L'Orgueil Puni, comédie en un acte, en prose, par Madame Molé-Léger, 27 mars 1809.
Théâtre de l'Impératrice.
Almanach des Muses 1810.
Un jeune homme, se donnant pour le fils du seigneur du village où il est né, s'introduit chez un baron pour épouser sa fille ; le pere de cet amant arrive ; c'est un bon paysan qui découvre la supercherie de son fils. Le jeune homme essuie de vifs reproches ; il s'excuse sur l'amour qu'il avait conçu pour la fille du baron, et la crainte de ne point obtenir sa main s'il ne se présentait que comme simple villageois. Son excuse est admise d’autant que son père, fermier riche, vient d'acheter le château dont il a pris le nom. Tout s'arrange, et les deux amants sont unis.
Quelque ressemblance, pour le fond, avec la Brouette du Vinaigrier et le Glorieux, du moins dans les principales situations de ces deux comédies. Dialogue facile, connaissance de la scene ; succès.
Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Mad. Masson, 1809 :
L’Orgueil puni, comédie en un acte et en prose, Par M.me Molé-Léger. Représentée pour la première fois sur le théâtre de l’Impératrice par les Comédiens ordinaires de S. M. le 10 mars 1809.
La date donnée par la brochure n’est pas la bonne. La première n’a eu lieu que le 27 mars.
Journal de l’Empire, 3 avril 1809, p. 1-4 :
[Le feuilleton du 3 avril traite de deux sujets évidement liés, mais examinés séparément. Dans un premier temps, c’est de la pièce de Madame Molé qu’il est question. La critique commence par plaindre, sans doute non sans ironie la pauvre auteure dont la pauvre pièce a été créée un dimanche, ce qui fait que le public était essentiellement du « petit peuple ». Mais si le choix de cette date est source « de honte et de douleur » (pas moins que cela !), il est aussi lucratif : il y a toujours beaucoup de monde le dimanche, et la recette est bonne. Par contre la pièce est jugée « très-foible », donnée à un public qui sait être indulgent. Pourtant, madame Molé a des titres de gloire à faire valoir : elle a adapté le fameux Misanthropie et Repentir, qui a fait couler tant de larmes et en a tiré un grand profit. Cette fois, elle est l’auteur de la pièce nouvelle, même si le critique laisse entendre qu’elle a sans doute un « associé », mais un associé discret. Pièce « légère de fond », mais avec « des formes agréables ». Le résumé de l’intrigue permet de confirmer le caractère très convenu de cette histoire de jeune homme, fils de paysan, qui tente de se marier avec la fille d’un baron en mentant sur sa situation sociale. Son père vient le rappeler à la réalité, mais son orgueil déplacé n’est pas puni, puisqu’on lui pardonne « son imposture », et qu’il épouse celle qu’il rêvait d’épouser. Le baron sait dépasser les préjugés aristocratiques et donner un mari riche à sa fille. Le jugement que le critique porte sur la pièce est sévère : la pièce vaut par le dialogue plus que par l’invention, et il ne craint pas de dire qu’elle est bien proche d'œuvres plus ou moins anciennes : il emploie sans hésiter le terme de plagiat. Un seul acteur a l’honneur d’être nommé. Deuxième temps dans l’article, deuxième sujet, auquel le critique passe sans transition, la situation du Théâtre de l’Odéon. On en attendait beaucoup, ce devait être un second Théâtre Français. Le critique n’a jamais cru à cette idée, et il s’attache à montrer que l’Odéon a échoué dans sa tentative de s’imposer dans l’ensemble des théâtres : pas de bons acteurs, pas de bonnes pièces. En cette période de disette, le Théâtre Français « n’a pas besoin de succursale ». S’il veut survivre, l’Odéon « doit travailler sans relâche à se procurer des pièces et des acteurs capables de fixer l’attention ». Il lui reste par ailleurs une ressource précieuse qu’il doit exploiter, c’est l’opera-buffa, la musique italienne. C’est là que le critique voit les ressources qui permettront à l’Odéon de condition de s’attacher des chanteurs de qualité, en évitant les pièges d’un recrutement toujours difficile.]
THÉATRE DE L’IMPÉRATRICE.
(Salle de l’Odéon.)
L’Orgueil puni.
Cette petite pièce très-favorablement reçue à la première représentation, a éprouvé, au moment même de sa gloire, la cruelle humiliation d'être donnée le dimanche. L'auteur, qui est une femme, n’a pu se voir sans le plus vif sentiment de honte et de douleur, ainsi abandonnée au petit peuple. Si c'est là de l’orgueil, c’est du moins un noble orgueil, qui ne méritoit pas d'être puni : il est même d'autant plus noble, que Mad. Molé (c'est le nom de l’auteur) s'est montrée par cette manière de penser beaucoup plus sensible à l’honneur qu'à l’intérêt ; car, s’il y a peu d'honneur à être joué le dimanche, il y a beaucoup de profit : ce jour-là les recettes sont toujours abondantes ; et l’auteur, s'il n'est pas né avec des sentimens très-élevés et très-délicats, a de quoi se consoler en comptant ses écus, de ce que les directeurs l'ont un peu encanaillé.
La pièce, il est vrai, est très-foible : mais dans un pays si malheureux en nouveautés, on est bien forcé de trouver bon ce qui n'est tout au plus que passable. Jamais la médiocrité ne rencontra un asile plus hospitalier : là, les spectateurs sont bénévoles, et les succès faciles, pour peu que l’auteur ait seulement le sens commun, condition qui n'est pas même absolument de rigueur ; c'est véritablement un théâtre d'encouragement, et l’indulgence du public sait se proportionner à la foiblesse des candidats qui s'y présentent.
Ce n'est pas cependant que Mad. Molé n'ait par devers elle des titres glorieux qui semblent prouver qu'elle n'a pas besoin, pour réussir, de tant de facilites. On n'a point encore oublié la prodigieuse fortune de Misantropie et Repentir, et le danger que les spectateurs coururent de se noyer dans leurs larmes ; mais enfin ce n’étoit pas Mad. Molé qui causoit ce déluge, c’étoit un Allemand : elle n'avoit fait qu'arranger une pièce étrangère et on dit que cet arrangement ne dérangea point ses affaires. Combien d'écrivains sacrifieroient l'honneur de créer une œuvre originale à l’avantage d'arranger si heureusement l'ouvrage d'autrui !
Madame Molé elle-même, quelque fière qu’elle puisse être voudroit bien, au même prix. n'avoir qu'arrangé l'Orgueil puni ; mais pour cette fois elle n'a fait entrer aucun Allemand dans son commerce ; et si elle a un associé qui ne se montre pas, ce ne peut être qu'un Français. Cette petite comédie, bien légère de fond, a des formes agréables. On suppose que le fils d'un paysan de Manonville est venu se polir à Paris : il a changé son nom de Colas en celui de Florval ; le voilà lancé dans les affaires, reçu dans le beau monde : c’est ce qui peut arriver tous les jours ; mais qu'il devienne amoureux de la fille d'un baron ; qu'il prétende à sa main, et que pour l’obtenir, .il se fasse passer pour le fils du seigneur de son village, cela n'est pas aussi naturel, et cet orgueil de Colas me paroit un peu bête ; car, à moins que le baron ne soit beaucoup plus bête encore, il ne donnera pas sa fille à un inconnu sans quelques informations préalables. Cet orgueil d'épouser la fille d'un ancien baron n'est point vraisemblable, parce qu'il n'est point dans nos mœurs : un jeune paysan qui aura eu quelques succès à Paris cherchera une fille riche et jolie, et point du tout la fille d'un baron.
Le père de l'orgueilleux Colas est un bon paysan qui a fait fortune, et n’en a pas plus d'orgueil. Apprenant que son fils fait le petit seigneur à Paris, il vient lui donner une leçon de modestie. Introduit chez le baron avec son costume villageois, il se fait connoitre pour le père de l’illustre Florval, et fait reprendre à l'illustre Florval son nom rustique de Colas. L'orgueilleux jeune homme en est quitte pour quelques réprimandes et son orgueil est plutôt récompensé que puni : on excuse son imposture en faveur de son amour, et bien plus encore en faveur de la fortune de son père lequel, pour ne pas faire mentir son fils tout-à-fait, a réellement fait l’acquisition du château et de la terre de Manonville. Le baron qui sur le chapitre de la noblesse n'a pas l'entêtement des barons allemands, ne craint pas de se mésallier en prenant pour gendre un manant enrichi. Telle est la pièce, dont le mérite consiste dans le dialogue plus que dans l'invention. Mad. Molé n'a pas craint l'accusation de plagiat : l’auteur du Glorieux est déjà presqu'un ancien qu'on a droit de piller ; et l’auteur moderne de la Brouette du Vinaigrier est d'un assez bon caractère pour se persuader que si on le vole c'est parce qu'il est riche. Le rôle du bon fermier est fort bien joué par Perroud, acteur qui par son talent dément les mauvais calembourgs faits sur son nom.
L’Odéon n'a pas justifié l’enthousiasme qu’il avoit excité dans sa naissance. Les auteurs s'imaginèrent voir s'élever un second Théâtre Français : dans la première chaleur de leurs espérances, ils s'écrièrent que le moment étoit venu de punir l’orgueil des comédiens français, et de s'affranchir de leur tyrannie ; le Parnasse étoit en pleine insurrection contre la Comédie. Je riois alors de ces vaines bravades et de ces motions révolutionnaires : comment pouvoit-on se flatter qu'un théâtre sans acteurs et sans répertoire pût devenir tout-à~coup rival de la scène française parce qu'on lui avoit laissé jouer un mauvais mélodrame ? Le temps a détruit ces châteaux en Espagne, et confirmé mes justes craintes. Les auteurs n'ont apporté à l’Odéon que des offrandes de rebut ; l’élite des acteurs anciens a pris parti ailleurs ; et le vide qu'ils laissent n'est point encore rempli par les nouveaux. Le-projet d'un nouveau théâtre, si long-temps formé en vain dans des temps d'abondance, n'est donc qu'une chimère dans des jours de stérilité, où les bons acteurs et les bonnes pièces sont des denrées extrêmement rares. Le Théâtre-Français est plus que suffisant pour jouer toutes les bonnes comédies qui se font aujourd'hui ; il n'y a pas besoin de succursale ; mais, comme dit très-bien Roxelane à Soliman,
Vraiment quand on est seul on devient nécessaire.
L’Odéon, seul dans un quartier immense, affamé de spectacles à la suite d'un long jeûne, peut se soutenir encore quelque temps avec des talens et des ouvrages médiocres ; mais s'il veut assurer son existence, il doit travailler sans relâche à se procurer des pièces et des acteurs capables de fixer l’attention. Les boutiques d'épiciers ne lui fourniront plus rien ; qu'il prenne garde lui-même de leur fournir quelque chose ; qu'il tâche au contraire de déterrer quelque trésor nouveau dans le portefeuille des auteurs impatiens qui pourroient se rebuter des lenteurs des comédiens français ;sur-tout qu'il se mette en mesure de bien jouer ce qui pourroit lui arriver de bon : car tout auteur préfère l'obscurité au désagrément d'être estropié et défiguré sur la scène.
Si la poésie française n'est pas très-favorable au théâtre de l’Odéon, il a une grande ressource dans la musique italienne : cette branche de commerce bien cultivée peut être d'un très-grand rapport. J’apprends avec plaisir qu'une nouvelle cantatrice va débuter. Barilli et sa femme sont les deux colonnes de l'Opéra-Buffa ; mais ils n'en peuvent soutenir seuls tout le poids. Les administrateurs trouveront un véritable Pérou dans l’enthousiasme pour la mélodie italienne ; mais pour exploiter cette mine, il faut une recrue de chanteurs et de cantatrices : qu’ils n'épargnent rien pour s'en procurer, ce seront des fonds, placés à très-gros intérêts ; qu'ils évitent seulement d'être mal servis, et qu'ils tâchent de s'assurer de la bonne foi de leurs correspondans : car souvent. tel virtuose excessivement prôné au-delà des monts, et qu'on fait venir à grands frais comme une merveille, n'est souvent, quand il est arrive qu'un sujet des plus ordinaires dont on voudroit être débarrassé à moitié perte.
Le Journal de l’Empire lui a consacré un long article le 3 avril 1809.
Magazine encyclopédique ou Journal des sciences, des lettres et des arts, année 1809, tome II, p. 172-173 :
L'Orgueil puni, comédie en un acte et en prose, jouée le 27 mars.
Colas et Guillot ont quitté leur village ; l'un se fait appeler Florval, fréquente le beau monde et dépense magnifiquement l'argent que son père gagne à la sueur de son front. L'autre sous le modeste nom de Labrie sert son camarade plus riche que lui. L'orgueilleux Colas pousse ses prétentions jusqu'à vouloir obtenir la main de Célestine, fille d'un baron. Un paysan et une baronne, la disproportion est un peu forte. L'arrivée du père Colas vient déranger les projets du prétendu Florval qui daigne à peine le reconnoître : mais le repentir suit de près la faute. Le Baron même et sa fille pardonnent comme le père Colas.
Cette bluette, un peu sentimentale, est de Madame Molé, actrice de ce théâtre, qui a voulu sans doute soutenir la réputation d'auteur qu'elle s'étoit faite en arrangeant Misanthropie et Repentir.
L'auteur est Mlle Julie Léger, sœur de l'acteur Molé, mariée avec l’acteur Léger, puis, en secondes noces, avec le comte Albitre de Vallivon. Elle a joué avec succès au Théâtre de l'Odéon et a écrit trois pièces : Misanthropie et Repentir, un drame en 5 actes et en prose, adapté d'une pièce de Kotzebue (Odéon, 27 décembre 1798), L'Orgueil puni, Les Indiens, comédie en 4 actes et en prose, imitée de l'allemand (Odéon, 26 mars 1810) (Dictionnaire universel du Théâtre en France de, J. Goizet et A. Burtal, Volume 2, p. 22).
L'attribution des Indiens à madame Molé ne va pas de soi : il semble plutôt que la pièce a été jouée « pour le bénéfice de madame Molé » sans qu'elle en soit l'auteur.
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