Myrrha, tragédie en 3 actes, de Souriguère. 12 nivôse an 4 [2 janvier 1796].
Théâtre de la rue Feydeau, ou des Comédiens François
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Titre :
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Myrrha (Myrra)
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Genre
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tragédie
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Nombre d'actes :
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3
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Vers / prose
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en vers
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Musique :
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non
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Date de création :
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12 nivôse an 4 [2 janvier 1796]
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Théâtre :
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Théâtre de la rue Feydeau, ou des Comédiens français
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Auteur(s) des paroles :
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Souriguère
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Almanach des Muses 1797.
Sujet célèbre dans la Fable ; on n'en pouvoit guère choisir de plus ingrat.
Myrrha est sur le point d'épouser Périandre, jeune prince d'Epire : mais elle est dévorée d'une sombre tristesse ; on en cherche le motif : c'est en quoi consiste à-peu-près toute l'action. Au dernier acte, Myrrha avoue à son père que c'est pour lui qu'elle ressent l'amour le plus coupable : elle se donne la mort. Sa mère arrive, et la voyant baignée dans son sang, se précipite sur elle. Son époux l'arrête, la prend dans ses bras, et l'entraîne avec effort :
Venez, n'approchez pas.... Fuyons ce lieu d'horreur.
Les époux traversent ainsi la scène, et la toile tombe.
Essai d'un jeune homme de vingt-deux ans.
L’Esprit des journaux français et étrangers, 1796, volume 1 (janvier-février 1796), p. 257-260 :
[La tragédie de Myrrha est l'œuvre d’un tout jeune homme (en fait il a trente six ans), et la jeunesse donne droit à un peu d’indulgence de la part de la critique. Le résumé de l’intrigue, qui ouvre le compte rendu, en souligne le caractère extraordinaire par l’abondance des points de suspension : une telle intrigue peint en effet « un amour auquel nos mœurs ne nous permettent pas de nous intéresser », un amour incestueux, et le critique compare Myrrha avec le seul autre exemple qu’il peut évoquer, celui de Phèdre de Racine,et c’est pour conclure à une plus grande culpabilité chez Myrrha. Le sujet est donc considéré comme tout à fait ingrat, mais la façon dont il a été traité permet de voir qu’il « n'étoit ni stérile en beautés, ni tout-à-fait rebelle au talent dramatique » :« c'est un sujet mal choisi, dont toutes les inconvenances sont sauvées, autant qu'il est possible, par d'heureux accessoires ». Le compte rendu s’attarde en suite sur la dernière scène, considérée comme « neuve, hardie, & fortement dramatique ». Après que Myrrha s’est poignardée sur la scène, son père pousse un cri si puissant qu’il fait venir son épouse, mais au lieu de nous faire assister aux lamentations d’Antiope, la scène s’achève très vite : Cinyre entraîne son épouse hors de la scène, et le rideau tombe. Et ce qui est jugé extraordinaire dans cette scène, dans laquelle l’auteur, « un jeune homme », s’est « affranchi de l’usage », c’est que la pièce ne s’achève pas sur l’ordinaire rassemblement de tous les personnages « autour de celui qu'immole la catastrophe », qu’il n’y a pas le tableau final attendu, puisque la pièce s’achève par une scène vide (ou en train de se vider). Ultimes remarques : rien sur les décorations (mais le fait de le dire est peut-être un jugement), quelques mots élogieux sur l’interprétation (je comprends la dernière phrase de l'article comme un compliment).]
THÉATRE DE LA RUE FEYDEAU.
Myrra , tragédie en trois actes.
Myrra est près d’épouser Périandre, jeune héros, qui a l'estime de la Grèce. Cinyre, père de Myrra; Antiope, sa mère, font leur bonheur de cette union; Myrra elle-même y a consenti; mais elle est dévorée d'une sombre douleur ; ses parens, son amant s'en inquiètent & s'en affligent. Le cœur de Myrra appartient à un autre. Elle brûle d'un feu secret pour..... pour Cinyre, son père. Le jour de son union avec Périandre est arrivé. Cinyre, Antiope, Périandre veulent pénétrer le secret de son cœur avant de célébrer l'hymen auquel ils attribuent le mal qui la consume. Elle le cache à tout ce qui l’entoure, elle voudroit se le cacher à elle même ; résolue à éviter son père, & à fuir les lieux qu'il habite, elle presse l'heure de son union, elle sollicite un prompt départ........ L'autel est préparé; les époux sont dans le temple ; le prêtre prononce les paroles sacrées...... Mais à ce moment tous les présages réunis annoncent au pontife que le temple est profané par des affections criminelles; les prêtres effrayés sortent du temple.... La cérémonie est interrompue. Périandre, au désespoir, sûr de n'être plus aimé, va chercher la mort ; Cinyre veut arracher du cœur de sa fille le fatal secret qu'il n'a pu pénétrer ; il est près de l'accabler de sa malédiction; Myrra laisse alors échapper l'aveu qu'elle a si longtemps retenu, & elle s'en punit en se donnant la mort.
Tel est le fond de cette pièce. Elle a, comme on voit, pour objet un amour auquel nos mœurs ne nous permettent pas de nous intéresser. Racine a mis sur la scène un amour incestueux ; mais cette passion a un caractère moins révoltant dans Phèdre que dans Myrra ; Phèdre n'est point la mère d’Hippoìite, au-lieu que Myrra est la fille de Cinyre. Myrra est plus criminelle que Phèdre, parce qu'une jeune fille devroit. être plus innocente. Enfin la passion de Phèdre est l'ouvrage d'un déesse cruelle ; C’est Vénus toute entière à sa proie attachée; & on ne voit pas pourquoi Myrra est atteinte d'une passion au moins si extraordinaire. Ce n'est pas assez d'en accuser vaguement la fatalité, il ne faut pas moins que l’intervention & l'influence manifeste d'une puissance céleste, pour inspirer de l'intérêt, non en faveur d'un amour incestueux, mais des souffrances que cet amour cause à un cœur né vertueux.
II étoit difficile, sans doute, de choisir un sujet plus ingrat ; mais la manière dont il est traité, prouve qu'il n'étoit ni stérile en beautés, ni tout-à-fait rebelle au talent dramatique. Il n'est que trop ordinaire de voir des sujets heureux, gâtés par des incidens bizarres ; ici on voit tout le contraire : c'est un sujet mal choisi, dont toutes les inconvenances sont sauvées, autant qu'il est possible, par d'heureux accessoires.
La dernière scène de l'ouvrage mérite d'être remarquée ; elle est neuve, hardie, & fortement tragique. Quand Myrra se frappe du coup mortel, elle est seule avec son père ; celui-ci, saisi d'effroi par l'aveu qu'elle lui a fait, & par la mort qu'elle s'est donnée, fait entendre les gémissemens d'un père en qui le respect pour les dieux dont il est le prêtre, combat les sentimens de la nature, & n'ose ni plaindre la victime, ni s'en approcher. Anthiope, qui l'a entendu, accourt...... Elle voit sa fille baignée dans le sang & un poignard dans le sein ; elle se précipite vers cet objet de sa tendresse.... Son époux l'arrête, la prend, par le bras, l'entraîne avec effort....
Venez.... n'approchez pas.... fuyons ce lieu d'horreur....
Les époux traversent ainsi la scène, & la toile tombe. Il est assez étonnant qu'un jeune homme se soit affranchi de l'usage, souvent plus pittoresque que tragique, de rassembler tous les personnages d'une pièce autour de celui qu'immole la catastrophe, de les groupper, & de les dessiner avec l'harmonie qu'un peintre a besoin de mettre dans un tableau ; comme si l'art dramatique ne pouvoit arriver au cœur que par les yeux.
II y a de l'audace, sans doute, à faire une tragédie à vingt-deux ans. Qu'importe si c'est l'audace du talent, & non celle de la présomption ?
Nous ne dirons rien des décorations de la pièce. La citoyenne Fleury joue le rôle de Myrra d'une manière supérieure. Du reste, la réputation du théâtre français est faite, & l'on sait que la partie où ces acteurs excellent, c'est la comédie.
(Journal de Paris.)
R. J. Durdent, Histoire de la Convention nationale de France, tome deuxième (1818), p. 234-235 :
Souriguerre dut se féliciter plus que jamais d'avoir fait le Réveil du Peuple, lorsqu'il hasarda une tragédie. Il avait osé mettre sur la scène cette Myrrha, qui, selon la fable, conçut pour son propre père une passion incestueuse. Peut-être le génie de nos trois grands tragiques aurait-il eu de la peine à traiter un sujet si scabreux. On pourrait le regarder comme le plus extraordinaire qui jamais eût existé, si la tradition ne nous donnait l'inconcevable assurance qu'Euripide osa composer une tragédie de Pasiphaé. Souriguerre, connu d'avance, échappa à une chute scandaleuse ; ses couplets ne soutinrent pas sa tragédie, car la chose était impossible; mais ils tempérèrent la sévérité d'un jugement qui, au reste, fut sans appel.
La base César attribue la pièce à Claude-Bernard Petitot. Elle a été jouée 4 fois, du 2 au 12 janvier 1796, au Théâtre Feydeau.
NB : L'attribution de la tragédie de Myrrha à Petitot se retrouve dans le livre d'Emmet Kennedy, Theatre, Opera, and Audiences in Revolutionary Paris: Analysis and Repertoryn, p. 213, où la pièce est gratifiée de cinq actes. Claude-Bernard Petitot est le traducteur des œuvres dramatiques d'Alfieri, auteur d'une Myrrha : c'est peut-être l'origine de la confusion...
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