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Œdipe à Colonne (Ducis)
Œdipe à Colonne, tragédie en trois actes et en vers de Ducis, 17 prairial an 5 [5 juin 1797].
Théâtre Français de la rue de Richelieu.
[Œdipe à Colonne est la nouvelle version d’une pièce que Ducis avait fait jouer en 1778, Œdipe chez Admète. Ducis lui-même choisit cette orthographe répandue de son temps pour désigner le lieu de l’action, une bourgade d’Attique que nous écrivons aujourd’hui Colone, avec un seul n. La première des deux pièces de Ducis mêlait de façon un peu étrange une tragédie de Sophocle, Œdipe à Colone et une autre d’Euripide, Alceste, dans un mélange assez improbable. C’est sans doute ce qui explique qu’il revienne vingt ans après sur son œuvre pour produire une pièce uniquement centrée sur la rencontre de Thésée et d’Œdipe, qui constitue le sujet de la pièce de Sophocle.]
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Titre :
Œdipe à Colon(n)e
Genre
tragédie
Nombre d'actes :
3
Vers / prose ?
vers
Musique :
non
Date de création :
17 prairial an 5 [5 juin 1797].
Théâtre :
Théâtre Français de la rue de Richelieu
Auteur(s) des paroles :
M. Ducis
Courrier des spectacles, n° 151 du 18 prairial an 5 [6 juin 1797], p. 2-3 :
[Le critique est bien informé, et il retrace avec précision l’histoire de la pièce, dans sa version ancienne (y compris dans les incidents extérieurs à la pièce) comme dans sa version nouvelle : il en relève avec précision les changements. Il cite les acteurs qui ont réussi dans les principaux rôles, confiés à de grands acteurs. Mais il est peu convaincu par cette nouvelle version, d’abord parce qu’elle met à la place de l’obscur Admète le très fameux Thésée, qui se trouve ainsi placé dans une situation qui lui convient peu. Et dans l'ensemble il juge la pièce encore trop longue, et froide, sauf à quelques moments (il ne cite que deux scènes échappant à ce reproche). La pièce est d’un auteur consacré, et le critique attaque son texte avec prudence : d’abord un vers « qui ne nous a paru ni vrai ni très moral », où Œdipe dit reconnaître Polinice à la haine qu’il voue à son frère, vers que le critique interprète de manière un peu excessive ; puis deux autres vers sont eux aussi jugés peu moraux, en ce qu’ils laisseraient entendre qu’« il n’y a plus de vertus ni de vices sur la terre », Ducis se trouvant excusé (sans double un moment d’inattention de sa part...).]
Théâtre de la République.
La tragédie d'Œdipe à Colone, annoncée depuis plusieurs jours à ce théâtre, n’est autre chose qu’Œdipe chez Admète, de M. Ducis, représenté pour la première fois à Paris, le 4 décembre 1778. L'auteur a réduit cette pièce en 3 actes, en faisant disparoître le rôle d’Alceste, et donnant celui d’Admète à Thésée, roi d’Athènes. Le premier acte est composé des deux de l’ancienne pièce. Le troisième acte de celle-ci est conservé en entier, et forme le second de la tragédie nouvelle, sans autre changement que quelques transpositions et quelques additions dans les vers. Le troisième acte commence au quatrième d’Œdipe chez Admète, et le suit jusqu’à la troisième scène. Le reste de ce quatrième acte est sacrifié. On passe au septième vers du cinquième acte, où Œdipe se retrouve en scène avec sa fille, et le reste de la pièce est conservé. Cette tragédie, dans sa nouveauté, fut interrompue à la septième représentation par une chute que fit M. Monvel jouant le rôle de Polinice, et continuée peu de jours après : elle eut vingt représentations. M. Monvel y joua hier le rôle d’Œdipe, et y reçut les plus grands applaudissemens, sur tout au troisième acte, quand, cédant au repentir de Polinice, il lui dit :
Ingrat, te repens-tu ?
Ne me trompes-tu pas ?
M. Talma a été applaudi dans le rôle de Polinice, et mademoiselle Vanhove dans celui d’Antigone. M. Baptiste a bien joué le rôle ingrat de Thésée.
Nous ne croyons pas que cette tragédie ait gagné à être ainsi réduite. Il est vrai que le rôle d’Alceste, femme d’Admète, répandoit des longueurs dans l’ancienne pièce ; mais dans la nouvelle, Thésée dit à Polinice une partie de ce que le Roi de Thessalie disoit à son épouse. D’ailleurs, il nous semble que si Admète, peu célèbre dans l’histoire grecque, pouvoit remplir dans une pièce un personnage peu important, il n’en est pas de même du fameux Thésée, du successeur d’Alcide ; ce rôle ne nous paroit pas lui convenir. La pièce, telle qu’elle est, n’a point d’action, est encore très-longue. Le premier acte est froid ; le second l’est aussi malgré la belle scène d’Antigone avec son père ; et le troisième n’a rien de beau que la très-longue scène entre Œdipe et Polinice.
On connoît la versification de cet ouvrage ; dans les vers nouveaux nous en avons remarqué un qui ne nous a paru ni vrai ni très-moral. Thésée ne sait pas que c’est Polinice qui lui parle ; il ignore également qu’il est question d’Etéocle ; il devine tout, à la haine de Polinice pour son ennemi, et lui dit :
Vous le haïssez trop pour n’être pas son frère.
Depuis quand le titre de frère est-il un droit à la haine ? Les deux vers suivans, qui étoient déjà dans l’ancienne pièce, ne nous paroissent guère plus morales [sic] :
Nous errons avec crainte et dans l’obscurité,
Sous l’astre impérieux de la fatalité.
Ce système établi, il n’y a plus de vertus ni de vices sur la terre. Il faut croire que ces vers sont échappés à M. Ducis, qui est accoutumé à parler un autre langage.
L. P.
La Décade philosophique, littéraire et politique, cinquième année de la politique, IIIe trimestre, n° 27 (30 Prairial an 5e, 18 Juin 1797, vieux style), p. 555-559 :
Théâtre de la République.
On voit enfin avec plaisir à ce théâtre, la reprise d’Œdipe à Colonne, tragédie du citoyen Ducis.
On se rappelle que ce même sujet a déjà été donné par lui à l'ancien Théâtre Français sous le titre d'Œdipe chez Admète ; la pièce était en cinq actes.
L'Auteur qui voulait nous faire connaître un des chefs-d'œuvres de Sophocle, crut alors que ce sujet, dénué de l'intérêt politique qui le rendait précieux aux Athéniens, nous attacherait moins, et ne remplirait l'espace de cinq actes qu'en y réunissant l’Alceste d'Euripide.
Quelque talent qu'il fit paraître à déguiser le vice d'une double action, il ne put éviter le juste reproche du défaut d'unité : les amis de l'art et les hommes de goût s'aperçurent bientôt non-seulement de deux intérêts qui, en partageant l'attention, se nuisaient l'un à l'autre, mais encore de deux coloris différons, parce que les beautés mâles de Sophocle s'amalgament difficilement avec les beautés touchantes d'Euripide ; le même cadre ne peut guère les rassembler.
Le citoyen Ducis dont la modestie égale le talent, s'est rendu aux observations des connaisseurs, et s'est déterminé à sacrifier à la règle indispensable de l'unité d'action, la plus nécessaire des trois, les beautés étrangères qu'il avait introduites. Il s'est borné à trois actes ; et substituant Thésée à son Admète, il a jeté tout l'intérêt sur le personnage d'Œdipe.
Tout le monde sait que Sophocle plus qu'octogénaire, répondit par la lecture de ce bel ouvrage devant l'Aréopage; à ses ingrats et avides enfans, qui l'accusaient de démence et qu'il choisit Colonne pour le lieu de la scène, parce que ce bourg de l'Attique l'avait vû naître. On conçoit qu'indépendamment du grand intérêt politique qui résultait de cette tragédie, ses contemporains durent en trouver un plus grand encore, dans le motif, la circonstance et l'époque qui la firent éclore.
Le citoyen Ducis n'avait pas les mêmes ressources ; il a donc été obligé de tirer tout du fonds de son sujet, et de le nourrir de ce qui pouvait nous le rendre agréable.
L'analyse de sa pièce se borne à dire que le malheureux Œdipe chassé par ses fils de son trône et de son pays, poursuivi par le souvenir .de ses crimes involontaires, errant sous la conduite de sa fille, la respectable et touchante Antigone, arrive à Colonne près du temple même des Euménides ; qu'au moment encore d'en être chassé par l'effroi que son nom seul imprime à tous les peuples, il trouve dans Thésée un consolateur et un appui, et qu'après avoir pardonna à Polynice, en faveur de son repentir, et à la prière de sa sœur Antigone, il se sacrifie pour Thésée qu'un oracle vient de dévouer au trépas, en obtenant des Dieux la faveur de mourir à sa place.
En rendant justice aux beautés sans nombre de cette tragédie ; on ne peut s'empêcher de remarquer l'extrême difficulté que l'Auteur a éprouvée à faire de la mort d'Œdipe le sujet et le ressort d'une action dramatique. La fable qu'il a inventée dé faire dévouer Thésée à la mort par un oracle, et de l'y arracher par le sacrifice volontaire d'Œdipe, ne me paraît pas heureuse ; elle rappelle trop, ce me semble, celle d'Admète et d'Alceste, et n'en a plus ni la vraisemblance consacrée par l'histoire , ni même l’intérêt.
J'oserai demander au citoyen Ducis s'il eût été bien difficile et bien déplacé d'adopter la fable même de Sophocle ?
Le tombeau d'Œdipe dont les cendres doivent, selon l'oracle des Dieux, assurer la paix et le bonheur à la terre qui les recueillera, n'aurait-il pas rendu le sacrifice de cette illustre victime plus imposant et plus tragique ? Il me semble que c'est nous calomnier de nous croire incapables de sentir ce genre de beauté antique et sévère.
J'aurais désiré aussi que pour rendre Thésée intéressant, l'auteur eût trouvé un autre moyen, que d'en faire un modèle de tendresse conjugale pour une Antiope qu'on ne voit point : je sais que nous aurions à regretter des détails charmans de style, des vers que Racine même n'aurait peut-être pas désavoués ; mais ce sont des ornemens légers qui me paraissent aussi déplacés dans un sujet austère qu'une corbeille de roses, isolée, le serait dans la vaste enceinte d'un édifice majestueux.
Mais ce qui caractérise le mérite éminent de cet ouvrage, ce sont les deux scènes immortelles d'Œdipe avec Antigone et avec Polynice : il ne se trouve dans aucun de nos auteurs, ni anciens ni modernes, des scènes plus approchantes de la perfection pour la beauté des situations, pour l'énergie et la vérité des caractéres ; pour la nuance des oppositions, pour l'élévation des sentimens, des pensées et du langage.
Rien de plus touchant et de plus mélancolique que l'égarement d'Œdipe, rien de plus tendre que la douleur d'Antigone, ses alarmes, ses soins et ses prières ; rien de plus pathétique que les beaux développemens d'amour filial et paternel dont cette scène est composée ; rien de plus énergique, rien de plus terrible que ce majestueux silence dont Œdipe croit devoir d'abord punir son fils Polynice. Se détermine-t-il à le rompre, à la prière d'Antigone ? rien de plus imposant que les reproches foudroyans qu'il lui adresse ; rien de plus déchirant que les imprécations dont il l'accable ; rien enfin de plus pathétique que son attendrissement et son pardon. Qu'on me cite une seule scène ailleurs, mieux exposée, mieux soutenue, mieux dénouée et mieux écrite que les deux dont je viens de parler ; et qu'on ne dise pas, pour en atténuer le mérite, qu'elles sont dans Sophocle ; j'invoque le témoignage de tous ceux qui l'ont lu ; les scènes n'y sont qu'indiquées, et l'Auteur français les a développées : imiter ainsi c'est créer !
Qui n'admirerait pas enfin cette magie de style qui embellit encore cet ouvrage ? Cette foule de vers heureux de sentiment ou de caractère, d'énergie ou de sensibilité !
Je ne lui parlais pas , mais j'étais auprès d'elle.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Je me couvre en tremblant du pardon de mon père.
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L'homme est plus cher aux Dieux qu'il ne l'est à lui-même.
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Où le crime palit la vertu se rassure.
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Je sens qu'en ce moment j'embrasserais mon frère.
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Soixante ans de malheurs ont parc ta victime.
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«t beaucoup d'autres de cette espèce.
Le Drame lyrique du même titre, calqué mot pour mot sur la tragédie, atteste aussi par son succès, combien le sujet était heureux : peut-être les deux tableaux se nuisent-ils par trop de conformité ; mais plus on les connaît, plus leur mérite me semble démontré, plus la copie doit prouver la valeur de l'original.
Le citoyen Ducis ne pouvait mieux répondre qu'il ne l'a fait par cette pièce à certain coup-d'œil très-superficiel sur l’état de l'art dramatique en France qui parût il y a quelque tems dans une feuille du matin.
L'auteur de l'article qui paraît avoir eu plutôt le dessein de plaire à des abonnés d'un certain genre, que de traiter la matière avec profondeur, commence par dire beaucoup de bien du talent tragique de Laharpe, beaucoup de mal de celui de Chénier, et-finit par refuser presque au citoyen Ducis une place parmi nos célèbres tragiques.
Sa manière de juger annonçait plus d'esprit que de réflexion ; plus de partialité que de goût. On ne se persuade pas assez que pour écrire et prononcer sur l'art dramatique, l'esprit et même le goût ne suffisent pas, et que le sentiment de cet art, qui ne saurait être le fruit que d'une étude profonde, peut seul donner des lumières suffisantes.
Deux jeunes soutiens de la scène tragique ont réclamé contre l'injustice faite au citoyen Ducis, en hommes dignes d'apprécier son talent et pénétrés profondément de l'art qu'ils exercent avec succès.
Mais la meilleure réponse se trouve encore dans les belles scènes du Roi Léar, dans celles d’Abufar et d'Œdipe à Colonne.
Le tragédien Monvel a de très-beaux momens dans le rôle d’Œdipe ; sa diction fait regretter que ses moyens ne répondent pas toujours à ses intentions. Talma ne m'a point paru à la première représentation avoir assez prononcé le caractère profondément haineux de Polynice : il n'avait pas assez senti la profondeur de ce vers si simple en apparence:
Je sens qu'en ce moment j'embrasserais mon frère.
mais on dit que l'ensemble actuel laisse moins à désirer.
Œdipe chez Admète (changemens faits par Ducis à sa Tragédie, d’).
Œdipe chez Admète, tragédie en cinq actes de Ducis, a été créé le 4 décembre 1778, d’après la base César, qui ne lui connaît sinon que trois représentations au Capitole de Toulouse en 1786 et 1788, et trois représentations au Théâtre français de la rue de Richelieu, en août 1792.
Magasin encyclopédique, ou Journal des sciences, des lettres et des arts, 3e année, 1797, tome I, p. 111-113 :
POÉSIE.
Changemens faits par Ducis à sa Tragédie d'Œdipe chez Admète (1).
Plusieurs de mes amis, et les artistes les plus distingués du théâtre de la République, m'ayant vivement pressé de retrancher les personnages d'Admète et d'Alceste dans ma tragédie d'Œdipe chez Admète, pour n'y conserver que l'action d'Œdipe, j'ai cru devoir céder à leurs instances. J'ai substitué Thésée à Admète, en plaçant la scène à Colonne et à Athènes, et en donnant alors à ma tragédie, réduite en trois actes, le titre d'Œdipe à Colonne.
J'ai donc composé un nouveau premier acte, dans lequel j'ai cependant conservé quelque chose de l'ancien. Voulant d'abord, et dans ma première scène, frapper le spectateur de l'idée de la fatalité qui domine dans ce sujet, j'ai supposé que Thésée, époux d'Antiope et père d'Hippolyte encore au berceau, fatigué des soins du trône et préoccupé de la marche effrayante et mystérieuse du destin, tombé par degrés dans un sommeil pénible et accablant, se réveilloit soudain avec terreur, et confioit à l'amitié compatissante, dans le récit d'un songe, un des plus grands malheurs que le sort en effet lui réservoit dans l'avenir : je veux dira la mort de son fils Hippolyle, précipité de son char et traîné par ses chevaux à travers les rochers et les précipices. Je sentis, non sans crainte, que j'allois me rencontrer avec Racine dans un des plus beaux et des plus célèbres morceaux de la Poésie française. Je songeai aussitôt, sans parler d'autres précautions nécessaires, qu'il faudrait m'arranger sur-tout pour que, dans ce récit, Thésée ne connût rien du crime honteux dont Phèdre devoit accuser l'innocent Hippolyte. J'ai donc eu le courage, sans doute téméraire, de risquer la tentative ; mais quand mon, travail fut terminé, quand la chaleur de la composition cessa de me soutenir, je reconnus ma foiblesse et toute la grandeur du danger. Je pris aussitôt le parti de placer dans la bouche de Thésée un autre songe où le nom de Racine ne seroit plus devant moi, et qui d'ailleurs auroit le- mérite d'un rapport plus direct et plus frappant avec l'étonnante et. malheureuse destinée d'Œdipe. C'est ce second morceau que le public jugera, en entendant, non mon Œdipe chez Admète, maïs mon Œdipe à Colonne, que le théâtre de la République doit bientôt représenter.
J'étois donc bien résolu à garder dans mon porte-feuille le morceau de poésie où j avois tâché d'offrir en partie et de mon mieux des objets déja connus, si éclatans sous l'admirable pinceau de Racine. J'avois pris ce parti sans peine, justement épouvanté de la perfection de ce grand poëte ; mais un de mes collègues à l'Institut national, très-connu depuis long-temps par ses odes et son goût sévère (2), m'ayant assuré d'abord que je pourrois conserver ce morceau quand je ferais la collection de mes ouvrages, et m'ayant ensuite engagé à l'exposer d'avance au jugement du public dans quelque journal intéressant, principalement consacré à la littérature, c'est sur la foi de son conseil et de son amitié que je me décide à le faire paraître dans le Journal des Muses. Je souhaite qu'il réponde aux vues et au zèle de la Société des Genss de-Lettres qui ouvre cette nouvelle lice à notre émulation. Puisse-t-il au moins piquer la curiosité des lecteurs, assez justes sans doute pour croire que je sens plus que personne, et sans avoir besoin de le déclarer, à quelle distance je dois me ranger au-dessous de l'immortel auteur de Phèdre ! Ducis.
Suit, p. 114-119, un long « fragment d'Œdipe à Colonne ».
Magasin encyclopédique, ou Journal des sciences, des lettres et des arts, 3e année, 1797, tome I, p. 557 :
Le citoyen Ducis a refait sa tragédie d'Œdipe chez Admète ; il en a séparé l’Alceste d'Euripjde qu'il y avoit amalgamé, et la pièce a repris son véritable nom d'Œdipe à Colonne. Elle a excité peu d'enthousiasme, ce qui tient à plusieurs causes ; au foible vintérêt que doit inspirer Thésée, qui n'est malheureux qu'en songe ; de sorte que tout l'ouvrage n'offre que deux scènes véritablement attachantes, l’arrivée d’Œdipe, et le pardon qu'il accorde à son fils coupable et repentant.
La cause existe encore dans le dépérissement des bonnes études ; les jeunes spectateurs, ceux qui avoient quatorze ans à l'époque de la révolution, et qui sont aujourd'hui dénués d'instruction, ne peuvent goûter que les beautés naturelles et de sentiment, mais sont insensibles à ce plaisir qu'éprouve un esprit cultivé en comparant les chef-d'œuvres de la scène grecque et de la scène française, en portant un jugement sûr et motivé qui satisfait l'amour-propre, et devient la source de l'intérêt qu'on trouve à entendre les différentes compositions littéraires. C'est ce défaut d'instruction qui fait déserter les spectacles et tous les lieux où l'esprit et le goût sont nécessaires. Nos jeunes gens courent en foule à Bagatelle, à Tivoli et chez les glaciers, dont ils sont plus en état d'apprécier les productions.
Geoffroy, Cours de littérature dramatique, tome III (Paris, 1819), p. 302-306 :
[C’est d’Œdipe chez Admète que s’occupe longuement Geoffroy, pour porter un jugement assez sévère sur la pièce de Ducis, sans aborder la question de sa transformation en Œdipe à Colone.]
ŒDIPE CHEZ ADMÈTE.
On rencontre des beautés dans la tragédie de M. Ducis ; deux ou trois situations sont d'un intérêt assez vif ; il y a quelques belles tirades, quelques beaux vers ; tout cela coûte un peu cher, il est vrai, et se mêle à beaucoup de langueur et d'ennui. Il y a deux pièces pour une, deux actions dans la pièce, et la pièce est sans action. Œdipe n'est jamais allé chez Admète : Admète et son époux Alceste n'ont jamais rien eu de commun dans l'ancienne mythologie avec Œdipe et sa famille.
Ducis avait déjà donné deux tragédies anglaises, Hamlet et Roméo et Juliette, lorsqu'il s'avisa de vouloir faire une tragédie française de deux tragédies grecques, l'Alceste et l'Œdipe à Colonne : de ces deux tragédies, il n'y en a qu'une dont il ait tiré un assez bon parti, c'est l'Œdipe à Colonne. L'Alceste n'est qu'un remplissage, et tout l'avantage qu'il en ait retiré, c'est le rôle froid d'Admète qui attend, pendant toute la pièce, que quelqu'un veuille bien mourir pour lui ; et le rôle inutile d'Alceste, qui se dévoue à la mort pour son mari, mais qui a soin de l'en avertir, afin qu'on s'oppose à ce beau projet : semblable à ces faux braves qui ne tirent l'épée que devant témoins, afin qu'on les sépare.
Polynice va chez Admète demander du secours contre son frère Etéocle ; refusé par Admète, il devrait sortir de sa cour, où il ne peut plus faire qu'une triste figure ; il reste cependant, parce que le poëte a besoin de lui : il ne pourrait pas faire sa tragédie si le fier Polynice ne savait pas supporter l'affront d'un refus. Dans cet entretien d'Admète avec Polynice, Admète fait part très-indiscrètement de ses chagrins domestiques à un étranger qu'il renvoie mécontent ; et Polynice, encore plus imprudent, fait confidence de ses crimes au roi dont il sollicite le secours : ces deux fautes de jugement sont nécessaires au poëte qui ne saurait autrement comment se retirer de son exposition, et cette exposition elle-même n'apprend rien. La pièce ne commence qu'au second acte ; c'est alors que l'oracle demande la vie d'Admète ; Alceste n'en sait rien, et croit son mari sauvé ; ignorance très peu vraisemblable, mais qui produit une scène intéressante entre le mari et la femme : l'une, dans l'ivresse de la joie, s'abandonne à des transports de tendresse ; l'autre, accablé de l'amour de sa femme, lui fait ses adieux qu'elle prend pour des remercîmens. On annonce dans le second acte l'arrivée d'Œdipe ; Alceste veut qu'on le renvoie, et Admète ne se presse pas de l'aller recevoir. Il ne se passe rien entre les deux actes ; Œdipe paraît au troisième, sans avoir vu le roi. Il fallait que le poëte amenât la scène où Œdipe est reconnu par les habitans qui veulent l'arracher du temple des Euménides. Il n'y a point de beauté dans la pièce qui ne coûte à l'auteur plusieurs fautes graves ; il a bâti sur de mauvais fondemens.
Œdipe, en arrivant, écrase Admète et Alceste. Ce pauvre mari ne manque pas de gens qui veulent mourir pour lui, sans parler de sa femme. Œdipe et Polynice se dévouent ; mais rien n'est plus froid que ses dévouemens ; et ce roi qui est là en attendant la vie ou la mort, est le plus pitoyable personnage qui jamais ait paru sur la scène ; on lui a donné, pour l'amuser, des récits à faire et des sentences à débiter : tout l'intérêt se concentre sur Œdipe et sur Polynice. Ce n'est pas qu'on se soucie beaucoup des remords d'un scélérat tel que Polynice ; mais les reproches de son vieux père, et le le pardon qui les suit, sont touchans pour nous, qui sommes toujours très-faibles au théâtre, et dupes d'une fausse sensibilité. Les Grecs, plus fidèles observateurs des caractères, étaient persuadés qu'il y a des crimes qu'un père ne doit pas pardonner. Chez Sophocle, Œdipe reste inflexible : cette opiniâtreté lui convient mieux ; le scélérat Polynice n'éprouve point, dans la tragédie grecque, de violens remords ; il n'obtient point de pardon, et se retire. Ses adieux à ses sœurs sont un morceau plus vrai, plus naturel, plus touchant, que tout le pathos de la pièce française.
J'ai remarqué un trait tout à fait comique dans la conversation d'Œdipe avec Admète : Œdipe veut se retirer dans la crainte d'apporter à son hôte le malheur qui le suit. Admète, qui s'attend à mourir, prie Œdipe de rester pour être le consolateur de sa femme et le précepteur de ses enfans : hélas ! un vieillard aveugle n'est guère propre à consoler une veuve ; et pour être précepteur d'enfans, il faut savoir autre chose que deviner des énigmes : c'est cependant là que se borne toute la science d'Œdipe.
Le pardon accordé par Œdipe à Polynice est d'autant moins convenable, qu'il semble que la clémence du père soit en contradiction avec la justice des dieux ; ils rejettent cette victime impure qui s'offre à la mort pour Admète. Polynice, comme un autre Caïn, est enragé de voir que le ciel repousse son offrande : cette offrande, il est vrai, est fort étrange, et le fils dénaturé qui a chassé son père, a mauvaise grâce de vouloir mourir pour un étranger. La conversion de Polynice était trop prompte pour être solide : ce fils d' Œdipe ressemble à ces libertins de l'ancien régime qui, après avoir fait bien des sottises, allaient s'ensevelir à la Trappe, mais n'y restaient pas long-temps.
Il y a dans le cinquième acte une faute que les écoliers même savent éviter aujourd'hui : le théâtre reste vide entre la troisième et la quatrième scène. La pièce se termine par la mort d'Œdipe qui s'est dévoué pour Alceste, et dont les dieux ont accepté le dévouement. L'intérieur du temple s'ouvre ; on entend les cris d'Alceste mourante : sans doute qu'elle meurt de peur. Mais d'où lui vient cette peur de mourir, puisqu'elle sait qu'elle a dans Œdipe un bon remplaçant ? Ce vieillard tient l'autel embrassé, et offre aux dieux le sacrifice de sa vie, lorsqu'un coup de tonnerre le renverse au pied de l'autel. M. Ducis a fort embelli plusieurs pièces anglaises ; il a gâté au contraire les deux pièces grecques auxquelles il a touché, en souillant par le galimatias, le phébus tragique et le charlatanisme théâtral, qui flattent le goût français, la vérité, le naturel et la simplicité qui composent le style grec. Les tragédies des Grecs nous paraîtraient aussi admirables que leurs statues, si nous étions d'aussi bons juges du moral que du physique, et si nous savions apprécier les caractères aussi bien que les formes. Telle qu'elle est, la tragédie d'Œdipe chez Admète eut du succès dans la nouveauté ; elle fut jouée pour la première fois le vendredi 4 décembre 1778, et remise au théâtre le 30 novembre 1780. Cette reprise me fut pas si bien accueillie ; on fut alors plus choqué des longueurs, des invraisemblances et des vices du plan, que touché des situations pathétiques qui se trouvent dans le troisième et le cinquième acte. (18 avril 1812.)
La base César mélange les deux Œdipe à Colonne du temps, et il attribue à la pièce de Ducis des représentations à l’Académie (encore royale d’après César) de Musique : ces 8 représentations appartiennent bien sûr à la pièce de Guillard et Sacchini, si bien qu’il ne reste plus, pour la pièce de Ducis, que les 6 représentations au Théâtre français de la rue de Richelieu.
Et la base La Grange ne connaît pas la pièce de Ducis, sinon sous sa forme de Œdipe chez Admète : la nouvelle version a été jouée au Théâtre français de la rue de Richelieu alors que le Théâtre Français avait connu une scission.
(1) Cette lettre nous est fournie par le Journal des Muses, collection qui offre un heureux choix de pièces de poésie et de prose, et dont il paroît tous les mois un petit volume in-l8, imprimé avec un soin tout particulier sur de très-beau papier. I1 est à désirer que les gens-de-lettres distingués favorisent cette entreprise en lui confiant les morceaux épars qui resteroient dans leurs porte-feuilles. Il est à désirer que les nouveaux favoris de la fortune montrent enfin qu'ils étoient dignes de leurs richesses, et ne les consacrent pas uniquement aux stériles plaisirs de l'ostentation. Se procurer les bons ouvrages , c'est encourager les lettres, et donner une opinion favorable de la délicatesse de son esprit.
(2)M. Lebrun.
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