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Œdipe à Thebes, ou Jocaste et Œdipe
Œdipe à Thèbes, ou Jocaste et Œdipe, tragédie en trois actes, de Latouloubre, musique de Méreaux, 30 décembre 1791.
Académie royale de musique.
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Titre :
Œdipe à Thèbes, ou Jocaste et Œdipe
Genre
tragédie
Nombre d'actes :
3
Vers / prose
en vers
Musique :
oui
Date de création :
30 décembre 1791
Théâtre :
Académie royale de Musique
Auteur(s) des paroles :
Duprat de Latouloubre
Compositeur(s) :
Méreaux
Chronique de Paris, n° 1 du dimanche 1er janvier 1792, p. 4 :
SPECTACLES.
Opéra.
On a donné vendredi la première représentation d'Œdipe & Jocaste ; c'est l'Œdipe, roi de Sophocle, arrangé pour la scène lyrique. Ce sujet, qui exige beaucoup de développemens & plusieurs récits, convient beaucoup mieux au théâtre de la Nation, où Voltaire l'a traité avec tant de supériorité ; mais il fera facile, au moyen de quelques coupures bien entendues, d'en rendre la marche plus rapide. L'auteur a terminé son ouvrage en livrant Œdipe & Jocaste aux furies qui les tourmentent : leur palais incendié s'écroule & la toile tombe.
On a trouvé dans la musique des morceaux pleins de force & d'une véritable beauté. L'auteur, M. Mereaux, a été demandé & a paru : le public a aussi redemandé M. Lainez, qui a déployé, dans le rôle d'Œdipe, un talent supérieur, il est impossible de jouer avec plus d'ame, de chaleur & d'expression. M. Chéron a reparu dans le rôle du grand prêtre, auquel il a donné le véritable caractère qui lui convenoit ; il a été très-applaudi, ainsi que Mlle. Maillard dans le rôle de Jocaste.
Cet opéra est d'un genre sévère ; pour assurer son succès, il faudroit peut-être retrancher le ballet agréable, mais déplacé, du premier acte, & donner avec cet opéra un ballet isolé qui pût chasser la noire impression que l'horrible situation d'Œdipe a laissée dans l'ame des spectateurs.
Mercure universel, tome 11, n° 304 du dimanche 1er janvier 1792, p. 16 :
[Après des généralités sur le sujet, si souvent traité (le critique donne une liste des pièces antérieures, de Corneille à Ducis, sans oublier un opéra de Sachini), il se dispense de faire l'analyse de la tragédie lyrique nouvelle, et d'« en détailler les situations » (rien sur le livret donc, sinon qu'il suit « la marche de la pièce de Voltaire ». Très méthodiquement, il parle de la musique qui a droit à de grands éloges, du ballet, mal amené au début de l'acte 1, mais « agréable », des dansseurs et des chanteurs, jugés excellents, des costumes, « fort bien entendus ». Ont été nommés le compositeur, qui a paru, et un chanteur, Lainez. Mais pas l'auteur des paroles...]
Academie de musique.
L'antiquité ne fournit pas de sujet plus dramatique que celui d'OEdipe, puisque tant d’auteurs ont cru devoir le traiter. Il existe une tragédie de ce nom de Corneille , une autre de Voltaire, deux de la Motte ; l’une en vers, et l’autre en prose, qui n’a jamais été jouée ; la Thébaïde ou les Freres ennemis de Racine ; un OEdipe chez Admete, de M. Ducis ,.et enfin un OEdipe à Colonne à l’opéra, dont la musique est de M. Sachini.
Un sujet aussi connu nous dispense d’analyser la tragédie lyrique, donnée vendredi avec un grand succès,sous le titre d'OEdipe à Thèbes. Il y auroit de la trivialité à en détailler les situations. Il suffit de dire que l’auteur a suivi assez exactement la marche de la pièce de Voltaire, sur-tout dans la scène de Phorbas.
La musique est sévère comme le sujet ; elle renferme de grandes beautés ; il seroit inutile d'en distinguer les morceaux, qui sont presque tous dignes de nos plus grands maîtres ; les duo et les trio sont d’un dessein savant et d’une riche composition ; les cœurs [sic], et sur-tout celui des Euménides, d’une touche mâle et vigoureuse.
Le ballet qui ouvre le premier acte, sans être fort bien amené, est agréable : on y distingue un pas charmant, dansé avec beaucoup de légèreté par madame Perignon, à la tête de femmes thébaines. Nous ne répéterons pas ici les éloges que méritent les premiers sujets de la danse.
M. Chéron, qu’une indisposition avoit enlevé quelque temps aux plaisirs du public, a reparu, dans le rôle de grand-prêtre, avec, tout le succès que lui assure sa belle voix et ses grands moyens. Il est impossible de se méprendre sur les études réfléchies de cet acteur, dont les attitudes et la manière de se dessiner, portent le cachet de l’antiquité.
Mademoiselle Maillard a très-bien rendu et chanté le rôle de Jocaste, et M. Lainez, dans celui d'Oedipe, a déployé l'ame et l’énergie qu’on lui connoît.
Les costumes sont fort bien entendus.
Le public a demandé l’auteur. M. Mérault, qui a fait la musique, a paru, et a témoigné du geste combien il se sentoit pénétré d’un accueil aussi favorable,
On a demandé également M. Lainez.
Mercure Français, n° 4 du 28 janvier 1792, p. 105-107 :
[Comme le sujet de la pièce est « l’un de ceux qui ont été mis le plus souvent au Théâtre », le compte rendu accorde une large place à la comparaison entre l’opéra nouveau et deux des versions du même sujet, les pièces de Voltaire et de Sophocle. C’est Sophocle qui est suivi « de plus près ». C’est donc avec l’intrigue de sa pièce que celle de l’opéra est comparée, de façon plutôt défavorable. Exposition trop longue, sans action dans le premier acte et le début du second ; étrangeté du double suicide projeté d’ Œdipe et de Jocaste ; et surtout critique du dénouement, pure recherche de spectaculaire trop souvent vu au théâtre : il est ici reproduit « mal à propos ». La qualité insuffisante du style n’a pas empêché le succès, et le critique en propose toute une série de raisons, dont la musique de Deméreaux « vive, touchante, & dramatique ». Le public a souhaité voir le compositeur, qui a lui même rendu hommage à l’orchestre, et à M. Lainez, le tout sous les applaudissements du parterre.].
Le sujet d'Œdipe à Thèbes, cet exemple de la fatalité qui faisait le fonds de la croyance des Anciens, est l’un de ceux qui ont été mis le plus souvent au Théâtre. Il y a presque toujours paru avec succès, parce qu’il est d’un intérêt puissant. Il a fourni le premier ouvrage dramatique de Voltaire, qui, dès sa premiere jeunesse, possédant un goût sûr, a senti qu’il gâtait un su jet si beau, en y ajoutant un amour accessoire, sans lequel les Comédiens n’en auraient pas voulu.
Notre premier Théâtre lyrique vient à son tour de s’en emparer. L’Auteur, qui s’est fort écarté du plan de Voltaire, paraît avoir suivi celui de Sophocle de plus près ; mais les scènes qu’il en a empruntées n’ont pas paru rendues d’une maniere heureuse.
Le premier acte, dans l’un & l’autre Auteur, ne contient que l’exposition du fléau qui afflige les Thébains, et l’Oracle d’Apollon qui demande que le meurtre de Layus soit vengé. Mais l’Auteur Grec qui avait cinq Actes, ou plutôt cinq divisions formées par les intermedes des Choeurs, pouvait en sacrifier une à ce simple exposé. L’Auteur Français, dans tout son premier Acte & dans une partie du second, ne présente que des marches de Pretres, des sacrifices, des prieres du Peuple, & son action n’avance point. L’Oracle, apporté par Créon dans Sophocle, est ici prononcé par le Grand-Prêtre. C’est ce même Grand-Prêtre qui, au second Acte, tient lieu du Devin Tirésias. Quoique le Roi ne croie pas à ce qu’il débite contre lui, & qu’il ne se sente coupable d’aucun crime, il n’en conçoit pas moins le dessein de se donner la mort ; & ce qui est bien plus étrange, c’est que Jocaste, qui a encore moins de raisons que lui de se croire coupable, conçoit le même projet.
Si l’action a langi dans les deux premiers Actes, elle se précipite dans le troisieme, où tous les événemens subséquens sont accumulés. C’est à dire qu’Œdipe apprend qu’il n’est point fils du Roi de Corinthe ; que Layus, qu’il a tué, était son pere, & qu’il a épousé sa mere. Tout cela est dans Sophocle ; mais ce qui n’est ni dans ce Poëte ni dans un autre, c’est le Ballet de Furies & de Démons qui viennent tourmenter Œdipe et Jocaste, & embraser son palais pour faire un dénouement éclatant. On pardonnerait à peine ce Spectacle s’il était nouveau ; mais il a été employé tant de fois à ce Théâtre, qu’on ne conçoit pas ce qui a pu déterminer l’Auteur à le reproduire si mal à propos.
Nous ne parlons pas du style, qui a paru au moins très-négligé. Cependant, malgré ses nombreux défauts, cet Ouvrage a eu beaucoup de succès, parce que l’intérêt du sujet en lui-même a fait oublier la maniere dont il est présenté ; parce qu’il y a des momens de chaleur qui, rendus avec énergie par l’Acteur chargé du rôle d’Œdipe, ont échauffé l’ame des Spectateurs ; parce qu’enfin la musique de M. Deméreaux, vive touchante, & dramatique, a fait encore valoir ces scènes passionnées. On a demandé l’Auteur,s elon l’usage. Le Compositeur a paru, & a semblé faire hommage à l’Orchestre de son succès. Il a bientôt offert le même hommage à M. Lainez, qu’il a ramené lui-même sur la Scène, aux cris du Public, & qu’il a embrassé avec transport. Cette scène a été aussi fort applaudie par le Parterre.
L’Esprit des journaux français et étrangers, 1792, volume 3 (mars 1792), p. 309-312 :
[Pour rendre compte de la première représentation d’un opéra à sujet myth(olog)ique, le critique a besoin d’abord de rappeler l’opinion de Voltaire sur l’opéra en général, où il dit qu’on supporte bien des choses dans l’opéra, y compris le non respect des règles, mais que les meilleurs opéras sont ceux où l’on s’éloigne le moins des règles. Et un opéra sur un sujet aussi pathétique qu’Œdipe a besoin qu’on y respecte les règles. Il a aussi besoin de nous faire le récapitulatif des œuvres ayant traité le même sujet. Ce qui amène une première conclusion : « Il étoit difficile, après Voltaire sur-tout, de traiter de nouveau ce sujet ». Mais le sujet possède un intérêt tellement puissant qu’il suffit à assurer le succès de l'œuvre. Le critique aborde ensuite le cas de l’opéra du jour, pour en dire beaucoup de mal : il est « foible du côté du plan, plus foible encore du côté du style & des détails », et c’est la musique, « par-tout dramatique & savante », qui le sauve. Autre élément positif, l’interprétation, tout à fait remarquable : « cet ouvrage n'a laissé rien à désirer du côté de la pompe & du jeu des acteurs ». Le compte rendu s’achève sur un regret, qu’on en vienne à supprimer « un ballet, très mal placé au second acte ». Il priverait les spectateurs « des pas brillans de Mme. Pérignon & d’autres artistes ». Et la dernière phrase rappelle que d’autres opéras compportent aussi des ballets placés dans d’étranges circonstances – ce qui ramène aux propos de Voltaire cités au début.]
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
Le vendredi 30 décembre, on a donné la premiere représentation d' Œdipe à Thebes, tragédie en trois actes, musique de M. Méreaux.
« L'opéra est un spectacle aussi bizarre que magnifique, où les yeux & les oreilles sont plus satisfaits que l'esprit, où l'asservissement à la musique rend nécessaires les fautes les plus ridicules ; où il faut chanter des ariettes dans la destruction d'une ville, & danser autour d'un tombeau; où l'on voit le palais de Pluton & celui du soleil, des dieux, des démons, des magiciens, des prestiges, des monstres, des palais formés & détruits en un clin d'œil. On tolere ces extravagances, on les aime même, parce qu'on est là dans le pays des fées ; & pourvu qu'il y ait du spectacle, de belles danses, une belle musique, quelques scenes intéressantes, on est content. Il seroit aussi -ridicule d'exiger, dans Alceste, l'unité d'action, de lieu & de tems, que de vouloir introduire des danses & des démons dans Cinna ou dans Rodogune. » Cette définition de l'opéra, que fait Voltaire dans sa dispute avec la Motte, sur les regles dramatiques, sembleroit devoir exclure toute sévérité à l'égard de ce brillant spectacle. « Cependant, ajoute-t-il plus bas, quoique les opéras soient dispensés de ces t,rois regles, les meilleurs sont encore ceux où elles se trouvent le moins violées : on les retrouve même, si je ne me trompe, dans plusieurs, tant elles sont nécessaires & naturelles, & tant elles doivent intéresser le spectateur. »
C'est sur-tout dans les sujets pathétiques & touchans, que les regles dramatiques sont indispensables à l'opéra ; &, de tous ces sujets, l'histoire d'Œdipe, une des plus riches & des mieux inventées que nous ait transmises la fable, étoit faite pour amener des effets tour-à-tour imposans ou déchirans sur ce théatre, qui doit parler à l'ame, aux oreilles & aux yeux. L'événement le plus touchant de la vie d'Œdipe est sans contredit son regne à Thebes : aussi a t il été traité par un très-grand nombre d'auteurs, parmi lesquels nous nous contenterons de citer Sophocle, le grand Corneille, Voltaire, le pere Folard, jésuite, & la Motte, qui donna deux Œdipes en 1736, l'un en rimes, l'autre en prose non rimée. L'Œdipe en rimes fut représenté quatre fois, l'autre n'a jamais été joué.
Il étoit difficile, après Voltaire sur-tout, de traiter de nouveau ce sujet : aussi l'auteur du nouvel opéra n'a t-il dû son succès qu'à l'intérêt puissant qui est inséparable de cette fable, & qui doit toujours attacher, de quelque maniere qu'elle soit traitée. Il a cherché à donner des effets à son musicien, & il y a réussi. La moitié de l'ouvrage, c'est-à-dire, un acte & demi, se passe en invocations, en libations, &c. & l'on s'y trouve aussi avancé qu'on l'étoit à la premiere scene. La suite offre les explications de Polybe, d'Icare, &c. & la piece est terminée par les tourmens que les Euménides font éprouver à Œdipe, & par la destruction de son palais sous une grêle de feu. En un mot, cet ouvrage, foible du côté du plan, plus foible encore du côté du style & des détails, avoit besoin de la belle musique qu'y a faite M. Méreaux, auteur d'Alexandre aux Indes. Par-tout elle est dramatique & savante. On a beaucoup applaudi l'invocation : Elevons nos cœurs vers les cieux, &c. le duo, Œdipe ! ah ! quelle est ma misere ! & plusieurs autres morceaux d'ensemble. En un mot, cette musique estimable a eu du succès, & l'on a demandé M. Méreaux, qui a paru, ainsi que M. Lainés, qui a très-bien joué le rôle d'Œdipe. M. Chéron, qu'une indisposition assez grave avoit éloigné quelque tems de ce théatre, a joué le rôle du grand-prêtre, & sa belle voix a paru n'avoir souffert aucune altération. Mlle. Maillard a fait briller les plus rares talens dans le rôle, assez insignifiant, de Jocaste, & cet ouvrage n'a laissé rien à désirer du côté de la pompe & du jeu des acteurs. Un ballet, très-mal placé au second acte, doit être, dit-on, supprimé : il nous privera, assez mal à propos, des pas brillans de Mme. Pérignon & d'autres artistes ; car si, dans Œdipe à Colone, on danse sur le sol brûlant & à la porte du temple des Euménides, on peut bien aussi danser à Thebes au milieu de la peste & des fléaux qui ravagent cette ville.
D’après la base César, le titre complet est Œdipe à Thèbes, ou Jocaste et Œdipe. Le livret est l'œuvre du comte Duprat de Latouloubre, la musique de Nicolas-Jean Le Froid de Méreaux. L’opéra a connu 6 représentations, du 10 décembre 1791au 27 avril 1792.
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