Monsieur Sapajou, ou l'Enseigne du singe, vaudeville en un acte, de Théophile Marion Dumersan, 26 vendémiaire an 14 [18 octobre 1805].
Théâtre Montansier.
Dans le Courrier des spectacles, la pièce est intitulée Sapajou ou l'Enseigne, comédie en un acte.
Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Mad. Cavanagh, 1805 :
Monsieur Sapajou, ou l'Enseigne du singe, vaudeville en un acte, Par M. D***, Représenté pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre Montansier, le 26 vendémiaire an 14 [15 octobre 1805].
En fait, le 26 vendémiaire an 14 correspond au 18 octobre 1805
Courrier des spectacles, n° 3191 du 27 vendémiaire an 14 [19 octobre 1805], p. 3 :
On vient de jouer au Théâtre Montansier une pièce dont la gloire pourroit bien porter atteinte à M. Vautour et à M. La Flûte ; c’est M. Sapajou, ou le Singe bleu. Imaginez Brunet posé au-dessus d’une boutique, accroupi sur une planche, barbouillé de bleu et servant d’enseigne à un marchand quincailler : jugez ensuite de ce que ce sujet doit fournir de bons-mots, et vous aurez une idée de la représentation, qui pourtant n’a pas été assez heureuse pour que les auteurs fussent nommés.
Courrier des spectacles, n° 3192 du 28 vendémiaire an 14 [20 octobre 1805], p. 2-3 :
[Le critique fait un sort enviable à cette grosse farce, qui a droit à un compte rendu fort long, pour une pièce qui se réduit à une série de gags dont le plus remarquable est le fait de faire jouer le rôle d'une enseigne en forme de singe bleu à l'inépuisable Brunet. L'innovation est présentée comme un coup de génie. L'intrigue, présentée de façon très détaillée, a quelque chose de burlesque. Elle repose comme toujours ou presque sur une affaire de mariage, mais elle n'est que le prétexte à des jeux de mots dont le compte rendu donne un exemple pas très convaincant, et sur le talent comique de Brunet. Si le compte rendu paraît globalement positif, la fin semble indiquer que l'auteur vaut mieux que « des parades de tréteaux ».]
Théâtre Montansier.
Le Singe bleu , ou Sapajou.
Je ne sais si la perruque de laine de M. Vautour, son long habit boutonné sur les genoux, ses requêtes et ses bous mots, tiendront contre le gilet et le pantalon bleu de Brunet, transformé en sapajou, et si jamais l’imagination des poëtes du théâtre Montansier trouvera un trait de génie plus comique que celui de faire barbouiller le visage de Brunet eu couleur bleue, et de l’asseoir en forme d’enseigne sur la porte d’une boutique. Voilà véritablement de ces coups brillans devant lesquels doivent pâlir tous les beaux-esprits des boulevards et de la foire
M. Sapajou est un marchand quincaillier, aussi laid que l'animal dont il porte le nom. Il a pour enseigne un singe eu relief, peint eu bleu ; et sous ce signe, dont il est la vivante image, il voit sou commerce fleurir. Près de lui vit une jeune personne dont les charmes lui inspirent une ardente passion ; c’est Mlle. Malines, ouvrière eu dentelles, dont l’esprit, la grâce et la gentillesse méritent un autre mari qu’un Ourang-Outang. Aussi Mlle. Malines a-t-elle un amant bien autrement tourné que M. Sapajou ; c’est M. Dupinceau, jeune artiste, fils d’un statuaire dont le ciseau a fourni à Sapajou le singe bleu qui décore l’entablement de sa boutique Si M. Dupinceau étoit riche, il ne s’inquiéteroit guères de la rivalité de Sapajou ; mais Sapajou fait des affaires si considérables, ses magasins sont assortis si complettement, que Dupinceau ne voit d’autre moyen de sortir d’embarras, que d’employer la ruse. Il vient voir Sapajou, lui fait remarquer que la pluie a un peu endommagé les traits du singe bleu, qu’il faudroit lui rendre cette pureté de couleur qui l’a distingué jusqu’alors : il lui propose de se charger de ce travail pour peu d’argent ; et sur le consentement de Sapajou, il se fait apporter une échelle et déplace le singe bleu, Il y a ici un trait de comique, un effet de théâtre dont toute la délicatesse a été saisie par les spectateurs : c’est de montrer au public, bien en détail, ce que les singes doivent cacher aussi bien que les hommes.
Après cette excellente gaieté, le singe bleu disparoît : mais tout n’est pas perdu, M. Sapajou reste, et son costume représente admirablement bien la belle effigie qu’on vient d’enlever. Il faut dire ici que Sapajou n’a payé qu’un à compte au père de Dupinceau, quand il a reçu le singe bleu ; que Dupinceau fils, instruit de cette particularité, en profite pour s’approprier le singe ; qu’il s’apprête même à le vendre à M. Desmaisons, propriétaire du logement qu’occupe Sapajou.
Cet incident amène d’autres scènes, dont il est facile de prévoir tout l’esprit. M. Desmaisons prétend garder le singe, M. Sapajou le réclame ; M. Desmaisons veut au moins augmenter le loyer ; Sapajou se fâche et traite M. Desmaisons de ganache. Ce mot exquis fait trépigner de joie une partie des auditeurs. Enfin M Desmaisons se retire, en répétant avec dépit : ganache ! ganache !
Sapajou privé de son singe n’oublie pas pour cela ses amours. La chambre de Mlle Malines étant justement au-dessus de sa boutique, et les croisées de la demoiselle se trouvant ouvertes, M. Sapajou profile de l’occasion pour lier un entretien avec elle. La Demoiselle répond d’abord assez doucement, et la grâce de ses paroles enflamment de p lus en plus le cœur de Sapajou, il saisit l’échelle du Dupinceau, monte précipitamment jusqu'à la fenêtre de Mlle. Malines, et tente même de s’introduire dans son appartement. Dupinceau survient, surprend son rival, retire l’échelle, et ne lui laisse d'autre ressource que le piédestal sur lequel reposoit le singe bleu : grand embarras de Sapajou. Il prie, il conjure ; mais on lui répond qu’il n’aura point d’échelle ; qu'il restera là, et qu’on le dénoncera comme prévenu de tentatives de rapt, s’il ne cousent à occuper la place du singe pendant un tems requis, et sur tout à renoncer à la main de Mlle. Malines. Sapajou se résigne. En ce moment arrive M. Bilboquet, oncle de Mlle. Malines, qu’il destine à devenir l’épouse de M. Sapajou. Son premier soin est de s’informer de son futur gendre. Dupinceau lui répond qu’il a abandonné sa boutique et qu’il est devenu fou. Il parle beaucoup du singe bleu, attribue la fortune de Sapajou à la vertu de ce singe, s’en déclare le propriétaire, et persuade à M. Bilboquet, dont la vue est un peu basse, que ce singe automate est capable d'exécuter tous les mouvemens. Pour en donner une preuve, il commande à son singe différens exercices : Lève la main, il la lève ; Baisse la tête, il s’incline. Cependant M. Bilboquet prétend que le singe a la figure un peu blanche. C’est alors que Dupinceau monte avec une brosse, et bar bouille horriblement le pauvre Brunet. Bilboquet, témoin des miracles qui viennent de s’opérer, ne voit pas de gendre plus convenable pour sa nièce que M. Dupinceau. Il consent à l’union des deux amans, et quand le contrat est signé . Dupinceau remonte pour le faire ratifier par Brunet, qui s’y prèle avec toute la grâce d’un Sapajou. Cet instant devient celui de sa délivrance ; on le dégage de sa fâcheuse position, et Bilboquet ne doute point qu’il ne soit point réellement fou.
Le plus fou de toute l’affaire est assuré ment l’auteur de cette farce. C’est un crescendo de tous les chefs-d’œuvre de ce genre qu’on nous a donnés depuis long-tems. Le style et les bons mots y sont dignes du sujet. Par exemple, M Sapajou qui vend des soufflets , demande à M. Dupinceau : Voulez-vous que je vous donne un soufflet, un bon soufflet ? J'en ai reçu hier plusieurs, etc. Et puis, il y a des saillies excellentes sur les scies, sur les pinces, sur les vis, etc. On y trouve aussi des couplets ; et comme on doit être juste en tout, il faut dire que plusieurs de ces couplets sont assez agréables, et qu’ils prouvent que l’auteur peut faire beaucoup mieux que des parades de tréteaux.
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