Télémaque dans l’île de Calypso (ballet de Gardel)

Télémaque dans l’île de Calypso, ballet héroïque en 3 actes, de Pierre-Gabriel Gardel, musique de Ernest-Louis Müller, dit Krasinski, 23 février 1790.

Opéra (salle de la Porte Saint-Martin).

Titre :

Télémaque dans l’île de Calypso

Genre

ballet héroïque

Nombre d'actes :

3

Musique :

oui

Date de création :

23 février 1790

Théâtre :

Opéra (salle de la Porte Saint-Martin)

Chorégraphe(s) :

Pierre-Gabriel Gardel

Compositeur(s)

Ernest-Louis Müller (Miller)

Réimpression de l’ancien Moniteur, tome troisième (Paris, 1847), Gazette nationale, ou le Moniteur universel, n° 56, Jeudi 25 Février 1790, p. 455-456 :

ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.

On a exécuté, mardi dernier, avec le plus grand succès, sur ce théâtre, un ballet-pantomime en trois actes, intitulé Télémaque dans l'île de Calypso, de la composition de M. Gardel.

On ne s'attend pas que nous fassions une analyse suivie d'un sujet aussi connu. Il suffit de dire que M. Gardel a fait commencer son action, comme Fénélon, par le naufrage de Télémaque et de Mentor dans l'île de la déesse ; que le premier acte contient le développement de sa passion naissante pour ce jeune prince, et les fêtes qu'elle lui donne pour lui rendre agréable le séjour de son île, dont elle lui offre la possession, avec celle de son cœur, et l'immortalité. Ces fêtes consistent en différents jeux exécutés par les nymphes qui se disputent le prix de la course, de la danse et de l'arc Eucharis, nymphe favorite de Calypso, les remporte tous trois, et les reçoit des mains de Télémaque, qui commence à être ému en sa faveur.

Le reste contient l'amour du jeune prince pour Eucharis; la jalousie, les fureurs de Calypso ; la descente de Vénus dans son ile, et les perfidies que l'Amour y commet ; enfin tout ce qui fait la matière du septième livre de Télémaque. M. Gardel ne s'est écarté qu'en un seul point de son divin modèle, et il a tiré un parti très heureux de cette invention.

L'Amour conseille à Calypso de brûler le vaisseau que Mentor vient de construire ; mais elle a juré de laisser partir Télémaque, et elle est enchaînée par son serment. L'Amour, qui n'a rien juré, porte ce conseil aux nymphes. Pendant ce temps la déesse conçoit un projet de vengeance horrible. Elle feint d'être vaincue par la tendresse des deux amants, et de consentir à leur union. Elle persuade à Télémaque de cacher Eucharis dans son vaisseau, tandis qu'il ira chercher Mentor pour partir ensemble. Les nymphes arrivent avec des flambeaux, et l'embrasent, sans savoir qu’il recèle leur malheureuse compagne, qu’on voit paraître sur le tillac. Calypso jouit déjà de sa vengeance ; mais l’Amour, à travers les flammes, parvient jusqu’à Eucharis, et l’enlève dans un nuage. Mentor, sur le haut d’un rocher, précipite Télémaque dans la mer, et s’y jette avec lui.

Nous avons eu l’occasion de remarquer ailleurs combien il est avantageux et peut-être nécessaire de ne mettre en pantomime que des sujets extrêmement connus, le langage du geste ne pouvant jamais être aussi clair que celui de la parole. Il est vrai qu’alors l’auteur de la pantomime, asservi à des données qu’il n’est pas en son pouvoir de changer, paraît dépourvu d’imagination. Cependant M. Gardel a prouvé dans cet ouvrage, et personne peut-être auparavant n’a prouvé mieux que lui, qu’il reste encore à l’imagination une infinité de ressources, même en suivant un sujet pas à pas. Tous les détails de celui-ci sont remplis d’idées riantes et heureuses. Nous ne croyons pas qu’aucun auteur de pantomime ait mieux connu que M. Gardel l’art de présenter et de varier des tableaux, l’art de fondre la danse proprement dite dans son sujet, l’art d’adapter des airs connus et d’employer à ses situations les idées que ces airs réveillent. Quoi, par exemple, de plus ingénieux que la leçon de danse donnée à l’Amour par Eucharis, sur l’air de Richard Cœur-de-Lion, où Richard apprrend une chanson à une jeune fille en la faisant répéter après lui ? L’idée de M. Gardel, de faire danser un concerto de Jarnowick; n’est peut-être pas si heureuse. L’attention en saurait se partager également ; ceux qui sont plus sensibles à la danse qu’à la musique (et c’est le plus grand nombre) ont perdu tout le mérite du concerto, qui était cependant parfaitement exécuté. Quoi qu’il en soit, choix de musique, tableaux, caractères, décorations, tout concourt à faire de ce ballet un spectacle enchanteur. Il est vrai qu’il est parfaitement secondé par l’exécution.

Nous ne dirons rien de M. Gardel lui-même, chargé du rôle de Télémaque. Ses talents, comme danseur et comme pantomime, sont trop connus ; mais on doit des éloges particuliers à mademoiselle Saulnier, qui ne s'était distinguée jusqu'à présent que par la noblesse, la beautê de sa taille, de sa figure, et par les qualités qui constituent une grande danseuse, mais dont on ne connaissait pas encore toute l'intelligence ; elle rend le rôle de Calypso avec la plus grande énergie d'expression. Mademoiselle Miller ne s'acquitte pas moins bien du rôle d'Eucharis, d'autant plus difficile qu'elle y montre deux caractères successifs : celui d'une indifférence aimable et gaie, et celui d'une passion violente, dont toutes les nuances varient à chaque situation. Il est impossible de montrer plus de grâce, plus d'esprit, une naïveté plus maligne, un enfantillage plus séduisant que mademoiselle Chameroy dans le rôle de l'Amour. Ses talents seuls pouvaient faire réussir ce ballet, quand il n'aurait pas eu par lui-même autant de mérite.

On a fort applaudi la gloire dans laquelle Vénus descend avec les Grâces et l'Amour. Les autres décorations ont paru aussi vraies que pittoresques.

L'ouverture et plusieurs autres morceaux de musique sont de M. Miller, et font honneur à ses talents.

Nous profiterons de cette occasion pour donner des éloges mérités à mademoiselle Chévigny, élève de M. Favre, qui a débuté dans le premier acte d’Œdipe. On lui a trouvé beaucoup de sûreté, d'aplomb et de grâce, et une charmante figure, qui ajoutait encore à l'intérêt qu'elle inspirait.

Mercure de France, tome CXXXVIII, n° 12 du samedi 20 mars 1790, p. 93-94 :

[Compte rendu favorable : malgré le trouble de l’époque, le ballet a rencontré le succès, et le critique félicite Gardel de son travail de composition, les interprètes de leur talent de danseurs. Mais il ne parle pas de musique.]

ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.

M. Gardel a donné, le 24 Février, son premier Ballet-Pantomime, Télémaque dans l'isle de Calypso. Ce coup d'essai a obtenu un succès des plus brillans, qui se soutient toujours malgré la défaveur des circonstances ; il annonce combien ce jeune Compositeur est fait pour parcourir avec gloire la carrière où il vient d'entrer.

Le sujet de cette Pantomime est trop connu, pour que nous nous arrêtions à l'analyser. Il nous suffira de dire que M. Gardel a très-habilement profité des situations que sa fable lui offroit ; et que celles qu'il a cru devoir y ajouter, font honneur à son talent.

Quoique ce soit un Ballet d'action, l'Auteur y a fait entrer plus de danse qu’on n'en met dans ces sortes d'Ouvrages, et les premiers Sujets y ont reçu les plus grands applaudissemens. Le rôle de Calypso a été rendu avec beaucoup de succès par Mlle. Saulnier, qui a très-vivement exprimé les divers mouvemens de la passion de Calypso, avec la nuance qui doit distinguer son caractère de Déesse. Les rôles de Mentor et de Télémaque sont fort bien exécutés par MM. Gardel et Huart ; Mlle. Miller, à qui l'on a donné le rôle d'Eucharis, a rcçu les applaudissemens les plus vifs et les plus mérités, ainsi que Mlles. Rose et Perignon ; Mlle. Chameroy a fait grand plaisir dans le rôle de l'Amour : cette jeune Danseuse est une élève de l'Ecole.

La beauté du spectacle et des décorations ajoutent à l'intérêt de cette Pantomime, qui nous paroît digne de son succès.

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1790, tome IV (avril 1790), p. 314-317 :

[L'auteur du compte rendu ne se formalise pas, loin de là, des ajouts que Gardel fait au récit de Fénelon...

Sinon, analyse intéressante de la place de la danse dans ce spectacle (notamment l'insistance sur la qualité des danseuses, légèreté, précision et grace, et sur leur emploi comme danseuses, et non comme simples mimes).]

ACADÉMIE royale de musique.

On a donné, à ce théatre, le mardi 23 février, pour la premiere fois, Télémaque dans l'Isle de Calypso, ballet pantomime en trois actes de la composition de M. Gardel.

Depuis long-tems les amateurs de la danse désiroient ardemment de voir un ballet pantomime de la composition de M. Gardel. Leur impatience a été pleinement satisfaite par celui-ci, qui auroit été exécuté il y a déja du tems, si diverses circonstances ne s'y étoient opposées.

Nous ne suivrons pas la marche de cette charmante pantomime, dont l'action est puisée dans le VIIe. livre de l'immortel ouvrage de Fénélon. Personne n'ignore les circonstances du naufrage qui jetta Télémaque sur une côte dangereuse , où régnoit Calypso ; la passion violente que conçut pour lui cette déesse, & ensuite Eucharis ; les artifices que Vénus & son fils employerent pour le retenir dans ce lieu de délices ; les soins que se donna Mentor, pour arracher son éleve aux périls qui l'environnoient ; le désespoir qu'éprouva Calypso, quand elle se vit préférer Eucharis ; enfin le parti extrême qu'elle prit de renvoyer Télémaque, & que ses nymphes furent sur le point de rendre inutile, en brûlant le vaissſeau sur lequel ce jeune héros devoit partir.

Ce sont ces différens incidens que M. Gardel a mis en action de la maniere la plus heureuse. Il y en a joint d'autres de son invention, parmi lesquels nous devons, à sa louange, faire remarquer celui-ci : Calypso, instruite que le vaisseau, destiné à éloigner Télémaque, va être brûlé, imagine, pour se venger d'Eucharis, de déterminer ce jeune prince à l'y cacher. A peine cette nymphe y a mis le pied, qu'elle est prête à devenir la proie des flammes, lorsque l'amour vole à son secours, & l'enleve sur un nuage. Dans le même instant, son amant est précipité, aux yeux de Calypso & de toute sa cour, du haut d'un rocher dans la mer, par Mentor, qui l'y suit aussi-tôt : ce dénouement produit un très-grand effet.

On ne doit pas moins d'éloges à M. Gardel, pour l'art avec lequel il a su amener des divertissemens, & les varier ; ce qui étoit d'autant plus difficile qu'ils sont tous exécutés par des femmes. Le public a sur-tout distingué les jeux du premier acte ; &, dans les deux autres, les espiègleries de l'amour, le moment où Télémaque danse avec toutes les nymphes, & le pas des trois graces, toutes scenes anacréontiques, très-ingénieuses.

Ce ballet, qui a été bien rendu dans toutes ses parties, & qui offre des décorations très-agréables, ne peut que faire beaucoup d'honneur à M. Gardel : il prouve que ce compositeur a tout ce qu'il faut pour soutenir la réputation que son nom avoit acquise depuis long-tems, dans ce genre de productions.

Il est impossible d'être plus belle que l'est Mlle. Saulnier dans le rôle de Calypso : alternativement subjuguée par l'amour, tourmentée par la jalousie ou entraînée par la vengeance, elle y exprime avec autant de vérité que d'énergie , ces différentes passions. Mlle. Miller, dans celui d'Eucharis, a fait aussi beaucoup de plaisir ; & l'on a sur-tout applaudi à la légéreté & à la précision de sa danse. Il en a été de même de Mde. Pérignon & de Mlle. Rose, qui ont , l'une & l'autre, exécuté plusieurs pas avec cette perfection qu'on leur connoît.

M. Gardel s'étant chargé de représenter Télémaque, a mis dans la maniere dont il a rendu ce personnage, toute la noblesse & toute la sensibilité qu'il exigeoit.

On loue beaucoup ce compositeur d'avoir évité un défaut essentiel que l'on reprochoit à la plus grande partie des ballets de ce genre. Quelqu'agréables que fussent les meilleures pantomimes, on avoit toujours à regretter de voir les meilleurs sujets de la danse employés uniquement à des scenes d'action ; il en résultoit que leur véritable talent, c'est-à-dire, celui qui les rend agréables au public, étoit précisément celui dont le public étoit privé. Dans le ballet de Télémaque, la danse proprement dite en fait une partie considérable ; & comme elle est rendue par les premiers sujets, elle a été universellement applaudie. Les yeux sont toujours ſatisfaits pendant le cours de la représentation, soit par la beauté des décorations, soit par cette foule innombrable de nymphes qui ne quittent presque point la scene.

Annales dramatiques, ou Dictionnaire général des théâtres, tome neuvième (Paris, 1812), p. 36 ;

TÉLÉMAQUE DANS L'ILE DE CALYPSO, ballet-pantomime en trois actes, par M. Gardel, à l'Opéra, 1790.

La passion violente que conçut Calypso pour Télémaque, l'amour de ce dernier pour Eucharis, les artifices que Vénus et son fils employèrent pour le retenir dans ce lieu de délices, les soins que se donna Mentor pour arracher son élève aux périls qui l'environnaient, le désespoir qu'éprouva Calypso quand elle se vit préférer Eucharis, enfin, le parti extrême qu'elle prit de renvoyer Télémaque, et que ses nymphes furent sur le point de rendre inutile eh brillant le vaisseau sur lequel ce jeune héros devait partir : tels sont les incidens que M. Gardel a mis en action dans ce ballet, aussi heureusement conçu que bien exécuté.

D’après la base César, ce ballet, un des grand succès de Gardel, a été joué 206 fois à l’Opéra pour la seule période allant de 1790 à 1799 (26 fois en 1790, à partir du 23 février ; 5 fois en 1791 ; 13 fois en 1792 ; 13 fois en 1793 ; 33 fois en 1794 ; 49 fois en 1795 ; 13 fois en 1796 ; 23 fois en 1797 ; 16 fois en 1798 (dont 2 fois au Théâtre Feydeau) ; 12 fois en 1799, et ce n’était pas fini!).

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