Les Mœurs de Londres ou le Bon ton anglais, comédie en deux actes, de Boursault-Malherbe, 30 décembre 1806.
Théâtre des Variétés Étrangères.
Courrier des spectacles, n° 3612 du 1er janvier 1807, p. 2-3 :
[Le critique commence par des propos génraux sur le bon ton, dont tout le monde sait qu'il est varié, d'un pays à l'autre, mais qu'il existe une stricte hiérarchie entre ces formes variées, le sommet du bon ton étant bien sûr à Paris, « en possession de donner le bon ton à toute l’Europe », les autres capitales en étant plus ou moins proches, et se modelant sur le bon ton des Parisiens, et des Parisiennes. Bien sûr, la copie ne vaut jamais l'original, et une pièce sur le bon ton à Londres ne peut montrer que la caricature du bon goût français. Une fois ce manifeste nationaliste et anti-anglais publié, le critique résume une intrigue sans originalité : un brave gentilhomme anglais aux prises avec le mauvais ton de ses nièces qu'il a amenées à Londres, où elles se divertissent fort et se comportent fort mal, au point que celle qui était mariée détruise son couple, au désespoir de leur oncle. Même son valet, pourtant un paysan mal dégrossi, cède à « la corruption de la capitale (il boit de la bière forte !). Le brave baronnet n'a plus qu'à ramener ses nièces à la campagne... Le critique reconnaît que l'intrigue de la pièce est « peu de chose », malgré « des intentions comiques » dans certaines scènes (mais il faudrait lier ces scènes et les développer complètement). Il y a des idées dans cette pièce, mais il aurait fallu « la main d'un artiste habile » pour les mettre en œuvre.]
Théâtre Molière, Variétés Etrangères.
Les Mœurs de Londres, ou le Bon ton Anglais.
Ce seroit un spectacle assez curieux qu’une galerie qui nous peindroit successivement les mœurs et le bon ton de chaque nation de l’Europe ; ce seroit alors que le théâtre des Variétés Etrangères pourroil réellement justifier son titre. Il n’est pas une capitale, une petite ville, un bourg même qui n’ait son bon ton. Celui de la cour est ordinairement le premier ; les autres en dérivent, comme d’une source commune, mais toujours en s’affoiblissant à mesure qu’ils s’éloignent. Paris est en possession de donner le bon ton à toute l’Europe ; c’est là que la mode invente toutes ses merveilles, l’urbanité toutes ses délicatesses, la fausseté sociale tous ses raffinemens. Les autres capitales s’en rapprochent plus ou moins, et depuis Londres jusqu’à St.-Pétersbourg, de Madrid jusqu’à Stockolhm, c’est sur les Parisiens que se modèlent les plus élégans petits-maitres, et sur les Parisiennes que se composent les plus élégantes petites-maitresses.
Mais comme les copies sont toujours inférieures aux originaux, il n’est point étonnant que ces imitations dégénèrent quelquefois en caricatures. C’est sur tout à Londres qu’elles paroissent jouir plus amplement de ce privilège. Aussi, quand nos auteurs comiques veulent peindre un petit maitre ridicule, lourd, et maladroit, c’est toujours un Anglais que préfère leur muse satyrique. On devoit donc s'attendre qu’une pièce qui nous promettoit le bon ton de Londres, ne nous montreroit que le nôtre dégéneré ; et c’est en effet le tableau que présente la pièce nouvelle.
Un bon gentilhomme campagnard, très-entiché des mœurs anciennes, toujours prêt à s'enflammer à la vue des modes et des sottises nouvelles, vient à Londres rendre visite à deux nièces dont l’une est mariée à un noble lord, et l’autre se dispose à contracter un aussi brillant hymen. Ces deux nièces étoient de mœurs douces, simples et vertueuses. L’air de Londres renverse subitement tout l’édifice de leur éducation. La jeune femme dédaigne son mari pour courir après des amans ; le mari quitte sa femme pour suivre d’autres amours ; les deux dames ne rêvent que bals, qu’intrigues de cœur, que parties de plaisir ; la vertu, la décence et la modestie ne sont plus à leurs yeux que des travers gothiques, surannés, bons à reléguer au fond des villages. Le vieux Baronnet voit tout cela, et ne peut retenir son indignation ; il éclate à chaque instant. Un seul valet lui reste, pauvre paysan idiot qui ne paroit guères fait pour la corruption de la capitale ; mais cet air de Londres est si contagieux, que le pauvre idiot perd la tête comme les autres, se fait couper les cheveux à la Titus, va se griser de bierre forte, et se mocque de son maitre qui préfère la campagne à la ville. Le Baronnet cherche en vain à ramener ses nièces ; il les surprend l’une et l’autre dans des tête-à-têtes plus que suspects. Sa colère s’exalte au plus haut point ; il s’arme de son autorité, et ramène ses nièces dans sa terre.
L’intrigue de cette pièce est peu de chose ; les détails sont meilleurs. Plusieurs scènes offrent des intentions fortement comiques, mais elles manquent de liaison et de développement. C’est une pièce où les idées ne manquent point, mais elles attendent la main d’un artiste habile pour être mises en œuvre ; cependant telles qu’elles sont, elles amusent encore beaucoup.
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