Thémistocle, tragédie en cinq actes, en vers, de M. Théodore Licquet fils, 21 septembre 1812.
Théâtre des Arts de Rouen.
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Titre :
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Thémistocle
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Genre
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tragédie
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Nombre d'actes :
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5
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Vers ou prose ?
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en vers
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Musique :
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non
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Date de création :
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21 septembre 1812
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Théâtre :
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Théâtre des Arts de Rouen
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Auteur(s) des paroles :
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Théodore Licquet fils
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Sur la page de titre de la brochure, à Rouen, Imprimerie de J. Duval, 1812 :
Thémistocle, tragédie en cinq actes et en vers, Par M. Théodore Licquet fils, Membre de l'Académie des sciences, Belles-Lettres et Arts de Rouen, Représentée, pour la première fois, le 21 septembre 1812, sur le Théâtre des Arts, à Rouen.
L’Esprit des journaux français et étrangers, tome XI, novembre 1812, p. 291-297 :
[Un des très rares comptes rendus (voire le seul) de pièces créées en province, ici le très actif théâtre des Arts de Rouen. Il s’ouvre par les préliminaires habituels des comptes rendus de tragédie, bref explication du sujet, puis recherche de ses traitements antérieurs. Ici, il n’y pas grand chose à citer, une tragédie du XVIIe siècle, une pièce moderne qu’il vaut mieux oublier, le Thémistocle de Larnac, créé en 1798 au Théâtre de l’Odéon). Il ne reste guère que le livret de Métastase, en trois actes, ne respectant pas les unités (mais c’est un livret d’opéra), et avec lequel l’auteur de la tragédie nouvelle ne pouvait pas ne pas se rencontrer, par la nature même du sujet. Cela ne fait pas de lui « un servile copiste ». L’analyse de la tragédie nouvelle est l’occasion de le montrer. L’intrigue, assez compliquée avec ses nombreux rebondissements, est résumée avec précision, avant un jugement intéressant : le critique affirme avoir montré « que la marche de cette tragédie est simple et régulière ; que l'intérêt en est bien gradué, et que les incidens, sortant du fond même du sujet, sont liés à l'action principale de manière à ne la point rallentir », éloges balancés par un reproche : certaines situations ne sont pas assez motivées, mais c’est un défaut facile à corriger. Même attitude positive du critique concernant le style : « peut-être plus d'un reproche à faire », mais aussi « plusieurs passages écrits avec assez de chaleur et de correction » pour laisser espérer que l’auteur est plein d’avenir...]
THÉÂTRE DES ARTS DE ROUEN.
Thémistocle.
Thémistocle, banni d'Athènes, pour prix des services qu'il avait rendus à son ingrate patrie, se réfugie à la cour de Xercés, roi de Perse, celui-là, même sur lequel il avait remporté ses plus éclatantes victoires. Le monarque crut devoir profiter du ressentiment, qu'il supposait que l'injustice, dont cet illustre capitaine était la victime, avait allumé dans son sein, pour l'engager à prendre le commandement d'une armée qu'il se proposait d'envoyer de nouveau contre les Athéniens. Mais Thémistocle, trop grand pour se venger, sur-tout par une trahison, refusa le commandement qui lui était offert. Pour ne pas cependant se montrer coupable d'ingratitude envers le prince qui l'avait accueilli, il prit la résolution de terminer ses jours, ce qu'il fit en recourant au poison.
C'est ce trait qu'un jeune homme vient de mettre au théâtre, plus inspiré sans doute par les beaux sentimens qu'il lui donnait occasion de développer qu'effrayé des difficultés d'une pareille entreprise. En effet, pour peu que l'on y réfléchisse, on sent aisément combien il faut trouver de ressources dans son imagination pour bâtir cinq actes sur un fonds aussi simple et qui ne présente en lui-même qu'une ou deux belles situations.
C'est peut-être ce qui fait que l'abbé Métastase est le seul qui ait jusqu'à présent réussi à traiter ce sujet. Car nous ne parlerons pas d'une tragédie de Duryer, oubliée depuis prés de deux siècles, quoiqu'elle ne fut pas tout à-fait sans mérite pour son temps, ni d'une autre représentée depuis quelques années avec si peu de succès que l'auteur ne pourrait que nous savoir lui-même mauvais gré d'en réveiller le souvenir.
L'auteur de la pièce dont nous nous occupons ici a dû nécessairement se rencontrer avec le poëte italien dans quelques scènes qui tiennent à l'essence même de l'action, telles que celle où Thémistocle vient se livrer lui-même à Xercès ; celle où il refuse de porter les armes contre ses ingrats compatriotes, etc. Mais pour deux ou trois passages où la fidélité historique lui imposait, en quelque sorte, l'obligation de suivre les traces de son devancier, on aurait tort de croire qu'il n'a été qu'un servile copiste ou même un scrupuleux imitateur. Il suffirait, pour prouver le contraire, d'établir entre l'opéra italien et la tragédie française un parallèle dans les détails duquel les bornes de ce journal ne nous permettent pas d'entrer. Nous nous contenterons de remarquer ici que la pièce de Métastase n'est qu'en 3 actes ; que la règle des unités n'y est point observée ; que la scène change six fois de lieu dans le cours de l'action; qu'elle se termine par des mariages, des fêtes, etc. ; et l'on jugera facilement, par l'analyse que nous allons donner de celle représentée sur le théâtre de Rouen, combien elle doit en différer.
L'auteur suppose que Thémistocle est depuis quelques jours avec son fils Néocle dans le palais de Xercès, sans en être connu. Le soin de son propre salut semble moins l'intéresser que le sort de sa fille Aspasie qu'il croit ensevelie dans les flots, lorsqu'il apprend bientôt d'elle-même qu'échappée seule au naufrage le plus terrible, elle habite aussi le palais de Xercès, où elle doit un asyle à la générosité d'une princesse qui l'a recueillie presque mourante sur le rivage. Cette princesse est Roxane, amante de Xercès, qui, s'étant apperçue de l'effet que les charmes naissans d’Aspasie ont produit sur le monarque, en conçoit une jalousie qui la porte à conspirer avec Mégabise, premier ministre du royaume, la mort de son infidèle et la perte de sa rivale.
Dans ces entrefaites, arrive un envoyé d'Athènes, Lysimaque, qui vient, au nom de sa patrie, prier le roi de Perse de lui livrer Thémistocle ; ce qui confirme le soupçon que ce prince avait déjà sur la retraite de cet illustre banni dans son palais. Aussi donne-t-il les ordres les plus précis pour qu'on s'assure de sa personne. Mais le généreux grec, informé de ces ordres, en prévient bientôt l'effet en venant lui-même confier ses destins à Xercès. Celui-ci, touché de cette magnanimité, au lieu d'abuser de la position dans laquelle se trouve son plus redoutable ennemi, lui offre sa protection et son amitié. Il lui propose même le commandement de son armée pour aller réprimer la rébellion de ses sujets d'Egypte. Thémistocle accepte sans hésiter, trop heureux de trouver cette occasion de payer le prix de l'hospitalité qu'il reçoit. La faveur dont Xercès comble Thémistocle, et qui doit rejaillir sur sa fille, qu'il ne balance plus à vouloir faire asseoir sur son trône, ne fait qu'exciter de plus en plus la fureur de Roxane et l’ambition de Mégabise, qui ourdissent avec plus d'acharnement la trame de leur conspiration..Cependant, Xercès, toujours animé du désir de venger sur les Grecs la honte de ses revers, conçoit le projet d'équiper une flotte pour les combattre, et de donner le commandement de cette expédition à Thémistocle. Ce héros, dans qui l’amour de patrie l'emporte sur 1e ressentiment de l'outrage qu'il en a reçu,. refuse avec indignation ce nouveau témoignage de la confiance du roi de Perse. Ce refus va décider de son sort. Mais pour se montrer, en quelque sorte, supérieur,aux destins mêmes, Thémistocle, sollicité par Mégabise de faire enfin connaître ses dernières résolutions au roi, prie que l'on prépare l'autel et le breuvage sacré, pour confirmer par les cérémonies de la religion les sermens qu'il va faire. Néocle, qui survient, apprend à son père qu'il a surpris sur un esclave porteur des ordres de Roxane un billet adressé à Mégabise, et qui contient tout le secret de leur conspiration. Thémistocle, dépositaire de ce fatal secret, se félicite de pouvoir enfin acquitter sa dette envers Xercès en sauvant ses jours menacés. Au moment où il vide la coupe sacrée, en signe de la foi qu'il jure au monarque d'Asie, il lui demande le pardon de ceux qui se seraient rendus envers lui coupables de la plus monstrueuse ingratitude. Mégabise s'oppose à ce pardon, que le roi a la générosité d'accorder. Alors Thémistocle s'écrie à ce ministre infidèle :
Tombez donc à ses pieds, votre roi vous pardonne.
Il montre aussi-tôt le billet. Mégabise, qui ne peut survivre à cette révélation de son crime, se retire pour se poignarder. Cependant, le frisson de la mort saisit Thémistocle, ses traits s'altèrent, et l'on découvre enfin le sens mystérieux des paroles par lesquelles il promettait de sacrifier sa vie à Xercès : le breuvage qu'il a pris sur l'autel était empoisonné. Placé entre la nécessité de devenir infidèle à son pays ou ingrat envers son bienfaiteur, il ne lui restait plus à prendre d'autre parti que de terminer ses jours. C'est dans les bras de ses enfans qu'il rend le dernier soupir, en présence de Xercès et de Lysimaque. Cet envoyé d'Athènes, qui lui était attaché pour les liens d'une ancienne amitié, à qui même il avait promis depuis long-temps la main de sa fille, la reçoit de Xercès, qui ne veut pas le céder à son ennemi en générosité.
On voit, d'après cette analyse, que la marche de cette tragédie est simple et régulière ; que l'intérêt en est bien gradué, et que les incidens, sortant du fond même du sujet, sont liés à l'action principale de manière à ne la point rallentir.
Malgré ces éloges bien mérités que nous nous faisons un plaisir de donner à l'auteur, nous ne nous dissimulerons point qu'on peut lui reprocher de n'avoir pas assez motivé certaines situations. Il serait par exemple à désirer qu'il eût annoncé comment Thémistocle et sou fils ont pu s'introduire jusques dans l'intérieur du palais de Xercès sans en être connu; par quels moyens Thémistocle parvient à mettre du poison dans la coupe sacrée, etc. Mais l'illusion théâtrale fait aisément excuser ces légers défauts, que nous n'indiquons ici que pour engager l'auteur à donner une plus grande perfection à son ouvrage en les faisant disparaître, ce qui doit lui être facile; et nous convenons que c'est bien le cas de dire avec Horace :
Ubi plura nitent,
Non paucis offendar maculis.
Quand [sic] au style, auquel on aurait peut-être plus d'un reproche à faire, il offre plusieurs passages écrits avec assez de chaleur et de correction pour faire espérer que l'auteur, en s'attachant plus particulièrement à suivre, pour cette partie l'exemple de nos bons modèles, pourra marcher un jour sur leurs traces ; et nous pouvons même présager que celui qui marque ses premiers pas dans la carrière littéraire par un pareil début ne peut manquer de la parcourir avec succès.
(Journal de Rouen ).
Jules-Édouard. Bouteiller, Histoire complète et méthodique des théâtres de Rouen, tome 2, Théâtre des Arts, 1800-1817 (Rouen, 1863), p. 380-381 :
Thémistocle, tragédie en cinq actes et en vers, de M. ***, de cette ville, qui n'avait jamais été donnée sur aucun théâtre. Première représentation le 21 septembre 1812. Après la chute du rideau, Bordes est venu annoncer que cette tragédie était de M. Théodore Licquet fils(1). Le public a demandé l'auteur, que Beauchamp, Bordes et MlleDevin ont amené sur la scène, au bruit des applaudissements unanimes. Le lendemain, M. Licquet fils a fait savoir par la voie du journal que sa tragédie n'était pas une traduction de l'opéra de l'abbé Métastase, et que, profitant des conseils qu'il avait reçus après la représentation, il se proposait d'y faire des corrections.
Entre autres scènes qui ont soulevé les applaudissements, il faut noter la dixième de l'acte IV, où Thémistocle, banni d'Athènes, s'écrie :
Et toi que j'aime encor, trop aveugle patrie !
Qui payas mon amour d'une injuste furie,
Tu m'accables en vain du poids de ton courroux :
C'est pour toi que je souffre et mes maux sont plus doux ;
Ton souvenir me rend ma douleur moins amère ;
Je suis encor ton fils quand tu n'es plus ma mère.
(1) Théodore Licquet fils était frère de M. le docteur Locquet, actuellement juge-de-paix du canton de Darnétal (1862).
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