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Le Moine (1797)

Le Moine, comédie en cinq actes mêlée de chants, danses, pantomime, imitée du roman anglais, de Cammaille Saint-Aubin et Louis-François Ribié, musique de Froment, 3 nivôse an 6 [23 décembre 1797].

Théâtre d’Émulation (salle Louvois).

Dans l’annonce que fait le Courrier des spectacles du 3 nivôse, le Moine est une « pièce en 5 actes, ornée de chants, danses, musique, décors et costumes nouveaux ».

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Barba, an sixième de la République :

Le Moine, comédie en cinq actes, mêlée de chants, danses, pantomime. Imitée du roman anglais. Paroles du citoyen Cammaille-Aubin. Plan et pantomime du citoyen Ribié. Musique du citoyen Froment. Décors du citoyen Auguste Guingré. Représentée à Paris, au théâtre de l’Émulation, le 7 nivôse, an VI de la République. Avec des changemens et un nouveau dénouement.

La date du 7 nivôse n'est pas celle de la première qui a eu lieu le 3 nivôse : les changements et le nouveau dénouement ont été très rapidement mis en place.

Nouvelle brochure en 1803 (an 11), en vente au Théâtre de la Gaîté :

Le Moine, mélo-drame en trois actes, à spectacle, terminé par l'Enfer de Milton. Par M. C. Cammaille Saint-Aubin, représenté, à Paris, sur le théâtre de la Gaîté, le 7 nivôse an VI, et remis le 30 thermidor de l'an X.

Le 30 thermidor an 10, c’est le 18 août 1802. Le Courrier des spectacles ne semble pas avoir rendu compte de cette reprise.

La pièce est désormais présentée comme un mélodrame en trois actes.

Courrier des spectacles, n° 310 du 8 nivôse an 6 [28 décembre 1797], p. 3-4 :

[Le Moine est l’adaptation d’un roman anglais de Matthew Gregory Lewis (dans le goût anglais du temps...). Il comporte tous les accessoires qu’on peut ajouter à une pièce. Annoncée depuis longtemps, cette adaptation a un peu déçu, même si ma pièce a pu aller à son terme. Les cinq actes ont semblé avoir peu de lien entre eux. Débute alors le résumé de l’intrigue, acte par acte (pour le numéro du jour, le critique s’arrêtera à l’acte 3 : suite au prochain numéro !). L’histoire est pleine de passion effrénée, de merveilleux aussi. L’acte 2 est très proche du roman, même si l’auteur a changé le lieu de l’action (on ne sait pas trop si ce changement perturbe le critique, peut-être attaché encore aux unités du théâtre classique). L’acte 3 se déroule dans un nouveau lieu et est marqué par l’apparition d’une « nonne sanglante ». Mais le roman était bien plus impressionnant, la pièce se limitant à des déclarations que le critique juge froides et sans intérêt. Et ce sera tout pour aujourd’hui !]

Théâtre d’Emulation.

Le Moine, roman traduit de l’anglais, a fourni le sujet d’une pièce en 5 actes et en prose, mêlée de musique, pantomime et ballets, qui fut donnée hier à ce théâtre, où elle étoit attendue depuis long-tems. Le succès n’en a pas été tel qu'on s’en étoit flatté ; cependant le public a voulu voir la fin de cet ouvrage, dont les deux premiers actes avoient fait grand plaisir. Ces cinq actes se trouvent avoir si peu de liaison entr’eux, que chacun semble faire une pièce séparée. En effet, dans le premier, Ambrosio dégoûté de Mathilde qui est cachée dans un couvent, sous le nom de frère Rosano, odieux à lui-même, depuis qu’il a assassiné Elvire, mère d’Antonia, pour assouvir sur celle-ci sa fatale passion, a recours au ciel, se repent, mais bientôt est ramené au crime par l’insidieuse Mathilde, qui savante dans l’art des enchantemens, déploie à ses yeux étonnés son empire sur les esprits infernaux.

Au second acte l’aventure du marquis de Cisternas est copiée fidèlement et mot pour mot, en sorte qu’au lieu de lire le roman, on entend des acteurs débiter les demandes, réponses, conversations rendre toutes les scènes enfin que le livre nous présente. Cependant il faut avouer que l’auteur a, pour conserver davantage l'unité de lieu, transporté l’aventure à Strasbourg, ville près de laquelle elle se passe, aux environs de Madrid, sur la route de Tolède. Théodore, le fils de Marguerite, a aussi le mérite de faire assez de diligence pour que les brigans soient surpris dans la maison de Baptiste même, qui, le premier, périt de la main de Cisternas. La rapidité, la précision de cette scène a produit, ainsi que tout l’acte, un plaisir universel. Agnès, religieuse, amante de Cisternas, fait, dans cet acte, un rôle absolument inutile, puisque l’auteur la fait sortir sous prétexte d’indisposition. Le jeune homme n’avoit pas besoin de la vue du péril de son amante pour chercher à se défendre.

Le troisième acte représente le château de Lindemberg, où le baron et la baronne de ce nom, oncle et tante d’Agnès, donnent une fête. Mais la baronne a un cœur sensible ; elle aime Cisternas qui lui fait la cour, dans la vue d’en obtenir Agnès ; elle le lui avoue et est bien surprise de sa froideur. Furieuse, elle jure de se venger. Elle épie Cisteras qui convient avec Agnès d’un moment pour fuir, et comme c’est le tems où une nonne sanglante doit apparoître la nuit, une heure sonne, elle emprunte l’habit de religieuse, se voile et paroît au milieu de la fête, une lampe à la main gauche, et la droite armée d’un poignard.

Le roman fait plus d’impression ; car Cisternas croyant enlever Agnès, n’emmène avec lui qu’un fantôme. Mais dans la pièce, lorsque la baronne se fait reconnoître, c’est froid et sans intérêt. Elle a fait partir Agnès pour le couvent, où demain elle doit prononcer ses vœux, c’est ce qu’elle déclare en donnant un congé sec et rigoureux à Cisternas.

Le défaut de place nous oblige de remettre au numéro suivant le quatrième et cinquième acte.

Courrier des spectacles, n° 311 du 9 nivôse an 6 [29 décembre 1797], p. 3-4 :

[Suite donc du résumé de l’intrigue. L’histoire devient de plus en plus confuse et s’enfonce dans des complications peu crédibles. L’acte 4 est ennuyeux, l’acte 5 est au contraire rempli d’action et de surnaturel. On a droit à un sommeil léthargique, suivi d’un enlèvement vers les Enfers (dont le public a été surpris qu’il soit placé « dans les airs » et non sous terre. Et apparemment la pièce s’achève là. Bilan : deux actes applaudis, trois actes plus mal accueillis. L’acte 3 en particulier n’est fait que de redites. Curieusement, après ce bilan mitigé, le critique félicite le théâtre pour son zèle. Les décorations sont jugées « fraîches et belles », et l’acteur jouant le rôle d’Ambrosio s’en serait pénétré (ce qui ne semble pas très clair). Curieusement (encore), après avoir loué le zèle des administrateurs, le critique invite l’auteur, qu’on n’a pas nommé, à faire d’importants changements, pour passer de 5 actes à 3 (plus d’acte 3, et acte 4 refondu « dans les trois autres ».]

Théâtre d'Émulation.

Suite de l'analyse de la pièce du Moine, dont nous avons parlé dans notre numéro d'hier.

Le quatrième acte est au jardin du couvent des moines. Antonia a pris un breuvage assoupissant que lui a donné le moine, afin d’en triompher lorsqu’elle seroit sans défense. Elle paroît et verse dans le sein du moine, assassin de sa mère, ses chagrins et ses larmes. Mathilde les sépare, entraîne Antonia, et laisse Ambrosio avec l'espoir horrible de satisfaire sur cette jeune fille sa barbare brutalité. Un couvent a remplace le jardin, c’est celui de Ste-Claire. Lorenzo, frère d’Agnès, accompagné de Cisternas, viennent y voir leur sœur et leur amie, elle n’est pas visible. L’abbesse les congédie sous divers prétextes ; mais Cisternas y renvoie son page Théodore, qui, en demandant l’aumône, doit s'assurer de la situation d’Agnès. Cette malheureuse religieuse est au fonds d’un cachot, où on la punit d’éprouver le plaisir d’être amante et mère. Les chansonnettes de Théodore amusent les pensionnaires. La mère Ste-Ursule, qui veut sauver Agnès, lui remet un panier. Une lettre y est cachée. L’abbesse survient, le visite, mais le page avoit dérobé la lettre à sa recherche. Cet acte, qui finit par le départ des religieuses pour leur repas, a paru long et ennuyeux.

Le cinquième acte étoit attendu impatiemment. L’abbesse et ses religieuses font une procession. Cisternas et Lorenzo arrêtent la première, et la constituent prisonnière. Le peuple qui sait son crime, demande sa mort. Cisternas la sauve de la fureur de la multitude. La foudre gronde, éclate sur le couvent. On craint que l’écroulement de l’édifice ne coûte la vie à Agnès. On vole à son cachot. Soudain le théâtre change, fait voir Ambrosio près d’un tombeau, attendant qu’Antonia sorte de sa léthargie. Elle se réveille enfin ; il emploie caresses, prières, menaces, violence. Mathilde vient lui apprendre le malheur de l’abbesse de Ste-CIaire. Les archers sont prêts à entrer dans ces cachots. Elle lui remet un poignard à la main, et la malheureuse Antonia va périr. Le moine la poursuit, l'atteint ; mais Lorenzo arrive et arrête le coup. D’autre part, Cisternas apporte Agnès évanouie. Le moine barbare est saisi. Mathilde l’entraîne sur un tombeau, et se montrant telle qu'elle est, elle lui déclare qu’elle va dans les Enfers préparer son tourment éternel. A l’instant un nuage sinistre 1’enlève avec sa proie, qu'elle tient par les cheveux. Chacun a fait la réflexion que les Enfers n’étoient pas dans les airs. Les deux premiers actes ont obtenu des applaudissemens, mais les trois derniers ont été mal accueillis. Le troisième sur-tout n’offre que des redites perpétuelles. C’est toujours la baronne dont l’amour n’a fait sur le spectateur aucune sensation. Du reste, on ne peut que louer l’administration de ce théâtre de son zèle à satisfaire le public. Les décorations sont fraîches et belles, et l’acteur qui a rempli le rôle d'Ambrosio, s’en étoit pénétré. L’auteur n’a pas été demandé, mais s’il veut obtenir le suffrage du public, il supprimera le troisième acte, et refondra le quatrième dans les trois autres. La pièce ainsi resserrée, n’en aura que plus de mérite.

D'après la base César, la pièce a été beaucoup jouée jusqu'en 1799 : 6 fois en 1797 (du 23 au 31 décembre, au Théâtre d’Émulation), 97 fois en 1798 (74 fois au Théâtre d'Emulation jusqu'au 19 avril, puis en août et en novembre, 23 fois au Théâtre des amis de la Patrie, à partir du 18 avril jusqu'au 20 novembre), 14 fois en 1799 (au Théâtre de la Gaîté du 1er septembre au 16 octobre).

Elle a continué à être représentée après 1799.

La pièce de Cammaille Saint-Aubin ne doit pas être confondue avec la pièce de Guibert de Pixerécourt, Le Moine, ou la Victime de l'orgueil, pièce en quatre actes, en prose et à grand spectacle, reçue au Théâtre de la Gaîté, en avril 1797, non représentée (Théâtre choisi de G. de Pixerécourt, tome 1, Nancy, 1841, p. xlviii).

La pièce de Cammaille Saint-Aubin fait partie des pièces analysées dans l’article d’Edmond Estève, “Le Théatre ‘Monacal’ Sous La Révolution: Ses Précédents et Ses Suites.” Revue d’Histoire Littéraire de La France, vol. 24, no. 2, Presses Universitaires de France, 1917, pp. 177–222, http://www.jstor.org/stable/40518012.

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