Le Moraliseur, ou l'Homme à sentimens

Le Moraliseur, ou l'Homme à sentimens, comédie en cinq actes, en vers, de Claude-Louis Chéron, 5 brumaire an 9 [27 octobre 1800].

Théâtre français, d'abord rue Feydeau et maintenant rue de Louvois

L'adaptation de la pièce de Shéridan paraît avoir été une activité récurrente pour Chéron de la Bruyère. Voir à l'Homme à sentimens pour suivre la carrière de cette pièce.

La pièce est parfois cité en inversant titre et sous-titre.

Almanach des Muses 1802

Sudmer revient en France après une absence de vingt ans : il y retrouve ses neveux, dont l'un jouit de la plus haute réputation de vertu, tandis que l'autre passe pour le plus déréglé de tous les jeunes gens. Assez philosophe pour se méfier des apparences, il veut éprouver ses neveux, et se déguise. Il découvre bientôt que le moralisateur, tout en débitant les plus belles maximes, est un scélérat hypocrite, qui veut séduire la femme de son hôte, enlever à son frère sa maîtresse, laisse périr celui-ci de misère, faute de secours, ou ne lui en prête que d'usuraires pour accélérer sa ruine, et desire beaucoup plus l'héritage de son oncle que son retour. L'autre, au contraire, est, à la vérité, prodigue, joueur et galant, mais sensible, franc et généreux. Il chérit sur-tout son oncle, dont, malgré sa détresse, il ne veut point vendre le portrait, et cache même les fautes de son frère, dont il a droit de se plaindre. Sudmer, satisfait de ses épreuves, démasque et punit l'hypocrite, console et récompense celui dont les bonnes qualités balancent la légéreté et l'étourderie.

Imitation de la comédie anglaise de Sheridan, intitulée l'Ecole de la médisance, The School of scandal.

Quelques défauts de contexture et quelques invraisemblances ; des gradations dramatiques mal observées, un cinquième acte décousu ; mais de l'intérêt et de bonnes intentions, une morale excellente, un style correct et point de mauvais goût : du succès.

Courrier des spectacles, n° 1333 du 6 brumaire an 9 [28 octobre 1800], p. 2-3 :

[Sans faire allusion à l’existence de versions antérieures (non connues de lui ?), le critique donne un verdict mitigé : « de grandes beautés et de grands défauts » qui ont donné occasion d’applaudir et de murmurer, et même de sifflets, ce qu’il juge déplacé. L’auteur demandé, a gardé l’anonymat. Il ne reste plus qu’à résumer l’intrigue, une histoire mêlant affaire de mariage et oncle revenant des îles fortune faite. La jeune fille est courtisée par deux frères qui sont les neveux très différents l’un de l’autre de l’oncle, qui veut les éprouver avant de les faire ses héritiers. Tout tourne autour des caractère supposés des deux frères, l’un libertin, l’autre honnête. Mais ce n’est qu’apparence, et la pièce va consister à faire éclater la vraie nature de chacun.]

Théâtre Feydeau.

De grandes beautés et de grands défauts ont mérité tour-à-tour de vifs applaudissemens et des improbations à la comédie donnée hier à ce théâtre, l’Homme à sentimens, ou le Moraliseur. Le public nous a paru rendre la plus grande justice à cet ouvrage. Peut-être seulement on eut pu s’abstenir d’employer les sifflets, qui ne sont destinés qu’à témoigner un mécontentement absolu. L’auteur a été demandé, et a gardé l’anonyme.

Julie, pupille de Gercourt, est aimée des deux frères, Valsain et Florville. Ce dernier est préféré par la jeune personne, mais sa conduite s’oppose au consentement du tuteur. Joueur et libertin, il a dissipé la fortune de ses pères, les dons d’un de ses oncles, nommé Sudmer : et totalement ruiné, il n’occupe plus qu’un très-petit logement dans la maison dont il étoit jadis propriétaire. Valsain, au contraire, est dans l’opulence et semble n’employer ses richesses qu’à soulager l’infortune. Aussi Gercourt est-il décidé à lui donner Julie. Heureusement pour cette jeune personne, Sudmer est arrivé des îles avec une grande fortune. Inconnu à tout le monde, même à-ses neveux, qui étoient très-jeunes lors de son départ, il ne s’est nommé qu’à Gercourt qui, à l’aide de Marton, le tient caché dans la maison, où il veut être à même de juger le caractère de ses héritiers. Envain Gercourt les lui peint-il tels qu’il les voit lui-même. Notre marin ne veut reconnoître dans les vices de Florville que des écarts de jeunesse. L’affectation de Valsain lui paroit plus dangereuse :

Dans la seule vertu trouvant assez d'appas,
Le Sage la pratique et ne l’affiche pas.

Voilà ce que pense Sudmer ; et il veut éprouver ses neveux.

Florville, vivement pressé par ses créanciers, s’adresse à son frère , qui lui donne beaucoup d’avis, mais point d’argent. Valsain ne s’en tient pas à un refus ; ses grandes richesses ont une source, il les doit à l’usure ; mais comme il se sert pour son petit négoce d’un agent nommé Alexandre, il se propose de l’envoyer à son frère, et de venir ainsi à son secours. En attendant , il essaye de le dénigrer aux yeux de Julie, en vantant son propre amour Il est à ses pieds, lorsque Mad. Gercourt entre. La jeune personne s’enfuit, et notre hypocrite feint de n’avoir pris cette posture que pour engager Julie à ne point répandre des discours préjudiciables à l’honneur de madame Gercourt, qu’on accuse d’écouter favorablement Florville. Ce prétendu service enhardit Valsain, il parle bientôt de lui-même, et sans parvenir à séduire la femme de son ami, il la fait consentir, bien légèrement sans doute, à venir chez lui.

Sudmer poursuivant le projet d’éprouver ses neveux, se présente chez Florville, sous le nom du Juif Alexandre. Celui-ci n’ayant rien à lui donner pour répondre de dix mille francs qu’il veut emprunter, offre de lui vendre tous les tableaux de famille qui garnissent son logement. Il n’en excepte qu’un seul qu’il garde par reconnoissance, c’est celui de son oncle. Cette scène, très-détaillée, est infiniment agréable.

Sudmer satisfait de Florville, se rend chez Valsain, sous le nom de Lisimon, son parent éloigné, réduit à la plus extrême misère : des politesses sont tout ce qu’il peut en obtenir ; il sort furieux. Valsain attend une visite plus agréa ble, c’est celle de Mad. Gercourt ; elle arrive en effet, mais leur entretien est bientôt interrompu par l’arrivée de Gercourt. Son épouse n’a d’autre ressource à prendre que de se cacher derrière un paravent. Ce mari vient se plaindre à Valsain que Mad. Gercourt répond à la passion de Florville, et qu’elle est dans ce moment avec lui ; notre hypocrite d’abord troublé, se remet peu-à-peu et défend mal son frère , lorsque l’on annonce celui-ci. Gercourt veut d’abord le faire expliquer, mais sur les observations de Valsain, il se décide à se cacher pour entendre leur entretien, il veut se mettre derrière le paravent, alors le séducteur est obligé de lui dire qu’il cache une jeune enfant qui s’y est réfugiée à son approche. Gercourt entre dans un cabinet, d’où il sort bientôt convaincu de l’erreur où il étoit à l’égard de Florville. Pendant que Valsain sort assez mal-adroitement, Gercourt apprend à Florville l’intrigue de son frère. Le jeune homme veut voir cette charmante enfant : il reconnoît Mad. Gercourt, mais la générosité lui impose silence, et pour tirer son frère d’embarras , il feint d’avoir lui-même connu cette personne, et emmène Gercourt.

Mad. Gercourt confuse de la scène qui vient de se passer, s’enfuit de chez Valsain en l’accablant de reproches.

Sudmer, sous le nom de Lisimon, prie Valsain de le présenter à son oncle, dont il vient d’apprendre l’arrivée, mais Florville survenant, reconnoî celui qui , sous le nom d’Alexandre, lui a acheté ses tableaux Les deux frères veulent le faire sortir de force, lorsque Gercourt entrant, leur apprend que c’est leur oncle. Celui-ci qui a retiré des mains du juif Alexandre, en le payant, les titres appartenans à Valsain, et d’après lesquels ce dernier faisoit poursuivre son frère, les déchire, déshérite l’hypocrite, et donne moitié de son bien à Florvîlle, et l’autre à Julie, qui épouse son amant.

N’ayant pas assez de place pour en dire davantage, et pas assez de temps pour abréger cette analyse, nous nous bornerons à ajouter que cette comédie , rien moins que morale, auroit pu garder le titre anglais : l’Ecole du scandale.

Le Pan.

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