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Télémaque dans l'île de Calypso, ou le Triomphe de la Sagesse
Télémaque dans l'île de Calypso, ou le Triomphe de la Sagesse, tragédie lyrique en trois actes, paroles de Dercy, musique de Lesueur, ballets d'Eugène Hus, 21 floréal an 4 [10 mai 1796].
Théâtre de la rue Feydeau, ou des Comédiens françois.
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Titre :
Télémaque dans l’île de Calypso, ou le Triomphe de la Sagesse
Genre
tragédie lyrique
Nombre d'actes :
3
Vers / prose
vers
Musique :
oui
Date de création :
21 floréal an 4 [10 mai 1796]
Théâtre :
Théâtre de la rue Feydeau, ou des Comédiens français
Auteur(s) des paroles :
Dercy
Compositeur(s)
Lesueur
Almanach des Muses 1797.
Véritable opéra avec des fêtes, des chœurs, des machines.
Belle musique.
Curieusement, les comptes rendus cités ici ne mentionnent pas le nom d'Eugène Hus, le chorégraphe, et parlent bien peu des ballets. Il n'en est guère question que dans le Censeur dramatique.
L’Esprit des journaux français et étrangers, 1796, volume 3 [mai-juin 1796], p. 255-259 :
[Le compte rendu de l’opéra de Dercy et Lesueur commence naturellement par la comparaison avec le roman de Fénelon, et le ballet de Gardel, qui a connu un grand succès. La principale différence notée, c’est le rôle de l’Amour, très peu présent dans l’opéra. Sinon, le critique regrette que Mentor ne joue pas un rôle plus actif dans la pièce, et que la transformation de Minerve en Mentor soit si brutale. Occasion pour revenir sur la différence entre roman et théâtre : si le roman n’a besoin que de quelques mots pour nous faire admettre cette métamorphose, « au théâtre, où tout est matériel, où tout parle aux yeux, les yeux ont besoin d'être persuadés avant de persuader à l'esprit ». C’est la question du vraisemblable qui est posée en des termes qui nous paraissent curieux. Ces reproches n’empêchent pas que le poème soit considéré comme « bien conduit », d’une marche simple, mais un peu lente, et bien écrit. Pour la musique, le compte rendu commence par des éloges très marqués : elle « doit passer pour un chef-d'œuvre dans ce genre : elle est par-tout brillante, savante & dramatique », et l’harmonie ne nuit pas au chant (on sait que les rapports de l’harmonie avec la mélodie sont très importants pour la musique de théâtre). Les exemples analysés montrent la parfaite adaptation de la musique aux différentes situations. Et puis, assez brusquement, le critique attaque Lesueur sur son écriture musicale, « sur un système qu'il paroît avoir adopté, que nous croyons nuisible à l'effet théâtral, parce qu'il est contraire à la vérité » (et le mot vérité, comme tout à l’heure le mot « vraisemblance », a une grande importance). Il lui reproche les reprises du texte et les modulations à la fin des morceaux de chant. Pratique commune à tous les compositeurs, y compris les plus grands, mais Lesueur est invité à « donner l’exemple ». Justification de cette condamnation : « Les mouvemens violens de l’ame ne sont ni verbeux ni durables de leur nature : c'est donc sortir de la vérité, de les trop prolonger par la répétition de mots dits, & de sons déjà entendus ». Outre que l’action s’en trouve ralentie, ces « répétitions vaines » « fatiguent le chanteur » qui se trouve « nécessairement contraint de crier au lieu de chanter ». Quelques mots pour finir sur les décorations et les machines, objets d’un commentaire positif, avant une assez obscure contestation (je ne vois pas bien ce que le critique a contre le nuage d’où descend l’amour : le reproche qu’il semble faire, c’est qu’on l’a déjà vu ?).]
THEATRE DE LA RUE FEYDEAU.
Télémaque, opéra en trois actes.
On a donné avec un succès complet, dernierement, sur ce théâtre, Télémaque, opéra en trois actes, en vers. L'auteur y suit exactement le bel ouvrage de Fénélon ; les regrets de Calypso pour Ulysse, l'arrivée de Télémaque, son amour pour Eucharis, la jalousie de Calypso, I'incendie du vaisseau, & l'apparìtion de Minerve qui détermine Eucharis & Calypso à renoncer à leur folle passion. On est étonné de la ressemblance qui existe entre cet opéra & le ballet de Télémaque, donné par le cit; Gardel, avec tant de succès, au Théâtre des Arts. Cependant, dans l’opéra, l’Amour ne joue point un rôle piquant comme dans le ballet : l'Amour ne paroìt qu'un moment, dans le premier acte, pour commander au fils d’Eole d'exciter une tempête sur les mers ; puis il sort & on ne le voit plus. Mentor ne se montre ici qu'au troisieme acte : il nous semble que, dans un ouvrage dramatique, qui doit offrir plus d'action, plus d'intérêt de scene qu'un ballet, on auroit pu donner un plus beau rôle à Mentor, en le faisant travailler à détruire les pieges que l'Amour, Eucharis & Calypso tendent tour-à-tour à Télémaque ; l'ouvrage n'auroit pu que gagner plus de chaleur & plus d'action. La métamorphose de Mentor en Minerve est aussi trop brusque : dans un roman, l'esprit n'a pas besoin des yeux pour concevoir ; il saisit rapidement toutes les choses surnaturelles qu'on lui présente ; mais au théâtre, où tout est matériel, où tout parle aux yeux, les yeux ont besoin d'être persuadés avant de persuader à l'esprit ; &, quand on nous diroit que la dépouille mortelle de Minerve reste sur la terre, tandis que c'est, pour ainsi dire, son esprit qui descend des cieux, nous répondrions que cet esprit a un corps aussi, qu'il est d'un autre sexe, sous une, autre forme, sous d'antres vêtemens; & que, tandis que l'on admire l'éclat qui l'entoure, on est inquiet de savoir comment ce changement a pu s'opérer aussi vîte. Il faut qu'un auteur approche du vraisemblable autant qu'il est possible de le faire ; car. le spectateur n'est que trop disposé à voir toujours l'acteur dans, le personnage, & le revers des coulisses dans une superbe décoration. Quoi qu'il en soit de ces observations, le poëme de Télémaque est bien conduit ; sa marche est simple, quoique un peu lente ; il est bien écrit, & fait pour jouir de l'estime des gens-de-lettres. II est du cit. Dercy, auteur du poëme de la Caverni, de ce théâtre.
La musique de Télémaque doit passer pour un chef-d'œuvre dans ce genre : elle est par-tout brillante, savante & dramatique. L'harmonie la plus pure n'y efface point la simplicité d'un chant toujours clair, toujours plein de graces & de goût : il faudroit faire des éloges particuliers du plan de chaque morceau, de la distribution des parties, de la netteté des motifs, & sur-tout de la beauté des chœurs, qui tous offrent un caractere & des sentimens différens. Cette belle musique est du cit. Les'ueur, à qui l'on doit déjà celle de la Caverne.
Le compositeur paroît s'être attaché avec la plus grande attention aux convenances, c'est à-dire, à donner à chaque personnage, & même à chaque passion particuliere, le style & le mouvement qui leur conviennent. Nous n'en citerons pour exemple que le rôle de Calypso, dont le style, d'abord mélodieux, brillant & communicatif tant que cette déesse ignore l'amour de Télémaque pour Eucharis, devient chaud, véhément & furieux lorsqu'elle apprend ce terrible événement.
La partie des chœurs, si intéressante dans ce genre d'ouvrage, est dans celui ci une des plus brillantes. Le chœur des Vents présentoit de grandes difficultés. L'imagination seule pouvoit donner à ces êtres purement allégoriques, le caractere de chant qui pût leur convenir : le compositeur y a, pour ainsi dire, symétrisé le désordre, soit dans la partie du chant, soit dans l'orchestre, de façon que le spectateur éprouve, en quelque sorte, l’action de ses vents déchaînés, s'agissant en sens contraire.
Mais le triomphe du compositeur dans ce genre, est le chœur des nymphes & des satyres, dont les paroles sont : Cherchez-vous le bonheu ? C’est l'amour qui le donne. Les personnages réunis sont très-différens les uns des antres ; rien même n'est plus opposé ; les nymphes seules d’abord font entendre une mélodie douce & séduisante ; les satyres également seuls font entendre une mélodie grave & coupée, parfaitement caractéristique de ces dieux sauvages. Cette opposition de style se continue pendant tout le chœur, & forme un ensemble neuf & très agréable, en même-tems qu'il salissait la raison.
Nous ne parlerons point des morceaux particuliers, chantés par les différens personnages ; le nom du compositeur suffit pour faire présumer leur mérite. Il a de plus l'avantage d'être si bien secondé dans l'exécution, que les acteurs partagent avec lui les nombreux applaudissemens dont ces morceaux sont couverts.
Nous ne terminerons point cette analyse sans présenter nos doutes au cit. Lesueur, sur un système qu'il paroît avoir adopté, que nous croyons nuisible à l'effet théâtral, parce qu'il est contraire à la vérité. Sous prétexte sans doute que les sensations sont trop fugitives en musique, il ne termine les morceaux de chant qu'après avoir répété long-tems les derniers mots & les mêmes sons modulés de toutes les manières. Nous savons que ce reproche peut être adressé aux plus grands compositeurs mais nous pensons que le cit. Lesueur, qui montre tant d'égards pour la vérité & les convenances, doit le premier donner l'exemple.
Les mouvemens violens de l’ame ne sont ni verbeux ni durables de leur nature : c'est donc sortir de la vérité, de les trop prolonger par la répétition de mots dits, & de sons déjà entendus ; ces répétitions vaines en refroidissant l’action & le mouvement, ont encore un inconvénient grave ; elles fatiguent le chanteur, qui, pour obtenir des applaudissemens, force tous ses moyens physiques, les épuise, &, dans cet état, est nécessairement contraint de crier au lieu de chanter.
La partie des décorations & des machines est très-soignée, & fait honneur aux différens artistes qui en sont chargés ; nous leur observons seulement que le petit escalier qui paroît, & dont l'amour se sert pour descendre de son nuage, rappelle trop le nuage des premieres représentation d'Armide, auquel on avoit adapté une porte qui s'ouvroit pour faire passer la nymphe qui devoit disparoître aux yeux des spectateurs, & qui se refermoit après son passage.
L’Esprit des journaux français et étrangers, 1796, volume 5 [septembre-octobre 1796], p. 279-281 :
[Nouvel article sur l’opéra de Dercy et Lesueur. Dercy reçoit une volée de bois vert : il n’a pas tiré de son sujet ce qu’on peut en tirer; il a commis « une grande faute de vraisemblance » (toujours la vraisemblance !) en concentrant trois histoires d’amour en six à huit heures, et de « n'avoir pas conservé l’opposition heureuse du caractère sémillant & coquet d'Eucharis, avec celui de la jalouse Calypso ». Même genre de confusion avec le couple Mentor-Minerve. Le sujet est mal conçu, et le critique donne des conseils opportuns à l’auteur... Le seul mérite reconnu au livret, c’est d’avoir fourni à Lesueur « une nouvelle occasion de déployer un talent supérieur dans ses compositions musicales ». Quelques réminiscences, mais à côté de quelles beautés ! L’article s’achève par d’assez obscures discussions sur la façon dont le Théâtre des Arts s’est déconsidéré en traitant si mal l'opéra Télémaque et ses auteurs, Dercy et Lesueur, alors qu’il est de son intérêt de ne pas donner seulement des ballets.]
THÉATRE DE LA RUE FEYDEAU.
Tèlémaque.
Cet opéra, très soigné pour les décorations &les costumes, a obtenu un grand succès.
Un pareil sujet a peu besoin d'analyse ; on sait d'avance que c'est l'épisode d’Eucharis, qui doit avoir inspiré le poëte. Il n'est personne qui n'ait relu plusieurs fois l'ouvrage de Fénélon. Mais on est étonné qu'en prenant un sujet tout créé, l’auteur n'ait pas tiré plus de parti des situations dramatiques tout naturellement indiquées, que lui présentoit son modèle. Peut-être aussi n'a-t-il pas assez réfléchi sur l'art de mettre en scène une action épique.
C'est une grande faute de vraisemblance, par exemple, de faire arriver Télémaque au premier acte, & d'enflammer, dans l'espace d'environ six à huit heures, trois personnes à-la fois d'un violent amour. Pourquoi ne pas supposer ce qui devenoit si facile, que Télémaque étoit déjà, depuis quelque temps, dans cette isle ? Nous l’avons déjà dit ; l'art de séparer l’action de l'avant-scène, est une partie qu'on néglige trop aujourd'huì, & c'est une des plus essentielles. C'est une faute majeure de n'avoir pas conservé l’opposition heureuse du caractère sémillant & coquet d'Eucharis, avec celui de la jalouse Calypso. L'auteur paroìt même si peu convaincu de la nécessité des oppositions dans les tableaux dramatiques, qu'il a exprès éloigné celle de Minerve, disputant à l’amour le cœur de Télémaque. La Sagesse, sous les traits de Mentor, ne paroît qu'au troisième acte. II n'y avoit que deux moyens dramatiques de concevoir ce sujet ; l'un de tirer tout l'intérêt de la jalousie de Calypso, ce que l’auteur a voulu faire, mais ce qu'il a fait sans coloris ; l'autre de faire combattre la sagesse & l'amour, & de rendre Mentor triomphant à-la-fois, & sauvant son élève, & des charmes d'Eucharis, & de la fureur de sa rivale ; mais le caractère qu'on a donné à Eucbaris est une conception froide & mesquine, qui détruit tout l'intérêt.
On n'a pas vu sans étonnement, que Mentor, qui n'est autre que Minerve, se fît à elle même une invocation en faveur du héros.
II résulte de ses différentes observations, que le poëme a de grands défauts; mais il a cependant un mérite réel; c'est d'avoir donné au cit. Le Sueur une nouvelle occasion de déployer un talent supérieur dans ses compositions musicales. Tous les connoisseurs s'accordent généralement à trouver sa musique de Télémaque large & savante. Nous avons bien cru nous apercevoir de quelques réminiscences; mais, elles sont à côté de beautés si originales, que ce seroit une rigueur-déplacée de les reprocher au cit. Le Sueur.
Ce qui doit par-tout attirer quelque faveur sur cet ouvrage, c'est la manière odieuse dont les auteurs ont été traités, amusés & éconduits par le théâtre des Arts, sur-tout si, comme ils en ont le soupçon, on auroit pris les situations & le plan de leur poëme pour en faire le ballet du même nom ; ce que pourtant le caractère connu de l’auteur nous empêche de croire.
Le théâtre des Arts s'en seroit certainement mieux trouvé , si le poëme, orné d'une aussi .belle musique, avoit accompagné le ballet. Le succès de l'un se seroit appuyé par le succès de l'autre ; le théâtre de l'Opéra n'auroit rien à se reprocher, & le public & les arts y auroient également gagné. Il seroit d'autant plus à propos que ce théâtre attirât désormais vers lui les compositeurs & les artistes, qu'ils sont dégoûtés, avec raison, & que les ballets seuls peuvent bien soutenir l'Opéra quelques mois, mais jamais lui procurer une stabilité durable. Un artiste célèbre doit, par intérêt pour son talent & pour sa fortune, se convaincre de la nécessité de sacrifier quelquefois ses vues particulières à l'ensemble général, qui peut seul honorer ses confrères, & lui.
Le Censeur dramatique, tome II (1797), n° 15 [30 Nivôse an 6], p. 321-330 :
[Ce long compte rendu par Grimod de la Reynière, daté du 30 nivôse an 6 [19 janvier 1798], relate la reprise de Télémaque dans l’Île de Calypso, effectuée au début de l’année 1798, datée par César de la fin de février 1798 : la date du 21 nivôse [10 janvier] est inconnue de César. La critique de Grimod de la Reynière est globalement très positive, il aborde tous les aspects de la représentation d’une œuvre lyrique (poëme, musique, chœurs, chanteurs, ballets, décors, machines) et permet de comprendre ce que l’auteur attend d'un opéra.]
Théâtre de la rue Feydeau.
Opéra.
Pièce remise.
Le 21 nivôse, on a donné la première Représentation de la reprise de Télémaque, Opéra en trois acte, en vers, par M. Dercy, Musique de M. le Sueur.
Cet Ouvrage, qui, depuis environ deux ans, a été joué pour la première fois à ce Théâtre, est vraiment dans le grand genre lyrique.
Ce n'est pas la première fois que ce sujet a été traité ; et sans parler du Ballet-Pantomime qui se donne souvent au Théâtre des Arts avec un grand succès, il existe deux Opéra de cet nom, l'un de Danchet et Campra, joué en 1704, l'autre de Pellegrin et Destouches, joué en 1714. Le Répertoire de l'Opéra ayant été anéanti par notre révolution musicale, ces deux Ouvrages ont disparu avec lui.
Le séjour de Télémaque dans l'île de Calypso, si intéressant dans Fénélon, est, selon nous, peu dramatique ; mais il offre à la Musique et aux accessoires d'un Théâtre lyrique de beaux développemens.
Voyons un peu comment M. Dercy en a tiré parti. Comme nous n'avons pas encore parlé de cet Ouvrage, on nous pardonnera peut-être de donner quelqu'étendue à nos réflexions.
Le premier acte, qui se passe au bord de la mer, à l'entrée de la grotte de Calypso, est un peu froid, et le vide d'action s'y fait souvent sentir. La toilette de Calypso tient plus peut-être à la Pantomime qu'à tout autre genre ; et l'on sent souvent combien le secours de la Danse seroit ici nécessaire. L'Amour, qui descend de l'Olympe pour commander aux Vents le naufrage de Télémaque, amène un chœur de Vents d'un très bel effet. Mais l'Auteur s'est privé d'une grande ressource, en bornant-là le rôle de l'Amour. S'il eût suivi davantage Fénélon, et qu'il eût laissé ce Dieu dans l'île, folâtrant avec les Nymphes, il auroit ménagé au Musicien plusieurs Airs gracieux, et jeté dans la Pièce plus de variété. Télémaque, qui aborde seul et sans Mentor, est encore une faute ; et c'est sans doute l'embarras que l'Auteur auroit eu à faire agir Mentor dans les deux premiers actes, qui la lui a fait commettre. La manière dont Calypsô devient amoureuse de ce jeune étranger, à la première vue, n'est peut-être pas assez filée. Dans le Roman, c'est à la suite du récit de ses aventures ; c'est en l'écoutant avec un vif intérêt, que le poison de l'Amour se glisse dans son cœur. On sent que cela ne pouvoit se mettre au Théâtre : mais peut-être devoit-on faire mention de ce récit au second acte, comme ayant été fait depuis le premier, et alors l'amour de Calypso seroit mieux motivé.
Ce second acte se passe d'abord dans l'intérieur de la grotte, ensuite dans un des bois de l'île, où Calypso fête Télémaque, et dispos» une partie de chasse en son honneur. Le défaut de Ballets se fait sentir encore ici vivement. Ces marches, ces présens offerts refroidissent l'action et la ralentissent. Mais ce qui choque surtout, c'est l'inconvenance d'avoir mis là des Faunes, des Sylvains et des Satyres. On sait que, depuis le départ d'Ulysse, Calypso ne souffroit aucun homme dans son île. On auroit beau dire que ce sont des espèces de demi-Dieux ; ce Peupla des bois étoit d’un voisinage trop dangereux pour les Nymphes. C'est sans doute pour jeter du piquant et de la variété dans l'Ouvrage que l'Auteur s'est permis cette licence ; mais la vraisemblance et la décence sont trop choquées pour que l'intérêt y gagne. D'ailleurs, ces Satyres sont d'un grotesque qui fait contraste avec le reste de l'Ouvrage. Tout l'effet qu'ils produisent, c'est d'amener de beaux chœurs de Musique : mais, nous le répétons, ce n'étoit pas un motif assez suffisant pour s'écarter ainsi des données mythologiques.
C'est dans ce second acte que l'intérêt commence, et les amours d'Eucharis et de Télémaque offrent plusieurs situations attachantes et agréables. Le commencement de la jalousie de Calypso, l'embarras de Télémaque, celui d'Eucharis, &c. &c., produisent des scènes bien faites, et qui font regretter qu'on perde si souvent les paroles.
Mentor ouvre le troisième acte ; et nous avons déjà exprimé notre étonnement de ce que l'Auteur l'amène aussi tard. Mais l'aveu que Télémaque lui fait de sou amour pour Eucharis, a quelque chose de touchant, qui fait pardonner ce défaut. Calypso qui surprend Télémaque aux pieds de cette Nymphe, et dont la jalousie alors trop bien fondée, n'a plus rien à apprendre ; la sévérité de Mentor, l'embarras qu'il cause à Calypso, qui cherche à démêler quel peut être cet homme extraordinaire qui lui en, impose ; tout cela est bien traité. Lorsque le vaisseau est brûlé, et que Mentor a précipité Télémaque dans la mer, et s'y est jeté après lui, on pourroit croire l'Ouvrage fini; mais Calypso et Eucharis seroient demeurées en proie aux tourmens de l'amour et de la jalousie ; et comme c'est sur elles que presque tout l'intérêt porte dans cet Opéra, on auroit souffert de les voir ainsi rester malheureuses. Nous savons donc gré à l'Auteur d'avoir, fait descendre Minerve, qui vient en quelque sorte rendre le calme à leur ame, et les guérit de leur passion. Cela-termine la Pièce à la satisfaction des Spectateurs.
Malgré la sévérité de ces Remarques, on ne peut cependant disconvenir que cet Opéra ne soit en général bien coupé ; qu'il n'y ait une sorte d'intérêt, et qu'il n'offre, comme Poëme, un ensemble estimable.
Quant à la Musique, les Connoisseurs s'accordent à dire qu'elle est très savante, et l'ouvrage d'un homme qui a vraiment du Génie. Les chœurs sont d'un grand effet, et il paroît qu'en tout cette Composition jouit d'une grande estime. Les ignorans, à qui il manque les connoissances nécessaires pour l'apprécier tout ce qu'elle vaut, desireroient peut-être plus de moelleux, plus de gracieux et d'harmonie dans une partie des Airs ; car tout doit respirer l'amour dans l'île de Calypso, dès que Télémaque y est arrivé ; ce charme ne se fait peut-être point assez sentir. Mais dans tous les morceaux d'une passion forte, telle que la jalousie de Calypso, &c. cette Musique est d'un grand effet. L'ouverture cependant nous a paru un peu maigre, et ne pas donner assez l'idée de l'Ouvrage; ce qui doit être le but de toute ouverture. En tout, il y a peut être trop de Musique dans cet Opéra, et l'on desireroit souvent que le Dialogue fût plus étendu.
Il nous reste à parler des Acteurs, et de la manière dont l'Ouvrage est remis.
Mme Scio jouoit le rôle de Calypso ; et quoiqu'elle n'ait pas le physique imposant que ce rôle semble demander, elle y a fait le plus grand plaisir ; tout ce qui tient à la passion a été rendu avec une ame, une force, une intelligence peu communes. La fraîcheur de son organe, le soin qu'elle prend d'articuler avec netteté, les modu1ations de sa voix, prêtent à la Musique un nouveau charme. Il est difficile de réunir à un même degré les talent d'Actrice et de Chanteuse.
Nous voudrions pouvoir donner des éloges aussi étendus à Mlle Aug. le Sage dans le rôle d'Eucharis. Mais en rendant justice à l'intelligence qu'elle y a mise, et à la manière dont elle l'a chanté, nous sera -t-il permis de lui dire qu'elle y a laissé à desirer du côté du moelleux et de la grâce. Cela tient peut-être à la Nature de son talent, qui se prête plus aux morceaux de force et de finesse, qu'aux développemens tendres; mais ce rôle n'en exigeoit pas moins ces deux qualités.
Mlle Rosette Gavaudan a chanté faux le petit rôle de l'Amour ; cela a fautant plus affligé le Public, qu'elle a réellement tout ce qu'il faut pour y faire illusion.
M. Gaveaux a déployé ses qualités ordinaires dans le rôle très difficile de Télémaque ; tout ce qui tient à l'expression des passions a été bien rendu. On auroit desiré peut-être plus de grâce et d'abandon, mais au moins on doit lui savoir gré de n'y avoir point mis de cette roideur, de ce ton déclamatoire que nous lui avons si souvent reprochés. Il a été constamment bien en Scène ; et quoiqu'il ne fût pas parfaitement bien servi par sa mémoire, on ne s'en est apperçu que dans une scène du troisième acte. En tout, ce rôle lui fait honneur, et ne peut que confirmer l'idée avantageuse qu'on a de son. talent, et comme Acteur et comme Musicien.
Dessaules a déployé la beauté de son organe dans le rôle de Mentor; mais peut-être y a-t-il mis plus de roideur que de sévérité. La sévérité d'une Déesse doit être tempérée par une sorte de douceur et de grâce, plus facile à sentir qu’à exprimer, et dont la lecture du Roman de Télémaque pénètre mieux que toutes les observations qu'on pourroit faire.
Les chœurs ont été rendus avec cet ensemble, cette précision qui caractérisent ceux de ce Spectacle. Ils ont d'abord un accord de chant qui plaît et surprend à la fois ; ensuite leurs gestes, presque toujours dans le vrai, concourent à l'intérêt de l'action ; et c'est surtout lorsqu'ils en font partie essentielle, comme dans cet Opéra, qu'on aime et qu'on admire cet ensemble. Lorsqu'on songe à ce qu'étoient les chœurs, .tels que nous les avons vus dans notre jeunesse, et à ce qu'ils sont maintenant, on ne peut qu'applaudir à l'heureuse révolution qui s'est opérée dans cette partie du Spectacle. C'est au célèbre Gluck que nous en avons la première obligation ; et depuis on les a beaucoup perfectionnés. Ceux de l'Opéra de Feydeau laissent peu de chose à désirer, et prouvent l'intelligence de ceux qui les composent, et le mérite de ceux qui les exercent.
Nous avons dit- que le défaut de Ballets se faisoit sentir plus d'une fois dans le cours de cet Opéra ; mais au moins on doit dire que tout ce qui en tient lieu est exécuté avec un ensemble, une pompe qui empêchent souvent de les regretter. Rien n'est au dessous d'un Ballet médiocre, et le-Théâtre des Arts ayant, en ce genre, une supériorité reconnue et bien décidée, c'est sagesse de la part de l'Administration de celui de Feydeau de n'avoir pas cherché à lutter avec lui dans cette partie. Elle s'est donc attachée à perfectionner ce qui pouvoit remplacer la Danse, et l'on doit convenir qu'elle y a réussi. La précision, l'ensemble avec lesquels les différentes marches, les mouvemens, tout ce qui tient enfin à la Pantomime d'un Opéra, s'exécutent sur ce Théâtre, est une chose vraiment surprenante.
Nous en avons vu la preuve dans cette Représentation. Il est difficile d'imaginer qu'un Ouvrage qui n'a pas été joué depuis assez long-temps, offre, dès le premier jour qu'on le remonte, plus de perfection dans cette partie. Les Nymphes entourant Calypso au premier acte, la marche des Satyres, et le départ pour la chasse au second, l'incendie du vaisseau au troisième, sont la preuve de notre assertion, et motivent nos justes éloges.
La partie des décorations nous a paru soignée. La grotte est d'un genre nouveau et très pittoresque ; mais le paysage qui lui succède est d'une composition vraiment délicieuse ; les sites, la perspective qui le terminent, les différens plans qu'il présente, offrent un coup-d'œil enchanteur, et tout s'y réunit pour compléter l'illusion.
L'orage du premier acte, et la descente de l’Amour ; celle de Minerve au troisième acte, sont vraiment d'un grand et bel effet. Ces nuages sombres, qui se déroulent et rembrunissent peu-à-peu l'horizon, cette mer agitée par degré, cette Gloire qui remplit presque tout le Théâtre ; tout cela présente un très beau coup-d’œil, et l'exécution de toutes ces machines répond au mérite de la décoration. Rien n'a manqué, et l'accord le plus satisfaisant a régné dans toutes les parties de ce beau Spectacle.
Le Public doit savoir gré à l'Administration de lui avoir redonné cet Opéra, dont il a applaudi plusieurs parties avec beaucoup d'enthousiasme; et sa reconnoissance doit être d'autant plus grande, qu'en variant ainsi ses plaisirs, cette Administration paroît moins s'occuper de ses intérêts ; car l'affluence est toujours telle à ce Théâtre, qu'on n'a pas besoin de Spectacles nouveaux pour y attirer la foule.
D’après la base César, l’opéra de Dercy et Lesueur a été joué 31 fois au Théâtre de Feydeau, du 10 juin 1796 au 3 juillet 1797; 15 fois au Théâtre d'Émulation (salle Louvois), du 23 novembre au 18 décembre 1797; 10 fois au Théâtre Feydeau, du 25 février au 20 décembre 1798.
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