Les Thermopyles

Les Thermopyles, tragédie de circonstance avec prologue, de Charles-Henri d’Estaing, 1791. Didot le jeune.

Tragédie non représentée (Théâtre de la Nation)

Titre :

Thermopyles (les)

Genre

tragédie de circonstance avec prologue

Nombre d'actes :

5

Vers / prose

vers (prose pour le prologue)

Musique :

non

Date de création :

non représentée

Théâtre :

non représentée

Auteur(s) des paroles :

Charles-Henri d’Estaing

Almanach des Muses 1792

Tragédie qu'il seroit impossible de traiter plus mal que ne l'a fait l'auteur lui-même dans sa préface et dans ses notes. Mais puisqu'il trouve son ouvrage si mauvais, pourquoi l'a-t-il fait imprimer ? Du reste il ne se vend pas cher. Valeur et prix de ce pamphlet, deux sous. C'est l'annonce qui est au frontispice.

Le titre indique le sujet qui est l'héroïque dévouement des trois cents Spartiates au détroit des Thermopyles.

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, de l’Imprimerie de Didot le jeune, 1791 :

Les Thermopyles, tragédie de circonstance. Une musique en pot-pourri, et analogue aux circonstances, sert d'ouverture et d'entr'actes. Valeur et prix de ce pamphlet, deux sols

D’après la Bibliothèque de Soleinne, l’auteur présente sa pièce comme un « pamphlet plus civique que littéraire ».

La pièce est disponible dans la collection Marandet de l’université de Warwick :

https://cdm21047.contentdm.oclc.org/digital/collection/Revolution/id/6012

Le texte de la pièce est précédé d’un avertissement qui s’achève par une « note sur le costume des Spartiates », emprunté au roman de l’abbé Barthélemy le Voyage du jeune Anacharsis en Grèce :

Cette pièce n’est point destinée pour le théâtre : annoncer qu’elle ne mérite pas l’honneur d’être jouée, c’est prévenir qu’elle doit paraître indigne d’être lue. Un des sacrifices le plus antique, le plus fameux, le mieux constaté, et le plus héroïque qui les hommes aient fait à la Liberté, est pour nous un fruit de la saison.

Le dévouement sublime des Spartiates serait le nôtre : le cadre est si beau, qu’il fera peut-être oublier l’incapacité du peintre. Un dialogue lent, trop de maximes et trop peu d’action, des situations qui ne sont pas nouvelles, des longueurs dans certains endroits, pont de développement dans d’autres, une gazette faiblement rimée, voilà l’esquisse véridique de cet ouvrage ; son unique attrait, sa seule excuse, ne peuvent exister que dans le cœur de ceux qui le liront. Le copiste, car c’est le titre qu’ambitionne celui qui a fait cette Tragédie, n’a pas même le mérite d’être compilateur ; un seul et excellent Voyage en Grèce lui a fourni tous les faits et toutes les anecdotes. Tâcher de n’en passer aucune, est une grande fute pour le théâtre, elle a été commises. Ce citoyen est persuadé que tout Français aurait fait et dit plus ; faire dire moins à des Spartiates, lui aurait paru manquer à ceux qui le sont devenus, à sa patrie. On prétend qu’il existe encore dans notre sein quelques Mèdes de nom : il a bien fallu, lorsqu’on les a fait parler, emprunter d’eux une certaine façon de penser et de s’exprimer qui bientôt nous deviendra trop étrangère, pour qu’elle ait besoin d’être plus fortement combattue.

Le prétexte d’indiquer le costume des Spartiates, a fait transcrire en notes la prose d’un homme de lettres, créateur du jeune Anacharsis, supérieure à la meilleure versification ; elle dédommagera un peu des mauvais vers qui suivent. On a employé un second moyen pour moins déplaire aux lecteurs ; ils sont aujourd’hui tous militaires, on leur parle métier : le passage du défilé est une manœuvre, et les principes de la véritable tactique sont peut-être la partie la plus supportable de cette pièce.

La musique de l’ouverture et des entre actes est absolument obligée ; elle est nécessaire pour diminuer cette triste monotonie, idiome de tout poète qui ne l’est pas. Il a paru aussi très-convenable de fournir aux antiquaires, et peut-être même aux philosophes qui feront des recherches dans une vingtaine de siècles, la preuve imprimée du rassemblement des airs que le goût national à consacrés. Il a dit beaucoup ce rassemblement. Un peuple libre rend une loi presque irrévocable, par la façon dont il veut être amusé ; l’expression constante de sa joie prononce ses sentimens autant que les faits; elle annonce ce qui sera. Ça ira, Vive Henri IV, et On ne peut être mieux qu'au sein de sa famille, toujours demandés, toujours applaudis au Théâtre de la Nation, ont été et sont un augure de l'avenir. La diversité des circonstances, et peut-être les impulsions secrètes, n'ont pu faire varier l'effet de cette réunion d'airs. Chaque Nation, plus ou moins libre, en a adopté ; les nôtres valent autant, ils disent plus que le God save the king des Anglais, et que le Guillaume de Nassau des Hollandais; peut-être qu'ils influeront un jour jusques sur le Tam Tam des Nababs de l'Inde.

Obéir au goût du peuple lorsqu'il exprime des sentimens respectables, ce n'est point le flatter ; c'est plutôt prouver qu'on saurait lui dire la vérité en aimant à le servir, et en fesant respecter la loi qu'il s'est donnée. Le temps est bien proche, où ces trois airs, exécutés avant une meilleure pièce que les Thermopyles, seront sincèrement applaudis par un chef constitutionnels* : ils lui rappelleront que la grande majorité des Français libres, a constamment voulu que ce vaste Empire eût un seul bras exécutif pour agir toujours mieux, jamais mal; pour réunir toute la force nationale contre celle de nos voisins, et pour employer l'ensemble de vingt-cinq millions d'âmes à défendre la loi, et à rendre la Liberté durable.

Supposer que dans le nombre des Théâtres qui s'empressent à faire apprécier leurs talens dans la Capitale et dans les Provinces, il pourrait s'en trouver qui voudront jouer les Thermopyles, c'est prévoir presque l'impossible ; le tact des acteurs ne peut s'égarer à ce point : il faut cependant tout prévoir. Si cela était, l'auteur en renonçant à partager le profit, s'il était possible qu'il y en eût, remet ses pouvoirs à M. Didot le jeune, imprimeur de ce pamphlet plus civique que littéraire ; il l'autorise à exiger en son nom, pour équivalent de toute part d'argent, que la musique de l'ouverture et des entre-actes ne soit point supprimée ; il le supplie d'y veiller. Il le prie aussi, il le charge même d'exiger légalement que des morceaux de musique, à six instrumens au moins, soient exécutés de quart d'heure en quart d'heure, dès l'instant qu'environ un cinquième des spectateurs que la salle peut contenir, y sera entré. Diminuer l'ennui de la représentation, serait plus difficile que d'affaiblir celui de l'attente.

Acteurs des fictions théatrales, vous diriez, par cette attention, aux acteurs constitutionnels des grandes réalités nationales : « Ne négligez rien de ce qui peut être agréable au peuple ; c'est en le respectant, et en s'occupant, sous tous les rapports et sans cesse, de lui, que l'on mérite sa confiance et son indulgence.»

* Ceci était écrit bien avant le mois de septembre.

NOTE

Sur le Costume des Spartiates,

tirée du Voyage du jeune Anacharsis ;

in-8°. Tom IV, pag. 245 et 248.

Page 245..... « Les principales armes du fantassin sont la pique et le bouclier ; je ne compte pas l'épée, qui n'est qu'un espèce de poignard qu'il porte à sa ceinture : c'est sur la pique qu'il fonde ses espérances ; il ne la quitte presque point tant qu'il est à l'armée. Un étranger disait à l'ambitieux Agésilas: Où fixez vous donc les bornes de la Laconie ? Au bout de nos piques, repondit-il. »

« Ils couvrent leur corps d'un bouclier d'airain de forme ovale, échancré des deux côtés, et quelquefois d'un seul, terminé en pointe aux deux extrémités, et chargé de lettres initiales du nom de Lacédémone. A cette marque on reconnaît la Nation; mais il en faut une autre pour reconnaître chaque soldat : obligé, sous peine d'infamie, de rapporter son bouclier, il fait graver, dans le champ, le symbole qu'il s'est approprié. Un d'entre eux s'était exposé aux plaisanteries de ses amis, en choisissant pour emblême une mouche de grandeur naturelle : « J'approcherai si fort de l'ennemi, leur dit-il, qu'il distinguera cette marque. »

« Le soldat est revêtu d’une casaque rouge ; on a préféré cette couleur, afin que l'ennemi ne s'aperçoive pas du sang qu'il a fait couler. »

Page 248...... « Le jour du combat, le Roi, à l'imitation d'Hercule, immole une chèvre, pendant que les joueurs de flûte font entendre l'air de Castor. Il entonne ensuite l'hymne du combat ; tous les soldats, le front orné de couronnes, la répètent de concert. Après ce moment si terrible et si beau, ils arrangent leurs cheveux et leurs vêtemens, nettoient leurs armes, pressent leurs officiers de les conduire au champ de l'honneur, s'animent eux-mêmes par des traits de gaieté, et marchent en ordre au son des flûtes qui excitent et modèrent leur courage. »

Mercure français, n° 12 du 24 mars 1792, p. 98-104 :

[Long article à propos d’une pièce qui n’a pas été jouée. Plutôt que de parler de la pièce, le critique nous entretient de politique et d’histoire, avant de donner en exemples quelques vers qu’il juge remarquables, plus pour leur sens que pour leur beauté.]

Les Thermopyles, Tragédie de circonstance ; une Musique en Pot-pourri, & analogue aux circonstances, sert d’ouverture aux entr’Actes. Valeur & prix de ce Pamphlet, 2 s. A Paris, de l’Imprimerie de Didot l’aîné, rue Pavée.

Après la manière dont l’auteur évalue son Ouvrage dans le titre & s’exécute dans sa Préface, il y aurait de l’humeur à le soumettre aux regles ordinaires de la critique. D’ailleurs M. d’Estaing pourrait dire avec plus de justice & moins de morgue que le renommé Scudery : Je sais mieux arranger des Bataillons que des Périodes. Ce qui est certain, c’est que son Ouvrage, s’il n’est ni très-poétique ni très-théatral, est très-patriotique & très-constitutionnel. L’Auteur aime tellement ce dernier mot qu’il l’a fait entrer dans un vers, quoique le mot s’y prête peu. A la vérité, il lui a retranché une syllabe, mais très-sciemment & pour rendre la chose plus facile.

En rappelant le généreux dévouement de trois cents Spartiates, l’Auteur s’est proposé d’inspirer à ses Concitoyens le même courage, s’ils se trouvaient dans la même position. On dira peut-être que les Français sont plus Athéniens que Spartiates : Eh ! quand ils ne seraient qu’Athéniens, c’en serait assez pour savoir défendre la Liberté jusqu’à la mort. A Marathon, à Salamine, à Platée, ces frivoles Athéniens ne se battirent pas mal ; mais, de plus, les Français sont naturellement tout ce qu’ils veulent être. Depuis qu’ils sont devenus libres, ils seront Spartiates au besoin, dès qu’ils le voudront. On peut tout attendre des Français dès qu’ils sont raisonnables, & ils le seront ; car la Liberté commence par faire des hommes raisonneurs, & finit par faire des hommes raisonnables.

L’Auteur des Thermopyles, en sa qualité de Général, recommande aussi l’ordre & la discipline, & il a grande raison. Aucun Peuple n’a porté plus loin la sévérité de la discipline militaire que les Lacédémoniens & les Romains, les deux Peuples les plus passionnés pour la Liberté. L’amour de la discipline, dans un vrai Soldat, est inséparable de l'amour de la Liberté ; car l’une ne saurait subsister sans l’autre. Il est reconnu que c’est la discipline Romaine & Spartiate qui rendit Rome & Sparte invincibles. Ceux qui ont voulu rapprocher l’état militaire de l’état civil, & soumettre l’un & l’autre aux mêmes principes, ont dit une énorme sottise. Comment n’ont-ils pas vu que la guerre était un état forcé ? Quel état est plus forcé que celui où il faut que cent mille hommes obéissent à la voix d’un seul, s’ils veulent avoir une action ? ils n’en ont plus aucune sans cette obéissance nécessairement passive : ils sont nuls ; ils sont la proie de l’ennemi, ou, ce qui est encore pis, la terreur & le fléau de leurs Concitoyens. Assimiler cet état à celui de la Société, c’est être absurde & ne pas mériter même de réponse.

– Mais si le Général leur ordonne d epasser à l’ennemi, de leur livrer leurs armes, de tirer les uns sur les autres ? &c.

Voilà pourtant les beaux raisonnemens qu’on a entendus cent fois dans une Assemblée de Législateur, & qu’on a répétés depuis dans les Clubs ! Quelle profonde déraison ! quelle honteuse ignorance ! Et comment, lorsqu’on n’est plus un enfant, ignore-t-on que dans aucune Législation quelconque on ne fait entrer la supposition de l’extravagance, sans quoi l’on ne chargerait jamais personne d’aucun pouvoir ? Eh bien ! si le Général devient fou, il sera destitué sur le champ, & un autre commandera à sa place ; & tous les ordres absurdes qu’on met ici en supposition attesteraient sur le champ la démence, & par conséquent dispenseraient d’obéir ; car jamais il n’a été ordonné à personne d’obéir à la folie.

Puisque j’en trouve ici l’occasion, ajoutons un principe qui me paraît presque universellement ignoré ou méconnu, puisque jamais je ne l’ai vu opposer aux ineptes Déclamateurs, qui, dans la crainte des abus possibles, restreignent le pouvoir reconnu nécessaire au point de lui ôter son action, & tombent ainsi dans la plus révoltante inconséquence. Ce principe, le voici (il est incontestable ; car, sans lui, il n’y aurait plus sur la Terre aucune autorité constituée) : Jamais on ne doit limiter les dispositions générales d’une Loi reconnue bonne & salutaire en elle-même, par des cas d’exception qui ne sont pas dans le cours ordinaire des choses. Si vous violez ce principe, vous ôterez à la Loi toute son énergie, protectrice de l’ordre général. La seule garantie légale contre l’abus du pouvoir, c’est la responsabilité ; & la garantie naturelle contre l’excès de l’abus que la Loi ne suppose pas, c’est la résistance à l’oppression ou à la folie, résistance qui fait rentrer l’homme dans son indépendance originelle.

Autre principe : Quand vous voulez, de peur de tel ou tel abus, limiter une Loi ou un Pouvoir, commencez par prouver de ces deux choses l’une, ou que la limitation proposée n’arrête pas l’action du pouvoir ou de la Loi, ou que l’abus est plus dangereux que la Loi ou le pouvoir ne peut être utile. Sans l’une ou l’autre de ces deux démonstrations, vous ne prouvez rien, si ce n’est ce que tout le modne fait, qu’il y a dans toutes les choses humaines une imperfection inévitable. Si l’on avait une fois bien établi cet axiome politique, que de parleurs on aurait arrêtés tout court ! car rien n’est plus aisé de faire voir quel est le degré d’imperfection auquel la prudence humaine doit se résigner dans tous les cas, pour éviter un plus grand mal : cela n’est donné qu’aux esprits excellens.

Me voilà bien loin des Thermopyles, pas si loin pourtant qu’on le croirait ; car le but principal de l’Auteur est de faire sentir la nécessité de cette obéissance aux Loix, qui est la seule Liberté sociale. S’il n’a pas l’habitude de tourner des vers, ni de dialoguer des Scènes, e général il pense avec justesse & avec force, & quelquefois même exprime très bien sa pensée en vers. En voici des exemples.

Ce qu’un Despote habile eût craint de proposer,
Le Citoyen le voit, devine & sait l’oser.
S’honorant de son choix & de son obéissance,
Par la oumission il accroît sa puissance.
En se donnant un guide, il en devient l’appui ;
Il respecte et défend ce qu’on reçoit de lui.

On aimera sûrement ces vers que dit Léonidas.

De mes Concitoyens j’acquis la confiance ;
Si je rrgne sur eux, c’est par reconnaissance.
Pour eux seuls j’ai perdu l’heureuse Liberté,
Que l’on ne trouve, ami, que dans l’égalité.
Ce don se précieux, présent de la Nature,
Est le premier des biens que goûte une ame pure.
Tout homme est malheureux dès qu’il n’a point d’égaux.

C’est-là, ce me semble, un bel éloge de l’égalité. Le dernier vers sera sûrement démenti par l’orgueil ; mais l’ambition elle-même, qui n’est que le plus haut degré de l'orgueil, a confessé la vérité de ce vers, quand elle a dit par la bouche d’Auguste,

Et monté sur le faîte, il aspire à descendre ;

car si Corneille a fait ce beau vers, Auguste a eu ce sentiment naturel, puisqu’il a plus d’une fois été prêt [sic] d’abdiquer. Un homme qui n’a point d’égaux est tout seule, & il est triste d’être seul. Aussi les Rois qui veulent avoir des amis, sont obligés de se faire des égaux. Amongst inequals no society, a très-bien dit Pope : Sans égalité, point de société ; & l’un des hommes de nos jours qui a le plus d’esprit, a dit fort plaisamment : Je ne connais que le Pere Eternel qui ait un assez grand fonds de gaieté pour tenir à tous les hommages qu’on lui rend.

La pièce est signalée dans la Bibliothèque dramatique de M. de Soleinne, tome deuxième (1844), p. 111 :

1880. Les Thermopyles, tragédie de circonstance (5 a. v. et prol. pr., par le Comte d'Estaing). Paris, Didot le jeune, 1791, in-8 de 157 p. et 3 ff. non chiff., pap. vél., v. f. fil., tr. d.

Très-rare. — L'auteur a fait imprimer sur le titre : Valeur et prix de ce pamphlet, deux sols. Dans la préface, il remet ses pouvoirs à Didot le jeune, imprimeur, dans le cas où quelque directeur de spectacle voudrait essayer la représentation de cette tragédie, qu'il s'obstine à nommer un pamphlet plus civique que littéraire.

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