La base Lagrange de la Comédie Française possède une brochure de la pièce publiée chez Fages.
Première représentation de la pièce sur le Théâtre des Délassemens le 14 nivôse an 13 [4 janvier 1805]
On attribue généralement à Jean-Henri Marchand, un avocat, cette pièce, qui en fait l'auteur d'« une des plus amusante facéties littéraires du dernier siècle » (article Marchand de la Nouvelle biographie générale, Paris, tome 33 [1860], colonne 473.
Sur Jean-Henri Marchand, on peut lire Voltairomania: l'avocat Jean-Henri Marchand face à Voltaire, recueil de textes réunis et présentés par Anne-Sophie Barrovecchio (Publications de l'Université de Saint-Étienne, collection Lire le Dix-Huitième Siècle, 2004).
Le texte de la tragédie est précédé de toute une série de textes :
PERSONAGES. [sic]
DON RODRIGUES, grand seigneur Portugais.
LE COMTE, fils de Rodrigues, amant de Théodora.
M. DUPONT, confident du Comte.
DON PÉDRO, grand corregidor Portugais.
THÉODORA, fille de don Pédro, et amante du Comte.
THÉRÈSE, sa confidente.
DON LAVAROS, neveu de l'Inquisiteur, rival du Comte.
LE MUPHTY.
ROXANE, fille du Muphty.
NADINE, sa suivante.
Un Eunuque.
Un Garçon Perruquier.
EPITRE
A M. l'illustre et célèbre Poëte,
M. DE VOLTAIRE.
Monsieur et cher confrère,
C'est un écolier, novice dans l'art de poésie, qui s'hazarde à vous dédier son premier Ouvrage ; vous ayant toujours reconnu pour un de nos célèbres, par les pompeux Ouvrages que vous avez mis et que vous mettez journellement au jour. Je me trouverai heureux, si vous voulez bien jetter un clin-d'œil sur ce petit Ouvrage, en me favorisant du moindre de vos souvenirs. Je croirois manquer à mon devoir, si je n'avouois que je vous reconnois pour mon maître. Si de votre support vous daignez me favoriser, je me promets que, franc de toute crainte, je publierai sans cesse vos louanges, et je rendrai témoignage en tous lieux combien je vous suis redevable de l'avoir agréé : Monsieur et cher confrère, votre très-humble et affectionné serviteur, serviteur,
André.
PRÉFACE DE L'AUTEUR.
LE Public va être surpris, ne me connaissant pas, à l'ouverture de mon livre, quand il sçaura qui je suis, et qu'un homme de mon talent ait osé entreprendre un ouvrage pareil ; mais je le supplie instamment de vouloir m'excuser.
Je suis perruquier, locataire ; j'ai passé mes plus tendres années dans les études, et j'aurais été charmé de les continuer, si quelque revers fâcheux de fortune ne m'en eût empêché : ayant malheureusement été créé sans bien, j'ai été contraint de quitter mes études, et d'embrasser l'état de la perruque; qui étoit celui, disoit-on, qui me convenoit le mieux : je n'ai pas laissé de regretter depuis ce temps-là, même je regrette encore tous les jours mes chers Auteurs, comme Cicéron, Ovide, Horace et Virgile. Je m'appliquois, dans ma jeunesse, à faire des petites rimes satyriques et des chansons, qui n'ont pas laissé que de m'attirer quelques bons coups de bâtons, ce qui ne m'a pas empêché de continuer toujours à composer quelques petits ouvrages, mais moins satyriques, mais qui n'ont pas paru. Après deux années d'apprentissage, j'ai quitté mon pays pour voyager, et ayant parcouru la terre et un peu la mer, je me suis rendu à Paris, ville célèbre par les beaux arts et les sciences. Je serois trop long, et je pourrais peut-être ennuyer le lecteur si je lui faisois le récit de toutes les traverses que j'y ai essayées ; je me contenterai seulement de lui dire qu'après bien des peines, je m'y suis marié : je n'en ai pas été pour cela plus à mon aise, car n'ayant point de bien j'ai trouvé mon égale : j'ai travaillé pendant quatre années sans qualité, et j'ai été saisi plusieurs fois ; bref, je suis établi, et malgré que je me donne beaucoup de peines, je ne suis pas pour cela bien à mon aise, étant chargé de famille et de parens. Comme je suis assez pensif de mon naturel, il me venoit souvent des idées, qui me faisoient souvent tenir le fer à friser d'une main et la plume de l'autre. M'étant trouvé plusieurs fois à accommoder des personnes de goût et d'esprit, et me voyant penser, ils m'ont si fort questionné, qu'ils m'ont forcé de leur avouer que je pensois toujours à composer quelques vers ; leur ayant fait voir quelques-uns de mes petits Ouvrages, ils m'ont persuadé que j'avois des talens pour le genre poétique, ce qui m'a déterminé à composer une Tragédie, où le lecteur y verra, à ce que je crois, que je me suis appliqué aux rimes et à la césure exacte de mes vers ; je compte qu'il ne sera pas fâché d'y voir la description d'un combat d'animaux, de même qu'une déclaration d'amour : j'ai aussi tâché d'y faire voir la sincérité et la fidélité d'un amant et d'une amante : toutes les traverses qu'ils ont eues, le désespoir d'une maitresse et le plaisir de revoir son amant ; enfin, le fâcheux accident qui est arrivé dans la ville de ces amans, où ils ont péri malheureusement.
Je vous prie, mon cher lecteur en lisant mon Ouvrage, de ménager vos satyres envers moi, et de vous mettre en idée que c'est un écolier du Parnasse, qui ose hasarder de mettre au jour son premier Ouvrage.
Je ne comptois pas avoir le plaisir de le finir si-tôt ayant été plusieurs jours auxquels mes occupations m'ont ôté entièrement l'avantage d'y travailler.
Mais ayant été interrompu sur la fin de septembre, pendant deux nuits consécutives, par ces sortes de gens qui, par leurs odeurs, sont capables d'empestiférer tout le genre humain, j'ai tâché de dissiper leurs odorats en m'appliquant d'un grand zèle à ma Tragédie : c'est ce qui m'a occasionné, mon cher lecteur, à vous le mettre plutôt au jour : j'espère qu'au cas qu'il y ait quelque chose à redire à ce premier Ouvrage, je m'appliquerai dans mon second à le rendre plus exact, et à prouver au Public que je suis entièrement dévoué à pouvoir le satisfaire ; c'est la grace que j'espère que le Public voudra bien m'accorder.
A M. ANDRÉ, perruquier, et auteur de la Tragédie du
Tremblement de Terrre [sic] de Lisbonne.
Monsieur,
Comme je crains que vous n'entendiez pas l'Anglais, quoique cette langue soit actuellement fort à la mode, et que tous les savans se fassent un devoir de l'apprendre, je prends le parti de vous envoyer la traduction de ma lettre : voici ce que j'ai l'honneur de vous marquer.
LETTRE.
Monsieur,
On dit que vous avez fait une tragédie admirable, sur le Tremblement de terre de Lisbonne ; je suis très-persuadé qu'elle aura le succès le plus brillant ; on m'en a rapporté quelques traits : vous devez tout esperer de la scène pathétique du couteau, et du beau récit du cinquième acte : un ouvrage de cette nature reussira également chez toutes les nations. Heureux qui aura le premier l'avantage de le procurer aux étrangers dans leurs propres langues ; je serai bien flatté si vous voulez me mettre en état de le faire admirer de mes compatriotes. Je vous en demande un exemplaire si-tôt qu'il paraitra ; vous ne devez pas douter des efforts que je ferai pour rendre, dans ma traduction, les beautés de l'original, et pour vous attirer à Londres les mêmes applaudissemens que vous recevez à Paris.
Je suis sans réserve, Monsieur, votre très humble et très-obéissant serviteur,
Cotwein.
Courrier des spectacles, n° 2874 du 16 nivôse an 13 [6 janvier 1805], p. 2 :
[La première représentation de la pièce a eu lieu le 14 nivôse an 13 [4 janvier 1805]. Bien qu'elle ait eu lieu sur un « petit théâtre », elle a les honneurs d'un compte rendu deux jours plus tard. Mais c'est évidemment un compte rendu peu favorable, même s'il ne traite pas la pièce pour ce qu'elle est probablement, une farce parodiant les genres sérieux.]
Théâtre des Délassemens.
Le Tremblement de terre de Lisbonne,
tragédie, par maître André, perruquier.
Il y a quarante ans que ce chef-d’œuvre parut, et il ne put obtenir les honneurs de la représentation. Sou auteur étoit de la meilleure foi du monde. Il alla présenter sa pièce aux Comédiens Français avec la confiance la plus amusante. Les idées poétiques, et les complimens perfides de quelques hommes de lettres qui s’amusoient de ses lubies lui avoient tellement troublé le cerveau, qu’il se croyoit véritablement poète, et à peu de distance de Voltaire. C’est cette folie qui fit en grande partie le succès de son ouvrage, quand il l’eut publié. On voulut voir un homme qui, sans courir les rues, avoit néanmoins la tête assez derangée pour s’admirer dans ce chef-d’œuvre ; ce qui en faisoit le mérite particulier, c’étoit ces balourdises de toute espèce, qu’on remarque à chaque page, cette platitude d'idées relevées par un style grotesquement ambitieux, ces hémistiches et cette coupe de vers d’un effet si bizarre, enfin la pensée que l’homme qui avoit produit tout cela l’avoit fait avec toute la simplicité d’ame possible, et ne se doutoit pas qu’il y eût rien de ridicule dans son ouvrage ; mais ce qui pouvoit amuser à la lecture, eût été détestable à la représentation. C’étoit même parce que les scènes étoient en quelque sorte irréprésentables, qu’elles étoient amusantes.
Les Directeurs du Théâtre des Délassemens ont donc fait une mauvaise spéculation en faisant jouer ce pitoyable ouvrage. Les espérances qu’ils avoient formées ont été trompées et devoient l’être. Il n’y avoit qu’un seul moyen d’obtenir quelque succès, c’étoit de donner les rôles à des acteurs d’un talent et d’une réputation distinguée, doués de l’esprit, de l’intelligence et de la finesse nécessaires pour ajouter au ridicule de la composition, en aggraver la bêtises et amuser à force de bouffonneries. Il falloit que le spectateur comprît que l’acteur vouloit l’amuser, et sentoit le premier toute l'absurdité de son rôle. Ce n’étoit donc pas aux artistes du Théâtre des Délassemens qu’il falloit abandonner le succès de ce chef-d’œuvre. Il falloit des malins, et l'on a pris des bonnes gens. Ces braves artistes ont agi de la meilleure foi du monde, comme eût été M. André lui-même. Ils ont débité sérieusement ce qui exigeoit un ton d’ironie spirituel. Ils ont renchéri sur leur modèle. M. André avoit traité la prosodie d’une manière cruelle, les acteurs ont ajouté à sa barbarie, et ont déchiré les vers misérablement. Enfin leur débit a été dans son genre aussi mauvais que les vers du poëte, mais non pas aussi plaisant. Le comique eût été de les déclamer avec un soin affecté, et de couvrir l’effet général d’une couleur sérieusement plaisante.
On n’a donc pas été content de la première représentation du Tremblement de terre de Lisbonne, et l’avantage des Désastres est resté tout entier au Théâtre de la Porte Saint-Martin.
Cette rivalité entre deux voisins étoit d’un effet peu édifiant, et la lutte trop inégale ; le Théâtre des Délassemens est un nain en comparaison de celui de la Porte St.-Martin. C’étoit le combat de David contre Goliath ; mais cette fois le coup de pierre a été pour le Pygmee, et la victoire pour le Géant.
On ignoroit que M. André eût laissé des héritiers de son nom et de son talent, nous venons de découvrir que la France possède un de ses neveux, occupé comme lui de la perruque et de la poésie. Il vient de produire ses titres dans la lettre suivante, insérée au Journal de Paris.
« Messieurs, est enfin arrivé ce fortuné moment où j’ai eu le bonheur de voir représenter l'immortel chef-d’œuvre de défunt mon grand-oncle.
Il falloit que parut surla scène des hommes,
Celui qui de sa vie n’a fait trembler personne,
Pour que le tremblement de cet oncle chéri,
Vous mit le cœur en transe, et l’esprit réjoui.
C’est vous dire assez, je me pense, qu’il est ici question de Tremblement de terre de Lisbonne ; de feu M. André, perruquier, il est vrai. Mais veuillez apprendre à l’univers étonné, qu’il peut très sûr certainement, aller admirer cette tragédie au théâtre des Délassemens, boulevart du Temple, qui la représente par cette noblesse et cette [dignité] avec lesquelles j’ai l’honneur d’être, Messieurs, votre très-humble serviteur,
André, perruquier comme son oncle, et marchant sur ses traces, dans le chemin de la belle poésie.
Olinda Kleiman, Université Lille 3, Laboratoire CECILLE, « Le désastre de Lisbonne, un teras. En guise d’introduction », Atlante. Revue d'études romanes, 1, 2014, p. 32-33 :
On peut citer, à titre d’exemple, une tragédie facétieuse parue sous le nom de « Maître André, perruquier » à Paris, « qui se figura l’avoir écrite ». La pièce, considérée comme « un classique de drôlerie » a connu un franc succès et a occupé « un temps les esprits oisifs ». Il s’agit vraisemblablement d’une plaisanterie de l’avocat Jean-Henri Marchand, sans doute en rapport avec le Poème sur le désastre de Lisbonne. L’auteur adresse en effet son épître dédicatoire « à Monsieur l’illustre et célèbre Poète Monsieur de Voltaire », qui, aux dires de certains, se serait empressé de renvoyer l’auteur à ses perruques : « Maître André, faites des perruques, faites des perruques, faites des perruques, faites des perruques », et ainsi de suite au long de quatre pages 47.
47. Le tremblement de terre de Lisbonne, tragédie en cinq actes, par Maître André, Me Perruquier, À Lisbonne, de l’Imprimerie du Public, 1755 (le lieu d’édition, Lisbonne, est une imposture destinée à renforcer le caractère burlesque). Le texte, écrit en 1755, fut un succès populaire ; il donna lieu à plusieurs rééditions, à Amsterdam et à Paris. La pièce semble n’avoir été jouée que tardivement. Voir Anne-Sophie BARROVECCHIO, Voltairomania : l’avocat Jean-Henri Marchand face à Voltaire, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2004, p. 33-37.
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