt qui fait couler des Larmes ? Eh, mon Dieu ! quel déluge de larmes et de pleurs !

Jamais Iphigénie, en Aulide immolée,
N'a coûté tant de pleurs à la Grèce assemblée.

Quelle est donc la tragédie que M. Riboutté donnait ce jour-là ? Quoi ! c'était une comédie ! Certes, ses ennemis ne l'ont pas calomnié, quand ils ont dit de lui: Il ne fait pas rire ;. et il a grand tort de leur en savoir mauvais gré.

Mais c'est son humeur de voir partout des injustices et des marques de haine. Il prétend nous montrer, dans ce qui s'est passé pendant les cinq premières représentations du Ministre Anglais, les effets de cette calomnie qui le poursuit depuis si long-temps. Que s'est-il donc passé de si horrible pendant ces cinq premières représentations ? On s'y est ennuyé : voilà tout. L'auteur qui trouve absurde qu'on l'accuse d'avoir payé le public pour pleurer à l'Assemblée de Famille, croit-il donc que ses ennemis l'ont payé pour bâiller au Ministre Anglais ? Je rétorquerai contre lui son propre argument, et me servant de ces paroles mêmes, à. deux ou trois mots près, je lui dirai : « Peut-on acheter les bâillements des pères, des mères et des enfants ? ces bâillements, les feignaient-ils ? Si chaque spectateur peut se dire : J"ai bâillé, la cause de la chûte ne se trouve-t elle pas dans cet ennui qui excite les bâillements ? M. Riboutté nous apprend qu'à la première représentation, ses ennemis attendaient une scène hasardée au troisième acte, pour commencer le tumulte , mais que le public, en cette occasion, lui a donné une grande preuve de bienveillance. Ses ennemis connaissaient donc la piece d'avance, pour attendre ainsi une scene du troisieme acte ? Quoi ! les deux premiers ne leur avaient pas fourni d'occasions pour commencer le tumulte ? Ce sont, je l'avoue, des ennemis bien difficiles en fait de mauvais, et surtout bien peu pressés de nuire. Au surplus, cette grande preuve de bienveillance que le public a donnée à l'auteur, en quoi a-t-elle consisté ? Sans doute à imposer silence aux perturbateurs et à rétablir le calme. Le public est donc le maître dans une salle de spectacle ? Mais s'il est le maître, et que le Ministre Anglais soit un bon ouvrage, pourquoi ne l'a-t-il pas applaudi ? pourquoi a-t-il si promptement renoncé à y revenir, qu'il a fallu s'arrêter à la cinquieme représentation ? A cela M. Riboutté répond que c'est parce qu'on l'a privé du droit accordé à tous ceux qui cultivent les lettres, c'est-à-dire, du droit d'obtenir des éloges dans les journaux (les antécédents ne permettent pas de donner un autre sens à la phrase.) Si M. Riboutté était un peu plus gai, je croirais qu'il plaisante. Comment! le silence des journaux empêcherait tout-à-fait le public de s'amuser à une bonne comédie et d'y revenir ! Si M. Riboutté fait ici sa cour aux journaux, il ne la fait pas au public ; on dirait qu'en tout il a plus d'obligations à tous ceux-là qu'à celui-ci. Mais si le public a cessé d'aller au Ministre Anglais, parce que les journaux ont cessé de le louer, ne peut-on pas dire qu'il n'est allé quarante fois de suite à l'Assemblée de Famille, que parce que le plus répandu des journaux en a fait l'éloge une vingtaine de fois, peut-être ? Que l'auteur y prenne garde ; il perdrait trop à nous persuader que le mérite ou le démérite d'un ouvrage n'est plus le principe de son succès ou de sa chûte.

« Le plan de mes ennemis, » dit-il, « s'est signalé par des diatribes et par le silence. » La phrase est singulière. Comment peut-on parler et se faire tout à la fois ? Mais je comrpednes : M. Riboutté veut dire qu'on n'a pas dit du bien de sa piece (voici le silence), et qu'on a en dit du mal (voilà les diatribes). La vérité est cependant qu'on en a dit du bien et du mal successivement. Mais, selon M. Riboutté, le bien a été dit par des hommes impariaux, des critiques célebres, des littérateurs très-distingués, très-indépendants dans leurs opinions ; tandis que le mal a été dit par des envieux, des ennemis, des persécuteurs, dont le style est insipide et souvent barbare. Il est assez simple de penser, mais il est un peu trop naïf d'écrire que ceux qui nous ont loué sont des gens de bon goût et de bonne foi, et que ceuc qui nous ont critiqués sont des méchants et des sots. Cela est bien du même homme à qui la salle, pendant le cours des représentations de l'Assemblée de famille, offrait le tableau d'un public indépendant et incapable de bassesses, et qui, aux représentations du Ministre Anglais, ne voyait plus dans ce même public qu'une foule méprisable, subjuguée par la puissance, ou gagnée par les largesses de ses ennemis. Comment ne serait-on pas la dupe des plus ridicules illusions de la bvanité, quand on s'obstine à ne pas croire qu'on puisse faire un mauvais ouvrage, tandis que rien n'est plus plausible, et à ne pas reconnaître qu'on en a fait un, tandis que rien n'est plus certain ni mieux démontré ?

Il ne tient cependant pas à l'auteur qu'on ne le regarde comme le plus modeste des hommes. Il dit, en parlant du succès de l'Assemblée de Famille : « J'avais reçu du public indulgent une faible branche de lauriers ; mais je la dérobais à tous les regards. » Je n'entends rien à cette phrase. Si, comme autrefois, dans les concours solennels de la Grèce, nos poëtes dramatiques recevaient, pour prix de la victoire une branche ou une couronne de laurier, je concevrais que M. Riboutté eût pu modestement-renfermer la sienne et ne la montrer à personne ; mais, dans nos usages modernes, la récompense du succès, ou, pour parler figurément comme l'auteur, la branche de laurier n'étant autre chose que les applaudissements du public et les éloges des critiques, sans compter les droits d'auteur, je ne vois pas comment il s'y serait pris pour la dérober à tous les regards. La métamorphose né couvre donc aucune idée raisonnable. Voici du moins qui signifie quelque chose: « Je craignais jusqu'aux éloges, tant j'étais convaincu de ne pas les mériter, tant j'étais étonné de les obtenir ! » S'il craignait si fort les éloges, que ne priait-il ces messieurs qui lui en donnaient tant, d'épargner un peu sa timidité : ils ne sont pas inexorables : et s'ils l'ont loué sans pitié, c'est qu'apparemment il n'a riea fait pour détourner ce genre de persécution. Au reste, il s'est prodigieusement aguerri depuis ; car maintenant, loin de craindre les éloges, il se plaint fort amèrement de ce qu'on l'a sévré de ceux que lui avaient promis deux journaux qui déjà lui en avaient donné. Cette espèce d'embargo, dont je parle d'après son seul témoignage, lui a causé tant de dépit, qu'il en a perdu le souvenir de toutes les jouissances d'amour-propre que lui ont procurées les quarante représentations de l'Assemblée de Famille, et les innombrables feuilletons remplis de ses louanges. « Depuis que j'ai eu le malheur, dit-il, d'entrer dans la carrière littéraire, je n'ai eu que des peines et des dégoûts. » J'avertis M. Riboutté qu'on le plaindra peu d'un malheur qu'il pouvait très-bien éviter, et auquel il est toujours temps pour lui de se soustraire. S'il persiste cependant à suivre la carrière du théâtre, le seul moyen qu'il ait de ne pas s'y préparer des désagréments infinis, c'est de penser très-modestement d'un premier ouvrage, dont la réussite inespérée ne prouve pas autre chose que l'excessive indulgence du public pour tout ce qui s'adresse à sa sensibilité; de ne point s'exprimer avec mépris sur des productions moins heureuses, que leurs défauts et les rigueurs du parterre ne privent pas de l'estime des connaisseurs, parce qu'elles appartiennent au bon genre et sont moins empreintes d'un talent véritable ; de ne point se féliciter ni s'enorgueillir des disgrâces de ceux qu'on serait honoré de pouvoir appeler ses confrères ; de ne point s'aveugler sur la cause de ses propres revers, jusqu'à voir de l'envie dans le silence, de la persécution dans l'ennui, et des fureurs concertées d'avance dans l'expression modérée d'un mécontentement universel et spontané ; enfin, de ne point calomnier en criant à la calomnie, et d'employer tout ce qu'on peut avoir de facultés persuasives auprès des personnes par qui l'on est loué d'office, pour les empêcher de calomnier eux-mêmes tous les gens de lettres, en les peignant comme les artisans d'une chûte qui s'est opérée toute seule, par les mêmes lois qui font tomber un corps lorsqu'il n'est point soutenu par une puissance au moins égale à sa pesanteur.

« Comment, dit M. Riboutté, dans le Ministre Anglais, il ne se trouve pas une seule scène, une seule tirade, un seul vers qui mérite des éloges ? » Ma réponse à cette question ne serait pas longue.

D’après la base La Grange de la Comédie Française, le Ministre anglais, comédie en cinq actes et en vers, de François-Louis Riboutté a été créé le 26 février 1812 et a connu cinq représentations, toutes en 1812.

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