Les Questionneurs, comédie en un acte et en vers, de Jean-Jacques de Latresne. 8 floréal an 12 [28 avril 1804].
Théâtre Louvois
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Titre :
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Questionneurs (les)
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Genre
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comédie
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Nombre d'actes :
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1
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Vers ou prose ,
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en vers
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Musique :
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non
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Date de création :
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8 floréal an 12 [28 avril 1804]
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Théâtre :
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Théâtre Louvois
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Auteur(s) des paroles :
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Latresne
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Almanach des Muses 1805
Deux questionneurs impitoyables, M. Beffroi et M. Brunel, ont une entrevue pour conclure le mariage de leurs pupilles. A peine sont-ils en présence qu'ils s'assomment de questions, s'emportent, s'attaquent avec fureur, et finissent par se jurer une haine éternelle. On parvient cependant à les réconcilier, en leur faisant signer un billet de deux cents louis, payable par le premier qui fera une question. Ils paraissent devant le notaire, et la contrainte où ils se trouvent offre une scène très-comique. Les jeunes gens sont unis, et les deux oncles recouvrent la parole ; mais libres de se questionner, l’amour-propre les retient : ne pouvant soutenir une gêne pareille, ils se quittent avec de nouveaux témoignages de haine.
Beaucoup de gaieté, du succès.
Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Mme. Masson, an XII (1804) :
Les Questionneurs, comédie en un acte et en vers ; Par Jean-Jacques de Latresne. Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de Louvois, le 8 floréal an XII. (Le 28 avril 1804.)
Mercure de France, littéraire et politique, tome 16 (1804), n° CXLIX (15 Floréal an 12, samedi 5 Mai 1804), p. 310-312 :
[Article qu’on retrouve dans Le Nouvel Esprit des journaux français et étrangers,1804, tome neuvième, Prairial an 12, Mai 1804, p. 243-245, amputé de ses deux premiers paragraphes.
Avant de parler de la pièce, le critique s’interroge sur la manie de questionner et de contredire sur tous les sujets. Il y voit un ridicule d’autrefois dénotant « un homme sans éducation, un pédant, ou un provincial » : une question, hors les questions pratiques, est une indiscrétion et on avait jadis le souci de ne pas mettre mal à l’aise en questionnant et en contredisant. Le sujet de la pièce est bien choisi : deux questionneurs qui s’affrontent. Le résumé de l’intrigue montre un mariage bien équilibré, que la manie de questionner du père de la mariée à venir et l’oncle du futur marié compromet et qui ne peut être signé que par la ruse empêchant les questionneurs de sévir. Pièce courte, qui contient trois jolies scènes, les deux rencontres des poseurs de questions, et la scène du valet de l’oncle. On y sent l’esprit de l’auteur. L’interprétation est décrite comme inégale : un très bon valet, deux amoureux « extrêmement froids ». Peut-être cependant le caractère des questionneurs a-t-il été un peu trop poussé à la caricature : « Je m'attendais à voir des impertinens, et je n'ai vu que des extravagans ». L’auteur a été demandé, ce serait un ancien magistrat du parlement de Toulouse qui se distrait en écrivant du théâtre.]
Théâtre Louvois.
Les Questionneurs, comédie en un acte et en vers, de M. de Latresne.
Questionner et contredire (à tout propos) étaient autrefois des ridicules qui dénotaient un homme sans éducation, un pédant, ou un provincial. On exigeait que les questions, ainsi que la contradiction fussent rares, indirectes, enveloppées. C'était une grande incivilité que d'interroger celui dont on n'était pas au moins l'égal. Il ne faut pas croire que ces règles établies par l'usage, dans un temps où l'on avait au suprême degré le tact de toutes les convenances, fussent arbitraires. Les raisons en sont prises dans la nature des choses. Une question est souvent une indiscrétion ; car les enfans ne sont pas toujours les seuls auxquels il soit embarrassant de répondre. Celui qui est interrogé peut avoir des motifs de ne pas s'expliquer, ou être hors d'état de satisfaire à la demande. C'est une situation dans laquelle il ne convient pas de le placer. En questionnant d'ailleurs, on s'empare de la conversation, on la dirige, et si les questions sont fréquentes, on en devient le tyran, ce qui est intolérable de la part de qui que ce soit, impertinent et ridicule dans un inférieur.
On sent bien que nous ne parlons pas ici des questions nécessaires, utiles, agréables même à celui auquel on les adresse, en ce qu'elles lui procurent l'occasion de développer des talens ou des connaissances : celles-là sont louables. En tout, ce n'est que l'abus et l'excès qu'on peut blâmer.
L'idée de mettre aux prises deux questionneurs est très-heureuse. Voici le cadre dans lequel l'auteur l'a renfermée : M. Beffroy a promis sa fille à Melcour, neveu de M. Burnel. C'est de part et d'autre un riche mariage. On n'y peut prévoir aucun obstacle ; mais il s'en présente un tout à coup, et il naît de l'humeur semblable et incompatible du beau-père et de l'oncle, tous deux infatigables questionneurs. Ils se voient pour la première fois dans le dessein d'arranger les clauses du contrat, et au lieu de s'en occuper, s'amusent à s'accabler réciproquement de questions auxquelles aucun ne répond, l'un et l'autre ne songeant qu'à en faire. Ils se trouvent mutuellement insupportables, s'injurient, se quittent, bien résolus à rompre le mariage projeté, à ne se revoir jamais, et détestant, dans autrui, la fureur interrogeante. Quand ils ne sont plus en présence, leur colère s'adoucit. Ils sentent que le bonheur de deux enfans qui leur sont chers, ne doit pas être sacrifié à un moment d'humeur. Cependant pour terminer le mariage, il faut que les questionneurs se rejoignent. Une soubrette avisée prévoit qu'ils ne pourront se retrouver sans que les questions et la querelle recommencent : elle imagine de leur présenter une convention, par laquelle ils s'obligent de payer 200 louis à chaque interrogation qu'ils pourraient faire. L'accord est signé. Nouvelle entrevue. Les deux babillards sont au supplice ; ils ne peuvent se dédommager que faiblement, en faisant adresser, par des intermédiaires, quelques questions au notaire qui dresse les articles du mariage. Enfin, quand ils sont signés, on déchire le dédit qui leur avait apposé, si l'on peut dire ainsi, le scellé sur la bouche. « A présent, se disent-ils simultanément, vous pouvez questionner à votre aise. » Les questions recommencent effectivement des deux côtés, et ils se séparent encore avec une brusque furie.
Il y a trois jolies scènes dans cette bagatelle ; et c'est à peu près tout ce qu'on peut attendre dans une pièce si courte. Je veux parler des deux entrevues des questionneurs, et de l'arrivée du valet de l'oncle, qui peint son maître avec des couleurs très-vives et très-gaies. Ce rôle de valet ne tient pas à la pièce ; mais il a été si bien rendu par Picard le jeune, qu'il a fait un très-grand plaisir. L'amour des deux futurs époux est extrêmement froid, et n'est aucunement réchauffé par le jeu des acteurs, qui remplissent fort tristement ces deux tristes personnages. Cette bluette m'a semblé, en général, écrite avec esprit, et avec une élégante légèreté : c'est même, à mon avis, son principal mérite ; car j'avoue que les Questionneurs ne m'ont point paru seulement ridicules, mais complètement fous. Je pense qu'au théâtre, les défauts doivent être un peu exagérés ; cependant est modus in rébus ; cela ne doit point aller jusqu'à l'extravagance ; et dans la fougue des deux Questionneurs, on voit moins la manie des questions, que le dessein, trop marqué, de se pousser réciproquement à bout, ou plutôt d'amuser le spectateur par une dispute qui dégénère en farce: voilà du moins comme j'ai été affecté. Je m'attendais à voir des impertinens, et je n'ai vu que des extravagans : il n'y a jamais eu rien de semblable ni d'approchant dans la société. Néanmoins, j'aime à le redire, cette petite pièce n'est pas sans mérite, il s'en faut beaucoup, et elle justifie l'empressement qu'on a témoigné d'en connaître 1'auteur. Il a, dit-on, exercé autrefois une importante magistrature au parlement de Toulouse. Ce serait sans doute une question déplacée, que de lui demander pourquoi il se livre à des occupations si éloignées de la gravité de son ancienne profession ; il répondrait peut-être que le président de Montesquieu a bien fait le Temple de Gnide.
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