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Les Mystères d'Isis

Les Mystères d'Isis, opéra en 4 actes, paroles de Morel de Chédeville, musique de feu Mozart (et de Lachnith), ballets de Gardel, 2 fructidor an 9 [20 août 1801].

Théâtre de la République et des Arts.

Le public parisien a attendu dix ans avant d'entendre la musique, défigurée par Lachnith, de la Flûte enchantée, créée à Vienne le 30 septembre 1791. Il ne connaîtra la pièce authentique qu'en 1829. Les Mystères d'Isis seront jouée jusqu'en 1827, et auront cent trente représentations. Un article de la Revue et Gazette musicale de Paris 46e année, n° 14 du 6 avril 1879, dû à Ch. Bannelier, résume cette longue histoire.

Titre :

Mystères d’Isis (les)

Genre

opéra

Nombre d'actes :

4

Vers / prose

en vers

Musique :

oui

Date de création :

25 thermidor an IX

Théâtre :

Théâtre de la République et des Arts

Auteur(s) des paroles :

Morel

Compositeur(s) :

Mozart et Lachnith

Chorégraphe(s) :

Gardel

Almanach des Muses 1802

Isménor, jeune prince égyptien, est appelé par les dieux à succéder au grand pontife Zarastro. Il doit épouser la fille de Zoroastre et de Myrrène, s'il subit les épreuves avec courage : il en triomphe, et reçoit solennellement la main de Pamira. Il est en quelque sorte parodié par son écuyer poltron,qui, à l'aide d'un instrument magique, triomphe aussi des obstacles qui causent sa fureur.

Ouvrage parodié sur la pièce allemande intitulée la Flûte enchantée.

Beaucoup de spectacle, décorations magiques, ballets ingénieux, détails brillans, musique enchanteresse.

Style faible ; mais que l'on a jugé trop sévèrement.

La situation de l'auteur obligé de parodier est celle d'un homme qui a les jambes liées ; exigerait-on de celui-ci qu'il courût, lorsqu'à peine il pourrait marcher ?

Sur la page de titre de la brochure, Paris, de l'imprimerie de Prault, an IX :

Les Mystères d'Isis, opéra en IV actes ; Représenté sur le Théâtre de la République et des Arts, le 25 Thermidor an IX.

Autre édition, Paris, chez Roullet, 1806 :

Les Mystères d'Isis, opéra en quatre actes ; Représenté sur le Théâtre de la République et des Arts, le 25 Thermidor an IX.

Avant cette page de titre, indication aux « auteurs » :

Paroles de M. E. Morel, musique de Mozart, arrangée par M. Lacnith ; les ballets de la composition de M. Gardel.

Nota. M. Lachnith a composé le récitatif, et formé la partition. Tous les morceaux de musique sont parodiés de l'Opéra de la Flûte Enchantée. Ceux qui ont été choisi dans différentes partitions de Mozart, sont indiqués dans le cours de l'ouvrage.

La première représentation a eu lieu en fait le 2 fructidor [20 août]. Le Courrier des spectacles de ce jour (n° 1634) indique :

Les cit. Frédéric D. et Dalvimare exécuteront dans le ballet du 4me acte un Solo de cor et de harpe de leur composition.

Le cit. Sallentin exécutera le solo de hautbois.

Courrier des spectacles n° 1635 du 3 fructidor an 9 [21 août 1801], p. 2 :

[En attendant un compte rendu complet, promis pour le lendemain, le critique se contente de souligner le succès de la musique de Mozart, magnifiquement exécutée. Il insiste en particulier sur un air superbement interprété, et auquel nul ne pouvait résister. Sinon, les décors sont très beaux et très riches. Les costumes le sont aussi, avec une intéressante notation : ils « sont traités dans tous leurs détails avec autant de luxe que d’exactitude ». La complexité du spectacle permet de comprendre qu’il ait fallu tant de temps pour le monter. Reste le sujet. Il est « presqu’entièrement dénué d’intérêt », il est comparé à « un nain guindé sur des échasses ». L'image est forte !]

Théâtre de la République et des Arts.

L’opéra des Mystères d'Isis a obtenu le plus brillant succès. La charmante musique de Mozart, exécutée avec un soin extrême, n’a cessé d’exciter des applaudissemens qui tenoient de l’enthousiasme ; un air plein de douceur et de délicatesse, chanté avec beaucoup de goût par le cit. Laïs, a été redemandé et répété, ce qui est fort rare à ce spectacle ; mais le charme de ce morceau, et l’effet céleste de l’accompagnement de harpe et d’harmonica, n’ont pas laissé les spectateurs maîtres de l’impression qu’ils éprouvoient. La salle retentissoit de bravo et de bis.

On ne peut se faire une idée de la magnificence et de la magie des décorations. Les costumes sont traités dans tous leurs détails avec autant de luxe que d’exactitude ; les ballets et les pas sont composés savamment ; l’exécution répond au dessin. Enfin, quand on remarque la richesse de cet ouvrage, on n’est plus étonné qu’il ait fallu un tems considérable pour l’établir. Combien il est à regretter que le sujet par lui-même soit presqu’entièrement dénué d’intérêt ! C’est un nain guindé sur des échasses.

Le défaut de tems nous force à différer jusqu’à demain quelques développemens.

B ***.         

Courrier des spectacles n° 1636 du 4 fructidor an 9 [22 août 1801], p. 2-3 :

[Après les généralités de la veille, le critique entreprend de faire le tour des divers aspects du spectacle, pour en montrer d’abord les limites, avant d’en proclamer la beauté. La grande limite, déjà évoquée la veille, c’est le sujet : fallait-il vraiment imaginer une intrigue pour évoquer « des mystères sacrés […] d’un peuple célèbre » ? Le résumé de l’intrigue insiste beaucoup sur les défauts du livret, dont l’invraisemblance et l’incohérence est soulignée à plusieurs reprises. Ces défauts auraient dû être corrigés, comme devrait l’être l’enlèvement d’Ismenor « emporté au sein des airs ». Une fois arrivé au dénouement, le critique dit tout le bien qu’il faut penser de la musique, à laquelle on ne saurait reprocher que quelques longueurs au troisième acte, celui dans lequel on en trouve pas d’action. Impossible de faire un choix parmi tous ces morceaux, ce qui n’interdit pas qu’on relève l’utilisation du clavicorde, instrument visiblement très impressionnant, et toute une série d’airs. L’orchestre a été excellent, sans doute suite à un grand travail. La danse est elle aussi jugée de façon très positive : les divers pas, de deux, d’un seul, de quatre, sont mis en avant, montrant « que les ressources de cet art ne sauroient s'épuiser ». Enfin , comme l’opéra est un art total, il faut parler des effets visuels qui ont été jugés extraordinaires : les décors et les machines sont de l’ordre du merveilleux, l’éclairage joue savamment des couleurs et de l’espace, faisant naître des effets de contraste puissants. L’article peut s'achever là : le critique a fait le tour de tous els aspects du spectacle, et ne ressent pas le besoin de récapituler ce qu’il vient de passer en revue, livret, musique, danse, mise en scène.]

Théâtre de la République et des Arts.

Un grand défaut dans le sujet de l’opéra d’Isis, c’est que rien ne motive les évènemens, rien ne justifie les passions, rien n'anime les situations. Cet empire qu’exercent sur l’imagination des mystères sacrés, ces détails des cérémonies de la religion d’un peuple célèbre, prêtoient difficilement au drame dans une action ; il falloit en créer une ; mais ne pouvoit-on pas se dispenser d’en faire une intrigue ?

Ismenor, prince égyptien, est destiné à succéder au grand pontife Zarastro. On sent qu’il ne peut occuper cette dignité sans avoir été initié aux mystères de la déesse Isis. C’étoit-là tout le fonds raisonnable du sujet ; mais voici le jour secondaire sous lequel ce dernier a été présenté. Ismenor aime Pamina, fille de Myrhene et d’un roi de Memphis, qui en mourant a chargé Zarastro de soustraire cette princesse à tous les regards, et (à ce qu'il faut présumer) de ne la remettre qu’à celui que l’amour feroit triomphe r de toutes les épreuves de l'initiation. Myrhenne qui, vraisemblablement, ignore que Zarastro ne fait que remplir les dernières intentions de son époux, se répand en imprécations contre le grand pontife, le traite d’usurpateur, et souffle le feu de la vengeance au cœur d’Ismenor. Ce sentiment de vengeance devient inutile, et tue entièrement le rôle de Myrhenne ; car il suffit de l’amour à Ismenor pour affronter les épreuves. Il n’obéit même qu’à ce sentiment qui le subjugue, au point qu’il suit Zarastro, ou ses ministres, dans toute la marche des mystères. Myrhene cependant, craignant qu’Ismenor ne succombe aux épreuves, remet aux mains de Bochoris, pâtre Egyptien attaché à son service, et à celui de Pamina, un instrument qui doit dissiper tous les prestiges. Cette précaution est encore assez naturelle, et il falloit borner là toute l’action ; mais on l’a délayée dans une double intrigue ; Buchoris, espece de Sosie, est amoureux d’une suivante de Pamina. Cette suivante se déguise en vieille pour savoir si Bochoris lui est fidelle ; nouvelle épreuve un peu étrangère aux autres ; situation d’ailleurs qu’on avoit déjà dans Panurge.

Quoique ces graves défauts appartiennent un peu au poëme sur lequel la partition avoit été faite, le goût prescrivoit de les corriger ; mais revenons au sujet.

Bochoris à l’entrée du temple, attendrit ses gardiens, et par ses accords les enchante au point qu’ils dansent. Zarastio survient, on amène devant lui Isménor et Pamina ; il dit à cette princesse qu’Isménor ne peut devenir son époux qu’en prouvant sa constance. On sépare les deux amans ; ils ne reparaissent point au troisième acte qui se passe dans la salle d’assemblée des prêtres, il est rempli par des chants religieux d’une grande beauté, et par une pompe théâtrale très-bien ordonnée. le quatrième acte est consacré aux épreuves, et c’est ici qu’à défaut d’un intérêt bien marqué, le spectacle devient du moins très-brillant ; Bochoris sort d’un souterrain, la frayeur le poursuit ; il chante pour se rassurer : les idées qui lui viennent à l’esprit ne sont ni bien neuves ni bien relevées :

A la ville, au village,
On n’est content de rien ;
Pensons comme le sage
Qui dit que tout est bien.

chansonnette, et pas autre chose ! c’est ici que Mona éprouve Bochoris, n’en est point reconnue; et sort contente de n’avoir pas ébranlé sa constance en lui apparoissant sous l’aspect de l’âge qui lui offre le moins d’attraits.

Enfin Ismenor à son tour subit ses épreuves ; il a surmonté celles de la terre ; il est emporté au sein des airs. (On changera sans doute cet enlèvement , il se fait sans goût et sans graces ; il devroît produire un autre effet) On entend le mugissement des ondes ; Ismenor traverse un fleuve agité en tenant un flambeau qui ne doit pas s’éteindre ; bientôt il marche sous des voûtes enflammées sur des vagues de laves ardentes. Les éclats du tonnerre annoncent qu’Isis est satisfaite ; Ismenor se trouve transporté au temple de la Lumière, et y reçoit Pamina des mains de Zarastro et de Mirhene.

La mélodie des chants de Mozart , la beauté de ses morceaux d’ensemble, et l’art tout-à-fait magique avec lequel il emploie tous les instrumens de l'orchestre, tournoient parfaitement au sujet : aussi, à l’exception de quelques longueurs dans le troisième acte, tout fait-il grand plaisir. Il est à peine permis de distinguer ; le choix est embarassant. Ce qui paroît avoir frappé le plus, c’est l’effet d’un clavicorde (instrument d’acier), dont l’effet est quelque chose de délicieux. Il faut observer qu’il est accompagné de la harpe par le citoyen Cousineau et qu’il suit la voix du citoyen Laïs. Tous ces sons d’une égale douceur forment un concert vraiment céleste. On a beaucoup applaudi le premier chœur des femmes, un air varié pendant le ballet du premier acte, une superbe invocation à la Nuit ; un trio toujours beau, quoique plus généralement connu, et un très-bel air de baisse-taille [sic], qui a donné au citoyen Chéron occasion de faire valoir ses moyens dans toute leur étendue; et de faire briller sa précieuse méthode sous un nouveau jour.

L’exécution de l’orchestre a été supérieure. Cette musique a tant de variétés, elle est d’ailleurs si délicate que, pour être rendue avec autant de goût et de précision, elle a dû coûter un travail considérable.

La danse est parfaitement entendue ; un premier pas de mademoiselle Saulnier, une lutte brillance entre mesdemoiselles Clotilde et Chameroi, un pas seul par mademoiselle Delisle, un pas de quatre exécuté par les cit. St-Amand et Beaulieu et mesdemoiselles Louise et Millière, un autre infiniment gracieux et d’une composition aussi fraiche qu’originale, dansé avec tout le goût imaginable, par les jeunes Duport, représentant des Egyptiens, ont tour-à-tour excité l’admiration des spectateurs, et prouvent que les ressources de cet art ne sauroient s’épuiser.

Les décorations et les machines semblent tenir du merveilleux ; les premières couleurs que le jour fait pénétrer dans un vaste édifice ont été imitées et graduées avec une grande intelligence. Ces gradations ont été produites par des verres bleus posés sur les lampes ; des châssis enlevés ensuite partiellement ; et remplacés par des verres blancs.

C’est dans l’exécution des Mystères d'Isis qu’on verra toujours avec un nouveau plaisir que les beaux effets des décorations résultent des contrastes, lorsque de grands espaces sont offerts aux yeux des spectateurs après des espaces plus petits, et qu’à l’obscurité d’un lieu sombre succède rapidement un lieu brillant de tout l’éclat de la lumière.

Il n’y a pas de surprise plus agréable que celle de voir le séjour de la Félicité paroître à l’ordre du Gébie, et ensuite celui des Tourmens effacer les douces idées que le premier avoit fait naître. Elle n’a pas été moins vive, lorsque les épreuves de l’eau et du feu ont fait rapidement deux contrastes différens avec le ton de couleur de la sombre décoration du souterrain ; mais l’étonnement a été au comble, lorsqu’à cette lugubre enceinte a succédé le temple du Feu.

B ***.         

Journal littéraire et bibliographique, décembre 1801, p. 443-447 :

[En peu de mots :

  • comme toute l’armée ne parlait que de la Flûte enchantée, l’opéra s’est senti obligé de le représenter, et il a fallu écrire un livret français, tâche présentée comme ardue, et dont un « poëte assez facile, assez bénévole » a bien voulu se charger, avec un résultat inégal : « un Opéra, moitié sérieux, moitié bouffon, dans lequel on entend, tantôt bien, tantôt mal adaptée, la musique » de Mozarf ;

  • l’intrigue de Morel est manquée : « rien de commun, d'obscur, d'inintelligible comme l'intrigue qu'il a imaginée », et le critique joue du contexte initiatique de la pièce pour ironiser sur un livret auquel, dit-il, on ne comprend rien (et il a facile de montrer qu’on ne sait pas pourquoi on voit Zoroastre le Persan en Egypte, pourquoi Pamina a été enlevée 

  • l’intrigue est incompréhensible, les rôles sont très inégaux (deux rôles féminins sur trois sont déclarés nuls), et le style est mauvais : « à l'exception de quelques passages, cet opéra est extrêmement mal écrit »

  • il a fallu, pour d’obscures raison d’équilibre entre les rôles, puiser des airs dans divers opéras, et des airs de qualité, mais de genres différents voisinent avec des morceaux d’ensemble « entièrement bouffons » (ceux de la Flûte enchantée ») ; de plus les interprètes ne sont pas rompus au chant mozartien, et seul un chanteur remplit correctement son rôle ;

  • la seule part du spectacle à sauver, c’est

    • la musique de Mozart (« Mozart est le Gretry de l’Allemagne », ce qui est flatteur pour Grétry),

    • et les décors et les costumes, « d’une exactitude scrupuleuse » [mais exactitude par rapport à quoi ?] ; mais ils sont peut-être un peu trop luxueux pour « l'ouvrage d'un étranger, qui n'avoit pas besoin de ce luxe pour réussir ».]

Les mystères d'Isis, opéra en 4 actes, paroles de Morel, musique de Mozart, arrangée par Lachennitz.

Depuis que la France a porté la guerre en Allemagne, tous les militaires revenant de ce pays, et tous les voyageurs ne cessoient, à leur retour, de parler de la flûte enchantée de Mozart ; cet opéra de l'élève d'Hayden, qui se soit le plus rapproché de la manière et de la gloire du maître, étoit joué sur tous les théâtres : à Vienne, à Stutgard , à Manheim, à Franfort, partout il faisoit les délices de la cour, du public, et des étrangers. A force d'en vanter les beautés, on a déterminé l'administration de l'Opéra, à le faire représenter. Le premier soin à prendre, étoit de trouver un poëte assez facile, assez bénévole, pour se charger de l'emploi pénible et du travail ingrat, de composer un ouvrage parodié, sur la musique de Mozart ; c'étoit du péril sans gloire : il s'est trouvé un homme assez dévoué pour tenter l'entreprise. Le citoyen Morel est venu à bout de nous donner un Opéra, moitié sérieux, moitié bouffon, dans lequel on entend, tantôt bien, tantôt mal adaptée, la musique toujours charmante de Mozart.

Séthos et les voyages d'Antenor lui ont fourni son sujet, et l'antiquité, le titre imposant qu'il a choisi : il a voulu retracer Les Mystères d'Isis. S'il avoit essayé de peindre les cérémonies religieuses de l'Egypte dans toute leur pompe, leurs hyérophantes dans tout l'éclat de leur domination, les peuples dans leur superstition barbare, les initiés dans leur aveugle crédulité, et lier à ces tableaux une action raisonnable, dramatique, intéressante et morale, on devroit lui savoir beaucoup de gré de son travail. Mais rien de commun, d'obscur, d'inintelligible comme l'intrigue qu'il a imaginée : la pièce est un véritable mystère ; et pour l'entendre, il faut subir une rude épreuve ; on ne se trouve pas facilement initié aux secrets de l'auteur. L'action est lente, entièrement dépourvue d'intérêt ; un mélange choquant, de sérieux et de bouffon, s'y fait sentir à chaque instant. La Caravane et Panurge sont, auprès de cet amphigouri lyrique, des chefs-d’œuvres.

Un grand prêtre nommé Zarastro a succédé dans cette éminente dignité à Zoroastre dont on voit avec quelqu'étonnement le nom figurer dans les annales du sacerdoce égyptien : on l'avoit cru persan jusqu'à ce jour ; peu importe. Ce qui importeroit davantage, ce seroit de savoir pourquoi ce grand prêtre a jugé à propos d'enlever Pamina, fille de Myrrhène et de Zoroastre, et de l'enfermer dans l'intérieur de son temple, à peu près comme le petit Joas dans Athalie.

Un prince Isménor, arrivé l'on me sait d'où, parle de son amour pour Pamima, sans paroître savoir quel est son sort ; il faut qu'un pâtre égyptien, avec lequel le prince semble avoir des relations très-familières, vienne le lui apprendre. Myrrhème vient supplier Isménor d'être le libérateur de sa fille ; Isménor se dévoue : mais il apprend que l'ordre des dieux a disposé de Pamina, et que, s'il veut obtenir cette belle et prétendre au rang auguste qu'occupoit son père, il doit subir les épreuves terribles, inventées pour le culte d'Isis, et être compté parmi les initiés. Le héros se livre alors à son courage, subit les épreuves les plus difficiles, et obtient la récompense promise. Le pâtre égyptien fait à peu près dans la pièce, l'office du paillasse, chez les danseurs de corde. Trois rôles de femmes sont liés à cette intrigue, de la manière la plus invraisemblable et la plus insignifiante. Celui de Pamina est d'une nullité absolue ; celui de sa suivante ne l'est pas moins ; celui de Myrrhène, seul, a quelque mouvement, mais ne donne lieu qu'à des scènes sans intérêt.

Voilà, sauf erreur, quelle est la conduite de cet ouvrage : il faut se garder de croire que le mérite du style rachète les vices du plan ; à l'exception de quelques passages, cet opéra est extrêmement mal écrit.

Ce ne sont toutefois, ni les défauts du plan, ni ceux du style qui nous ont le plus frappés ; c'est la maladresse du parodiste qui travestit un opéra léger, bouffon même, en un ouvrage presque sérieux. Quel effet en est-il résulté ? le voici ; les amis de l'art jugeront s'il est conforme aux lois du goût, et si Mozart, vivant, devroit s'en féliciter ou s'en plaindre. La Flûte enchantée n'a pu suffire aux Mystères d'Isis. Pour faire chanter les princes et princesses égyptiens, il a fallu recourir à Mozart lui même, et dérober à sa Clémence de Titus, à son Don Juan, et même à son Mariage de Figaro, quelques airs qui fussent par leur caractère, convenables aux personnages et à la situation. Ces airs ont été assez bien choisis, ils sont très beaux sans doute : mais ils ne sont pas entre eux du même style, il s'en faut de tout ; ils ne sont pas du style de la Flûte enchantée, il s'en faut bien davantage. Il en résulte, non pas des oppositions, mon pas des contrastes, mais des disparates choquantes, un défaut d'harmonie et d'unité très sensible. C'est peu quant aux airs seuls, la situation peut les rendre assez convenables ; mais les morceaux d'ensemble étoient entièrement bouffons, on n'a pu, sous peine d'être nommé sacrilége, altérer ces morceaux : or l'on fait participer à leur exécution des personnages sérieux. Le prince Isménor, la princesse Myrrhène qui viennent de chanter des airs très-pathétiques, prennent à côté de Bochoris, l'allure italienne et le chant bouffon de ce personnage. Cet effet doit être particulièrement remarqué dans la belle finale du premier acte. Mais, dira-t-on, si l'opéra est mauvais, si les vers sont détestables, si la musique est mal parodiée, il faut donc que le jeu et le chant des acteurs rachètent tous ces défauts : point du tout. Lainé chante Isménor dans les mystères d'Isis, comme on lui a entendu chanter le Castor de Rameau ; Chéron , dans Zarastro, n'est pas constamment juste ; Mlle. Maillard qui joue Myrrhene, après de très-beaux momens cède à l'habitude qu'elle a de crier ; la voix de Mlle. Armand n'est pas assez flexible pour cette musique ; une salle moins vaste, un orchestre moins puissant seroient nécessaires à Mlle. Henry, forte d'une méthode très bonne, mais foible de moyens : elle joue Pamina. Laïs seul peut être cité; le rôle du Pâtre d'ailleurs paroît fait exprès pour son jeu ; et cependant y déploie t-il autant de goût que de moyens? quel soin prend-il pour donner plus de prix encore à sa belle voix ? s'il chante bien

Soyez sensibles à nos peines !

c'est une voix grossie sans grâce et sans flexibilité, qui se fait entendre dans ce rondo ?

La vie est un voyage,
Tâchons de l'embellir..

A côté de l'Opéra se trouvent maintenant les Bouffons italiens, la comparaison est établie, le goût fait des progrès, qu'il faut suivre, et si l'école moderne du chant a ses abus, elle a aussi ses charmes ; on peut, sans être un bredouilleur, mettre du goût, de l'expression, de la variété dans son chant, être soi quelquefois et surtout n'être pas perpétuellement le même ; le temps est passé où il suffisoit au parterre d'entendre la basse contre d'une cathédrale, ou le filet de voix d'un enfant de choeur pour prodiguer ses applaudissemens ; aujourd'hui plus voisin du bon goût, plus habitué aux belles productions d'Italie, et à une exécution brillante et soignée, ce même parterre préféreroit, si on lui en laissoit le choix, peu de voix et une belle méthode, au plus bel instrument dénué des premières qualités d'un chanteur, le goût et l'habileté ? Ces réflexions ne peuvent s'appliquer toutes à l'exécution de la tragédie lyrique ; mais nous les croyons justes appliquées à un ouvrage de Mozart, et particulièrement aux Mystères d'Isis.

Il faut le dire avec franchise, la musique de Mozart a triomphé seule : seule, elle a ravi tous les suffrages. Et qui pourroit refuser les siens à la vérité, à l'originalité, à la fraîcheur, à la grâce qui la caractérise ? Ce n'est point de l'harmonie seulement, ce n'est point une mélodie continue, c'est un heureux mélange, une combinaison savante de ces deux bases du plus séduisant, du plus enchanteur des beaux arts. Mozart est le Gretry de l'Allemagne, quant à la vérité d'expression ; il en est de Cimarosa, quand à la vigueur des idées, la fécondité des motifs, et le brillant du style.

Les décorations de cet opéra, sont d'une grande beauté, et d'un très-bel effet : les costumes sont d'une exactitude scrupuleuse. Peut être sous ces deux rapports, a-t on poussé un peu trop loin la dépense, en faveur de l'ouvrage d'un étranger, qui n'avoit pas besoin de ce luxe pour réussir, s'il eût été bien parodié : mais puisque ce luxe a été jugé nécessaire, applaudissons à ceux qui ont contribué à son éclat. Peut être connaissent-ils Paris mieux que nous ; peut être pensent-ils avec raison que, dans la salle, il y a vingt personnes qui ne voyant dans l'opéra qu'une lanterne magique, attendent, en bâillant, le changement de décorations qui doit les éblouir ; sur une qui, les yeux fermés et écoutant avec délices, suit le chanteur, étudie l'orchestre , et s'inquiette peu du machiniste.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 7e année, 1801, tome II, p. 533-540 :

[Le compte rendu s’ouvre sur la question du « poème » considéré comme « des paroles […] pitoyables ». Beaucoup de critique sont jugé que cette médiocrité était l’effet de la difficulté de mettre des paroles sur une musique « toute faite ». Le critique du Magasin encyclopédique réfute cette idée et souligne combien la musique de Mozart est « faite pour agrandir les idées et échauffer l'imagination d'un poète ». Le poème est simplement incapable de créer l’intérêt à côté de « la magie du spectacle » née des décoration. Après ces préliminaires, l’analyse de la pièce, avant de « pouvoir donner ensuite une idée de l'exécution ». L’analyse est précise et largement défavorable. Après un bref éloge du premier décor (on est bien en Egypte), on attaque l’intrigue, qui apparaît assez confuse et parfois un peu ridicule (la comparaison entre la scène de rencontre d’Ismenor et de Bochoris avec celle de Figaro et du comte Almaviva est destinée à montrer la pauvreté de la première : « On peut juger par cet échantillon du reste de l'ouvrage »). La critique devient très pointilleuse quand c’est l’usage du sistre par Bochoris qui est contesté (et qui est comparé à un triangle savoyard, instrument qui m’est inconnu) : il fallait utiliser une lyre ! Un air chanté par Bochoris est ensuite mis en valeur, mais c’est juste avant un des passages les plus hostiles de la critique : la rencontre de Mona et de son amant Bochoris, où elle est déguisée en vieille femme et ne montre pas son visage (elle tente d’« éprouver la fidélité de son amant », mais « Il seroit bien invraisemblable qu'il cédât à une épreuve aussi peu raisonnable » : invraisemblable et raisonnable dans la même phrase !) La conclusion de l’analyse est représentative de l’ensemble : « un ballet superbe termine cette pièce extravagante ». Reste à parler des aspects divers de la représentation : les interprètes, les uns loués, les autres critiqués (deux d’entre eux manquent de moyens pour chanter leur rôle) ; l’orchestre, parfait, bien meilleur que les acteurs(le compte rendu ne parle pas de chanteurs) ; le ballet, « qui n’a pas été négligé » est très bien jugé ; costumes et décors ont une grande qualité, d’être parfaitement égyptiens (impossible pour le critique d’imaginer qu’on ne fasse pas de l’égyptien dans ce cadre) ; restent les auteurs : pour le livret, on ne revient pas sur la qualité, on donne juste le nom du coupable ; et la musique est bien de Mozart, mais le critique signale que c’est un collage de morceaux des divers opéras de Mozart. La question du récitatif est intéressante enfin : il a fallu écrire des récitatifs pour transformer la pièce en véritable opéra, c’est-à-dire sans dialogues parlés (sinon on est dans l’équivalent d’un opéra-comique). On connaît le nom de l’auteur de ce récitatif et des arrangements musicaux.]

THÉATRE DE LA RÉPUBLIQUE ET DES ARTS.

Les Mystères d'Isis.

Depuis longtemps, on annonçait au Théâtre des Arts cet opéra, qui a enfin été représenté le 2 fructidor an 9. Nous ne nous arrêterons pas à critiquer le poème. Personne n'en attendoit un bon, et personne n'a été trompé dans son attente. Il est malheureux cependant qu'une aussi belle musique soit sacrifiée à des paroles aussi pitoyables. On n'a pas manqué d'excuser l'auteur ou plutôt le traducteur, sur la monotonie et la difficulté du travail, en disant que rien n'étoit plus rebutant que de travailler sur de la musique toute faite ; d'être assujetti à une mesure, pour alonger ou accourcir son vers, et qu'on doit même avoir de la reconnoissance pour celui qui a entrepris cet ouvrage. Tel est à peu près le langage de tous les journalistes. Nous observerons que cette excuse est assez mal fondée, que la longueur d'un vers peut en gêner l'harmonie, lui ôter de la grâce et de l'expression, mais qu'il ne peut pas empêcher l'auteur d'avoir des idées et de les exprimer bien ou mal. Nous ajouterons que loin de gêner l'auteur, la musique toute faite ne pouvoit que lui faciliter le travail. Il pouvoit se la faire exécuter avant d'en composer les paroles ; et la musique de Mozart est certainement faite pour agrandir les idées et échauffer l'imagination d'un poète. L'intrigue, toute foible qu'elle est, auroit suffi, si elle eût été un peu mieux détaillée et plus ménagée. Elle auroit pu alors produire des effets, qui ne sont dus qu'aux décorations, et qui auroient ajouté l'intérêt à la magie du spectacle. Après cette critique, un peu sévère mais juste, passons à l'analyse de la pièce, pour pouvoir donner ensuite une idée de l'exécution.

La scène se passe en Ægypte, près de Memphis. La première décoration, qui est magnifique, représente, d'un côté, l'entrée du temple d'Isis, de l'autre, des portiques superbes, à travers lesquels on voit les pyramides, et un canal du Nil, sur lequel s'élève un pont.

Zoroastre est mort. Pamina, sa fille a été enlevée à sa mère Myrrhène, par Zarastro, grand prêtre d'Isis. Myrrhène ignore que ce fût une des dernières volontés de son époux, et elle est l'ennemie jurée de Zarastro. Ismenor , prince ægyptien, amant de Pamina, arrive on ne sait trop pourquoi. Il ne sait pas que son amante est enfermée dans le temple d'Isis. Zarastro, pour l'effrayer, ordonne qu'il soit entouré de feux, qui sortent aussitôt de dessous la terre. Ismenor s'évanouit ; trois femmes de Myrrhène accourent et vont avertir leur maîtresse de ce qui se passe. Ismenor se lève, entend des chants joyeux, et se cache. Le personnage qui entre est Bochoris, pâtre ægyptien, jadis valet d'Ismenor. Il fait danser de jeunes filles au son de sa flûte. Il est à observer que cet air est extrêmement gai, qu'il doit inviter à la danse, et que le C. Laïs, qui joue le rôle de Bochoris, le chante avec une gravité qui devient un contre-sens. Ismenor reconnoît Bochoris, qui ne veut plus le quitter. Cette scène est un peu celle où Figaro rencontre Almaviva; mais quelle différence de style et d'idées. On croiroit lire une parodie.

Bochoris.

« Amant de Panima, pour la rendre à sa mère,
      « Votre arrivée étoit bien nécessaire.

Ismenos.

 « Que me dis-tu? quels sont donc mes malheurs ?

Bochoris instruit son maître , et lui dit entre autres choses :

« Vous avez du courage, il faudra de l'adresse.

On peut juger par cet échantillon du reste de l'ouvrage.

Myrrhène paroît ; elle invite Ismenor à la venger de Zarastro, et donne à Bochoris, pour l'encourager à suivre son maître, un sistre magique, qui doit le préserver de tout danger. Le premier acte finit là. Le théâtre change , et représente des jardins qui entourent la demeure des prêtres d'Isis, à laquelle conduit une longue avenue, bordée de Sphynx.

Pamina et sa suivante Mona, promise à Bochoris, sont rencontrées par ce dernier, qui, pendant quelques instans, s'est séparé de son maître : ils se reconnoissent, et Bochoris exprime sa joie par des vers qui ne sont pas même comparables aux devises de Berthelemot ; nous allons les citer pour la rareté du fait.

O douce ivresse
De la tendresse !
Ma main te presse ;
Ah ! quel grand bien.

Mona répond :

            Je puis te dire
            Je ne respire
Que pour former un doux lien.

Bochoris engage les deux femmes à fuir. Elles le suivent. Arrive Ismenor, qui veut pénétrer dans le temple; il est repoussé par une main invisible. Zarastro et le chœur des prêtres lui répondent sans se montrer. Il demande si la lumière divine lui apparaîtra ; les prêtres lui disent :

Jamais..... ou bientôt peut-être.

Alors il entre, et Bochoris est ramené avec Pamina. Ils ont été surpris, et on veut les enchaîner. Aussitôt, Bochoris pense à son instrument magique. Il en tire les sons les plus harmonieux, et enchante les gardiens et les esclaves, qui dansent en témoignant leur admiration. Ce morceau est d'une si grande beauté, la danse suit si parfaitement les accords de l'harmonica et de la harpe, joints à la voix de Laïs, que ce morceau a été redemandé et entendu, pour la seconde fois, avec le plus vif enthousiasme. Nous observerons pourtant qu'il est ridicule d'avoir donné à Bochoris, un sistre, qui n'est point du tout un instrument harmonieux, mais une espèce de sonnette dont les Ægyptiens se servoient pour faire du bruit dans leurs cérémonies. Il tient ce sistre, dont les trois branches sont de métal, et touche dessus avec une baguette aussi de métal, comme on le fait, en se servant d'un triangle savoyard. Il eût été bien plus raisonnable , puisqu'on vouloit lui faire jouer de son instrument, de lui donner une lyre.

Ismenor est reçu par Zarastro. On le couvre du voile sacré, et on le dispose à subir les épreuves terribles, après lesquelles il doit posséder Pamina et succéder à Zarastro.

Au troisième acte, le théâtre représente une salle souterraine où les prêtres d'Isis font quelques cérémonies mystérieuses, après lesquelles on amène Ismenor. On lui fait voir un tableau magique représentant les ombres heureuses. A ce tableau succède celui du champ des larmes. Ces deux tableaux produisent un effet charmant, tant par leur exécution et la fraîcheur de la décoration que par leur contraste. Les deux postulans sont précipités ensuite dans un souterrain plus profond, où ils doivent subir les épreuves du feu, de l'eau et de l'air. D'abord Bochoris seul occupe la scène. Il est poltron, et tâche de se rassurer en chantant. C'est alors qu'il chante ce fameux rondeau , dont le C. Devienne s'est emparé pour l'adapter aux paroles du joli opéra de Picard,(les Visitandines). Il n'y a personne qui n'ait chanté Enfant chéri des dames ; et il y avoit bien peu de gens qui sussent que cet air charmant est de Mozart ; il a été gâté par le C. Devienne, en changeant son mouvement.

On ne sait trop pourquoi, Mona, sous les habits d'une vieille, vient éprouver la fidélité de son amant. Ce n'étoit pas là le costume qu'il falloit prendre pour le tenter. Bochoris résiste, et cela est tout simple : elle est habillée en vieille et ne lui montre pas sa figure. Il seroit bien invraisemblable qu'il cédât à une épreuve aussi peu raisonnable. Cette scène est absolument de remplissage, et n'est là que pour alonger le quatrième acte. Enfin, arrive le moment des épreuves. Ismenor traverse un torrent rapide, il marche dans un fleuve de feu, et son valet est enlevé en l'air. Après cette troisième épreuve, aussi ridicule qu'il est possible, on chante victoire. Le théâtre change, et représente le temple de la lumière, où tout le monde s'accorde, et où un ballet superbe termine cette pièce extravagante.

Parlons d'abord des acteurs. Le C. Laïs est le seul qui ait bien chanté son rôle. Celui du C. Lainez ne convient point du tout à sa voix ; il a été très-souvent obligé de prendre le fausset, ce qui n'est jamais agréable. Le C. Cheron n'a presque que du récitatif. Le seul air marquant de son rôle est celui : Dans ce séjour tranquille. Il y a été applaudi, ainsi que M.lle Maillard, dans l'air tiré de la Clémence de Titus, et qui commence par ces mots : Quel charme à mes esprits rappelle. M.lle Henri a été quelquefois foible, dans les endroits qui exigeoient une voix un peu étendue. M.lle Armand, dans le rôle de Mona, a eu beaucoup de succès.

L'exécution de l'orchestre a été parfaite et bien supérieure à celle des acteurs.

La danse est encore une partie de cet opéra qui n'a pas été négligée. Le ballet du second acte, et celui du quatrième, qu'on nomme improprement ballet de momies, parce qu'il est dans le style roide qu'on remarque sur les figures ægyptiennes, sont parfaitement dessinés, et exécutés avec la plus grande précision. On remarque dans celui de la fin des pas charmans, exécutés par Vestris , M.me Gardel, Clotilde, Chevigny et Chameroy, Les costumes ont toute l'exactitude qu'on peut y désirer ; et les décorations sont de la plus grande beauté, à laquelle se joint une connoissance parfaite de l'architecture ægyptienne.

L'auteur des paroles est le C. Morel. Tout le monde sait que la musique est du célèbre Mozart. Mais tous les morceaux ne sont pas de la Flûte enchantée. On y en a joints quelques-uns, des plus beaux, de la Clémence de Titus, de Don Juan et du Mariage de Figaro.

Le récitatif n'est pas de Mozart, et on s'en apperçoit aisément. En allemand, cet opéra n'a pas de récitatif. Il est comme ceux de notre opéra comique, où il n'y a que des airs détachés, et où l'on parle pour détailler l'intrigue.

Toute la musique a été arrangée parle C. Lachnith.

T. D.          

L’Esprit des journaux français et étrangers, trentième année, vendémiaire an X [octobre 1801], p. 210-212 :

[La France n’a pas été pressée de monter l’opéra de Mozart, qui était de ce fait très attendu, et peut-être trop. Le critique insiste beaucoup sur la difficulté d’adapter le livret, les opéras italiens et allemands se passant « très bien de plan, de style, & même de sens commun ». Il s’agissait de « ramener ce sujet à des formes dramatiques à peu près raisonnables », mais le choix des mystères d’Isis pour adapter les épreuves de la Flûte enchantée n’est pas jugé heureux : le critique rappelle l’importance de ces mystères dans l’Antiquité. Il regrette qu’ils soient ramenés à « des jongleries » manquant de noblesse et d’ingéniosité. Seule la musique est bien jugée : elle « a produit l'effet qu'on devoit en attendre ; elle a fait admirer & regretter le talent réel de Mozart ». Elle se voit reconnaître toutes les qualités, « des chants simples & purs, de la finesse & de la grace, de la melancolie & de la gaieté ; des accompagnemens toujours d'accord avec le caractère de la mélodie & du chant ». Un air surtout a impressionné, grâce aussi à la voix de Lays. Le critique profite de cette occasion pour appeler à une rénovation du chant à l’Opéra.]

THÉATRE NATIONAL DES ARTS.

Les mystères d'Isis, opéra en quatre actes.

Il y a long-temps que cet opéra étoit annoncé sur l'affiche, & attendu par les admirateurs de Mozart.

Sans cette longue attente qui fatigue toujours un peuple naturellement impatient, ce chef-d'œuvre de musique, accompagné de décorations enchanteresses & de ballets ingénieux, auroit fait peut-être une fois plus d'effet.

Tout le monde sait que la pièce allemande sur laquelle Mozart a fait cette musique, s'appelle la Flûte enchantée. Tout le monde sait aussi qu'en Allemagne, comme en Italie, les poèmes d'opéra se passent très bien de plan, de style, & même de sens commun. L'auteur des mystères d'Isis avoit donc un travail ingrat & pénible à faire pour ramener ce sujet à des formes dramatiques à peu près raisonnables, sans lesquelles toute la sublimité de cette musique seroit venue expirer dans nos oreilles blessées.

Mais je pense qu'il a mal fait de vouloir adapter aux mystères d'Isis les épreuves de la Flûte enchantée. Les bouffonneries d'un valet poltron, très plaisantes dans une féerie d'imagination, s'allient assez mal avec l'idée que nous nous faisons de celles qu'on nous a transmises sur ces mystères sacrés où se firent initier tous les grands philosophes de l'antiquité, tous les grands hommes de la Grèce & de l'Italie, & qui n'avoient rien de commun , quoi qu'en dise un journaliste, avec nos mommeries franc maçoniques & nos loges d'illuminés, qui n'en sont que la plus ridicule parodie. On peut en prendre une idée plus juste & plus religieuse dans un roman trop peu lu, intitulé : Sethos, et dans celui plus amusant encore des Voyages d'Anténor. Encore la description n'approche-t-elle pas de l'idée que nous en ont laissé prendre quelques écrivains anciens.

Les mystères d'Isis, traités avec art & présentés sous un aspect vraiment religieux & solemnel, pourroient avoir quelqu'empire sur les imaginations sensibles & mobiles, élever les ames, & vaudroient bien peut-être des jongleries beaucoup moins nobles dans leur but, beaucoup moins ingénieuses & tout aussi mystiques, pour lesquelles on vouloit autrefois nous commander le respect.

La musique a produit l'effet qu'on devoit en attendre ; elle a fait admirer & regretter le talent réel de Mozart. Point de tours de féeries, point de faux brillans, des chants simples & purs, de la finesse & de la grace, de la melancolie & de la gaieté ; des accompagnemens toujours d'accord avec le caractère de la mélodie & du chant. L'air de Boccaris, pour attendrir les monstres noirs, a produit une sensation délicieuse : la voix de Lays & son chant pur, accompagné par une harpe & par un forté piano à cordes d'acier, que tout le monde a pris pour un harmonica, a transporté les spectateurs jusqu'au point de les engager à faire recommences le morceau.

Il seroit à souhaiter sans doute que la partie du chant fût enfin plus soignée à ce théâtre, où les yeux sont mieux traités que les oreilles : mais le conservatoire de musique est là pour nous empêcher de nous désespérer à cet égard, & le temps de la restauration générale arrivera pour ce spectacle comme pour d'autres.

Geoffroy, Cours de littérature dramatique, tome cinquième (1820), p. 43-51 :

MOZART.

LES MYSTÈRES D'ISIS.

Ces mystères, annoncés depuis si long-temps, sont enfin dévoilés et accomplis ! Le sort de chaque pièce nouvelle est un mystère; mais il y avait, dans la destinée de cet opéra, quelque chose de bien plus mystérieux que dans tout autre ouvrage dramatique. Un chef-d'œuvre de musique, d'un genre tout à fait neuf, excitait depuis long-temps l'admiration de l'Allemagne ; mais c'était encore un mystère pour la France. La Flûte enchantée de Mozart était citée comme un ouvrage enchanteur ; mais il n'enchantait encore que les étrangers ; et la nation française, très susceptible d'enthousiasme, n'était point initiée à cet enchantement : Mozart lui-même était un musicien mystérieux. Génie original, qui paraissait quelquefois bizarre, parce que ses idées n'étaient pas toujours bien saisies par les artistes routiniers ; grand peintre de la nature, et par-là même très étrange dans un siècle où la musique n'est qu'un prestige de l'art ; le seul que l'Allemagne, si féconde en grands musiciens, pût nommer après Hayden, il était peu connu en France, et par conséquent il y était vanté comme un prodige. On avait entendu, aux bouffons et dans les concerts, quelques morceaux charmans de cet homme singulier, et ces morceaux étaient dans le genre dramatique : on avait essayé, de temps en temps, certaines symphonies ; mais la composition en était d'un caractère si nouveau, que les plus experts praticiens n'y pouvaient rien déchiffrer : ces virtuoses, qui exécutent tout à livre ouvert, en étaient encore réduits, après dix répétitions, à épeler Mozart. Qu'on juge de l'importance que devait avoir chez nous un compositeur dont les pensées étaient des mystères pour les plus fameux orchestres ! Depuis quelque temps, il n'était plus question que de Mozart, et on ne voyait rien de lui ; grand moyen de rendre sa réputation éternelle : sa mort prématurée, causée par les excès d'une jeunesse fougueuse, ajoutait encore à l'intérêt qu'inspirait son génie ; ses chefs-d'œuvres devenaient plus précieux depuis que le moule en était brisé.

Le théâtre allemand est encore dans l'enfance ; et particulièrement dans les ouvrages qui demandent de la grâce, de la légèreté et du goût, il est tout à fait barbare : ses tragédies sont souvent outrées et absurdes ; mais ses opéras comiques sont grossiers et burlesques. Il était triste que Mozart eût prostitué une musique céleste à un poëme aussi trivial et aussi baroque que celui de la Flûte enchantée. Si Mozart ressemblait à la plupart des compositeurs actuels d'Italie, dont les morceaux brillans n'expriment rien, et ne présentent qu'un bel enchaînement de sons et d'accords qui charme l'oreille sans rien dire à l'esprit, on eût pu ajuster à un autre poëme la musique de la Flûte enchantée ; mais Mozart n'a pas une note qui n'ait un sens; et, pour conserver sa musique, il fallait conserver les incidens, les situations et tout le fond des scènes du poëme allemand : c'est ce qu'un amateur a osé entreprendre, pour enrichir notre théâtre lyrique d'un chef-d'œuvre d'expression et de mélodie. Il n'a pas fait un ouvrage intéressant, cela était impossible ; heureux d'avoir pu transporter dans notre langue, à l'aide d'un drame supportable, ce monument si célèbre et si propre à rappeler l'art à ses vrais principes ! Il faut lui savoir gré du sacrifice qu'il a fait, de la gloire d'auteur, au triomphe de la musique. C'est à lui que l'Opéra est redevable de la Caravane et de Panurge, pièces dont les agrémens et le spectacle enchanteur conviennent peut-être mieux à la nature de ce théâtre, que de sombres et lugubres tragédies.

On a voulu jeter quelque ridicule sur les Mystères d'Isis, en publiant que ce n'était autre chose que la réception d'un franc-maçon. Ces espèces de confréries sont perdues de réputation en France, depuis la révolution ; on n'y regarde plus les anciennes loges de francs-maçons, que comme des loges de fous. On assure qu'en Allemagne ces associations sont très multipliées et très florissantes ; tant pis pour l'Allemagne, ce sont autant de foyers d'extravagance et de la plus mauvaise espèce de fanatisme. Le fanatisme religieux peut trouver une digue dans la puissance temporelle ; le fanatisme politique renverse et détruit tout.

L'Egypte, que les anciens philosophes nous présentent comme l'école de la sagesse, a été la source des folies les plus déplorables et des plus absurdes superstitions. Les magiciens de Pharaon prouvent que ce pays fut toujours fécond en charlatans. Alexandrie nourrissait Rome de ses blés, et l'infectait en même temps d'un tas de jongleurs et d'aventuriers aussi ennemis des mœurs que du bon sens. Les Mystères d'Isis offraient des rendez-vous de galanterie très commodes pour les dames romaines. Cependant de graves auteurs n'en parlent qu'avec respect : Pausanias raconte sérieusement qu'à Copte un émissaire du gouverneur, chargé de découvrir le secret des mystères, trouva effectivement le moyen de s'introduire dans le temple, et fut témoin de ce qui s'y passait, mais qu'il mourut subitement avant d'avoir pu faire confidence à qui que ce soit de ce qu'il avait vu ; et, à ce sujet, il cite doctement Homère, qui dit que les hommes ne peuvent voir les dieux impunément. Nous avons vu la bonne compagnie de Paris, au moment même où elle raffolait de philosophie, se laisser duper par les forfanteries grossières de l'intrigant Cagliostro. Ce fourbe tenait une loge égyptienne où il célébrait les Mystères d'Isis, sous le nom du grand Copte, à la barbe des d'Alembert, des Condorcet et autres précepteurs du genre humain, qui avaient la douleur de voir leurs écolières, au sortir de l'Académie française, courir se faire initier au culte de la veuve d'Osiris ; mais ni Isis ni Osiris n'ont pu dérober le grand Copte à l'inquisition d'Italie, qui avait alors des mystères beaucoup plus redoutables que ceux d'Isis.

Isménor, jeune prince égyptien, est appelé par les dieux à succéder au grand-pontife Zarastro ; la main de Pamina , fille de Zoroastre et de Myrrhène, lui est aussi destinée ; mais il doit mériter, par son courage, cette double faveur : il faut qu'il subisse les plus terribles épreuves ; Zarastro, confident et ministre des volontés célestes, commence par faire enlever Myrrhène, veuve de Zoroastre, avec sa fille Pamina : c'est un dépôt qu'il garde pour le remettre entre les mains du vainqueur. Isménor, excité par l'amour et par la gloire, se soumet aux épreuves ; tantôt plongé dans un lac, tantôt jeté au milieu des flammes, tantôt suspendu en l'air, son intrépidité ne se dément point, et il en reçoit le prix en épousant Pamina. Pour égayer cette scène assez triste, et en même temps pour former un contraste avec Isménor, on s'est servi d'un pâtre égyptien nommé Boccoris, aussi poltron que le prince est brave ; il est amoureux de Mona, jeune suivante de Pamina : mais son amour ne lui donne pas plus de courage : pour le rassurer, Myrrhène lui fait présent d'un instrument magique ; dans le poëme allemand, c'est une flûte : de-là vient le nom de la Flûte enchantée. Les fanfaronnades, les frayeurs, les naïvetés de Boccoris font beaucoup rire : on pourrait blâmer avec quelque fondement ce mélange de sérieux et de comique. Cependant, les Mystères d'Isis ne sont pas une tragédie ; et il me semble que dans un sujet qui ne comporte pas un grand intérêt, c'est un avantage de pouvoir s'égayer quelques instans ; dans les anciens opéras, il y avait un bouffon d'office: Quinault même, dans ses premières productions, conserva cet usage vicieux ; mais en tout genre, ce qu'il y a de pire, c'est d'ennuyer.

La musique, la danse, la peinture, la perspective semblent avoir conspiré pour le succès de l'opéra ; mais, dans cette conjuration, la poésie n'a qu'un rôle subalterne : ce qui peut arriver de plus heureux, c'est que le public ne pense point à elle, et ne tienne aucun compte des paroles ; il ne faut ce jour-là porter au théâtre que des sens, et laisser son esprit à la porte. Je crois cependant qu'on eût pu éviter des longueurs, de l'embarras dans la coupe des scènes, rendre les dangers d'Isménor plus intéressans, et son amour plus théâtral ; le poëme me paraît beaucoup trop long ; il y a trop de cérémonies religieuses, trop d'entrées de prêtres et de prêtresses, trop de processions inutiles ; il eût mieux valu retrancher quelques morceaux de musique et resserrer l'action ; l'effet général ne pouvait qu'y gagner ; les auteurs ne songent point assez combien l'attention, même pour les plus belles choses, se fatigue promptement.

L'ouverture offre un coup d'œil magnifique : on voit sous les portiques du temple d'Isis les prêtres et prêtresses rangés autour du théâtre, et le pontife au milieu ; on n'a rien négligé pour l'élégance, l'exactitude et la richesse des costumes ; la décoration du second acte représente une vaste avenue de sphinx qui conduit au temple, mais surtout celle du dénouement, qui transporte le spectateur d'un affreux souterrain dans un palais éclatant de lumières, ont enlevé tous les suffrages. On admire aussi beaucoup le tableau magique de l’Élysée : c'est une image voluptueuse du paradis de Mahomet ; une foule de jeunes houris y sont mollement couchées sur des gazons, dans un jardin délicieux : mais on ne voit cela qu'un instant, de même que le tableau du Tartare ; pour ce dernier, on ne désire pas le voir plus longtemps : on montre aux candidats ces deux objets pour les préparer aux épreuves par l'espérance et par la crainte ; mais ce plaisir des décorations est acheté un peu trop cher par l'obscurité qui enveloppe le théâtre et la salle pendant une grande partie de la pièce : quelque agréables que soient les décorations de la scène, celle des loges est encore plus intéressante, et la lueur pâle et livide qui couvre les femmes ne leur est point favorable.

Les ballets sont d'un goût exquis et d'un dessin très ingénieux ; celui qui termine le quatrième acte, étonne surtout par la multitude des talens qu'il rassemble avec profusion : toutes les déesses de l'Opéra, les Gardel, les Clotilde, les Chameroi, les Chevigni, les Saulnier, les Coulon ; d'autres nymphes non moins gracieuses, quoiqu'elles ne fassent pas tant de prodiges, Félicité, Millières, Louise, Duport, toutes à l'envi déploient leurs grâces et leur souplesse ; de leur côté, Vestris, Beaulieu, Saint-Amand, tous les dieux de la danse disputent de vigueur et de légèreté ; qui pourrait calculer le nombre des pirouettes ? On sait que les pirouettes sont aujourd'hui le sublime de la danse, et que celui qui fait un tour de plus recule les bornes de l'art : le bouffon est aussi mêlé au sérieux dans les ballets ; il y a un pas d'Égyptiens tout à fait grotesque ; et le jeune Duport s'y est distingué par l'originalité de sa figure et de ses mouvemens.

Mais ce qu'il y a de vraiment neuf, de vraiment enchanteur dans cet opéra, c'est la musique. Il semble que Mozart ait été appelé pour réformer ce bel art, défiguré en Italie, étouffé par de faux brillans. C'est un Allemand qui nous ramène à la nature, au bon goût, à la vérité. Quelle pureté de mélodie ! quelle simplicité ! quel caractère religieux, sombre et mélancolique, dans les marches et les cérémonies des prêtres ! quel pathétique dans les scènes d'Isménor, de Myrrhène et de Pamina ! que de finesse, de gaieté, de grâces dans celles de Boccoris et de Mona ! Partout l'expression musicale est parfaitement analogue au sujet : c'est là que l'harmonie ne sert qu'à orner le chant, et que les accompagnemens eux-mêmes sont des chants très heureux.

L'ouverture est de l'effet le plus piquant : le final du premier acte a été une admiration générale ; les duo, les trio sont pleins d'invention et de motifs ingénieux : mais ils ont tant de naturel, de facilité, de délicatesse, qu'on n'en a pas toujours senti le mérite. Il en est de même des airs : ils n'ont pas été applaudis autant qu'ils le devaient ; mais aussi l'exécution a souvent été faible. Les débris de la voix de Lainez ne peuvent rendre le charme des plus beaux morceaux dont son rôle est rempli ; Chéron n'a plus ce timbre, ce mordant qui remplissait délicieusement l'oreille ; mademoiselle Maillard a été entendue avec plus de plaisir : elle n'a rien perdu de la force et de l'éclat de son organe ; on l'a surtout applaudie dans l'air tiré de la Clémence de Titus (Quel charme à mes esprits rappelle), où elle fait admirer la beauté de sa voix dans le bas et dans le médium. Laïs n'a que des airs gracieux à chanter, et la manière dont il les a rendus les embellit encore. Le moment du triomphe de la musique est celui où Boccoris, prêt à être enchaîné par des esclaves noirs, fait usage de son instrument magique. Aux premiers accens de sa voix, qui se marie aux sons de la harpe et de l'harmonica, ces monstres hideux s'attendrissent par degrés ; enfin,, ne pouvant résister au charme de la mélodie, ils dansent autour de Boccoris, et finissent par se jeter à ses pieds dans une attitude d'admiration et d'extase. Cette situation, créée par la musique, a produit un effet prodigieux, et l'on a demandé à grands cris la répétition de ce morceau.

Mademoiselle Armand s'est fort bien acquittée du petit rôle de Mona. Sa voix pure, fraîche et brillante, a répandu un nouveau charme sur l'air délicieux : Dieu d'Amour! sous ton empire, et sur les duo qu'elle chante avec son amant. On a reconnu, dans un rondeau de Boccoris, l'air si connu: Enfant chéri des dames, mais chanté sur une mesure beaucoup plus lente. Mozart avait sans doute composé cet air depuis long-temps, et un musicien français s'en était emparé, en le déguisant un peu ; c'est un larcin très excusable. Puissent nos compositeurs en faire souvent de pareils ! il y a tout à gagner pour le public.

Le style pur, naturel et simple de cette musique, est d'un mauvais exemple ; c'est une espèce de scandale pour les gens de l'art. La terreur s'est répandue dans le camp des compositeurs, des auteurs, des symphonistes : ils craignent que le succès de ce nouveau genre ne dégoûte les habitués de l'Opéra du fracas et des hurlemens dont on est en possession de les assommer ; ils demanderont désormais de la mélodie, et non pas du bruit : quel désordre ! quelle révolution dans l'empire musical ! Ils voudront que la musique les touche, les amuse, sans les étourdir : quelle injuste prétention ! C'est comme si les malades voulaient être guéris par les médecins. (4 fructidor an 9.)

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