Michel Cervantes

Michel Cervantes, opéra-comique en trois actes & en prose, de Gamas, musique de Foignet, 4 nivôse an 2 [24 décembre 1793].

Théâtre de Louvois.

Titre :

Michel Cervantes

Genre

opéra-comique

Nombre d'actes :

3

Vers / prose

en prose, avec des couplets en vers

Musique :

oui

Date de création :

24 décembre 1793

Théâtre :

Théâtre de Louvois

Auteur(s) des paroles :

Gamas

Compositeur(s) :

Foignet

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez la Citoyenne Toubon, 1794 :

Michel Cervantes, opéra-comique en trois actes et en prose, Paroles du C. Gamas, Musique du C. Foignet. Représenté pour la première fois le 4 Nivôse, l’an deuxième de la République Française [24 décembre 1793], sur le Théâtre Lyrique des Amis de la Parie, ci-devant de la rue de Louvois.

Journal encyclopédique, tome LXXVI (juillet-décembre 1793) (Slatkine Reprints, 1967), p. 465-466, Journal encyclopédique ou universel, année 1793, tome VIII, 10 novembre, n° XXXI, p. 391-394 :

[Le compte rendu s’ouvre sur un rappel de la réalité de ce qui est ici raconté : l’esclavage de Cervantes, et sa difficile libération. Il s’agit ensuite de résumér l’intrigue, ce qui n’est pas une tâche facile en raison de sa complexité. Le critique porte ensuite son jugement : un fond « pas très neuf au théâtre », mais des détails intéressants, et une écriture remarquable, principalement pour le rôle de Cervantes et pour les couplets : «  on en jugera par la citation suivante :tout ce qui est en vers porte le cachet d'un homme de goût & exercé » (un exemple permet de s’en convaincre, ou pas). Dans le détail, le second acte est supérieur au troisième, dont le dénouement est « trop surchargé d’incidens », et il faudrait seulement « plus de simplicité » pour lui donner plus d’effet. La façon dont la pièce est « mise » est remarquable : les costumes, certains décors sont valorisés (mais celui du troisième manque de piquant). La musique « est digne de l'estime particuliere des artistes », et le compositeur « n'a pas donné lieu au plus léger reproche dans sa maniere d'écrire & de moduler ». L’interprétation enfin est louée : quatre artistes ont droit à une mention particulière pour la qualité de leur chant ou de leur jeu.]

THÉATRE DE LA RUE DE LOUVOIS.

MICHEL CERVANTES,

Tout le monde sait que le fameux Michel Cervantes Saavreda , auteur du roman de Don Quichotte, ayant été fait esclave par un corsaire algérien, forma le projet de se mettre en liberté avec treize compagnons de son infortune ; leur dessein fut découvert par un traître & les malheureux Espagnols furent traînés devant le tyran d'Alger. Ce despote leur promit la vie , s'ils vouloient découvrir l'auteur de l'entreprise : c'est moi, lui dit Cervantes ! sauve mes freres , & fais-moi périr. Son courage lui sauva la vie ; mais il n'en resta pas moins dans tes fers : après un esclavage de cinq ans & demi, sa famille parvint à rassembler la somme nécessaire pour sa rançon, & il revint en Espagne, où il se livra tout-à-fait à la poësie. C'est ce trait de la vie d'un grand homme que le citoyen Gamas a mis au théâtre. La scene se passe dans le jardin du sérail, où Michel Cervantes, Sanche son ami, & leurs camarades, sont Bostangis. Michel aime Elvire, & en est aimé ; mais Elvire, qui est esclave comme lui, a le malheur d'être aimée en même tems par Aly, fils d'Achmet, & par Fabio, compagnon de Michel, ami perfide, qui revele au tyran le secret de Michel & d'Elvire ; Michel est plongé dans une tour : heureusement pour lui, Rosette, suivante d'Elvire, est aimée du concierge de la tour : pendant qu'elle feint de répondre à sa flamme, Elvire & Sanche font sauver Michel, par le moyen d'une échelle de corde ; tous les Espagnols ne songent plus qu'aux moyens de briser leurs chaînes, Ils ont payé la rançon de Viane, leur ancien camarade d'infortune, qui doit leur amener une chaloupe pour les embarquer. Achmet qui sait ce projet, a fait avancer une chaloupe toute pareille à celle qu'ils attendent : les Espagnols y entrent ; mais s'appercevant de la trahison, ils intimident les matelots, qui les conduisent à la chaloupe de Viane : déjà ils s'éloignent, lorsqu'un orage affreux les amene à bord : les voilà chargés de fers par les satellites du tyran : ils vont périr tous, s'ils ne nomment pas leur chef : ces généreux infortunés préferent la mort à la trahison. Michel seul se fait connoître, pour leur sauver la vie. Le tyran veut le faire précipiter du haut d'un rocher; mais Aly, fils d'Achmet, a été fait prisonnier par les troupes de Viane : il a promis la liberté de Michel & de ses camarades... Achmet s'y oppose d'abord ; mais un nouveau trait de grandeur d'ame de Michel l'étonne : accablé par l'ascendant de la vertu, Achmet remplit les engagemens que son fils a contractés, & les Espagnols sont libres ainsi qu'Elvire & Rosette.

Le fond de cet ouvrage n'est pas très-neuf au théâtre; mais les détails en sont intéressans : il est d'ailleurs très bien écrit, surtout le rôle de Michel, que l'auteur a soigné singulierement : tout ce qui est en vers porte le cachet d'un homme de goût & exercé : on en jugera par la citation suivante :

Une belle, à quinze ans sauvage,
Soupire à trente ; il n'est plus tems :
Aimer, c'est le droit du bel âge,
Le privilege de quinze ans.
Laissons pour l'hiver de la vie
Murir les fruits de la raison,
Et cueillons la rose jolie,
Lorsque la rose est de saison.

Le second acte est d'un grand intérêt ; mais le dénouement du troisieme est un peu trop surchargé d'incidens : avec plus de simplicité, avec moins d'oppositions de la part d'Achmet, oppositions qui sont trop brusquées , ce dénouement feroit plus d'effet. Du reste, cet ouvrage estimable, qui doit faire honneur aux talens du citoyen Gamas, est mis avec le plus grand soin ; les costumes sont riches & vrais ; la décoration du second acte surtout est d'un très bon goût & d'un effet pittoresque : celle du troisieme acte est trop négligée ; mais il est possible de la rendre plus piquante. La musique, qui est du citoyen Foignet, connu déjà par plusieurs ouvrages très-agréables, est digne de l'estime particuliere des artistes. Une touche légere, des chants gracieux, des accompagnemens soignés, un style pur, voilà ce qui la caractérise. La finale du second acte est digne de nos plus grands maîtres ; & en général le citoyen Foignet, qui connoît parfaitement son art, n'a pas donné lieu au plus léger reproche dans sa maniere d'écrire & de moduler : cet ouvrage doit mettre le dernier sceau à sa réputation.

Le citoyen Ducaire chante avec tout le goût qu'on lui connoît, le rôle de Michel ; le citoyen Valville joue très-bien celui de Sanche : la citoyenne Sérigny est intéressante dans celui d'Elvire ; & la citoyenne Julie fait briller un véritable talent de diction & d'intelligence dans celui de Rosette : en un mot, cet opéra est digne en tout point de piquer la curiosité du public,

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1794, volume 1 (janvier 1794), p. 326-331 :

[Le résumé de la pièce qui ouvre le compte rendu est long et précis, ce qui permet ensuite au critique de déclarer « la marche de cette pièce » assez compliquée : la lecture du résumé le montrait bien. De plus, « il seroit facile à son auteur d'en faire disparoître quelques inconvenances théatrales, comme d'en soigner un peu plus le style ». Les inconvenances ? Pas d’explication de la présence de Cervantes et d’Elvire à Alger, et surtout la facilité de contact entre les esclaves espagnols et les femmes du sérail : les mœurs d’Alger ne sont pas si libres ! L’erreur de Gamas est la même que celle de Voltaire dans Zaïre... Et « l'on a trouvé ridicule que Voltaire ait introduit des François dans le sérail d'Orosmane ». Sinon, pièce agréable et situations piquantes. Et « la musique de Michel Cervantes est fort bien » (compliments plutôt modérés : on a déjà lu des comptes rendus plus enthousiastes.]

THÉATRE DE LOUVOIS.

Michel Cervantes, opéra-comique en trois actes & en prose, paroles de M. Gamas, musique de M. Foigné.

L'esclavage de l'immortel auteur de Don-Quichotte à Alger a fourni le sujet de cette piece. Cervantes, & un assez grand nombre d'Espagnols, captifs chez Achmet, ont amassé une somme assez forte pour payer la rançon de Viane, l'un d'eux qui est parti pour l'Espagne, & qui doit amener, dans un mois à Alger , un bâtiment dans lequel les Espagnols feront voile pour leur patrie. Mais comment parviendront-ils à tromper la vigilance des gardes d'Achmet ? Au moment de l'arrivée de leurs compagnons , ils se cacherent dans une vaste caverne, au fond de laquelle ils ont porté des armes & pratiqué une issue qui conduit au bord de la mer.

Ce qui désole Cervantes & Sanche, son compagnon, c'est d'être obligés d'abandonner, l'un Elvire, sa tendre amie, l'autre Rosette, sa suivante, qu'il y a lieu de croire l'une & l'autre Espagnoles, & que l'auteur ne nous dit pas au moins pour la premiere. Par malheur, le fils d'Achmet, Hali, & Fabio, l'un des esclaves espagnols, aiment aussi Elvire. Auquel des trois donner la préférence ? Faut-il le demander, quand l'auteur des Nouvelles espagnoles, quand le plus aimable poëte de la Castille est un des prétendans ? Vainement donc Hali donne chaque jour d'agréables fêtes à Elvire ; vainement Fabio lui proteste de l'aimer toujours ; elle n'entend, elle ne voit que Michel de Saavedra, elle ne peut aimer que lui. Elle veut le lui assurer, par un billet , & en même-tems en faire tenir un autre à Fabio, pour qu'il la délivre de ses poursuites. Mais par une méprise finguliere, le billet adressé a ce dernier, tombe entre les mains d'Hali, qui ne se possede pas de joie, parce qu'il croit que le billet étoit pour Michel Cervantes, auquel il a été remis caché dans un bouquet.

Quelle jouissance pour Hali ! quelle rage pour Fabio ! quel désespoir pour Michel ! le premier sort ; les deux derniers demeurent ; & pendant qu'ils réfléchissent sur l'aventure qui vient d'arriver, Rosette entre, & apprend à Michel, en presence de Fabio, ce qu'il doit penser de la méprise concernant le billet. Quelle imprudence ! Fabio dissimule, & va, pour se venger, tout révéler à Hali & à Achmet, son pere. Michel est bientôt arrêté, & mis en prison dans une tour. Avant de le quitter, Rosette convient avec Sanche qu'elle feindra de répondre à l'amour que lui a témoigné le geolier; qu'on sciera les barreaux de la fenêtre de la tour pendant qu'elle sera avec lui, & que Cervantes en descendra avec une échelle de corde. Rosette est si étourdie, & prend si peu garde aux gens qui l'entourent, lorsqu'elle a quelque chose à dire, que Fabio est encore là pour écouter, & pour aller prévenir Achmet de ce qui doit être exécuté le soir même.

Pour cette fois, les gardes de cet Algérien arrivent trop tard : Sanche, secondé par Elvire d'un côté, & Rosette, qui tient le geolier éloigné de la tour, fait tant & si bien, que Michel est sauvé, & qu'il va rejoindre ses compagnons dans la caverne. Par surcroît de bonheur, l'un d'eux, qui vient du côté du rivage, leur apprend que Viane est de retour, qu'il va mettre sa chaloupe à la mer, & qu'on n'a qu'à se disposer à partir.

La chaloupe arrive ; Elvire, Rosette, Cervantes, Sanche, & tous les Espagnols s'embarquent ; ils sont assez heureux pour ne pas tomber dans le piege que les gardes d'Achmet leur ont tendu. Mais, hélas ! pour nous servir des expressions d'un ancien, la mer n'est pas d'intelligence avec eux. L'éclair sillonne la nue, le tonnerre gronde dans les airs, les vents furieux soulevent les flots courroucés, les vagues sont mille fois sur le point d'engloutir la chaloupe, elle ne peut point parvenir jusqu'au vaisseau, & les Espagnols, accablés de fatigue, & voyant qu'ils agitent en vain leurs rames inutiles, sont contraints de retourner vers le rivage.

Les gardes d'Achmet les y attendent. On les enchaîne : bientôt ils vont subir le sort que les loix d'Alger destinent aux esclaves qui prennent la fuite. Cependant Hali, furieux de ce qu'on lui a enlevé Elvire, a mis à la voile, dans le dessein d'aller joindre le bâtiment de Viane, de lui livrer combat, & de le couler à fond , après avoir repris sa maîtresse. Tout cela a été exécuté en partie ; mais au moment où Viane alloit succomber, un vaisseau espagnol est venu à son secours, & a fait prisonniers Hali & tout son équipage.

C'est au moment où Achmet va faire jetter Michel Cervantes à la mer, parce qu'il s'est déclaré le chef des Espagnols fugitifs, que Hali survient. Il apprend à son pere le malheur qui lui est arrivé, & il ajoute que la liberté ne sera rendue à son équipage & à lui-même, qu'à la condition que Cervantes & ses compagnons seront échangés contre les Algériens. Le capitaine qui !'a vaincu, a eu la générosité de l'envoyer lui-même à terre, pour faire cette proposition à Achmet ; & sa simple promesse de revenir, a suffi pour que le capitaine espagnol le laissât partir.

Achmet est furieux ; il ne veut pas que son fils acquitte sa parole ; & puisqu'il est auprès de lui, il prétend, non-seulement le garder, mais encore faire punir Michel, comme la premiere cause de tout ce qui est arrivé. Hali s'oppose ouvertement au dessein de son pere, qui s'obstine. Désespérant de l'appaiser, & confus de manquer à sa promesse , ce jeune homme a tiré son poignard, & bientôt il auroit eu franchi l'intervalle qui le sépare de l'éternité, si Cervantes ne lui eût épargné ce crime. Il fait mieux, il se dévoue pour assouvir la haine & la vengeance du pere de son rival, pourvu que ses compagnons recouvrent leur liberté. Ce trait de courage ramene Achmet à des sentimens plus doux ; il consent à pardonner les Espagnols, & Hali couronne ses sentimens héroïques, en cédant Elvire à Michel Cervantes.

La marche de cette piece pourroit être plus simple, & il seroit facile à son auteur d'en faire disparoître quelques inconvenances théatrales, comme d'en soigner un peu plus le style. Nous ne savons pas comment Cervantes & Elvire se trouvent à Alger, ni comment, contre tous les usages des Orientaux, les esclaves espagnols peuvent facilement communiquer avec les femmes du sérail d'Achmet. Une des critiques les mieux fondées de Zaïre , est celle qui porte sur la violation des mœurs asiatiques. Or, si l'on a trouvé ridicule que Voltaire ait introduit des François dans le sérail d'Orosmane, peut-on excuser M. Gamas, d'avoir si facilement fait trouver les femmes d'un sérail avec des étrangers ? Il sait bien qu'à Alger les femmes sont extrêmement gênées, & qu'elles ne se montrent aux hommes que la tête couverte d'un grand voile. Il falloit respecter cet usage, ou du moins colorer les motif, pour lesquels on l'a violé. La piece est d'ailleurs fort agréable, & offre plusieurs situations piquantes, dont l'auteur a souvent tiré bon parti.

La musique de Michel Cervantes est fort bien, & ne peut qu'ajouter à la réputation de M. Foigné.

D’après la base César, la pièce de Gamas et de Foignet a été créée au Théâtre des amis de la patrie, le 24 décembre 1793. Elle y a connu 4 représentations en 1793, 50 en 1794, 4 en 1795 (auxquelles s’ajoutent 10 représentations au Théâtre du Lycée des Arts) et 1 en 1796 (auxquelles s’ajoutent 3 représentations au Théâtre du Lycée des Arts). Total : 72 représentations.

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