Les Torts apparents, ou les Valets menteurs

Les Torts apparents, ou les Valets menteurs, comédie en trois actes, par M. *** ; 11 février [1808].

Théâtre de l'Impératrice.

Titre :

Torts apparents (les), ou les Valets menteurs

Genre :

comédie

Nombre d'actes :

3

Vers / prose

 

Musique :

non

Date de création :

11 février 1808

Théâtre ;

Théâtre de l’Impératrice

Auteur(s) des paroles :

M***

Almanach des Muses 1809.

M. Dormont forme le projet de marier sa fille Clarine à un riche vieillard. Clarine aime Luzincourt ; mais l'absence de ce dernier favorise l'exécution du plan de M. Dormont ; et pour comble de malheur, deux coquins de valets que le vieux prétendu a mis dans ses intérêts, parviennent, au retour du jeune amant, à le brouiller avec sa belle. La fourbe de Frontin et de Lisette, agents du vieillard, finit par être découverte ; et la piece se termine par le mariage de Clarine et de Luzincourt.

Le style assez pur de cet ouvrage l'a soutenu jusqu'à la fin, malgré la nudité de l'intrigue.

La Police secrète du Premier Empire, Bulletins quotidiens adressés par Fouché à l’Empereur, nouvelle série, 1808-1809, publiée par Jean Grassion (Paris, 1963), p. 57-58 :

Dans le bulletin du 12 février 1808 :

Rapport du préfet de police (suite). A Louvois, première de Les torts apparents ou les valets menteurs ; médiocre.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome IV, avril 1808, p. 285-290 :

[Le compte rendu commence par une description des éléments indispensables dans les comédies, les notaires (pour les contrats de mariage), les médecins, les valets. Ce sont bien les ingrédients de cette comédie : une jeune femme qu’on destine à un vieillard riche, mais qui aime un jeune homme sans fortune ; on est dans un monde où il est plus légitime d'épouser un célibataire de soixante-douze ans riche qu’un jeune jeune sans fortune. C’est ce point de vue que développe la pièce, avec une morale assez surprenante (la soubrette propose à sa maîtresse d’épouser le vieillard, en sachant que ce sera « seulement pour un an », et qu’elle pourra alors se remarier avec son jeune amant. Le problème est compliqué par l’existence d’un neveu du vieillard, qui souhaite que son oncle ne compromette pas son héritage en se mariant. Il y a bien sûr un valet qui se déguise en médecin. Mais, de façon plus qu’attendue, c’est le jeune amant qui obtient la main de la jeune fille, avec en cadeau la moitié de la fortune du vieil homme, donnée par le neveu qui préfère ainsi ne pas tout perdre. Le jugement porté sur la pièce lui trouve des qualités, « plusieurs vers heureux, un style sage, quelquefois élégant », mais dont l’intrigue très faible marque bien lentement. Le public a applaudi avec modération, a demandé l’auteur, mais il a préféré rester anonyme.]

THÉATRE DE L'IMPÉRATRICE.

Des Torts apparens, ou les Valets menteurs.

Tant que durera le monde, les notaires feront des actes, les médecins des consultations, et les valets de comédie des menteries : reste à savoir au profit de qui et à-propos de quoi ; il n'y a que cela qui change quelque chose à la teneur des actes des notaires, des consultations des médecins et des menteries des valets de comédie ; et, quoi qu'il en soit, les notaires seront toujours pour les formes, les médecins pour le régime, et les valets pour une sorte de raison à leur manière, qui les place, non pas au-dessus, mais au-dessous des passions de leurs maîtres, et qui fait que, comme les confidens de tragédie, ils sont toujours les plus sensés de la pièce, du moins en paroles ; car un valet sert quelquefois l'amour de son maître contre un père avare, une soubrette aide à sa maîtresse à échapper à un vieillard riche pour épouser un jeune amant, mais c'est presque toujours en disant pis que pendre de l'amour comparé à la fortune ; s'il trouve grâce à leurs yeux, c'est quand il sera en balance avec le devoir ou l'honneur, car l'amour est encore pour eux quelque chose de plus solide que l'honneur, et leur sagesse, c'est d'aller toujours au solide, de réduire tout au simple, de voir les choses comme elles sont. N'est-ce pas là aussi la sagesse des sages ? Les sacrifices que fait faire l'amour seront donc une sottise aux yeux d'un philosophe et d'un valet -de- chambre ; l’ambition et l'amour de la gloire feront sourire de pitié le sage et l'imbécille, et voilà pourquoi les gens passionnés paraîtront toujours si ridicules dans le monde, c'est qu'il est composé de philosophes et de valets-de-chambre, de sages et d imbécilles, de quelques gens raisonnables et d'une foule d'autres qui n'ont pas besoin de l'être ; les uns n'auront pas d'ame, les autres sauront gouverner la leur, ce qui est à-peu-près la même chose pour la commodité de la vie ; et tout le monde, en définitif, s'en tiendra, ou peu s'en faut, à la morale des valets de comédie.

Aussi trouverait-on fort raisonnable dans le monde un père qui voudrait marier sa fille à Dormont , vieux garçon de soixante-douze ans, accompagnés de soixante mille livres de rente, au lieu de la donner à Lusincourt, jeune amoureux, sans autre bien que son amour et son titre de médecin, avec lequel il revient de Paris pour s'établir dans sa province, ce qui suppose qu'il n'a pas même encore de pratiques. Si Clarice, de son côté, a quelques bonnes raisons pour vouloir, au lieu de Dormont, épouser Lusincourt, il n'y a qu'elle qui les sente ces raisons-là ; elles sont excellentes pour elle et ne valent rien pour les autres, car il n'y a qu'elle qui puisse juger de leur force, et on ne l'en croira pas sur sa parole ; personne ne supposera, à moins qu'il ne soit dans tel cas tombé, qu'on puisse avoir un amour assez violent pour qu'il soit raisonnablement possible de le mettre en balance avec soixante mille livres de rente ; et sans la morale de la comédie, qui est toujours du parti des amoureux, on approuverait beaucoup le père de Clarice, qui cherche à la dégoûter de Lusincourt pour Dormont, et la soubrette, qui aide le père avec d'autant plus de zèle qu'il lui a promis, si elle réussit, deux mille écus de dot, et que d’ailleurs Lisette, qui a aussi sa morale, trouve que

Quand un époux est riche il est toujours aimable,
Quand il est riche et sot, c'est un homme adorable ;
Mais s'il est à-la-fois et riche et sot et vieux,
C’est un présent du ciel,

dont elle veut faire jouir sa maîtresse aux dépens d'un jeune neveu de Dormont, nommé Melford, qui devait en hériter, et qui est aussi étonné qu'affligé de la fantaisie qu'a son oncle, asthmatique, paralytique, à-peu-près aveugle et presque sourd, d'épouser une jeune et
belle personne ;

Car je ne comprends pas, pour moi, par quelle porte
L'amour peut pénétrer chez les gens de sa sorte,

dit Melford. Cependant Clarice, qui se soucie fort peu de l'amour de Dormont, mais à qui on a fait croire que Lusincourt était infidèle, a consenti dans son dépit à épouser le vieillard ; ce que Lusincourt en arrivant à Paris, apprend par la confidence que lui fait Melford du projet d'un charivari dont il compte régaler son oncle, et pour lequel il prie Lusincourt de lui faire des couplets. Frontin, valet de celui-ci, est bientôt engagé par Lisette, dont il est amoureux, dans la ligue entreprise, à ce qu'ils prétendent, pour servir Lusincourt ; car en lui enlevant sa maîtresse, seulement pour un an, et Lisette promet que ce ne sera pas plus long, ils lui donnent les moyens de l'épouser ensuite, veuve et plus riche de 20,000 écus de rente que Dormont lui assure en l'épousant. Il ne s'agit que d'empêcher les amans de se voir ou du mois de s'expliquer ; ils se voient, mais comme ils commencent par se quereller, il est tout simple qu'ils ne finissent pas par s'entendre ; ils se séparent plus brouillés que jamais : cependant ils s'écrivent ; les billets ne sont pas rendus, et les valets infidèles soutiennent qu'on n'a point voulu les recevoir. Cependant le vieux Dormont voudrait consulter Lusincourt, on ne sait pas encore sur quoi ; mais les fourbes ont peur ; et, dans la crainte que Lusincourt ne fasse trop bien son personnage de médecin auprès du septuagénaire prêt à épouser sa maîtresse, Frontin se charge de ce personnage. C'est en effet sur sa santé que Dormout vient le consulter ; il y tient d'autant plus, qu'il est plus vieux ;

Car plus on a vécu, plus on craint de mourir.

Frontin le rassure, lui promet des remèdes pour sa surdité, pour la faiblesse de sa vue, et lui ordonne le mariage comme panacée universelle. Melford, instruit par son oncle lui-même de cette ordonnance, s'emporte contre Lusincourt qui, surpris d'une pareille accusation, lui proteste qu'il n'a pas vu Dormont : on cherche, on soupçonne, on devine, enfin on interroge Frontin, qui est forcé de tout découvrir. Melfotd court bien vite annoncer à son oncle qu'il se trompe très-fort s'il croit se marier par avis de la faculté ; Lusincourt détrompe Clarice de sa prétendue infidélité ; Melford à qui Clarice, l'instant d'auparavant, avait fait assurer la moitié de la fortune de son oncle, déclarant qu'elle ne se marierait qu'à cette condition, s'unit maintenant à Dormont pour engager Clarice à accepter comme dot cette moitié des biens de Dormont que celui-ci lui assurait en l'épousant ; ce qui facilite son mariage avec Lusincourt.

On a applaudi dans cette pièce plusieurs vers heureux, un style sage, quelquefois élégant, mais qui n'a pu couvrir le vice d'une intrigue excessivement faible et d'une marche extrêmement froide. Les applaudissemens ont été sages comme la pièce, et l'auteur, demandé après la représentation, a sagement gardé l'anonyme.                   P.

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