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Thésée

Thésée, tragédie en cinq actes, de F. Mazoïer, 4 frimaire an 9 [25 novembre 1800].

Théâtre français de la République.

Titre :

Thésée

Genre

tragédie

Nombre d'actes :

5

Vers / prose

vers

Musique :

non

Date de création :

4 frimaire an 9 (25 novembre 1800).

Théâtre :

Théâtre français de la République

Auteur(s) des paroles :

Mazoïer

Almanach des Muses 1802

Médée, après avoir épouvanté Corinthe et la Thessalie de ses crimes, a trouvé le secret, en se réfugiant dans l'Attique, de séduire Egée, roi d'Athènes : elle partage avec lui le trône qu'il a usurpé sur les Pallantides, et qu'il doit leur rendre à sa mort ; mais Egée a un fils élevé loin de lui, sous le nom de Thésée, et qui s'est déjà rendu fameux par de grands exploits : Médée et Pallas craignent également l'arrivée de ce héros, ses droits, et surtout son ascendant sur le peuple d'Athènes ; il s'agit de le perdre dans l'esprit d'Egée, qui ne le connait point : l'artificieuse Médée persuade à son faible époux que Thésée n'est rentré dans l'Attique que pour lui ôter la couronne et la vie, et le décide à présenter une coupe empoisonnée au jeune prince ; mais Thésée, instruit de sa naissance, des crimes et des projets de la reine, pour donner plus d'éclat à son triomphe, ne se fait reconnaître qu'au moment où son père va le faire périr : le mystère une fois découvert, les ennemis de Thésée sont confondus, et Médéée, furieuse se donne la mort.

Le caractère de Médée, froidement atroce, opposé à des caractères bien faibles ; mais des scènes conduites avec art, de l'élévation dans les idées ; un style toujours correct et souvent tragique, début qui donne de grandes espérances.

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Huet et chez Charon, an ç [1801] 

Thésée, tragédie en cinq actes, par F. Mazoïer ; Représentée pour la première fois à Paris, sur le Théâtre Français de la République, le 4 frimaire an 9.

Sit Medea ferox. – Horat.          

Dans la brochure publiée chez Huet et Charon, un avertissement précède la pièce :

Le fond mythologique de cette tragédie est tiré des Métamorphoses d'Ovide, et renfermé dans les vers suivans, où le poëte parle de Médée.

Excipit hanc AEgeus, facto damnandus in uno ;
Nec satis hospitium est ; thalami quoque fœdere jungit.
Jamque aderat Theseus, proles ignara parenti,
Qui virtute suà bimarem pacaverat Isthmon.
Hujus in exitium, miscet Medea, quod olim
Attulerat secum Scythicis, Aconiton, ab oris.
. . . . . . . . . . . . . . Id, conjugis astu,
Ipse parens AEgeus nato porrexit, ut hosti :
Sumpserat ignarâ Theseus data pocula dextrà,
Cum pater in capulo gladii cognovit eburno
Signa sui generis, facinusque excussit ab ore.
Effugit illa necem, nebulis per carmina motis.

Le fond historique est tiré de Plutarque, (T. I., vie de Thésée) de Diodore de Sicile, (L. IV.) de Pausanias, (L. I. chap. 28) d'Apollodore, (L. III.) d'Euripide, (Medea, v. 663.)

Le caractère de Pallante, dénaturé à la représentation, est rétabli ici tel qu'il avait d'abord été tracé, et conformément à la vérité historique. Pallante, lorsqu'il fut tué par Thésée, était un vieillard ; il avait, non des frères, mais six fils qui périrent avec lui,

Dans la fleur de leur jeune saison. —Phèdre.

La partie du cinquième acte, supprimée dans les changemens faits à cette tragédie, est renvoyée à la fin dans les Variantes.

Les mêmes Variantes indiquent quelques retranchemens pour la représentation.

Traduction des deux passages des Métamorphoses d’Ovide, livre 7, vers 402-408 et 419-424, dans la traduction de Villenave (1806), tome trois, p. 50 et 51

AEgée reçoit Médée dans sa cour. Déjà cette faiblesse le condamne. Mais, non content de lui donner un asile, il s'unit avec elle par les nœuds de l'hymen. Thésée venait d'arriver dans Athènes. Son bras avait purgé l'isthme des brigands qui l'infestaient. Il ignorait son illustre origine. Médée conspire contre les jours de ce héros. Elle prépare l'aconit qu'elle avait elle-même jadis apporté de Scythie

Trompé par les artifices de son épouse, Égée avait déjà présenté ce poison à son fils, comme à son ennemi. Thésée, sans défiance, tenait déjà la coupe fatale, lorsque jetant les yeux sur l'ivoire qui garnit son épée, AEgée reconnaît son fils, écarte de sa bouche le funeste breuvage; et Médée n'échappe à la mort qu'en disparaissant dans un nuage obscur formé par ses enchantements.

Courrier des spectacles, n° 1367 du 5 frimaire an 9 [26 novembre 1800], p. 2-3 :

[Le critique est dans l’obligation de faire pour une tragédie un article respectant les formes admises : pas question de ne pas citer les œuvres ayant traité le même sujet, ou portant simplement le même nom, avant éventuellement de dire que telle pièce citée est oubliée et n’a inspiré en rien la pièce nouvelle. Cet exercice d’érudition s’achève par un constat intéressant : la pièce nouvelle s’inspire plus de Quinault, auteur d’un opéra sur Thésée (1675), que de la tragédie de Lafosse, qui a tout juste cent ans. Mais d’abord le critique a formulé sa grande objection à la pièce de Mazoyer, c’est cet acte 5 que le public a fini par siffler, et qui n’apporte rien à la pièce, alors que les quatre premiers actes avaient été ovationnés. Et c’est bien malgré cet acte final que le public a réclamé l’auteur, présenté par Talma comme un tout jeune débutant, et qui n’a pas voulu paraître, alors qu’il aurait été si chaudement accueilli. Avant d’aborder l’analyse de l’action, le critique donne la liste des personnages et des acteurs. Le résumé qui suit est long, détaillée, on n’y sent guère de réticence de la part du critique (il avoue juste ne pas comprendre pourquoi Thésée recule le moment de se faire connaître de son père), jusqu’à ce qu’il arrive à ce cinquième acte qui ne passe vraiment pas : plutôt que de l’accuser d’enfreindre la sacrosainte unité d’action (il se passe bien des choses dans cet acte, finalement, mais elles n’ont pas de rapport avec le sujet de la reconnaissance de Thésée par son père : l’action était achevée, et les éléments nouveaux ne sont plus dans le sujet), le critique l’accuse de ne présenter aucun intérêt. C’est d'autant plus dommage que les quatre premiers actes sont remplis de « grandes beautés » et qu’ils sont très bien écrits. Faute de pouvoir citer le texte de la pièce, il signale plusieurs moments de la pièce, acte 1 ou acte 3. Il faut bien pourtant faire quelques réserves. Elles commencent paradoxalement à propos d’un passage relarquable, mais où Thésée s’en prend à Médée : « peut-être est-il peu loyal à un héros d’injurier ainsi une femme ». Comme bien souvent encore, la pièce est accusée de présenter des longueurs, e ton peut relever un défaut dans le plan, puisqu’une sortie de personnages n’est pas traitée de façon vraisemblable. Dernier point : la pièce vient un peu tard, en raison du « défaut d’études » dans la société présente : il y a douze ans (soit en 1788, date significative), elle aurait été mieux comprise d’un public qui connaissait les personnages, ce qui n’est plus le cas en 1800 L’auteur devra songer à choisir « des sujets plus à la portée de tout le monde ». Les interprètes sont salués rapidement : ils «  ont parfaitement secondé l’auteur, et ont eu part aux applaudissemens ».]

Théâtre Français de la République.

Les quatre premiers actes de Thésée, tragédie nouvelle, donnée hier à ce théâtre pour la première fois, ont obtenu des applaudissemens auxquels un enthousiasme mérité a souvent eu part, mais le cinquième acte absolument inutile et entièrement consacré à la vengeance de Médée, vengeance qui n’a aucune suite, le cinquième acte a excité de vifs murmures, a été fort peu écouté, et le public d’abord refroidi , a fini par siffler. Cependant le mérite réel qui existe dans cet ouvrage, qui doit donner les plus grandes espérances et qui annonce un littérateur fort instruit, a fait qu’on a très-vivement demandé l’auteur. Le citoyen Talma est venu dire que c’étoit le premier ouvrage du citoyen Mazoier. On a témoigné le plus vif désir de le voir, mais il n’a point paru. Tout en approuvant sa résistance, nous avons regretté qu’elle l’ait privé de nouveaux applaudissemeus, qu’on se seroit empressé d’accorder à son extrême jeunesse.

Avant de commencer l’analyse de cette tragédie, nous croyons devoir rappeler celles qui portent déjà le même titre.

Pujet de la Serre donna en 1644 une tragédie de Thésée, ou le Prince reconnu. Cette pièce oubliée depuis long-tems n’est plus connue de personne et nous la laisserons pour nous occuper des deux autres, dans chacune desquelles l’auteur de la nouvelle tragédie paroît avoir heureusement choisi les situations les plus convenables à 1a scène : c’est de l’opéra de Quinault et de la tragédie de Lafosse que nous voulons parler. Dans le premier de ces ouvrages, Thésée est reconnu par son père à l’épée laissée entre les mains d’Ethra, sa mère, dans l’instant où il va prendre le poison que le Roi lui présente par les conseils de Médée. Dans le second cette exécrable femme entreprend de perdre Thésée sous le nom de Sthénelas, en l’accusant d’en vouloir aux jours du Roi. Ce sont ces deux traits que le citoyen Mazoier a réunis ; mais il est aisé de voir qu’il a moins suivi Lafosse que Quinault. Il est malheureux qu’il n’ait pas imité la prudence de ce dernier, qui n’a mis que trois scènes très-courtes après la reconnoissance de Thésée. Le citoyen Mazoier en a fait un acte entier qui devoit naturellement être froid et manquer d’intérêt.

Personnages.

Acteurs.

Egée,

Monvel.

Thésée,

Talma.

Médée,

Mlle. Raucour.

Cléone,

Mlle. Thénard.

P allante,

Damas.

Théramène,.

Florence

Arcas,

Lacave.

La scène se passe dans le palais d’Egée.

Egée n’est resté paisible possesseur du trône d’Athènes à l’exclusion des Pallantides, que sous la condition qu’il ne se marieroit point, et qu’à sa mort la couronne lenr retourneroit. Ce roi a eu un fils d’Ethra, qu’il a été obligé d’abandonner. Une épée qu’il lui a laissée en partant est le signe auquel il pourra reconnaître cet enfant. Depuis long-tems Egée n’en a point entendu parler, il le croit mort. Cependant Médée, après, la terrible vengeance qu’elle a tirée de Jason, s’est retirée à Athènes, a épousé le Roi et en a eu même un fils, au mépris du traité fait avec Pallante-

Hardi loin du péril, foible dans le danger,
Il sait toujours se plaindre et jamais se venger.

Telle est l’opinion qu’en a conçue Médée. Cependant cette artificieuse reine sait que Thésée, héros fameux dans la Grèce, est ce fils d’Egée, et qu’il revient à Athènes ; craignant pour son enfant et encore plus pour elle-même la perte du trône, elle songe à rapprocher d’elle Pallante à qui elle fait connoître le danger qui les. menace.

Ce prince feint de la seconder, et veut pour son propre intérêt perdre le fils du Roi. Thésée arrive en effet à la cour, mais quoique connoissant son sort, il veut, pour des raisons qui nous sont échappées, ne passer d’abord que pour un compagnon d’Alcide ; il se propose de ne se déclarer que pendant un sacrifice qu’il doit demander au roi, et dont le but est de faire faire de nouveaux sermons à Egée et à sa famille : Et je pourrai voir, dit-il , dans ce jour prospère :

Couler sur mes lauriers les larmes de mon pére.

Cependant Médée a fait naître dans l’esprit du Roi les plus grands soupçons sur Thésée ; elle les motive sur une lettre qu’elle a fait saisir entre les mains de Théramène, confident de Thésée, et que celui-ci adressoit à. Anthiope, son épouse. Il l’engageoit à venir le rejoindre, lui disant qu’il auroit une couronne à lui offrir. Egée effrayé du coup qui le menace, hésite à le prévenir, mais séduit par Médée, il promet d’offrir du poison à Thésée pendant la cérémonie. Thésée qui peut se dire, en parlant de Médée :

Il n’est rien de commun entre le crime et moi.

a remarqué dans l'accueil que lui a fait Egée, qu’il a été desservi auprès de lui ; il en demande l’auteur à Pallante, en affectant le plus grand mépris pour la Reine, à qui il reproche tous ses crimes. L’heure du sacrifice arrive ; Thésée engage tous les sujets du Roi d’Athènes à lui renouveller le serment de fidélité. Pressé de commencer lui-même, il saisit la coupe, tire son sabre, et jure dessus fidélité à Egée et à toute sa famille ; le sabre frappe les yeux du Roi, il reconnoît son fils, l’empêche de boire dans la coupe, et reproche à Médée un crime aussi atroce. Celle-ci qui vient d’engager Pallante à employer pour dernière ressource ses amis pour assiéger le palais, ne dissimule point ses torts, et part en promettant de se venger.

Ici la pièce semble finie avec le quatrième acte ; cependant Médée revient, et médite ses affreux projets ; Egée l’accable de reproches ; mais on vient lui dire, ainsi qu’à son fils, que Pallante a gagné le peuple ; un combat s’engage, Thésée est victorieux, Pallante périt sous ses coups, et l’on vient annoncer que la Magicienne elle-même, au milieu des éclairs et de la foudre, est enfoncée dans les Enfers.

Nous le répétons, ce cinquième acte, à-peu-près vuide de choses ne présente point d’intérêt, et a été généralement improuvé : mais les quatre premiers offrent les plus grandes beautés, tant en descriptions qu’en poësie. Ne pouvant faire de citation, nous nous contenterons de désigner dans le Ier. acte l’énumération que Médée fait de ses divers crimes. Elle étoit nécessaire pour rassembler tous les traits qui peignent cette infâme Magicienne, et elle a été très-adroitement amenée par l’auteur, qui lui fait dire qu’elle a besoin de se rappeler ses crimes passés pour s’exciter à de nouveaux.

La description du poison préparé par les Euménides, description qui se trouve dans le troisième acte, nous a paru digne d’Ovide.

L’auteur nous a paru manier le sarcasme avec beaucoup d’art dans la scène entre Thesée et Médée. Cependant, peut-être est-il peu loyal à un héros d’injurier ainsi une femme.

En général ces quatre premiers actes, malgré les grandes beautés qu’ils renferment, présentent souvent des longueurs. Mais un défaut plus frappant, et que l’auteur aura remarqué lui-même à la représentation, c’est la sortie de Pallante et des chefs des Tribus athéniennes. Il est impossible que Thésée et son père ne s’apperçoive [sic] pas d’une disparition aussi subite et aussi marquée. La sortie de Pallante seul suffiroit pour donner de l’inquiétude.

Ce sujet, quoique tragique, a dû paroître froid dans un tems où, par le défaut d’études, plusieurs des personnages sont peu connus. Nous ne doutons pas qu’il n’eût eu plus de succès douze ans plutôt, mais l’ignorance des auditeurs n’ôte rien au mérite de l’auteur. On peut seulement désirer qu’il travaille des sujets plus à la portée de tout le monde.

Les citoyens Monvel, Talma et Damas, mesdemoiselles Raucourt et Thénard ont parfaitement secondé l’auteur, et ont eu part aux applaudissemens.

Le Pan.          

Courrier des spectacles, n° 1394 du 2 nivôse an 9 [23 décembre 1800], p. 2 :

[Comme souvent, l’auteur a réagi aux attentes du public lors d ela première représentation, et il a fait des modifications à sa pièce. Le critique le sjuge heureuses.]

Théâtre Français de la République.

Les changemens faits au 3e, 4e et 5e. actes de Thésée, ont été jugés très-heureux et ont produit un fort bon effet : des vers ont été adressés à l’auteur et à mademoiselle Raucourt, jouant Médée. Ne pouvant louer les vers, nous louerons au moins l’intention ; revenons à la tragédie.

Dans l’ancien 3e. acte, Thésée entroit au moment où Médée venoit de persuader à son époux d’employer le poison pour se défaire d’un ennemi redoutable. C’étoit dans ce moment que surpris de l’accueil qu’il recevoit du roi, Thésée en demandoit la cause à PalJante. Cette scène est re portée vers la 3e du 4e. acte. Le 3e. finit après la scène entre Égée et Médée. Celle-ci ouvre le 4e. acte avec Pallante, lui révèle le projet du roi et lui remet la lettre qu’elle a employée pour le gagner. Pallante promet de la seconder lorsque le roi arrive. La réflexion a changé ses desseins, il ne veut plus consentir au crime qu’il a promis, et son refus dérange les projets de Médée et de Pallante. Cependant ceux-ci le ramènent peu-à peu, en lui faisant de faux rapports, et en lui représentant ses dangers et sur-tout celui d’être déshonoré aux yeux d’Athènes entière. Il cède enfin à cette crainte. Thésée paroît et le 4e. acte s’achève par la belle scène qui terminoit le 3e. Le 5e. acte est consacré au serment, à la reconnoissance et aux imprécations de Médée qui ne reparoît plus et dont on annonce la mort. Ce récit qui étoit fait par Théramène, est maintenant dans la bouche de Thésée, et l’on s’imagine bien qu’il a dû gagner en passant dans celle de Talma. Tous les rôles de cette tragédie sont importans et bien rendus.

L’Esprit des journaux français et étrangers, trentième année, tome V, pluviôse an IX [janvier-février 1801], p. 230-232 :

[Premier article publié par l’Esprit des journaux sur la tragédie de Thésée. Il se réduit pour l’essentiel à un résumé de l’intrigue, avant de critiquer le dénouement : tout le cinquième acte est à supprimer, pour arrêter la pièce à la reconnaissance de Thésée par Egée.]

THÉATRE FRANÇAIS.

Thésée, tragédie nouvelle, par le C. Mazoier.

Cette pièce a été très-applaudie. La tragédie de Lafosse & l'opéra de Quinaut sont les ouvrages dans lesquels l'auteur a choisi les situations & les effets les plus dramatiques.

La scène se passe dans le palais d'Ægée. Ce prince n'est resté paisible possesseur du trône d'Athènes, à l'exclusion des Pallantides, que sous la condition qu'il ne se marieroit point, & qu'à sa mort, la couronne leur retourneroit. Il a eu d'Æthra un fils, qu'il a été contraint d'abandonner. Une épée qu'il lui a laissée en partant, est le signe auquel il pourra reconnoître un jour cet enfant. N'en ayant point entendu parler depuis long-temps, il le croit mort ; &, au mépris du traité fait avec Pallante, il a épousé Médée, dont il a même un enfant. L'artificieuse reine sait que Thésée, héros fameux dans la Grèce , est le fils d'Ægée ; & elle s'unit à Pallante lui - même, craignant que Thésée ne lui enlève le trône.

Pallante, qui feint la seconder, veut, pour son propre intérêt, perdre le fils du roi. Thésée arrive en effet à la cour ; il ne se donne d'abord que pour un simple compagnon d'Hercule, & ne doit se découvrir au roi que pendant un sacrifice qu'il demande.

Médée fait naître de grands soupçons dans l'esprit du roi ; elle les motive sur une lettre qu'adressoit Thésée à Anthiope, son épouse, où il lui annonçoit qu'il auroit une couronne à lui offrir. Elle le détermine à offrir du poison à Thésée, dans le sacrifice. L'heure arrive ; Thésée engage tous les sujets du roi à renouveler à Ægée & à sa famille le serment de fidélité ; il saisit la coupe & tire son épée, pour faire lui- même ce serment. Le roi reconnoît son fils, lui arrache la coupe, & reproche à Médée son crime. Celle-ci, qui a engagé Pallante à faire assiéger le palais, part en promettant de se venger.

Médée revient, méditant d'affreux projets ; Ægée l'accable de reproches. Cependant on vient lui annoncer que Pallante a gagné le peuple. Un combat s'engage : Thésée, victorieux, lui donne la mort ; & l'on vient annoncer que Médée a été plongée dans les enfers, au milieu de la fondre & des éclairs.

Le cinquième acte a été généralement désapprouvé. La reconnoissance de Thésée & de son
père devoit finir la pièce.

L’Esprit des journaux français et étrangers, trente-unième année, ventose an 10 de la République française (mars 1802), p. 97-104:

[Nouvel article de l’Esprit des journaux sur Thésée. Après un paragraphe concernant le personnage mythologique, et non pas historique de Thésée, et qui sert de résumé du sujet, le compte rendu signale la transformation de la fin de la pièce depuis sa première représentation. Chaque acte est ensuite présenté, exposition réussie, second acte bien écrit, troisième et quatrième acte centrés sur les agissements de Médée, cinquième acte enfin, acte de la reconnaissance. Ici aussi, le critique insiste sur l’inutilité de tout ce qui suit cette reconnaissance. Le plan de la pièce est imparfait, et le critique s’attaque à deux moments de l’intrigue (les confidences de Médée à sa suivante, et l’invraisemblance du lieu où Pallante harangue ses partisans, dans le palais même de la reine contre qui il conspire). Le jugement général est plutôt positif : « sujet bien choisi », caractères principaux intéressants. Par contre, le style est inégal, faute d’un travail suffisant : « le C. Mazoïer hasarde trop d'expressions métaphoriques qui manquent de justesse, & sa période n'est pas toujours d'une harmonie soutenue ». L’auteur est incité à se montrer plus sévère envers lui-même...]

THÉSÉE, tragédie en cinq actes, par F. Mazoïer. Paris, chez Huet, libraire, rue Vivienne, n°. 8 & Charron , libraire, passage Feydeau.

Thésée appartient à la mythologie plus qu'à l'histoire. Né des amours d'Egée, roi d'Athènes & d'Œthra, fille de Pithée, fondateur de Trézène, ce héros ne devoit être reconnu de son père qu'à son épée ; elle avoit été mise sous une pierre énorme que l'enfant d'Œthra devoit lever lui même. Thésée ayant reçu cette arme de sa mère, partit pour se présenter à Egée. Il fut retenu dans sa route par des monstres & des brigands, dont il délivra la Grèce. Arrivé à Athènes , il trouva près de son père, Médéé, déjà célèbre par ses crimes. Elle conspira contre ce héros, & porta même le roi à l'empoisonner dans un festin; mais Egée reconnut son fils à l'épée qu'il tira pour attester les dieux, avant de porter à ses lèvres la coupe fatale.

Tel est le sujet que le C. Frédéric Mazoier a choisi pour son début dans la carrière dramatique. Sa tragédie fut représentée le 4 Frimaire an 9, avec succès. C'etoit alors au quatrième acte qu'Egée reconnoisoit son fils. Le cinquième, rempli des noirs enchantemens & des imprécations de Médée, finissoit par la punition de cette femme criminelle. L'auteur fut obligé de supprimer la plus grande partie- de cet acte, & de rapprocher la reconnoissance du dénouement.

L'exposition de cette tragédie en est un des meilleurs morceaux. L'auteur a su donner de la clarté à la narration d'une multitude de faits compliqués, qui sont à la fois l'histoire de Médée & celle de Thésée. II avoit de grandes difficultés à vaincre ; le public a reconnu ce mérite à la représentation, & a couvert d'applaudissemens l’acte consacré à l'exposition du sujet.

Le second acte, dans lequel les trois personnages principaux, animés par des passions si opposées & des intérêts si différens, sont mis en présence, offre deux scènes intéressantes : l'une, où Egée remercie le héros d'avoir délivré ses états du taureau de Marathon ; l'autre, où Médée prend la résolution de faire périr Thésée dans une heure.

Cet acte , le plus correctement écrit des cinq, nous offre le morceau qui peut donner l'idée la plus favorable du style de l'auteur :

Egée.

O ciel ! puis-je espérer de m'acquitter jamais ;
Dût le trône où je suis payer tant de bienfaits ?
Mais, pour qui fait des rois, un sceptre est peu de chose.
Un héros le dédaigne, alors qu'il en dispose ;
Ces fragiles grandeurs, dont nos yeux sont épris,
Toujours à vos regards n'eurent qu'un foible prix ;
De ce brillant fardeau l'éclat vous importune ;
La gloire vous suffit, et le fils de Neptune
Sait venger les mortels, et non les asservir.

Thésée.

Le ciel de mon courage a daigné se servir:
C'est lui qui, m'échauffant des transports dont je brûle,
Fit par tout retentir le nom du grand Hercule.
Sa présence aux mortels promit des défenseurs ;
L'exemple d'un héros lui fait des successeurs.
Au récit de ses faits ma jeune ame enflammée,
Déjà dans l'avenir fondoit sa renommée ;
Mon ardeur préludoit à des exploits rivaux ;
La nuit même, encor plein du bruit de ses travaux,
Mille songes jaloux, assiégeant ma mémoire,
Agitoient mon sommeil des rêves de la gloire.

Au troisième acte, Médée, toujours occupée de son noir projet, imagine de faire empoisonner Thésée par les mains du père même de ce héros ; elle parvient à convaincre le roi que Thésée aspire à sa couronne, en veut à ses jours, & à force de l'effrayer sur l'imminence du péril, elle le décide à lui présenter, au milieu de la cérémonie religieuse qui se prépare, la coupe fatale. La scène est bien filée ; Egée y montre bien quelque foiblesse, mais encore plus de répugnance pour le crime ; il a le sentiment de la vertu sans avoir la force nécessaire pour la pratiquer. Cependant, au 4e. acte, il se reproche son excès de condescendance pour Médée, & l'aveuglement qui la sait céder à d'odieux conseils : il lui déclare que, sans renoncer à se venger du traître, il a changé de résolution sur le moyen de le punir ; il veut le démasquer en présence du peuple & des dieux. Médée, inquiète, lui représente que, par cette conduite, il laisse à Thésée le temps de triompher & de lui ravir & le trône & la vie. Thésée arrive à l'instant même où cette reine, aidée du chef des Pallantides, dont nous parlerons tout à l'heure , poursuit le cours de ses accusations. Egée sort , en témoignant au guerrier l'indignation qui l'anime ; étonné d'un tel changement, Thésée soupçonne le complot de ses ennemis, mais il cherche vainement le fil de la trame ourdie contre ses jours.

Le 5e. acte s'ouvre par la pompe religieuse qui avoit été préparée. Thésée déclare aux Athéniens que le crime conspire dans le palais, & les invite à renouveler leurs sermens à Egée. Médée & Pallante veulent faire retomber sur lui les soupçons, & demandent qu'il donne lui-même l'exemple de ce serment, en buvant le premier à la coupe sacrée, que les fureurs de Médée ont su rendre si dangereuse. Thésée y consent, invoque les dieux en faveur d'Egée & de sa race, reçoit la coupe des mains du roi, & tirant son épée, ajoute :

Ce glaive, tant de fois teint du sang des tyrans,
Ce glaive, effroi du crime, appui de l'innocence,
Par qui doit éclater ma gloire et ma naissance,
C'est par lui que j'en jure . . . . . .

Egée reconnoît cette épée, il doit nommer son fils le héros qui la porte ; il s'écrie...., & lui arrache la coupe empoisonnée.

Cette scène est intéressante & théâtrale, mais elle finit la pièce dès le commencement du 5e. acte. Celles qui suivent, malgré les efforts des conjurés, les fureurs de Médée, & le péril momentané de Thésée & du roi, ne peuvent plus inspirer un pressant intérêt. Le héros dissipe ces conjurés, tue Pallante leur chef, & vient annoncer au roi la fin terrible de Médée, que les enfers ont engloutie vivante.

Ce Pallante dont nous avons promis de dire un mot, étoit de l'ancienne famille régnante ; ennemi d'Egée, de son fils, & de la reine, il s'unit avec elle contre Thésée ; mais il se promet de se venger d'elle à son tour ; & Médée, de son côté, se prépare à briser ce dangereux instrument de sa haine après s'en être servie. Cette fausse réconciliation de deux ennemis ambitieux, quand l'intérêt & la nécessité les réunissant, est dans la nature ; mais elle ne produit ici que des effets secondaires.

Je ne ferai que deux observations critiques sur la contexture de la pièce : j'aurois désiré que Médée confiât ses terribles secrets à un personnage moins foible & moins nul que sa Cléone. On ne conçoit pas comment le génie puissant de Médée s’abaisse à instruire & à rassurer sans cesse une confidente timide, & dont le concours ne lui est d'aucune utilité. Il falloit auprès de Médée une autre (Enone, digne de la seconder dans ses fureurs.

Ma seconde observation tombe sur une des scènes occupées par Pallante. Ce prince vient au 4e. acte haranguer ses partisans ; il leur fait partager l'espoir qu'il a de détruire ses ennemis l'un par l'autre, & de remonter sur le trône de ses pères. Il conspire ici contre la reine dont il est le complice, & c'est dans le palais des rois qu'il a cette imprudence ; c'est en attendant Médée, qui peut arriver à tout moment. L'acteur, chargé de ce rôle, ajoute peut-être à l'invraisemblance en déclamant très haut ce passage. Je sais bien qu'on peut me citer de grandes autorités ; mais j'avoue que j'ai toujours été choqué de ces conspirations faites à pleine voix dans les lieux où tout le monde peut entendre les conspirateurs.

Le sujet a été bien choisi ; l'auteur a su lui donner une couleur vraiment tragique. Il faut le louer de n'avoir pas eu recours, pour soutenir les cinq actes, à ces épisodes d'amour dénués d'intérêt, depuis qu'ils sont devenus trop communs ; mais les ressorts qu'il a employés pour prolonger l'erreur d'Egée ne sont pas également heureux. Cette pièce, conçue & exécutée en trois actes, n'auroit pas offert sans doute les mêmes défauts de contexture, & auroit été plus rapide & plus attachante.

Les caractères principaux étoient traités dans différens auteurs de l'antiquité. Celui de Médée est bien soutenu ; Thésée a de la noblesse & inspire de l'intérêt. Grace à son sujet, l'auteur a rempli ce précepte :

D'un secret tout à coup la vérité connue
Change tout, donne à tous une face inconnue.

Mais ce secret est trop tôt révélé.

Quant au style, je dois avouer qu'il est loin d'être partout semblable au morceau que j'ai cité : il est trop souvent coupé par des phrases incidentes qui, pour la plupart, ne sont là que pour remplir la mesure ou mener la rime. Cette versification est riche de détails mythologiques, elle prouve que l'auteur est versé dans la connaissance des poëtes anciens ; elle décèle de la verve, de l'imagination, beaucoup de facilité, mais trop peu de travail. II faut que l'auteur y prenne garde, ce n'est que graces à la perfection du style que vivent tous les genres de poésie. La reprise d'Inès vient d'ajouter un nouveau poids à cette observation. En général le C. Mazoïer hasarde trop d'expressions métaphoriques qui manquent de justesse, & sa période n'est pas toujours d'une harmonie soutenue. A l'appui de ce jugement, je pourrois citer un grand nombre de vers, surtout du premier acte & des deux derniers. J'ai mieux aimé transcrire un morceau qui prouve que l'auteur a le talent de bien faire. II ne lui manque sans doute que d'être plus sévère pour lui-même, ou que d'avoir un ami tel que celui dont Boileau a fait le portrait. Je lui paroitrai bien rigoureux. Je le serois moins si, par cet essai digne d'éloges,1e C. Mazoïer, marquant d'une manière brillante son premier pas dans la carrière, n'avoit pas donné le droit d'exiger beaucoup d'un talent qui se montre avec tant d'avantages.

Geoffroy, Cours de littérature dramatique, seconde édition, tome IV (1825), p. 268-277 :

M. MAZOYER.

THÉSÉE.

Quoique le public ait un goût très-décidé pour le tragique, les tragédies nouvelles deviennent extrêmement rares ; une seule depuis dix mois a paru quelques jours sur ce théâtre, tandis qu'elles se succédaient rapidement au milieu des troubles révolutionnaires. L'art est-il devenu plus difficile ? avons-nous moins d'auteurs ? ont-ils moins de génie ? C'est ce que je n'ai garde d'examiner ici.

Puisqu'une tragédie nouvelle est une rareté, il n'est pas étonnant que Thésée ait attiré un si prodigieux concours. Le parterre s'est montré aussi bruyant avant la représentation, qu'il a paru calme et attentif pendant le cours de la pièce ; aucune beauté n'a échappé ; plusieurs défauts même ont passé pour des beautés ; et si la pièce n'a pas eu un plein succès, on ne peut pas en accuser la mauvaise volonté du public, qui ne fut jamais plus disposé à l'admiration.

Une seconde Médée n'était pas fort nécessaire à notre théâtre ; nous en avions bien assez d'une. Je ne sais si c'était pour préparer les voies à la Médée femme d'Egée, qu'on avait donné quelques jours auparavant la Médée femme de Jason ; mais on ne lui a pas rendu un grand service, car la sorcière de Corinthe fait tort à l'empoisonneuse d'Athènes ; elle commet de plus grands crimes, et n'est pas si coupable ; elle est moins odieuse et plus tragique. La Médée de Longepierre est indignement trahie et chassée par le plus ingrat de tous les époux ; ses atrocités ont du moins l'excuse de l'amour et de la vengeance ; mais la nouvelle Médée est un monstre d'ingratitude comme de scélératesse : ses forfaits ne sont inspirés que par les motifs les plus vils de l'intérêt personnel ; c'est une horrible marâtre, qui veut empoisonner le fils de son bienfaiteur par la main même de son père. De pareils forfaits, qui ne sont point ennoblis par une grande passion, sont toujours froids au théâtre.

Le sujet me paraît donc mal choisi. La mythologie ne fournissait à l'auteur qu'une situation presque usée au théâtre, et il fallait y reproduire un caractère odieux, déjà trop connu, et dont les spectateurs sont fatigués. Quand on considère ce que l'auteur avait à tirer de son propre fonds pour faire cinq actes, on doit beaucoup d'indulgence à ses efforts et à sa jeunesse. La fable nous dit qu'Egée eut un commerce secret avec OEthra, fille de Pitthée, roi de Trézène : forcé d'abandonner cette jeune princesse enceinte, il la conduisit auprès d'un rocher, qu'il souleva, et lui fit voir sous ce rocher une épée et des souliers. « Si vous donnez le jour à un enfant mâle, dit-il à OEthra, envoyez-le-moi avec ce glaive et ces souliers, qui me le feront reconnaître ; mais qu'il ne parte que lorsqu'il sera assez fort pour soulever ce rocher. » OEthra exécuta les ordres d'Égée ; mais lorsque son fils Thésée arriva dans Athènes, Médée, instruite, on ne sait comment, du secret de sa naissance, persuada à Egée que cet étranger lui tendait des embûches, et qu'il fallait l'empoisonner dans un repas. Au moment où Thésée allait boire la coupe fatale, son père le reconnut à l'épée qu'il portait. I! n'y avait pas là de quoi faire une tragédie dans le goût français. Voyons comment l'auteur, a su ajuster au théâtre cette tragédie fabuleuse.

Il a consumé tout son génie dans le rôle de Médée, et l'on peut dire que ce n'est pas une femme, mais une furie qu'il a évoquée des enfers. Il n'a pu aussi résister à l'attrait de la magie, qui prête en effet à des descriptions noires dans le goût de Crébillon. Il a fait aussi de Médée une sorcière, et dans ses idées, comme dans son langage, il y a vraiment quelque chose d'infernal ; elle est même dégoûtante à force de parler de ses crimes ; elle y met une sorte d'amour-propre ; elle se flatte un peu légèrement que les crimes de ce jour effaceront les anciens crimes. Elle devrait avoir plus de modestie ; car une mère qui égorge ses enfans pour se venger d'un père infidèle, est quelque chose de bien plus fort qu'une belle-mère qui veut faire empoisonner son beau-fils. Il n'y a pas même de comparaison.

Thésée est presque purement passif dans la pièce ; sa victoire sur le taureau de Marathon est dans l'avant-scène : du moment qu'il arrive dans le palais de son père, il n'y fait rien que persiffler cruellement Médée. Il me semble que l'auteur a dépouillé ce personnage d'un grand intérêt, en supposant qu'il est instruit de sa naissance, et en faisant connaître ce secret aux spectateurs : la reconnaissance du père etdu fils perd tout le plaisir de la surprise, et, d'ailleurs, la conduite de Thésée devient absurde; car son premier devoir , en arrivant chez son père , doit être de lui demander un entretien secret, et de se faire reconnaître , afin de concerter avec lui les moyens que la prudence et la politique exigent pour répandre dans le public ce mystère. Thésée , au contraire, par une bizarrerie très-étrange, ne veut se découvrir que dans le temple, au milieu d'un sacrifice, devant tout le peuple d'Athènes ; il demande qu'on lui permette d'amener avec lui ses guerriers au temple, et il annonce d'avance témérairement qu'il a un secret important à révéler. Le bonhomme Egée n'y regarde pas alors de si près : il consent à tout ; mais une pareille conduite est très-suspecte et même très-peu raisonnable. Malheureuse nécessité des poètes tragiques ! ils n'ont pas besoin de bon sens et de raison, mais ils ont besoin de faire cinq actes.

Thésée , après avoir obtenu d'Egée tout ce qu'il a voulu, fait partir son ami Théramène pour aller chercher ses guerriers, quoiqu'il soit venu avec eux sur la scène ; il le charge aussi d'une lettre pour sa femme Antiope, dans laquelle il lui mande de venir sur-le-champ prendre possession du trône qui l'attend. Cette lettre est d'autant pl us imprudente, que Thésée, dès le lendemain, veut s'embarquer pour la Crète, dans le dessein de combattre le Minotaure ; et par conséquent sa femme, en arrivant, ne trouvera pas son mari. Si Thésée n'eût pas été si pressé d'écrire à sa femme, quand il n'est encore sûr de rien, Médée n'aurait pu trouver de preuve pour appuyer ses calomnies ; mais elle envoie arrêter Théramène sur la route ; elle s'empare de la lettre, et la produit à l'imbécile Égée, qui ne connaît pas l'écriture de Thésée, et cependant regarde cette lettre comme une preuve convaincante. Il est vrai que le vieillard répugne long-temps à l'idée du poison ; il fait même à la scélérate Médée de très-belles réponses, qui, quoique fort communes, n'en ont pas été moins applaudies ; mais sa belle morale cède à l'intérêt que lui inspire une femme qui ne prend pas même la peine de déguiser la noirceur de son âme. Cette scène, quoique beaucoup trop longue et remplie d'amplifications oiseuses, est cependant faite avec une sorte d'art, et semble annoncer du talent ; elle a un fonds d'intérêt que le mauvais remplissage n'a pu gâter.

C'est un ornement bien ambitieux que cette tirade sur les crimes de tons les anciens rois de la Grèce, pour prouver à Egée que les enfans même des dieux sont coupables de crimes. Médée aurait pu y joindre la liste des crimes commis par les dieux eux-mêmes, qui doivent cependant être encore plus vertueux que leurs enfans. On eût dit qu'il n'y avait ce jour-là dans le parterre que des écoliers de rhétorique, amoureux de déclamations ampoulées ; car tous les lieux communs de cette espèce, qui sentent le jeune homme, étaient accueillis avec transport.

Thésée, pendant que l'on prépare sa mort, ne sait rien de ce qui se passe : cependant le froid accueil: d'Egée lui donne quelques soupçons ; et comme il ne sait que faire dans le palais, il vient demander à Médée et à Pallante, ses ennemis déclarés, quelle est la cause de la froideur du roi. Ce Pallante a des droits à la couronne ; en vertu des traités, le trône d'Athènes lui appartient après la mort d'Egée ; il a sa conjuration à part, et sa politique est de profiter du crime de Médée pour remonter au rang de ses aïeux. On voit que Thésée s'adresse bien pour prendre des informations.

Enfin, le moment du sacrifice arrive : les prêtres et le peuple remplissent la scène, et l'on voit sur l'autel la coupe fatale. Thésée fait un grand discours aux Athéniens, pour les exhorter à se lier à Égée par un nouveau serment, sans égard pour les droits de Pallante. Pallante lui demande, avec grande raison, de quel droit un étranger vient prescrire des lois au peuple, et changer l'ordre de la succession au trône. Thésée, qui n'a rien de bon à répondre, fait une invocation à Pallas, et tire son épée ; Égée n'a pas plus tôt jeté les yeux sur le glaive, qu'il reconnaît son fils. Alors Pallante, paraissant toujours agir de concert avec Médée, sort pour faire avancer ses troupes et attaquer le palais : Egée et son fils ne font point d'attention à ce mouvement ; le vieux roi ne s'occupe que de Théramène, qu'il ordonne de mettre en liberté. Au nom de Théramène, Thésée paraît surpris ; Égée s'apprête à lui conter toute cette histoire-là ; mais un petit coup de sifflet a prouvé que ce n'était pas là le moment de faire un conte. Tout le parti de l'auteur, qui était puissant et nombreux, a étouffé le sifflet sous des applaudissemens redoublés ; mais la fin de ce quatrième acte n'en est pas devenue meilleure. Le père et le fils continuent à causer ensemble, pendant que les soldats de Pallante donnent l'assaut au palais ; enfin, les mutins entendent si peu la raison, qu'un officier vient dire à Thésée :

Seigneur, tout est perdu si vous ne paraissez.

Alors Thésée quitte la conversation, et va se battre.

Le cinquième acte est tel, qu'il a fallu toute l'indulgence que l'on doit au coup d'essai d'un jeune homme, pour en supporter la représentation. Médée en négligé, tout échevelée, avec une simple robe blanche, vient encore ressasser ses maximes diaboliques dont on a été rebattu pendant toute la pièce ; sa confidente vient la chercher, et prétend qu'elle n'a qu'à paraître pour fixer la victoire ; Égée, de son côté, quitte le combat pour venir lui dire des injures ; et, quoiqu'il ait avec lui un détachement de soldats, il ne songe point à faire arrêter un pareil monstre ; Médée l'insulte, le brave, et le laisse tout seul sur la scène. Un instant après, Thésée, vainqueur, arrive, et c'est alors que l'on songe à chercher Médée ; on envoie à sa poursuite des gens avec des flambeaux : Théramène est à leur tête ; mais bientôt on entend gronder le tonnerre, et Théramène revient faire un récit ridicule de la manière miraculeuse dont Médée a été engloutie toute vivante dans les enfers, en punition de ses crimes.

On trouve dans cette pièce le germe du talent ; plusieurs beaux vers, tels que ceux-ci :

Ses exploits éclatans, gravés dans ma mémoire,
Agitaient mon sommeil des rêves de la gloire ;

de l'énergie et de la force tragique ; mais le sujet est ingrat, la fable mal construite, le rôle de Thésée froid, la fin du quatrième et tout le cinquième acte absolument mauvais. L'auteur promet, mais il a besoin de travailler. Il faut qu'il se défie des applaudissemens et des flatteurs qui essaieront, sans doute, de lui persuader qu'il est déjà un Corneille ou un Racine. Il paraît tenir beaucoup plus de Crébillon : son style, presque toujours brillant et pompeux, offre souvent des vers très-faibles et des incorrections. On ne dit point ombrage au pluriel, pour signifier défiance : on ne dit point satisfaire un devoir, etc. (6 frimaire an 9.)

– Thésée n'est pas une de ces tragédies bouffonnes qui atteignent au sublime du ridicule; c'est une composition sage et raisonnablement ennuyeuse ; on n'y rit point, mais on pourrait y dormir. Je regrette que le jeune auteur ait consumé les prémices de son talent sur un fond aussi stérile : que pouvait-il faire d'une mégère dont la scélératesse est ignoble et dégoûtante, d'un vieillard imbécile, et surtout d'un héros glacial qui, dans tout le cours de la pièce, reste les bras croisés, et ne fait rien autre chose que des épigrammes sanglantes contre sa belle-mère, et des questions impertinentes à un ennemi qui se moque de lui ? Le rôle de Pallante, qu'il a créé, prouve qu'il pourrait combiner avec succès un sujet plus heureux.

Une tragédie sans intérêt a quelquefois le mérite du style ; il y a dans Thésée quelques récits, quelques descriptions gonflées de grands mots, où l'on remarque une vaine pompe, un goût de déclamation excusable dans le coup d'essai d'un jeune homme, mais très-vicieux partout, et surtout sur la scène : tout le reste est négligé, lâche et incorrect ; quelques vers pris au hasard donneront une idée de la manière dont la pièce est écrite :

Quoi! tandis qu'en ce jour, sortant de ses douleurs,
Athènes voit finir son deuil et ses malheurs.   .   .   .
.   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .
Et, par l'amour d'Egée, assise au rang des rois,
Sur un peuple puissant qui reconnaît ses lois.

Assise sur un peuple!

.   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .
Imposez un retard
à votre impatience.
.   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .
Je saurai te punir de ne m'avoir pas craint.
.   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .

Mais je puis, quelque espoir où son orgueil s'élève,
De son ambition désabuser le rêve.

Désabuser un rêve!

.   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .
C'est lui qui, ni'échauffant des transports dont je brûle, etc.
.   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .
C'est cette noble envie et cette vive ardeur,
Par qui d'un nom fameux j'ai reçu la splendeur.

Une vive ardeur par qui on a reçu la splendeur d'un nom ! Quel galimatias ! quel jargon ! C'est ici l'occasion d'appliquer ces paroles qu'on attribue faussement à Boileau, après la lecture de Rhadamiste : Les Proaons étaient des aigles en comparaison de tels écrivains.

Hélas ! les dieux, touchés des vœux que je leur fis...

Que je leur fis serait fort plat, même en prose.

J'ai voulu que le nombre enflammant leur audace,
Et la haine au regret ne laissant point de place,
Ils pussent entre eux tous s'armer d'une vigueur,
Que chacun d'eux en vain eût cherché dans son cœur.

Quelle dureté ! quelle pesanteur ! comme cette phrase est pénible et traînante !

Quoi de si criminel à prévenir un crime?
.   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .

Mon cœur dans son courroux n'a rien qui persévère.

Vers barbare et presque inintelligible.

Je veux, en imposant silence à mon courroux,
Vous montrer des vertus qui ne sont pas en vous.
.   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .

Par de sombres complots tout parait obscurci ;
On ne vous trompe pas, et j'en connais ici.
.   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .

Et vous par qui ma vie, aux larmes condamnée,
Eût traîné du remords l'atteinte empoisonnée,
Je n'examine point quel désir empressé
Vous fit hâter mon bras à ce crime poussé.
.   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .

Puisse leur noir courroux en tous lieux te poursuivre,
Et flétrir jusqu'au bout ce qui te reste à vivre !
.   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .

Malheureux! et qui sait si tes jours conservés
Du trépas aujourd'hui seront deux fois sauvés ?

Des jours conservés qui seront sauvés ! Enfin, l'auteur a poussé la négligence et la maladresse au point de terminer la maxime qui renferme la morale de la pièce par un vers faible et prosaïque, peu propre à commander les applaudissemens.

S'il (le ciel) est lent à punir, il en est plus sévère.

Ce n'est pas ainsi que Voltaire frappe une sentence.

J'ai multiplié les preuves pour qu'on ne m'accuse point d'injustice ; mais comment éviter le reproche banal de méchanceté ? On dira : :Le rédacteur a raison, mais il est bien méchant ; le méchant, c'est le flatteur, c'est le faux ami qui, par des louanges perfides, nourrit dans un jeune homme une funeste manie ; l'homme bon, c'est l'homme franc et vrai, qui nous sert au risque de nous déplaire. Il me serait bien plus doux de pouvoir applaudir au succès de M. Mazoyer ; mais s'il avait eu de vrais amis, ils lui auraient conseillé d'employer à faire un bon ouvrage le temps qu'il a mis à solliciter cette représentation, qui sera le tombeau de sa pièce. Ce n'est pas contre un écrivain novice que je voudrais m'armer de toute la rigueur de la critique ; je réserve ses traits pour de fameux personnages dont la renommée excède le mérite, pour des idoles qui ont la tête d'or et les pieds d'argile, et devant qui on se prosterne sans oser les regarder. (29 floréal an 9.)

se prosterne sans oser les regarder. (29 floréal an 9.)

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