Le Tableau en litige, ou à l’œuvre on connaît l'ouvrier

Le Tableau en litige, ou À l’œuvre on connaît l'ouvrier, comédie en un acte, mêlée de vaudevilles, de P.-A. Vieillard et Gersin, 13 fructidor an 9 [31 août 1801].

Théâtre du Vaudeville

Titre :

Tableau en litige (le), ou À l'œuvre on connaît l’ouvrier

Genre

comédie

Nombre d'actes :

1

Vers / prose

prose

Musique :

vaudevilles

Date de création :

13 fructidor an 9 [31 août 1801]

Théâtre :

Théâtre du Vaudeville

Auteur(s) des paroles :

P.-A. Vieillard et Gersin

Almanach des Muses 1802

Courrier des spectacles, n° 1646 du 14 fructidor an 9 [1er septembre 1801], p. 2 :

[La pièce nouvelle tire son sujet d’un événement d’actualité, l’appropriation par un peintre du travail d’un autre (voire de plusieurs). Le propriétaire d'un tableau, montrant Bonaparte et Berthier à la bataille de Marengo, en revendique la paternité, et surtout l'utilise à des fins lucratives. Bien sûr les auteurs du vaudeville ont transporté l'intrigue en Italie, et ont ajouté une intrigue sentimentale, puisqu’on ne peut guère faire de vaudeville sans parler de mariage. Mais ce n’est qu’un détail, l’essentiel étant la reconnaissance du véritable auteur, qui voit ses droits reconnus. La représentation a été un succès, grâce à de jolis couplets, des scènes gaies, un caractère bien dessiné (rien de bien étonnant), mais elle a aussi des longueurs (rien d’étonnant non plus : c’est de loin le reproche le plus courant). Inversement, la reconnaissance du véritable auteur est jugée trop brusque, et « cette scène dernière [qui] exige un jeu muet long et expressif » a mis en lumière la faiblesse d’un acteur. Les auteurs ont été nommés.]

Théâtre du Vaudeville.

Le vaudeville, qui s’approprie tous les sujets, n’a pas laissé échapper la contestation qui s’est élevée dernièrement entre deux peintres pour le tableau représentant Bonaparte et Berthier à Marengo. Ce tableau est du cit. Robert Lefebvre, et le citoyen Boze, qui en est le propriétaire, l’offre à la curiosité publique, chez 1’étranger, comme son propre ouvrage, quoique jusqu’ici il n’ait été connu que par quelques miniatures, etc. C’est en Italie que la scène se passe.

Bravano reçoit chaque jour de nombreuses visites d'amateurs, qui viennent admirer son tableau : il attend même celle du prince, et ce. n’est pas un des moindres motifs qui déterminent un M. Artimano, enthousiaste des arts, à lui accorder Flora, sa fille, au préjudice d’Alberti qu’elle aime. Parmi les amateurs qu’attire le tableau, est une femme célèbre dans la peinture, Elisabeth (Vigée, femme Lebrun) arrivée depuis peu des régions du nord, qui s’intéresse au bonheur de Flora. Elle a vu le tableau ; elle .soupçonne, d’après ce qu’on lui a dit du talent de Bravano, qu’il n’en est pas l’auteur, elle a remarqué dans l’annonce du charlatanisme, de la forfanterie.

Air : . . .

Ce n’est point à de pareils traits
Qu’on reconnoit le vrai génie.
L’orgueil pour lui n'a point d’attraits,
Sa compagne est la modestie.
Des arts qui savenr l'exalter
Il veut obtenir la couronne,
Il fait tout pour la mériter :
Mais il attend qu’on la lui donne.

Et lorsque le prince arrive et décerne une récompense à Bravano, elle lui fait part des bruits qui circulent sur l’auteur du tableau. Bravano, par l’ordre du prince, prend sa palette et ses pinceaux et va achever une partie qui doit être retouchée, lorsque Robertini, l’auteur du chef-d’œuvre, et arrivé depuis quelques instans, se précipite, lui arrache les pinceaux et l’empêche de profaner son immortelle production.

Tel est le fonds du Tableau en litige, ou à l’œuvre on reconnaît l’ouvrier, représenté hier avec succès à ce théâtre. Il y a de jolis couplets, des scènes gaies, un caractère (celui d’Artimano) bien dessiné ; mais on y a remarqué aussi quelques longueurs, le prince est trop souvent et trop long-tems annoncé, et le véritable auteur du tableau reconnu d’une manière trop brusque. Cette scène dernière exisge un jeun muet long et expressif, sur-tout de la part de Robertini, et l’acteur y a laissé beaucoup à désirer.

Les auteurs sont les cit. Gersain et Vieillard.

F. J. B. P. G***.          

La Décade philosophique, littéraire et politique, an ix, n° 36, 30 Fructidor, p. 564-565 :

[La grande question : a-t-on le droit de mettre en cause des gens vivants dans une polémique mise sur la scène ? Visiblement, le rédacteur de la Décade philosophique ne croit pas que ce soit permis, si on veut garder l'ordre dans la société...]

Théâtre du Vaudeville.

Le Tableau en litige, ou à l'œuvre on connaît l'ouvrier.

Bravano, peintre médiocre, a acheté à son ami Roberti un tableau représentant les généraux Bonaparte et Berthier ; il se l'attribue, et le fait voir pour de l'argent, comme son ouvrage : un riche entiché de la manie des arts, est tout prêt à donner sa fille au peintre plagiaire, quand le véritable auteur du tableau vient tout exprès de cent lieues pour confondre l'usurpateur de sa gloire. Bravano ne peut soutenir l'épreuve que lui propose le prince d'achever la partie du tableau qui n'est pas terminée, et Roberti reconnu pour le véritable auteur, en reçoit le prix des mains du prince.

Il est aisé de voir que les CC. Vieillard et Gersain ont traduit au tribunal du Vaudeville une cause pendante encore à celui de l'opinion publique, et qu'ils n'ont fait aucune difficulté de prononcer. Je persiste à croire que sous aucun prétexte on ne devrait permettre à l'auteur comique d'immoler sur la scène des personnages contemporains quand l'application est trop directe, et que la police devrait en pareil cas suppléer à la délicatesse des satiriques.

L'ouvrage a le mérite du genre, c'est-à-dire qu'il se distingue par l'âcreté de l'épigramme et que la malignité des allusions peut s'exercer tout à l'aise ; mais l'action, la conduite, et les caractères n'offrent absolument rien de piquant.

On a fort applaudi sous le nom d'Elisabeth , une femme célèbre dans la peinture, dont tout le monde estime le talent et desire le retour, madame Lebrun. Mais en général, il ne devrait être permis de louer ni de satiriser sur le théâtre aucun personnage vivant : c'était une loi de police consacrée par l'usage, fort long-tems avant la révolution, et fondée sur des bienséances nécessaires au bonheur, au repos et à la sûreté des grandes sociétés.

La pièce a triomphé de quelques orages qui s'étaient élevés à la première représentation , et se joue encore avec un demi-succès.

L. C.          

Les auteurs : Pierre-Ange Vieillard (1778-1862) et Nicolas Gersin (1766-1833) (plutôt qu' Edme-François Gersaint (1694-1750), comme le croit Guillaume Glorieux, A l'enseigne de Gersaint: Edme-François Gersaint, marchand d'art sur le Pont Notre-Dame, Champ Vallon, 2002, p. 408).

Le site lesarchivesduspectacle.net propose une liste de quatre auteurs, Pierre-Ange Vieillard, Nicolas Gersin, Antoine Année et Michel Dieulafoy, en s’appuyant sur l’ouvrage de Charles Beaumont Wicks, The Parisian Stage: Part I où la pièce porte le numéro 2780 (et qui ne cite que deux auteurs... et les bons !).

Le tableau contesté existe bel et bien, c’est le Général Bonaparte et son chef d’état-majrn le général Berthier à la bataille de Marengo, conservé par la Fondation Napoléon, à Paris, qui l’a confié au Musée de l’Armée. Le conflit oppose Joseph Boze à Robert Lefèvre : Boze a exposé sous son nom le tableau à Amsterdam, et son confrère Robert Lefèvre publia, le 31 juillet 1801, dans le Moniteur universel une protestation, s’attribuant l'œuvre. La polémique n’aboutit à aucune certitude, si ce n’est qu’il paraît clair que les deux peintres ont collaboré à l'œuvre, à laquelle Carl Vernet a apporté aussi sa part.

Sur cette polémique, https://www.napoleon.org/histoire-des-2-empires/tableaux/le-general-bonaparte-et-son-chef-detat-major-le-general-berthier-a-la-bataille-de-marengo/

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