L'Oriflamme, opéra en un acte, d'Étienne et Baour-Lormian, musique de Méhul, Paër, Berton et Kreutzer, ballets de Gardel, 1er février 1814.
Académie Royale de Musique.
Almanach des Muses 1815.
Ouvrage commandé et composé pour une circonstance qui ne se renouvellera pas sans doute de si tôt.
Il est passé ce temps de guerre, de carnage,
Où, d'un tyran pour assouvir la rage,
Pour cimenter sa gloire et ses succès,
Il fallait que toujours coulât le sang français.
On sent bien à lire ces quatre vers que le vent de l’histoire a tourné en sens contraire !
Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Roullet, 1814 :
L'Oriflamme, opéra en un acte, représenté pour la première fois, sur le Théâtre de l'Académie Impériale de Musique, le 1er février 1814.
Les Paroles sont de MM. Etienne et Baour-Lormian. La Musique est de MM. Méhul, Paer, Breton et Kreutzer. Les Ballets sont de la composition de M. Gardel.
Le texte de la pièce est précédé d'une longue introduction, sur ce qu'est cet oriflamme dont parle le titre, et sur le contexte historique de ce que raconte la pièce (le règne de Charles-Martel), p. v-xviii :
L’ORIFLAMME, ou ÉTENDARD DES FRANÇAIS:
L'oriflamme étoit une espèce de gonfanon ou de bannière, comme en avoient toutes les églises. Elle étoit faite d'un tissu de soie couleur de feu qu'on nommait Cendal ou Saint-Vermeil, long de douze pieds environ, parsemée d'abeilles d'or, pointue et fendue par le bas, partagée en trois queues ou gonfanons terminés par des houppes de soie verte, dont elle étoit également entourée. On l'attachoit au bout d'une lance, ou d'un fût de bâton doré que Raoul de Presle nomme le glaive de l'oriflamme.
Les premiers rois de France alloient prendre l'oriflamme en grande cérémonie quand ils se préparoient à quelque expédition : ils la recevoient des mains de l'abbé de Saint-Denis. Après la victoire, elle étoit rapportée dans l'église» et remise sur l'autel.
C'était un chevalier qui étoit chargé de porter l'oriflamme pendant la bataille. Cet honneur appartint long-temps au comte de Vexin , en qualité de premier vassal de Saint-Denis; mais ce comté ayant été réuni à la couronne, le roi confioit l'oriflamme à qui bon lui sembloit, comme dit Jean Juvénal des Ursins, dans la vie de Charles VI, à un chevalier loyal prudhomme et vaillant.
Guillaume Martel, seigneur de Bacqueville, est le dernier chevalier connu qui ait été chargé de porter cette bannière en 1414, dans la guerre contre les Anglais ; mais il fut tué l'année suivante à la bataille d'Azincourt, et c'est la dernière fois que l'oriflamme ait paru dans nos armées, suivant Dutillet, Sponde, dom Felibien et le père Simplicien. Cependant, suivant une Chronique manuscrite, Louis XI prit encore l'oriflamme en 1465, lors de la bataille de Montlhéry; mais les historiens du temps n'en disent rien.
Mézeray, qui n'est pas toujours d'accord avec eux, prétend que l'oriflamme étoit gardée par les communes, et qu'on cessa de la porter après la bataille de Rosebeck en 1382, où elle disparut.
On peut concilier ces différentes opinions : il est vraisemblable qu'il y avoit deux oriflammes. L'une restoit en dépôt à Saint-Denis ; lorsqu'il se préparoit quelque guerre, ou expédition importante, on en faisoit une autre toute semblable que l'on consacroit et levoit de l'autel avec de grandes cérémonies. On la rapportoit dans l'église, si on l'avoit conservée exempte d'accidens pendant la guerre ; dans le cas contraire, on en faisoit encore une pareille pour l'employer dans quelque autre occasion.
Les étymologîsles dérivent le mot oriflamme du celtique et du tudesque flan fan ou can qui signifie un étendard d'où l'on a fait flanon ou fanon qui veut dire la même chose en français. La première syllabe ori vient du latin aurum or, parce qu'en effet cet étendard, ainsi que la lance auquel on le suspendoit étoit enrichi d'or.
On le trouve représenté dans quelques manuscrits des onzième et douzième siècles.
La scène de l'acte lyrique intitulé l'Oriflamme se passe sous Charles-Martel.
Il étoit fils de Pépin d'Heristal, autrement appelé Pépin-le-Gros, et père de Pépin-le-Bref, qui fonda la seconde dynastie des rois de France. C'est un des plus grands héros dont les Français puissent s'honorer. Charles-Martel n'avoit pas plus de vingt ans lorsque son père mourut (714) ; la légitimité de sa naissance pouvoit être contestée, puisqu'il n'étoit pas né de Plectrude, femme de Pépin-le-Gros, mais d'une concubine de ce prince nommée Alpaïde. Plectrude avoit été répudiée par Pépin-le-Gros, qui la reprit dans sa vieillesse ; on conçoit aisément la haine que lui inspiroit un fils né de son époux pendant sa disgrâce. Au moment où elle devint veuve, elle s'empara du gouvernement, dans l'espoir de conserver l'autorité à ses petits-fils, se saisit de Charles-Martel, et le retint prisonnier à Cologne, où elle faisoit sa résidence. Dans les mœurs de cette époque c'étoit, pour une femme, une entreprise bien hardie que celle d'exercer le pouvoir de maire du palais. Les Neustriens méprisèrent les premiers l'autorité de Plectrude en élevant Chilpéric II sur le trône, et Charles-Martel s'étant échappé de sa prison fut reçu comme un libérateur par les Austrasiens, qui l'aidèrent à assiéger dans Cologne la veuve de son père, trop heureuse de se tirer d'embarras en abandonnant à son ennemi les trésors de Pépin et ses trois petits-fils (715). Ainsi Charles, traité d'abord comme un enfant illégitime, parvint, sans autre droit que son courage, à être reconnu pour l'unique héritier des biens, des titres et des projets de sa famille : tels furent les exploits de sa jeunesse. Pour arrêter les partis qu'il craignoit de voir s'élever contre son autorité naissante, il prit un enfant du sang royal nommé Clotaire IV, et lui donna le titre de roi d'Austrasie, afin de régner plus commodément sous son nom ; mais des seigneurs du royaume de Neustrie et de Bourgogne qui avoient formé le dessein de rappeler les héritiers de Clovis à leur ancienne dignité, déclarèrent la guerre à Charles-Martel qui les battit complètement près de Soissons, en 719.Les Saxons, les Frisons, les Bavarois, tributaires des rois de France, trouvoient, dans la confusion des intérêts, beaucoup de facilités pour secouer le joug, et des ressources pour se faire craindre, même après avoir été vaincus. Attaqué dès la première année de sa puissance (716) par Radbod, duc des Frisons, ligué avec Chilpéric, roi de Neustrie, Charles avoit été battu près de Cologne, et obligé de se réfugier avec une troupe de cinq cents hommes dans les Ardennes. Vers le même temps les Saxons avoient fait en France une irruption dont Charles tira, trois ans après, une éclatante vengeance, en portant le fer et le feu jusque dans leur pays. Il se vengea plus tard de l'audace des Frisons, et ce ne fut qu'en 733 qu'il porta la guerre dans leur pays par terre et par mer ; il les défit alors dans plusieurs combats, et tua de sa propre main Poppon, leur duc. L'autorité royale étoit le point auquel la force des événemens et le balancement des partis ramenoient toujours : aussi Charles-Martel, après la mort de Chilpéric II, se vit-il réduit à proclamer Thierri II, jeune enfant qui prit le nom de roi, et ne reçut pas même les honneurs de forme qui appartiennent à ce rang. Les agressions des différens peuples de l'Allemagne obligèrent Charles à passer le Rhin, en 725, avec une nombreuse armée. Il parcourut cette contrée, dompta les Bavarois, et revint chargé de butin, emmenant avec lui la reine Bilitrade, avec sa nièce Forischilde qu'il épousa. Trois ans après, ces peuples, supportant impatiemment le joug, il fut obligé de marcher encore une fois pour les soumettre ; et il étoit occupé de cette expédition lorsque les Sarrasins, après avoir pris et pillé Bordeaux, s'avancèrent jusque sur la Loire, ayant à leur tête Abdérame, guerrier auquel la Victoire avoit toujours été fidèle. Charles-Martel n'hésita pas ; il marcha droit aux Sarrasins, qu'il rencontra près de Poitiers, l'an 732, et, après un combat qui dura un jour entier, il remporta une victoire si complète, que les chroniques du temps portent la perte des Sarrasins à trois cent soixante-quinze mille nommés, en ajoutant qu'Abdérame leur chef y perdit la vie, et que ceux qui échappèrent au carnage ne purent rien emporter du butin qu'ils avoient fait depuis leur entrée en France. On a répété mille fois que Charles reçut de cette bataille le surnom de Martel, comme s'il se fût servi d'un marteau pour écraser les Barbares ; c'est un de ces contes populaires que les historiens adoptent sans examen, parce qu'il a l'air d'une explication. Martel et Martin sont un même nom, et l'on sait le respect que les Francs avoient pour saint Martin. Martel étoit d'ailleurs un nom particulier dans la famille des Pépin, puisque les deux premiers ducs auxquels les Austrasiens .confièrent lë soin de les gouverner, lorsqu'ils essayèrent de se séparer du royaume, étoient parens, et que l'un se nommoit Pépin, l'autre Martel. Cette mémorable victoire, à laquelle l'Europe entière dut son salut, ne détruisit pas toute la puissance des Sarrasins en France ; en 737, Charles fut encore obligé d'envoyer contre eux son frère Childebrand, et bientôt il fut lui-même obligé de marcher contre un de leurs rois nommé Mauronte, qui avoit établi en Provence le siège d'un nouvel empire. Après avoir pris d'assaut Avignon, et l'avoir réduit en cendres, il livra encore une fois une sanglante bataille aux Infidèles sur les bords de la Berre, en Languedoc, et mit en fuite Amor, un de leurs chefs, accouru d'Espagne avec de nombreux renforts. Mais Mauronte occupoit encore Marseille, et ce ne fut que l'année suivante (739) que Charles s'empara de cette ville, d'où Mauronte s'enfuit pour ne plus reparaître.
Dans L'Académie impériale de musique, tome second (1855), p. 139, Castil-Blaze raconte la courte carrière d'une pièce dictée par les événements du moment :
Les armées ennemies s’approchaient et menaçaient Paris ; l’Orifamme, pièce de circonstance, destinée à ranimer l’esprit public, fut improvisée par Étienne, Baour-Lormian, et représentée le 31 janvier 1814. La musique de cet acte était de Méhul, Paër, Berton et Kreutzer.
L‘Oriflamme ! singulier titre à mettre sur les affiches au moment où le comte d’Artois était à Vesoul ! Les paroliers se trompèrent complètement ; on ne pouvait les accuser d’avoir une intention maligne, et de manquer tout exprès le but qu'ils s’étaient proposé. Impériaux et royalistes s’empressèrent d‘accourir à cette assemblée nationale du beau monde : toutes les loges avaient été louées par l’un et l’autre parti. Le faubourg Saint-Germain se disposait à des applaudissements exagérés, et ne cherchait point à déguiser sa joie. Les acteurs se montraient pleins de zèle pour l’Oriflamme ; Mme Albert, qui venait de tenir le premier emploi dans Œdipe à Colone, la jolie Pauline, figurèrent parmi les coryphées de l‘opéra nouveau. Succès victorieux, éclatant, foudroyant. Succès pareil à celui d'un éligible opposant que légitimistes et républicains voulaient, en 1831, pousser à la chambre en réunissant leurs efforts.
Les militaires, les gardes nationaux, dont la foule compacte refluait dans les corridors, encore émus de la scène touchante qui s‘était passée aux Tuileries, lorsque l'empereur avait présenté le roi de Rome à la garde nationale de Paris, ne voyaient dans l’oriflamme que le drapeau français ; mais une infinité d'autres ne voulaient y reconnaître que la bannière de Philippe-Auguste, avec ses fleurs de lis, portant le cri de guerre Monjoie saint Denis ! Tous étaient dans un égal enchantement, qu’ils témoignaient par des bravos, des applaudissements frénétiques.
Les six premières représentations de l’Oriflamme produisirent 65,000 francs. La Ronde de Nuit, chant militaire, termine ce drame à sa dixième représentation. La onzième, donnée le 15 mars 1814, fut la dernière.
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