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Les Trois dupes
Les Trois dupes, comédie en un acte, 10 (?) brumaire an XII (2 novembre 1803).
Le Magasin encyclopédique a vu une pièce en trois actes dans cette « petite pièce », mais la Gazette des spectacles la cite toujours comme une comédie en un acte, ce qui semble plus raisonnable pour une intrigue plutôt mince.
Théâtre Louvois.
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Titre :
Trois dupes (les)
Genre
comédie
Nombre d'actes :
1
Vers / prose
Musique :
non
Date de création :
10 brumaire an XII (2 novembre 1803)
Théâtre :
Théâtre Louvois
Auteur(s) des paroles :
Les deux articles de journaux qui suivent permettent une intéressante comparaison entre les deux résumés de l’intrigue, qui ferait presque douter que les critiques aient vu la même pièce. Autant on comprend les divergences d’opinion sur la qualité des pièces, autant un tel écart entre ce qui devrait n’être qu’un récit factuel peut surprendre, et interroger sur la fiabilité des critiques.
Courrier des spectacles, n° 2432 du 9 brumaire an 12 [1er novembre 1803], p. 2 :
[Compte rendu sans enthousiasme : les dupes étaient bien plus que trois au Théâtre Louvois, à tenter de suivre une intrigue pas si simple, et sans grand intérêt. Une fois de plus, il s’agit d'échapper à la fois au mariage et au paiement du dédit. Les jeunes gens arrivent bien sûr à tromper tout le monde avec l’aide de l’indispensable soubrette, ce qui ne surprend pas. L’accueil du public a été froid, et le critique n’a trouvé qu’un « seul trait remarquable », ce qui est bien peu. L’auteur est resté anonyme, et les acteurs ont bien joué, tout particulièrement Mlle Molière dans le rôle de la soubrette.]
Théâtre Louvois.
Première représentation des Trois Dupes.
L’auteur de la piece nouvelle nous paroît s’être trompé en croyant ne faire que Trois Dupes. L’administration qui a reçu sa piece, les acteurs qui l’on apprise, les amateurs qui sont venus la voir, et lui-même qui s’étoit probablement flatté d’un grand succès, n’ont sûrement pas été moins attrapés que Pirandre, Orgon et Géronte (*).
Le fils de ce dernier est amant de Lucile, fille d’Orgon, mais celui-ci, vieil avare, a refusé cette alliance et a promis la main de Lucile à son ami Pirandre, qui l’égale en âge et en avarice. Dire quel intérêt Orgon peut avoir de conclure ce mariage, n’est pas chose fort aisée. Quant à Pyrandre, indépendamment de la satisfaction de posséder une charmante petite femme (ce qui, s’il osoit, le feroit sauter de joie) , il trouve dans cet hymen l’aventage inappréciable de faire passer vingt-quatre mille francs de la cassette de son ami dans la sienne. Un dédit de pareille somme est signé entr’eux.
Nos deux jeunes amans seroient perdus s’il n’y avoit point là une Marine ; mais celle-ci les protege, et le hasard encore plus. C’est en effet par hasard que Géronte, pere de l’amant de Lucile, et grand amateur d’antiques, a appris que dans la maison d’Orgon, qui l’a acquise de feu Lisimon, est caché un buste de l’empereur Commode. Le ravissement transporte notre antiquaire ; il soupire après le trésor que renferme la maison d’Orgon ; il a des renseignemens sur l’endroit où il est renfermé, et vient pour le lui découvrir. La tête de l’empereur Commode devient un véritable trésor pour nos amans, car Marine s’en sert pour assurer leur bonheur, en engageant Géronte à n’indiquer à Orgon l’endroit qui la recele, que quand il aura accordé la main de sa fille au fils de son bienfaiteur.
L’espoir de posséder un trésor est si puissant sur l’esprit d’Orgon, qu’il ne balance point à retirer sa promesse à Pyrandre ; mais il voudroit bien aussi retirer son dédit. Marine s’en charge. Pour y parvenir elle persuade à ce vieux fou que Lucile désespérée s’est enfuie avec son amant, et qu’Orgon n’en est pas encore informé. Elle lui représente la honte qui rejailliroit sur lui d’épouser une fille qui auroit fait une telle escapade. Pirandre est effrayé des suites, et s’il pouvoir retirer son dédit il ne balanceroit pas à mettre son honneur en sûreté. I1 est dans cette disposition, lorsqu’Orgon vient le trouver. Ils reconnoissent un peu tard sans doute les inconvéniens d’un tel mariage, chacun veut bien rendre le dédit, mais il voudroit obtenir un petit dédommagement, mais Marine les détermine à faire le sacrifice entier ; les deux dédits sont déchirés.
Géronte vient avec un ouvrier pour retirer de la cachette le rare trésor qu’il a eu soin de ne pas désigner à Orgon. On se figure le désespoir de celui-ci quand il voit qu’il ne s’agit que de la tète de l’Empereur Commode. La joie de Géronte n’est guères plus durable ; Marine la détruit en levant la première inscription qui en cachoit une autre portant que cette précieuse tête est celle de M. Griffar, ancien bourgeois de Paris. Heureusement que le contrat est signé et que les jeunes gens n’ont plus de retour à craindre.
Il nous semble qu’Orgon n’est pas véritablement dupe dans cette affaire ; il y gagne les 24 mille livres de dot qu’il avoit promises à Pirandre ; et pour un avare c’est un beau sujet de consolation.
Cetts piece a été foiblement accueillie. Le seul trait remarquable est peut-être celui-ci. Pirandre parle des dépenses indispensables pour une nôce II ajoute : On fait et qu'on doit. — Oui, mais, répond Orgon, on doit ce qu'on fait.
L’auteur a été demandé ; il a gardé l’anonyme.
Mlle Moliere a joué Marine avec beaucoup de talent.
Les autres rôles ont été remplis par Picard l’aîné, Picard jeune, Walville, et les deux débutans, le jeune Thénard et mademoiselle Fleury.
(*) Nous désignerons ainsi le 3me personnage dont le n uni nous est échappé.
Journal de Paris, n° 40 du 10 brumaire an 12 [2 novembre 1803], p. 244-245 :
[L’accueil de ces Trois dupes n’a été ni bon ni mauvais (pas de demande de l’auteur, pas de sifflets). Mais cela tient peut-être à la particularité des premières représentations, entre spectateurs n’ayant pas payé leur place et spectateurs payants. Ces trois dupes sont deux avares, dont l’un doit épouser la fille de l’autre (ils ont signé des dédits), et un jeune amateur d’antiques, l’amant aimé de la fille à marier. On fait croire au père qu’un trésor est caché dans sa maison (comme c’est l’amant qui le dit, on peut penser qu’il s’agit de sa bien aimée), et il cherche ce trésor tout en promettant au jeune homme de lui donner sa fille en cas de découverte. Il faut bien sûr faire renoncer l’autre vieillard à son dédit, c’est la suivante qui s’en charge en lui faisant croire que sa fiancée s’est enfuie avec son amant : le procédé est radical. On trouve un trésor, un buste que le jeune amateur d’antiques croit d’époque romaine, mais c’est juste celui d’un commerçant voisin. Plus de dédit, plus de trésor : le jeune amant peut épouser sa maîtresse. La pièce a le mérite de la drôlerie, mais le critique n’y voit pas « du comique » les trois dupes sont trop faciles à duper, et en particulier les deux vieillards sont invraisemblables : des usuriers ne sont pas si faciles à tromper. Et la soubrette ne réussit que parce qu’ils n’ont pas « le sens commun ». Si on a ri, on le doit aux interprètes qui ont su faire valoir des plaisanteries qui ne sont pas toutes nouvelles, ni très fines, dignes de Dassouci – peut-être Charles Coypeau d’Assoucy (1605-1677), grand amateur d’équivoques. L’auteur a choisi de rester incognito, et la pièce survivra peut être « quelques jours » grâce au jeu des acteurs.]
Théâtre de Louvois.
Les trois Dupes, comédie en un acte & en prose.
« . . . . . . . . . . . Je n’avois mérité
Ni cet excès d’honneur, ni cette indignité. »
La pièce n’étoit ni assez intéressante pour qu’on en demandât l’auteur, ni assez mauvaise pour être sifflée. Mais il ne faut jamais attendre une exacte justice du public aux premières représentations. Tout est divin pour le porteur de billets gratis ; tout devient détestable pour qui commence à regretter son argent ; & l’impatience de celui-ci s accroissant en raison du sot enthousiasme de celui-là, il faut que la lutte finisse par un éclat qui tourne rarement au profit de la pièce.
Orgon (ce nom seul annonce qu’il s’agit d’un avare,) veut marier sa fille au vieux Pyrante (autre fesse-mathieu), quoique la jeune personne ait de l’amour pour le fils du voisin Armand, grand amateur d'antiques ; mais par bonheur une servante nommée Marine, protège les deux amans, & se met en tète de duper les trois vieillards. Orgon & Pyrante ont signé un dedit de 24,000f, & le mariage doit avoir lieu le soir même. Armand qui ne cesse d’être à la recherche de ses antiques, arrive chez Orgon pour lui apprendre qu’un trésor (remarquez le mot) doit être caché dans la maison. Marine profite de l’équivoque pour faire tourner l’avarice de son vieux maître au profit de sa jeune maîtresse, & Orgon, brûlant du desir de posséder le prétendu trésor, promet la main de sa fille au jeune Armand ; car c’est là le sine quâ non. Mais comment empêcher Pyrante de réclamer l’exécution du dédit ? C’est de quoi Marine vient encore à bout, au moyen d’un petit mensonge. Pyrante exige en effet ses 24,000f ; mais l’honnête soubrette vient lui annoncer d’un ton piteux que la fille d’Orgon est en fuite avec son amant. « Consolez-vous, ajoute-t-elle, on est à sa poursuite, & je ne doute pas qu’on ne vous la ramène. — Comment, morbleu, mais je n’en voudrai plus moi ! — Tant pis pour vous, monsieur ; car, si alors vous la refusez, votre dédit deviendra nul, & vous n’aurez plus rien à prétendre. » Cette méchante raison accable le bonhomme, & il sacrifie ses intérêts à son honneur (l’honneur d un usurier !) Cependant l’impatient Orgon presse son voisin Armand de le mettre en possession du trésor, & on abat un pan de muraille. On découvre une grande caisse, qui renferme un buste de plâtre. Orgon se désole & s’arrache les cheveux. Armand, qui lit au bas du buste : Commodus, impèrator, ne doute nullement que ce ne soit un antique , & ne peut contenir sa joie ; mais il faut bien le dégriser à son tour, & Marine, levant la première inscription, lui montre que la prétendue effigie de l’empereur Commode n’est autre que celle d’un M. Griffard, marchand de draps de la rue S.-Denis, & le moins illustre de nos modernes. Nos trois dupes se consolent ensemble comme ils peuvent, & la fille d’Orgon épouse le jeune Armand.
Il y a des caricatures dans cette pièce, & le dialogue offre du bel esprit ; mais on y chercheroit en vain du comique ; Orgon s’exposant à perdre une somme de vingt-quatre mille livres pour acquérir un prétendu trésor qu’il n’a pu évaluer, même par approximation, & que la manie d’Armand devoit d’ailleurs lui rendre suspect, commet une imprudence inexcusable. Pyrante ne se montre pas moins inepte, lorsqu’il cède aux pitoyables sophismes de Marine & ce défaut d’intelligence dans les deux vieillards est d’autant plus choquant pour le public, que, si l’on peut faire un reproche aux usuriers, ce n’est sûrement pas celui de mal compter avec eux-mêmes, & d ignorer les ressources de la chicane.
Marine parle avec esprit, mais, si elle paroit agir de même, c’est qu’on veut bien croire aveuglément tout ce qu’elle dit; car elle seroit arrêtée au premier pas s’il y avoit seulement dans la pièce un homme qui eût le sens commun.
On a ri, avec raison, de certaines plaisanteries de société que le ton de Picard, & celui de M.lle Molière, ont fait valoir; mais, outre qu’il y en a de fort anciennes, dans cette pièce, on pourroit en citer de fort ridicules, telles que ces antithèses : « Fort souvent quand, on fait ce qu'on doit, on doit ce qu'on fait, &, vous n’êtes pas trop vieux pour elle, c’est elle qui est trop jeune pour vous.» &c. Certes Dassouci n’auroit pas fait pis.
Quoique l’auteur ait été demandé, on ne nous a pas appris son nom. Il a voulu jouir de l’incognito.
En général , la pièce est bien montée, & il est très-possible que le jeu des acteurs lui procure quelques jours de succès.
La Décade philosophique, littéraire et politique, an douze de la République, premier trimestre, n° 5 (20 brumaire), p. 307 :
[Il faut se méfier des titres qu’on choisit, et les Trois dupes en sont une excellente preuve : il y avait bien plus que trois dupes le soir de la première représentation. La pièce n’a pas d’identité propre, et les larcins de l’auteur sont trop visibles et trop maladroits. Il ne reste que « une ou deux scènes assez bien filées, quelques mots heureux », et « un assez bon ton de comédie ». L’auteur, demandé, a refusé d’être nommé (pourquoi ?).]
Les Trois Dupes ont été joués en très-grande compagnie, et l'auteur a tenu plus que son titre ne promettait.
Le plus grand défaut de cette petite pièce est de ressembler à tout et de ne ressembler à rien. L'auteur a mis à contribution beaucoup d'ouvrages connus, et le sien pourra bien ne pas l'être. Quand on veut faire pardonner un vol, il faut de la ruse et du bonheur : il faut dérober avec grace et savoir bien déguiser ses larcins. Les spectateurs ressemblent en cela aux Spartiates : ils n'aiment que les voleurs adroits.
Il y a dans les Trois Dupes une ou deux scènes assez bien filées, quelques mots heureux, et il y règne en général un assez bon ton de comédie. L'auteur a été demandé, mais il a refusé de se nommer.
Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 9e année, 1803, tome III, p. 545 :
[Pas de succès pour une pièce qui a suscité l’ironie du parterre (on joue beaucoup avec le titre, qui offrait un large champ aux détournements). Le résumé de la « vieille intrigue » de la pièce, est si peu originale qu’on peut lui donner une source précise. La pièce semblait bien commencer, mais la suite n’a pas répondu aux attentes. Et ce n’est pas la faute des acteurs, « qui ont tous parfaitement joué ».]
THÉATRE LOUVOIS.
Les Trois Dupes.
Cette comédie en trois actes n'a pas eu de succès Le parterre, en s'égayant sur le compte de l'auteur, faisoit des jeux de mois sur le titre, et au lieu de trois dupes, en trouvoit autant que d'acteurs et de spectateurs. Quelqu'un alla même jusqu'à dire qu'on pouvoit appeler cette soirée, la Soirée des Dupes.
La pièce roule sur une vieille intrigue, dans laquelle on voit trois vieillards liés comme à l'ordinaire par des dédits. On apprend que la maison de l'un d'eux renferme un trésor, et le vieillard qui devoit la donner en mariage à sa fille, reprend son dédit, que l'autre lui rend afin de ne pas épouser une femme avec laquelle il risqueroit beaucoup.
Le prétendu trésor se trouve d'abord un buste de l'empereur Commode : le vieillard antiquaire, d'abord enchanté, se désole, lorsqu'une suscription, placée sur le socle, apprend que ce buste est celui de M. Griffard, honnête bourgeois de Paris. La grande ressemblance de ce trait avec la parade de Manon la Ravaudeuse, lorsque celle-ci veut faire passer le buste de sa grand'mère pour celui de Cléopâtre, n'a pas peu contribué à amuser beaucoup le parterre qui n'a pas demandé l'auteur.
Le commencement de la pièce annoncoit quelque chose de meilleur, et le dialogue étoit même semé de traits assez vifs ; mais la conclusion n'a pas répondu à l’exorde. On ne peut pas s'en prendre du peu de succès aux acteurs, qui ont tous parfaitement joué.
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