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Les Modernes Enrichis
Les Modernes Enrichis, comédie en 3 actes, en vers libres, de Pujoulx. 26 Frimaire, an 6 [16 décembre 1797].
Théâtre de la République
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Titre :
Modernes enrichis (les)
Genre
comédie
Nombre d'actes :
3
Vers ou prose ,
en vers libres
Musique :
non
Date de création :
Théâtre :
26 frimaire an 6 (16 décembre 1797)
Auteur(s) des paroles :
J.-B. Pujoulx
Almanach des Muses 1799.
Portrait assez fidèle de nos Crésus du jour. Intrigue un peu embrouillée, quelques invraisemblances ; mais de scènes jolies, des vers piquans, des traits comiques.
Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Migneret, chez Vente, an VI – 1798 :
Les Modernes enrichis, comédie en trois actes, en vers libres ; Par le C.en J. Be. Pujoulx. Représentée pour la première fois an 6 de la République Française.
La pièce est précédée d'une préface, p. i à iii :
[L'objectif de cette préface, c'est de répondre à l'accusation portée contre la pièce de s'en prendre aux « fortunes récentes » : une telle attaque serait dangereuse pour la société. Pujoulx veut d'abord montrer que c'est moins aux fortunes qu'il s'en prend qu'à l'origine frauduleuse de certaines de ces fortunes. Or, c'est seulement aux fortunes malhonnêtes que la pièce s'attaque, au vol, au « crime astucieux »et non pas à la propriété. Pour Pujoulx, sa pièce n'est pas « une pièce de circonstance », mais la peinture des « mœurs actuelles ». Et le langage employé, que certains trouveront négligé, est justement celui de ces « modernes Enrichis » : il s'agit de montrer les ridicules et les défauts du temps présent pour tenter de corriger son siècle. Le rôle de l'auteur dramatique est de « faire tourner ce grand pouvoir de l'imagination au profit des mœurs ». Pujoulx se définit comme soucieux de morale.]
PRÉFACE.
Discuter le mérite ou les défauts dramatiques d'un ouvrage qui a été représenté, c'est plaider une cause jugée. Les auteurs et les critiques ont beau faire ; on ne juge pas les arts qui tiennent de si près à l'imagination sur des discussions : les spectateurs, les lecteurs ne se déterninent que par conviction, ou, ce qui est la même chose pour eux, par le sentiment qui les entraîne.
Je n'ai donc pour objet dans cet avertissement, que de relever une observation assez importante, puisqu'elle tend à dénaturer le but moral de mon ouvrage.
On m'a assuré qu'un journaliste, en rendant compte du succès de ma comédie, avait imprimé que c'étaitEt peut-être émettre une opinion dangereuse, que de manifester le desir de voir rendre compte des nouvelles fortunes. Je répondrai que pour que cette réflexion pût s'appliquer à ma pièce, il fallait que l'auteur de l'article ajoutât aux mots nouvelles fortunes, ceux-ci, frauduleusement acquises ; car je doute que dans aucun ouvrage dramatique on ait rappelé avec plus d'étendue que dans celui qu'on va lire, les droits sacrés de la propriété, bases de tout contrat social.
L'auteur de l'article cité aurait dû s'appercevoir que dire qu'il y a du danger à ne pas respecter les fortunes frauduleusement acquises aux dépens de l'Etat, c'est dire en d'autres termes qu'il y a de l'injustice à traduire devant les tribunaux le voleur qui vient de dépouiller un passant. Ce serait en effet une assertion étrange et bien opposée à l'opinion de tous les peuples policés et à la législation de toutes les nations, que de prétendre que les propriétés de l'Etat ne sont pas aussi sacrées que celles des particuliers.
Je n'aurais pas relevé cette observation, qui n'est peut-être due qu'à la précipitation avec laquelle on rédige les articles de spectacle, si je n'avais remarqué que c'est avec de pareilles idées que les fripons cherchent à intimider les hommes probes qui ont acquis de la fortune par leurs travaux ou leur industrie : ils voudraient persuader à ces derniers, que chaque fois qu'on élève la voix contre les sang-sues publiques, c'est à la propriété et non au vol qu'on en veut, espérant ainsi engager la probité ignorante à faire cause commune avec le crime astucieux.
D'autres journalistes ont imprimé que cette comédie est une pièce de circonstance. J'ignore quelle acception on donne maintenant à ces termes ; mais j'ai cru que l'auteur dramatique devait peindre les hommes tels qu'ils sont. Irai-je mettre en scène les ridicules qui n'existent plus, lorsque tant de nouveaux ridicules frappent ma vue ? et a-t-on jamais reproché à Lesage d'avoir fait une pièce de circonstance, parce qu'il a peint dans Turcaret les financiers de son temps ?
Plût au ciel que les vices et l'insolence de nos fripons enrichis fussent aussi passagers que leur fortune a été prompte !
Mais ce qui prouve que le public ne pense pas que l'on doive placer dans la classe des pièces de circonstances les ouvrages dramatiques qui peignent nos mœurs actuelles, c'est que quand dans le second acte l'homme de lettres s'écrie à l'aspect des modernes Enrichis qui viennent le consulter :
« Quel ton !... Que ne vis-tu Molière !
cette exclamation est toujours couverte d'applaudissemens redoublés. Oui, sans doute, si Molière vivait, il verrait dans ces hommes nouveaux une mine inépuisable de ridicules ; et j'espère que quelque auteur dramatique se ressaisira d'un sujet que l'on peut présenter sous plus d'un aspect.
Je ne doute pas que, malgré le succès constant que cette pièce a eu à la représentation, on ne ne reproche à la lecture de la négligence dans le style : je ne chercherai point à affaiblir ce reproche ; je dirai seulement que l'on éprouve une sorte de difficulté à retoucher le dialogue des scènes où le langage de certains personnages force, pour la vérité de l'expression, à des tournures grossières, à une espèce de patois dont j'ai craint de bannir le naturel par trop de travail. Les auteurs qui suivent la carrière dramatique, sentiront cette observation et ne seront point surpris lorsque je dirai que le second acte, qui paraît le plus soigné, m'a infiniment moins coûté que chacun des deux autres.
Au surplus , je déclare que j'ai composé cette pièce il y a environ deux ans, à plus de 150 lieues de Paris, dans une solitude champêtre ; que là, rempli de mon sujet, j'ai voulu peindre les fripons enrichis en général, et non tel ou tel Enrichi. J'ajouterai qu'il n'est pas digne d'entrer dans la carrière dramatique l'écrivain qui, mettant ses passions à la place de ses devoirs, ne veut corriger que quelques hommes. Ce sont les mœurs de son siècle que l'auteur dramatique doit chercher à anéliorer, et s'il n'en a le pouvoir, il faut du moins qu'il en ait la noble ambition.
L'homme de lettres ne doit jamais perdre de vue que la qualité que Ciceron comme la plus essentielle de l'orateur, la probité, doit être aussi la première de l'auteur dramatique. Plus les représentations théatrales ont d'influence sur les passions, et plus il doit mettre d'attention à faire tourner ce grand pouvoir de l'imagination au profit des mœurs.
Quant à moi, lorsque je vois l'art dramatique courir vers une décadence prochaine, si je ne puis par mes talens opposer une digue à ce torrent, je puis du moins, par mon penchant irrésistible pour tout ce qui est moral, contribuer à jeter le dégoût sur cette foule de productions qui, en dépravant l'ame, vont contre le but des arts libéraux, qui est de rendre les hommes bons et heureux.
Courrier des spectacles, n° 299 du 27 brumaire an 6 [17 décembre 1797], p. 2-3 :
[Le compte rendu ne laisse aucun espoir : la nouvelle pièce est « une pièce de circonstance »; « un ouvrage au-dessous du médiocre », dont le critique dénonce la vacuité : des conversations sans intérêt, futiles, qu’on a tout de même applaudies. L’auteur a été nommé, mais le critique a mal compris son nom (y avait-il trop de bruit ?). Le résumé de l’intrigue essaie de rendre compte d’une histoire compliquée, dans le milieu fort peu moral des « fournisseurs », les « nouveaux enrichis », qui ne cessent pas de se voler les uns les autres. Le dernier arrivé est le pire, et c’est lui qu’on vient arrêter (les temps changent, et la morale revient en force !). Et ses collègues, guère moins malhonnêtes, sont ruinés. Une fin qui doit plaire au public... Le critique est peu enthousiaste : on lui a présenté la pièce comme une comédie, ce qui lui fait regretter que Molière ne soit plus de ce monde pour écrire de vraies comédies.]
Théâtre de la République.
Encore une. pièce de circonstance donnée hier à ce théâtre sous le litre des Modernes enrichis. C’est annoncer un ouvrage au-dessous du médiocre, aussi celui-ci ne présente-t-il point de plan régulier, d’intrigue suivie et conduite avec art. On n’y trouve pas ce vrai comique qui caractérise un disciple de Thalie ; mais on y entend force calembourgs, plates et longues conversations, sans mouvemens, sans action, hormis celle cependant qui accompagne, sous le nom de thé un vrai souper. On y entend dire très-spirituellement que du thé est de l’eau toute clair, que c’est une fort bonne chose qu’une glace, que c’est dommage qu’on ne l’ait pas fait chauffer, etc. etc. On a cependant vivement applaudi suivant l’usage, et l’on a demandé l’auteur, qui est le cit. Pajot.
Mersan a prêté une somme d’environ quinze mille livres à un individu, qui, devenu depuis fournisseur, a fait une grande fortune, et a voulu rembourser son créancier avec presque rien. Celui-ci a refusé, et réduit à la dernière misère, il occupe un grenier, que son débiteur, M. Saint-Victor, vient bientôt lui ravir, en en demandant la jouissance au propriétaire de la maison. Un homme de lettres, grand versificateur, qui occupe la même maison, prend le parti du vieillard; et dans une visite que lui fait le fournisseur, afin qu’il lui dresse un mémoire pour obtenir le paiement de fourniture ; il lui fait connoitre sa haine pour les gens de son état, et l’oblige par des menaces à donner à Mersan une lettre de change de la totalité du capital qu’il en a reçu. Bientôt après on vient avertir Saint-Victor, qui est avec Roustan, un de ses confrères, et un certain Fronsac, encore plus fripon qu’eux, que l’on vient faire une perquisition. Fronsac qui s’est fait déposer huit cent mille livres appartenani [sic] par moitié aux deux autres, sort, et est arrêté : c’étoit lui qu’on venoit prendre pour des comptes qu’il n’avoit pas rendus de deniers appartenans à l’état. Grand désespoir de la part des deux fournisseurs qui se trouvent ruinés.
Tel est à-peu-près le sujet de ce qu’on appelle une comédie. L’auteur a bien raison de faire dire à un de ses acteurs : Que n'existes-tu, Molière ! On ne s’apperçoit que trop de ne l’avoir plus, en voyant de pareils ouvrages.
L. P.
La Décade philosophique, littéraire et politique, Sixième année de la République, IIe trimestre, n° 10, 10 Nivôse, samedi 30 décembre 1797, p. 37-40 :
[Ce qui compte dans cette pièce, c’est qu’elle parle de la situation née du « renversement total dans les mœurs habituelles de la société », « du bouleversement des fortunes, de l’insolence des nouveaux riches ». Et l’auteur est félicité d’avoir traité ce sujet. Le résumé de l’intrigue est un peu confus, comme l’intrigue elle même (« la fable en est peu-être un peu longue, un eu embrouillée, quelquefois invraisemblable »). Mais c’est une « pièce de circonstance », et les détails comme les caractères sont des caricatures, « des tableaux du moment » qui doivent « prendre sur le fait le ridicule de ses modèles ». Le critique rapproche la pièce des Précieuses ridicules, exemple de la peinture d’un ridicule dans une comédie. Il cite ensuite « plusieurs traits […] goûtés avec raison dans le dialogue », et qui ont fait rire ou applaudir (mais qui donnent une image peu flatteuse de la qualité de la versification !). En bref, « pas une très bonne comédie », mais de l’observation, et « la très-louable ambition d’être comique et moral » (deux ambitions indispensables chez l’auteur de comédie, le deuxième ne devant jamais être laissé de côté).
Article repris dans L’Esprit des journaux français et étrangers, 1798 (vingt-septième année), tome I (janvier 1798, nivôse, an VI), p. 190-194.]
Théâtre de la République.
Les Modernes enrichis.
Le déplacement des fortunes est une suite presqu'inévitable des grandes crises politiques ; ce déplacement donne nécessairement à la nation qui l'éprouve le spectacle bizarre d'un renversement total dans les mœurs habituelles do la société ; et si d'un côté le tableau scandaleux des gains illégitimes de la cupidité, révolte l'écrivain moral au point d'exciter sa vertueuse indignation, de l'autre le contraste risible du ton des parvenus, avec leur nouvelle opulence, lui arrache plus d'une fois le sourire : c'est sous ces deux points de vue à-la-fois que le C. Pujoulx a voulu venger la société et les victimes du bouleversement des fortunes, de l'insolence des nouveaux riches. Il a réussi. Voici le cadre qu'il a choisi.
Truchat et Rustan, d'origine assez communs pour n'avoir reçu que très-peu d éducation, sont parvenus sans talens à se faire une très-grande fortune depuis 1789. Le premier a profité de la révolution, non-seulement pour s'enrichir, mais même pour ruiner un de ses créanciers en le remboursant
En argent dont le poids n'était, que nominal.
Il quitte son nom de Truchat, pour celui de St.-Victor, prend toutes les livrées du luxe, habille sa femme à la grecque et son fils en incroyable, donne des thés, et tâche d'imiter le ton de la bonne compagnie, à-peu-près comme le Bourgeois-gentilhomme, veut singer les grands Seigneurs. Un troisième frippon , Ronflac, qui a déjà fait banqueroute avant la révolution, jaloux de voir prospérer la sottise, imagine de les effrayer un peu en leur annonçant des perquisitions sévères du Gouvernement sur les nouvelles fortunes ; il parvient, par cette ruse, à faire verser dans sa caisse, comme dépôt, huit cent mille francs qu'ils craignent de garder chez eux, afin d'assurer par là son crédit.
Dans le même hôtel garni, dont Truchal ou Saint-Victor occupe les trois quarts, loge un Homme-de-Lettres et son épouse ; dans un galetas du grenier habite aussi un vieillard indigent, nommé Mersan, ruiné par la fripponnerie de ses débiteurs, et que St.-Victor veut absolument faire renvoyer pour loger son chenil. Le malheureux vieillard dépose ses chagrins chez le vertueux couple d'artistes qui promet de chercher à le dédommager et à le servir. L'occasion s'en présente : St.-Victor vient chez l'Homme-de-Lettres, sur le bien que lui en a dit l'hôte, pour le prier de faire en sa faveur un mémoire de réclamations au Gouvernement.
L'Homme-de-Lettres, franc, incorruptible et courageux, leur parle avec énergie contre les nouveaux enrichis, et leur fait écouter très-comiquement, une sortie vigoureuse qu'il vient de faire en vers contre les sangsues du peuple.
Nos modernes Crésus voient qu'ils se sont mal adressés, et veulent se retirer ; Verseuil profite de l'instant pour prier St.-Victor de ne pas exiger le déplacement du vieillard ; il appelle celui-ci pour joindre ses instances aux siennes ; mais Mersan apercevant St.-Victor, le reconnaît pour Truchat, son frauduleux débiteur et l'auteur de sa ruine. Pour éviter l'éclat fâcheux que peut produire cette rencontre, il faut consentir à transiger, et signer, tant bien, que mal, une obligation payable le soir même. Mais une plus terrible catastrophe attendait nos fournisseurs. Tandis qu'ils se livrent le soir à leur grossière gaieté dans une de ces orgies splendides, on investit leur maison, et l'on arrête Ronflac, comme comptable infidelle envers.le Gouvernement, et qui pour se débarasser, livre les huit cent mille francs qu'il a reçus le, matin de St.-Victor et de Rustan.
Telle est l'intrigue de cette petite comédie : la fable en est peut-être un peu longue, un peu embrouillée, quelquefois invraisemblable ; mais l'auteur a racheté ces défauts par des détails, tantôt énergiques, et tantôt plaisans, qui jettent du charme sur son ouvrage. Le caractère et le ton de la femme enrichie ; la carricature excellente et parfaitement rendue du fils de Truchat, bon et franc paysan transformé en incroyable ; ensuite, l'opposition adroite du courage et de la vertu de l'Homme-de-Lettres, ses élans d'indignation et de verve, tout cela fait honneur à l'auteur, et prouve quelque talent à vaincre les difficultés.
Les sujets tels que celui-ci, en présentent d'autant plus qu'ils ne sont d'abord que des tableaux du moment, et qu'il faut pour ainsi dire prendre sur le fait le ridicule de ses modèles ; que de plus, il faut beaucoup d art pour ne pas confondre l'odieux et le ridicule, la vérité et la carricature : l'auteur a peut-être un peu sacrifié l'une à l'autre ; mais, quoiqu'il en soit, il nous parait s'en être assez adroitement tiré.
Sa comédie ne peut être regardée que comme une pièce de circonstances, mais les ridicules passagers sont du domaine des auteurs comiques, ainsi que les ridicules permanens, c'est ce qui fit composer à Molière, lui-même, ses Précieuses ridicules, et l'on se souvient qu'un vieillard cria du milieu du parterre à la représentation de cette pièce : Courage Molière , voilà la bonne comédie.
On doit savoir gré à l'auteur d'avoir fait dire à son Homme-de-Lettres, en voyant les modernes enrichis :
Quel ton! que ne vis-tu Molière !
Plusieurs traits ont été goûtés avec raison dans le dialogue. On ne peut s'empêcher de rire ou d'applaudir à ceux-ci :
Là ! peut-être l'honneur ! et nous n'y pensions pas !
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On cherchait un voleur et ce n'était pas vous.
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Vous voyez qu'on les sert, quoique l'on les méprise.
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Le vice et l'insolence habitent le premier,
Mérite et probité gissent prés du grenier.
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I' disont q'j'ai le tac ;
Le col dans une nappe , et le corps dans un sac.
Enfin , si la pièce n'est pas une très-bonne comédie, elle dénote cependant le talent d'un observateur, et la très-louable ambition d'être comique et moral.
D'après la base César, la pièce a été représentée 24 fois au théâtre français de la rue de Richelieu, du 16 décembre 1797 au 31 août 1798, avant d'être reprise trois fois, du 31 décembre 1798 au 30 janvier 1799, au Théâtre du Vaudeville.
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