Les Mœurs ou le Divorce, comédie en un acte de C. Pigault-Lebrun. 4e jour supplémentaire an 2 [20 septembre 1794].
Cité-Variétés
Almanach des Muses 1796.
Deux petites pièces à peu près sur le même sujet [Le Mari coupable], données sur le même théâtre le même jour, 4e jour supplémentaire de l'an deux.
Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Barba, an 3 :
Les mœurs ou le divorce, comédie en un acte, en prose. représentée, pour la première fois, sur le théâtre de la Cité, la quatrième Sans-Culottide, de la seconde année Républicaine.
Dans toute la brochure, la pièce est appelée dans le haut de page le Divorce.
Les deux pièces, celle de la citoyenne Villeneuve, le Mari coupable et celle de Pigault-Lebrunfont l’objet d’un compte rendu commun dans l'Esprit des journaux français et étrangers.
L'Esprit des journaux français et étrangers, vingt-troisième année ; tome XI (novembre 1794 (vieux style), brumaire an 3e de la République Française), p. 256-260 :
[Deux pièces le même soir, autour d’une même situation déjà mise an théâtre par Pigault-Lebrun, l’une en opposition avec cette situation, l’autre allant dans le sens de cette pièce. Pigault-Lebrun met en scène la situation inverse de celle de son Orphelin, Mlle Villeneuve reprend cette situation.
La pièce de Mlle Villeneuve (si c’est bien elle qui l’a écrite) est un drame assez convenu d’un mari qui a un second ménage et qui sort de cette situation en avouant à sa femme sa situation, tandis qu’un de ses amis épouse sa maîtresse et adopte son enfant. La critique de la pièce lui reproche de ne pas exploiter complètement « les ressors dramatiques » du sujet, de manquer d’intérêt et de comporter quelques fautes de style (mais il est facile de les corriger). Sinon, c’est une pièce « bien conduite », dont la morale est excellente, et qui montre « de la sensibilité & du sentiment ». Le critique réclame de l’indulgence pour son auteur : c’est une femme...
La pièce de Pigault-Lebrun est moins dramatique que celle de Mlle Villeneuve, mais « elle offre souvent un comique très-hasardé ». Plus gaie, elle met en scène un libertin qui a quitté son foyer depuis vingt ans, et que sa fille, qui refuse de se marier à cause de la légèreté des hommes, veut corriger, par l’entremise de son amant qu’elle a promis d’épouser s’il parvient à corriger son père de son inconduite. L’amant parvient à ses fins en rendant le père libertin jaloux, et tout s’arrange : mari et femme se réconcilie, et la fille du libertin épouse son amant. reproches : « Des plaisenteries un peu fortes, des situations immorales un peu trop prolongées ». Mais on y retrouve aussi le talent de l’auteur, esprit et grâce de style, scènes filées avec art. la pièce est bien jouée.]
THÉÂTRE DE LA CITÉ-VARIÉTÉS.
Une nouveauté assez piquante avoit attiré le public à ce spectacle : c'étoit deux pieces faites, par hasard, sur le même sujet, par deux auteurs différens, & jouées, toutes deux, le même jour. Le cit. Pigault-Lebrun avoit eu l'idée de faire l'opposition de son Orphelin ; & l'idée d'un Mari coupable, d'après l'Orphelin, étoit venue de même à la cit. Villeneuve, auteur de plusieurs ouvrages, dont nous avons eu souvent occasion de parler avec éloge. Suivons l'ordre de la représentation, & commençons par le Mari coupable.
Dorfeuille aime sa femme & sa fille ; mais Dorfeuille a séduit une jeune innocente: il en a même un enfant, & il s'absente souvent de chez lui pour donner tous ses soins à son second ménage : cependant la jeune Adele, maîtresse de Dorfeuille, apprend que son amant est marié, qu'il a femme & enfant d'un autre côté : elle se livre à son désespoir, & ne veut plus voir cet homme corrompu. Un ami de ce dernier, qui partage les tourmens de la cit. Dorfeuille, engage son volage époux à lui confier les motifs qui l'éloignent si souvent de sa femme : Dorfeuille, pressé par le remords, lui apprend son intrigue avec Adele, qu'il a si cruellement trompée. L'ami généreux forme soudain le projet de rendre le calme à toute cette famille : son dessein est d'épouser Adele & d'adopter son enfant : il le communique à Dorfeuille, à condition qu'il se jettera aux pieds de sa femme, & qu'il lui dévoilera son odieuse conduite. Dorfeuille a de la peine à promettre de remplir cette condition ; mais enfin il y consent : il fait l'aveu de sa faute à sa femme, qui étoit déjà prévenue : la cit. Dorfeuille connoissoit sa rivale, & portoit même son portrait dans son sein ; cette femme étudioit les habits, les manieres de cette rivale, & les imitoit journellement pour se rendre plus belle aux yeux de son époux : Dorseuille obtient son pardon : l'ami fidele qui a réuni ce couple heureux, met le sceau à son ouvrage en épousant Adele, & la fille de Dorfeuille épouse son amant.
Les ressors dramatiques de cet ouvrage pourroient fort bien être plus forts : il est en général d'un intérêt un peu pâle : on y trouve aussi quelques légeres fautes de style, qu'on pourroit faire aisément disparoître : néamoins la piece est bien conduite : elle offre une morale excellente, de la sensibilité & du sentiment : elle est d'une femme; c'est un motif de plus pour faire taire la critique la plus sévere. On a demandé l'auteur : le cit. Villeneuve est venu nommer son épouse : on a désiré la voir ; elle s'est présentée.
L'autre piece, les Mœurs ou le Divorce, est moins drame que celle de la cit. Villeneuve ; mais aussi elle offre souvent un comique très-hasardé : le sujet y est traité plus gaiement. Thévenin est un libertin décidé : il y a plus de deux décades qu'il n'est rentré chez lui. Sa fille Emilie aime Durval & en est aimée ; mais, effrayée de la légèreté des hommes, elle refuse sa main à son amant : elle lui permet cependant d'espérer, s'il parvient, dans la journée, à corriger son pere, à le réunir à son épouse : Durval écrit la promesse d'Emilie sur ses tablettes, la lui fait signer, & dresse ses batteries pour remplir l'engagement qu'il a contracté. D'abord il engage la cit, Thévenin à se parer avec le goût le plus recherché : ensuite il parle à Thévenin comme un homme sans mœurs : il lui peint le plaisir qu'on goûte à posséder une femme mariée : Thévenin, qui est très-dépravé, appuie sur le tableau qu'il lui trace. Alors Durval lui avoue qu'il aime sa femme, qu'il lui fait sa cour, & qu'il est très-bien avec elle : il ne le croit pas d'ailleurs assez ridicule pour être jaloux.... A cet aveu, Thévenin sent se réveiller son ancienne tendresse pour sa femme : la jalousie déchire son cœur. II devoit souper en ville : il reste chez lui pour être témoin de l'intimité de sa femme avec Durval, En effet, il se cache derriere un meuble, & bientôt il voit arriver les deux prétendus amans. Ils se placent sur un sopha : Durval est pressant ; la cit Thévenin se défend mal : Durval hasarde un baiser. Son amante l'engage à se rendre chez le juge-de-paix, afin d'y presser son divorce. A ce mot de divorce, Thévenin se présente ; il fait une scene à Durval, qui le prie d attendre à le juger jusqu'à ce qu'il ait terminé ce qu'il a si heureusement commencé, & sort.... Thévenin, seul avec sa femme, commence par les reproches, & finit par se jetter à ses pieds. Sa femme est inflexible : elle a trop de motifs pour divorcer ; elle espere que Durval lui fera oublier la conduite vicieuse de son premier époux Thévenin avoue ses fautes, il s'en repent, & devient si pressant, que sa femme, fatiguée d'un rôle qui comprime son cœur sensible, se jette dans ses bras & lui pardonne. Durval rentre avec Emilie : il apprend à Thévenin que son amour n'étoit qu'une feinte, & que le seul qu'il ressent est pour la belle Emilie. Il présente son porte-feuille à cette derniere, qui y lit sa promesse en rougissant, & tout le monde devient heureux.
Des plaisenteries un peu fortes, des situations immorales un peu trop prolongées, déparent ce joli ouvrage, qui offre d'ailleurs tout l'esprit, toute la grace de style qui djstinguent les comédies du cit. Pigault-Lebrun. On y a applaudi avec enthousiasme plusieurs scenes, qui sont filées avec art, & portent le cachet de la bonne comédie. Le public a demandé l'auteur, & le cit. Meunier-St.-Clair est venu le nommer. Les principaux rôles de ces deux ouvrages nouveaux sont joués d'une maniere très-satisfaisante.
D'après la base César, la pièce n'a été jouée que le 20 septembre 1794, au Théâtre de la Cité.
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