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Médée

Médée, tragédie chantée et parlée en 3 actes, en vers, d'Hoffman, musique de Chérubini. 23 ventôse an 5 [13 mars 1797].

Opéra (Théâtre Feydeau).

Titre :

Médée

Genre

tragédie chantée et parlée

Nombre d'actes :

3

Vers / prose

en vers

Musique :

oui

Date de création :

23 ventôse an 5 [13 mars 1797]

Théâtre :

Opéra-Comique (Théâtre Feydeau)

Auteur(s) des paroles :

Hoffman

Compositeur(s) :

Chérubini

Almanach des Muses 1798.

Tragédie chantée et parlée, genre nouveau dont on a fait l'essai. Musique savante, de belles décorations.

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Huet, an V – 1797 :

Médée ; tragédie en trois actes, en vers, Paroles de Hoffmann, Musique de Chérubini. Représentée sur le théâtre Feydeau, le 23 Ventôse.

Courrier des spectacles, n° 67 du 24 ventôse an 5 [14 mars 1797], p. 2 :

[Le compte rendu se limite à deux points : d’abord longuement célébrer le succès de la pièce, qui est en tout point remarquable. Musique, texte, décors, chœurs. L’interprète de Médée est tout particulièrement mise en valeur. Et les auteurs sont apparus sur la scène sous les applaudissements. Deuxième point : le résumé de l’intrigue, qui suit bien la légende de Médée. Aucune allusion n'est faite ou à sa conformité à la tradition littéraire de Médée (Euripide, Sénèque), ou à l’originalité de la version proposée par Hoffmann. Le critique promet de publier les vers lus à la gloire de Chérubini à la fin de la représentation.]

Théâtre Feydeau.

Jamais première représentation n’attira plus de monde que l’on en vit hier au théâtre de la rue Feydeau. La tragédie lyrique de Médée a eu le succès le plus brillant et le mieux mérité. La musique, à laquelle on ne peut donner trop d’éloges, est de M. Chérubini ; le poème est de M. Hoffmann, déjà connu par plusieurs productions agréables. Les décorations sont magnifiques ; les chœurs ont été supérieurement exécutés : enfin, rien n’a manqué pour rendre cet opéra digne de la plus grande admiration. Le public a demandé à voir M. Chérubini ; il a paru, ainsi que M. Hoffmann. Madame Scio a joué le rôle de Médée avec le plus grand talent ; elle a eu, entr'autres, des morceaux où elle a été de la plus grande force ; le public la redemandée à la fin de la pièce : elle a paru, et les spectacteurs lui ont témoigné leur satisfaction par les plus grands applaudissemens. M. Gaveaux a lu, à la fin de la pièce, quelques vers faits en l’honneur de M. Chérubini : aussitôt que nous les aurons, nous en ferons part à nos lecteurs.

Jason, après avoir abandonné Médée, son épouse, dont il a deux enfans, est reçu à la cour de Créon, roi de Corinthe, qui va l’unir à sa fille Dircé. Le moment de l’hymen approche quand Médée vient le troubler, et réclamer son infidèle époux et ses deux enfans qu’il lui a enlevés : Jason est sourd à ses prières, insensible à ses larmes, brave les menaces qu’elle lui fait, et lui défend même de revoir ses enfans. Le peuple de Corinthe demande la mort de Médée. Le roi Créon l’exile de ses états, et lui défend, sous peine de mort, d’y reparaître : Médée le conjure de se laisser attendrir, et de lui accorder un jour pour sortir de sa cour ; Créon lui accorde le jour qu’elle demande ; Jason vient lui offrir tous les soulagemens nécessaires dans son exil : elle lui redemande ses enfans, il les refuse, mais lui permet de les voir avant son départ. Médée, pour se venger de Dircé, sa rivale, ordonne à Néris, sa confidente, de prendre une robe brillante où des poisons sont cachés, afin qu’ils dévorent la malheureuse amante de Jason. L’hymen se fait : Néris présente à Médée ses deux enfans ; Dircé, Créon, sont les victimes de la fureur de Médée ; ses deux enfans éprouvent le même sort, et elle abandonne Jason.

Courrier des spectacles, n° 69 du 26 ventôse an 5 [16 mars 1797], p. 2-3 :

[Deuxième article, qui commence par une justification des lacunes évidentes du premier article : le critique était mal placé, et il n’a rien vu et a mal entendu. Cette fois, bien installé, il peut tout dire. Et son discours est assez différent de celui de l’avant-veille. D’abord, il constate des longueurs dans le premier acte, et la première scène, pourtant déjà raccourcie, est encore trop longue, dans l’attente de l’arrivée de Médée. Le deuxième acte, « plus rempli », a lui aussi subi des coupures. Seul le troisième acte est jugé émouvant : on y voit « des situations déchirantes », magnifiquement rendues par Madame Scio. C’est d’ailleurs elle qui est de nouveau mise en valeur dans la suite. Sinon, une des chanteuses avait, à l’acte 1, une voix « plus que foible ». De nouveau, triomphe pour madame Scio, pour Chérubini. Et nouvelle lecture de vers, cette fois pour madame Scio, pour Chérubini, pour Gaveaux. Mais ils ont paru moins bons que ceux de la première représentation.]

Théâtre Feydeau.

Nous étions si mal placés à la première représentation de Médée, que nous pouvions à peine distinguer l’avant-scène ; ce qui nous avoit empêché de voir et d’entendre aussi bien que nous l’aurions désiré. Nous avons cependant rendu compte de l’analyse aussi bien que la gêne où nous avons été nous l’a permis. Nous nous sommes transportés de nouveau hier pour voir la 2.e représentation, où nous avons eu le bonheur de ne perdre aucun mot ni aucun geste ; ce qui donne beaucoup de facilité pour porter un jugement.

Le premier acte de Médée nous a semblé encore fort long, quoique l’auteur y ait fait une suppression conséquente dans la première scène qui étoit d’une longueur insupportable ; cette scène est actuellement plus serrée : mais jusqu’à l’arrivée de Médée, l’instant seul auquel commence l’action, l’exposition, la marche, ralentissent la belle arrivée de Médée, scène très-précieuse par l’effet qu’elle produit. Dans la dernière scène du premier acte, il est encore quelques longueurs. Le deuxième acte est plus rempli ; l’auteur a encore fait quelques suppressions de chants ; on a sur-tout applaudi madame Scio dans le vers suivant qu’elle a exprimé avec une fureur bien concentrée :

Tu te repentiras de m’avoir abusée.

Le troisième acte offre des situations déchirantes. Médée, flottant entre la tendresse maternelle et la jalousie qui la poignarde, exprime le sentiment et la passion avec la plus grande vérité.

Madame Scio a donné, ainsi que dans la première représentation, les plus grandes preuves d’un rare talent ; on peut, avec raison, la comparer à M.lle Maillard ; si elle n’en a pas la prestance, elle en a du moins la force du jeu et de la voix. Nous avons remarqué dans la première scène du premier acte, que la voix d’une des femmes étoit plus que foible.

Le public, à la fin de l’opéra, a de mandé madame Scio : elle a paru, et a reçu les plus grands applaudissemens dus à son excellent jeu. L’on a pareillement demandé M. Chérubini : cet artiste estimable s’est présenté, et a emporté tous les suffrages. On a lu quelques vers à la louange de madame Scio, de M. Chérubini et de M. Gaveaux ; mais l’auteur, dont il faut encourager le zèle, n’a pas, nous croyons, aussi bien réussi que celui dont on a donné lecture des vers à la première représentation.

D. S.

Courrier des spectacles, n° 70 du 27 ventôse an 5 [17 mars 1797], p. 2-3 :

[Retour à Médée, cette fois pour donner des extraits de critiques parues dans la presse, et pour citer les fameux vers évoqués dans le premier article. On retrouve un certain nombre de points communs, et peu de divergences dans ces extraits d’articles.]

Théâtre Feydeau.

Nous avons rendu compte, dans nos numéros 67 et 69, de l’opéra de Médée, et du succès brillant qu’il avoit eu. Voici les jugemens qu’en ont porté différens journaux.

Dans le journal d’Indications, du 26.

Le premier acte renferme des longueurs, des scènes muettes, des chœurs qui ne finissent pas, des marches, et beaucoup de spectacle. Le second acte est plus dramatique que le premier, plus resserré, la musique est majestueuse, imposante ; dans le rôle de Médée, elle déchire l’ame, elle peint. Le troisième acte est plein d’actions ; le dénouement est vraiment moral : Médée est punie, et le crime ne triomphe pas. Enfin, la musique est large, expressive, majestueuse et terrible. La parfaite exécution des chœurs, la vérité, la richesse des costumes, rien n’a été négligé dans cet opéra.

Dans le Déjeûner, du 26.

L’opéra de Médée est correctement écrit ; mais le premier acte offre des longueurs et du froid. Dircé n’inspire aucun intérêt ; le caractère de Jason est, comme dans la tragédie de Longepierre, trop insignifiant ; celui de Médée est tracé de main de maître. La musique a, comme le poëme, quelques, longueurs refroidissantes ; mais on ne sauroit trop applaudir aux savantes intentions de l’orchestre, et à la chaleur énergique des morceaux d’ensemble. On n’a peut-être rien vu d’aussi beau que les décorations de cet opéra. Le talent de la perspective et du pittoresque y etst porté au plus haut degré.

Dans le Feuilleton, du 25.

La marche de l’opéra de Médée est pleine de simplicité, et fournit singulièrement au génie du poète. Il nous est impossible de rendre compte de tous les morceaux de musique qui ont fait le plus de sensation ; nous avons remarqué le chœur d’allégresse qui termine la cérémonie de l’hymen de Jason avec Creüse, (c’est Dircé) fille de Créon. Le motif en est magnifique, les décorations sont d’un très-beau style, et sont établies avec le plus grand soin.

Dans le journal de Paris, du 26.

Le succès a été complet, et l’exécution aussi bonne que le comporte une première représentation. Ouvertures, récitatifs, duo et trio dialogues, morceaux d’ensemble, marches, chœurs, accompagnemens, tout est riche en mélodie, et parfaitement adapté aux mouvemeus de la scène.

Dans les petites Affiches , du 26.

L’opéra de Médée a eu le plus brillant succès ; l’auteur a su donner à l’épouse de Jason plus d’intérêt et plus de sensibilité qu’elle n’en a dans Longepierre ; il l’a présentée d’une manière neuve, et les humiliations qu’elle éprouve, si elles ne motivent pas ses forfaits, en adoucissent au moins l’horreur. Peut-être sera-t-on étonné de ce que le cit. Hoffmann, traitant le sujet de Médée en opéra, n’a pas tiré plus de parti des évocations des enfers, toutes les ressources de la magie : Médée n’est Médée qu’à la fin du dernier acte ; jusque-là c’est une amante abandonnée, qui intercède ou médite sa vengeance ; dans le premier acte, qui intercède ou médite encore sa vengeance ; dans le second acte, qui ne se livre enfin à toutes ses fureurs qu’une seule fois, et au dénouement. Peut-être avoit-on droit d’exiger plus d’effet ; mais il étoit difficile de desirer un style plus pur, une action mieux conduite, et une couleur antique plus sévère et plus soutenue. Les décorations sont superbes.

Vers à M. Chérubini.

Poursuis, Chérubini, ta brillante carrière ;
Chaque jour te conduit à l’immortalité.
L’envie aux grands Auteurs est trop souvent contraire ;
Goûte en paix les douceurs de la célébrité.
De Gluk en toi renaît le talent admirable ;
Par tes accords divins, on se sent transporté :
De Médée en fureur, tu peins si bien la fable,
Qu’elle prend à nos yeux l’air de la vérité.
De fleurs et de lauriers que n’ai-je une couronne,
Je briguerais l’honneur de te la présenter ;
Mais en t’applaudissant, le public te la donne.
L’obtenir est moins doux que de la mériter.

Chevalier, chef du bureau de l’intér.

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1797, volume 3 (mai-juin 1797), p. 271-273 :

[Sur un sujet tel que Médée, inutile de faire l’analyse de l’intrigue : l’auteur n’a rien « ajouté ». La pièce tire sa force de trois situations dramatiques (l’arrivée de Médée chez Créon, la scène où Médée vit Jason partir avec Dircé pour se marier, celle où, prête à tuer ses enfants, elle supplie la servante de les cacher). La fin est bien sûr révoltante, mais « c’est le défaut du sujet plutôt que la faute de l’auteur ». Elle n’avait pas besoin, pour réussir, de « la beauté des costumes & des décorations, celle de la musique, le talent des acteurs & la juste réputation de MM Hoffman & Chérubini ». « la pièce est correctement écrite » (la formule n’est pas enthousiaste !) et le premier acte « offre des longueurs et du froid ». Faiblesse des caractères de Dircé et de Jason, force de celui de Médée. La musique a aussi des « longueurs refroidissantes », mais elle a aussi de grandes qualités (« savantes intentions de l’orchestre », « chaleur énergique des morceaux d’ensemble ». Les décorations et l’interprétation de madame Scio sont remarquables.]

THEATRE DE LA RUE FEYDEAU

Tout le monde connoît le sujet de dée ; l'auteur de l'opéra de ce nom n'ayant ajouté aucun épisode à l’action principale, nous nous croyons dispensés d'analyser son intrigue, plus simple encore que celles de Corneille & de Longepierre. II nous suffira de dire que trois situations vraiment dramatiques auroient assuré le succès de la nouvelle pièce, quand même elle n'auroit pas eu pour soutiens la beauté des costumes & des décorations, celle de la musique, le talent des acteurs & la juste réputation de MM Hoffman & Chérubini. La première de ces situations est l'arrivée subite & inattendue de Médée dans la cour de Créon. Le moment où elle entre, couverte d'un voile & annoncée comme une prêtresse de Jupiter ; celui où elle se découvre à Jason, en lui disant : » Me connois-tu, perfide ? « L'effroi de Dircé & de toute la cour; enfin, ces paroles que Médée prononce après les plus violentas menaces: 

» Les ennemis qui ne sont point à craindre,

    » N'ont rien à redouter de moi. «

toute cette scène produit le plus grand effet.

Une situation non moins dramatique, est celle où Médée, bannie par son infidèle époux, errante auprès du palais de Créon, voit Dircé & Jason se rendre à l'autel, environnés de la pompe la plus majestueuse, & où elle les entend prononcer le serment fatal d'une éternelle fidélité. Les chants joyeux qui éclatent au retour du temple, l'allégresse générale des Corinthiens, & surtout celle des deux époux, contrastent d'une manière si déchirante avec la profonde douleur de Médée, que le spectateur, oubliant tous ses crimes, est tenté de lui donner des larmes & d'applaudir à ses projets de vengeance.

La scène du troisième acte, où Médée, prête à poignarder ses enfans, dit & répète à son esclave, avec l'accent de la rage : » Cache-les, cache les. « Cette scène, disons-nous, est aussi du plus grand pathétique.

La fin du poème doit révolter généralement, mais c'est le défaut du sujet plutôt que la faute de l'auteur; &, d'ailleurs, que ne seroit-on point passer maintenant avec un incendie, des démolitions & des pétards ?

En général la pièce est correctement écrite, mais le premier acte offre des longueurs & du froid. Dircé n'inspire aucun intérêt ; le caractère de Jalon est, comme dans la tragédie de Longepierre, trop insignifiant ; celui de Médée est tracé de main de maître.

La musique a, comme le poëme, quelques longueurs refroidissantes ; mais on ne sauroit trop applaudir aux savantes intentions de l'orchestre, & à la chaleur énergique des morceaux d'ensemble. Dire qu'elle ajoute encore à l'admiration du public pour son célèbre compositeur, c'est sans doute épuiser toutes les expressions de l'éloge.

On n'a peut-être-encore rien vu d'aussi beau que les décorations de cet opéra. Le talent de la perspective & du pittoresque y est porté au plus haut degré.

Madame Scio, dont la foible complexion sembloit peu convenir aux rôles de force & de dignité, a néanmoins entraîné tous les suffrages dans le rôle tragique & véhément de Médée.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, seconde année (1797), tomes sixième, p. 414-419 :

Quelle admiration ne doit-on pas avoir pour les inventeurs de ces belles fictions qui forment ce qu'on appelle l'histoire héroïque de la Grèce, quand on voit qu'après tant de siècles, à une époque où la religion et les moeurs ont éprouvé de si grands cbangemens. C'est toujours là qu'il faut puiser les traits les plus capables de réussir au théâtre, et dans tous les arts d'imitation : l'expédition des Argonautes, la guerre de Thèbes, celle de Troye, le retour des Grecs, les aventures tragiques de la maison des Atrides et de celle d'Œdipe, voilà où se trouvent les grands effets, les grands tableaux, les passions véhémentes, terribles, touchantes et sublimes; ces sujets, reproduits cent fois sur la scène, le seront encore autant, et avec un égal avantage; il est même à remarquer que plus on se rapproche de la simplicité avec laquelle les tragiques anciens les ont traités, plus on est sûr du succès. C'est ce qu'ont prouvé l'Iphigénie en Tauride et l'Œdipe à Colone de Guillard, qui ont produit plus d'effet que les mêmes ouvrages traités par ses prédécesseurs, parce que l'action est moins complexe, parce qu'elle est plus conforme à la simplicité antique.

C'est sur-tout à l'Opéra que ces grands sujets peuvent être traités avec avantage à cause de la facilité d'y introduire le chœur, et de faire ainsi participer tout un peuple à l'action. La pompe du spectacle et la beauté des décorations ajoutent encore à l'effet.

Parmi les sujets dont j'ai parlé, Médée est un de ceux qui a été le plus souvent traité depuis Euripide et Sénèque. Nous avons plusieurs tragédies, plusieurs opéras sous ce titre. La Médée de Longepierre est le seul de ces ouvrages qui soit resté sur notre théâtre.

C'est le sujet d'un Opéra donné dans le courant du mois dernier au théâtre de la rue Feydeau. Jason a fui Médée, il s'est retiré à Corinthe, et il va épouser Dircé, fille de Créon, roi de la contrée. Au lever de la toile on voit une place de Corinthe; le chœur célèbre l'hymen de Jason, et vante le bonheur de Dircé. Créon et Jason se mêlent à ces chants, et veulent dissiper les craintes qu'inspirent à Dircé quelques sinistres présages. Les Argonautes portans le simulacre du navire Argo et de la Toison,viennent témoigner leur joie d'une union qui assure leur repos dans les états d'un roi puissant. Aussitôt on annonce une femme voilée qui se dit prêtresse d'Apollon ; elle paroît elle-même ; c'est Médée qui réclame son infidèle époux. Tout fuit à sou aspect; il est odieux à Jason ; livré à de nouvelles amours, il n'a plus que le souvenir de ses crimes, il la repousse. Cléon lui ordonne de quitter Corinthe ; il la proscrit. Médée feint de céder ; elle ne demande qu'un jour de délai. Quoique ce jour puisse lui être fatal, Créon ne veut point marcher sur les pas des tyrans, il le lui accorde ; Médée saura en effet en profiter pour le crime; elle apperçoit la pompe nuptiale qui s'avance vers le temple de Jupiter; Jason y conduit sa nouvelle épouse accompagnée de son père. On entend l'hymne des prêtres. On voit fumer l'encens sur les autels ; les sons de l'épithalame frappent les oreilles de Médée, et elle est témoin de la joie qui brille dans tous les yeux au retour de l'autel ; elle ne respire plus que jalousie, fureur et vengeance; elle veut effacer tous ses crimes par un crime nouveau qui les surpasse tous. L'ingrat Jason croit l'appaiser en lui offrant des présens et des secours pour sa fuite. Sa rage s'en augmente; elle demande à voir ses enfans une seule fois, puisqu'on lui refuse de les lui laisser emmener ; cette grâce lui est accordée. Médée les charge de remettre à Dircé la robe et le diadème, présens du Soleil dont elle descend ; ses enfans reviennent ; elle veut punir par eux l'ingrat qu'elle abhorre ; elle va les frapper ; leur timide innocence la désarme ; elle recommande à sa fidelle esclave de les cacher, de les déposer au pied des autels dans le temple pour les soustraire à sa fureur. Bientôt des cris sortis du palais font connoître que le crime s'y consomme. Dircé et son père sont consumés par la robe fatale. Leurs cris font la joie de Médée ; mais elle s'étonne de n'avoir commis que la moitié du crime. Il faut, dit-elle, qu'il soit complet ; furieuse, elle reprend son poignard et marche dans le temple pour: immoler ses enfans. Jason paroît â la tête des Argonautes et des habitans de Corinthe; il veut punir par le fer tous les forfaits de Médée; le temple s'ouvre ; elle paroît au milieu des Euménides auprès de ses fils égorgés, et lui refuse même de leur donner la sépulture. Un nuage de feu la met hors de toute atteinte. Le palais de Corinthe s'embrâse, et elle descend dans les enfers après avoir contemplé le succès de ses fureurs.

On voit que l'auteur s'est peu écarté du plan de Sénèque, qu'il a principalement imité ; seulement Médée n'est point venue à Corinthe avec Jason ; elle n'arrive qu'au moment où il va célébrer son nouvel hymen, et il fait descendre Médée dans les enfers au lieu de la faire enlever, comme Euripide et Sénèque, dans un char de feu traîné par des dragons, présens du Soleil; ce qui dans Sénèque produit cette belle apostrophe de Jason, que le spectacle de tant de crimes porte à un excès d'impiété. « Oui, vole, dit-il, et dans ce ciel que tu vas parcourir atteste à l'Univers qu'il n'existe aucun Dieu. »

C'est à tort aussi que le citoyen Hoffmann a changé le nom de Creüse en celui de Dircé ; les noms employés par les classiques sont consacrés, et doivent être scrupuleusement conservés.

Du reste, son poëme marche bien ; l'action est simple, d'un grand intérêt ; la scène difficile où Médée veut égorger ses enfans est tracée avec beaucoup d'art.

La musique de Chérubini est riche et savante ; la fête nuptiale du second acte est du plus bel effet.

Les décorations sont magnifiques, et l'incendie qui termine la pièce d'une vérité surprenante. On connoît d'ailleurs le mérite du machiniste et des décorateurs de la rue Fevdeau, dont le génie lutte toujours avec succès contre les difficultés que leur offre un local très-resserré; mais nous devons sur-tout des éloges à la justesse des costumes, à la sévérité des accessoires. Une critique sur cette partie si essentielle du spectacle à l'occasion d'Anacréon, et d'autres ouvrages de ce genre, a prouvé combien nous sommes difficiles sur ce point, et nous ne pouvons pas trouver ici le plus léger reproche à faire. Creon et Jason assis sur le trône, l'un avec le sceptre d'or, l'autre avec le sceptre orné de clous d'or nous retracent ces chefs au milieu des héros, qui conquirent la toison d'or; la pompe nuptiale du second acte et ses accessoires sont également bien tracés(1). Tout est imposant, magnifique et juste.

Madame Scio mérite les plus grands éloges, et comme cantatrice et comme tragédienne ; elle dit les vers en artiste exercée au talent de la déclamation , et captive tous les suffrages.

Les autres rôles moins importans sont très-bien remplis par les citoyens Gaveau et de Saule, et la citoyenne Rosine.

D'après la base César, la pièce a été jouée 31 fois en 1797 (à partir du 18 avril), 7 fois en 1798, 1 fois en 1799.

(1) Nous désirerions seulement que l'administration défendît aux actrices des chœurs de paroître dans les loges pendant les entr'actes avec leur costume, ce qui détruit totalement l'Illusion.

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