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Trop de délicatesse

Trop de délicatesse, comédie en un acte et en prose mêlée de vaudevilles, de Marsollier, 10 germinal an 6 [30 mars 1798].

Théâtre de la rue Feydeau

Titre :

Trop de délicatesse

Genre :

comédie

Nombre d'actes :

1

Vers / prose

prose

Musique :

vaudevilles

Date de création :

10 germinal an 6 [30 mars 1798]

Théâtre :

Théâtre de la rue Feydeau

Auteur(s) des paroles :

Marsollier

Almanach des Muses 1799.

Pièce imitée de l'anglais, et dont la représentation n'a pas été heureuse.

Courrier des spectacles, n° 403 du 11 germinal an 6 [31 mars 1798], p. 2 :

[Constat d’échec pour la pièce nouvelle, qui est « la traduction de quelques scenes » d’un original anglais. L’intrigue tourne autour de l’épineuse question du mariage : une jeune femme ne veut pas épouser celui qu’elle aime parce qu’elle n’est pas assez riche ; son amie n’ose pas refuser l’époux qu’on lui propose ; le tuteur de la première choisit de ne pas l'épouser par « crainte de la rendre malheureuse ». Finalement il provoque une explication entre sa pupille et son amant, et le mariage se fait. Deux reproches faits à cette pièce : d’abord son style, résurrection du marivaudage, « style proscrit » qui produit une « pièce froide, sans intérêt ni action, mais pleine de conversations longues et souvent fades » (on note tout de même que ce marivaudage est emprunté à une pièce anglaise) ; et puis le titre ne convient pas au critique : « on ne peut jamais, en bonne morale, avoir trop de délicatesse ». C’est plus une maladresse dans la délicatesse qu’un excès qu’on aurait dû mettre en exergue.]

Théâtre Feydeau.

La comédie en un acte et en prose, donnée hier à ce théâtre pour la première fois, sous le titre de Trop de délicatesse, n’a point réussi. On ne peut pas dire que ce soit une traduction ni une imitation de False delicacy, la Fausse délicatesse, comédie anglaise en cinq actes ; mais c’est seulement la traduction de quelques scenes de cette piece.

Caroline aimoit Richebergue, mais n’ayant point de fortune elle a cru devoir, par délicatesse, lui refuser sa main. Richebergue a vu souvent Constance chez Caroline ; il aime toujours cette derniere, mais le refus qu’il a éprouvé lui fait jeter les vues sur Constance. Il fait demander un entretien particulier à sa première maîtresse, dans l’intention de l’engager à lui servir d’interprête auprès de sa jeune amie. Caroline prend d’abord pour elle ce qui s’adresse à Constance. A la fin détrompée, elle porte la délicatesse jusqu’à instruire sa compagne des sentimens de Richebergue, et à faire un grand éloge de son caractère.

Constance qui a des obligations à Caroline, s’imaginerait manquer à la reconnoissance, en n’acceptant pas l’époux qu’elle lui propose, et est sur le point de faire par délicatesse le sacrifice de son amour pour Frédéric, lorsque Révol, son tuteur, revient de France, amoureux de sa pupile ; mais il cède à la crainte de la rendre malheureuse, et de concert avec Emilie, amie des deux jeunes personnes, il parvient à faire avoir entre les amans des explications qui les mettent d’accord.

Cette pièce froide, sans intérêt ni action, mais pleine de conversations longues et souvent fades, de ce style proscrit par le goût sous le nom de Marivaudage, a excité les murmures dès les premières scènes, et n’a pu être sauvée par le jeu des cit. Fleury, Dazincourt, et des cit. Contat et Mézeray.

Trop de délicatesse est un titre d’autant plus singulier, qu’il semble qu’on ne peut jamais, en bonne morale, avoir trop de délicatesse. Il me semble que le vrai titre de cette pièce aurait dû être la Délicatesse mal entendue, ou en conservant celui de l’ouvrage original, la Fausse délicatesse.

Le Pan.          

Le Censeur dramatique, 1798, tome troisième, n° 23 (20 Germ. an 6.), p. 276-282 :

[Le Censeur dramatique est un critique prolixe, et il prend plaisir à raconter de façon précise l’intrigue de la pièce. Le jugement porté ensuite est plutôt sévère. Si des méprises entre les amoureux donnent un certain intérêt à la pièce, si l’intrigue est assez bien filée, elle pèche par les caractères, pas assez prononcés. Chaque personnage fait l’objet d’une évaluation, entre « un rôle absolument nul » et un « rôle […] point sans intérêt ». Puis le critique énumère plusieurs griefs, l’immoralité de l'amour du tuteur (« trop déplacé pour être souffert »), la subtilité de l’intrigue (« le gros du Public n'a pas saisi la finesse de l'intrigue », un rôle inutile, « des allées et venues peu motivées » (un reproche très classique), et « une prose qui n'a rien de saillant ; des détails assez communs ; des vérités triviales ; des longueurs » : tout cela n’est pas neuf dans un compte rendu dramatique, mais explique bien que la pièce échoue. Le vaudeville final a un peu calmé les murmures, mais cela n’enlève pas au succès son caractère équivoque (le critique pense qu’il faudrait montrer une telle pièce à un public choisi, et non à des gens sans délicatesse comme on en trouve dans les théâtres). L’interprétation est évaluée acteur après acteur, puis globalement (tous méritent le respect pour leur ensemble, et leur courage face à l’hostilité du public. Finalement, la pièce, au prix de quelques modifications, pourrait obtenir du succès, on voit qu’elle est « l'Ouvrage d’un homme de beaucoup d’esprit ». Dernier point, ajouté avant l’impression : l’auteur a retiré sa pièce, preuve d’une « modestie bien rare ».]

Théâtre de la rue Feydeau.

Comédie Françoise.

Pièce nouvelle.

Le 10 germinal, on a donné la première Représentation de Trop de Délicatesse, Comédie en un acte, en prose, par M. Marsollier.

Richberg, lorsqu'il jouissoit d’une grande opulence, avoit conçu pour Caroline, dont la fortune étoit très bornée, un grand attachement. Les circonstances alors ne permirent pas cette union. Depuis, tout a changé. Caroline est devenue riche, et Richberg a perdu la plus grande partie de sa fortune, mais son cœur est resté le même. Caroline ne le chérit pas moins tendrement, mais trop de délicatesse s'oppose à leur bonheur ; celle de Richberg est alarmée, en songeant que ce mariage peut nuire aux intérêts de Caroline. Il se propose donc d'épouser Constance, jeune personne, Pupille de Reynolf, qui elle-même aime et est aimée de Frédérick, jeune homme que ses parens rappellent auprès d'eux pour lui donner une riche héritière. Reynolf, ce Tuteur, revient de ses voyages ; c‘est un sexagénaire, une espèce de Philosophe qui, malgré son âge et sa Philosophie, prétend à la main de sa Pupille. Emilie, qui est l’Amie de toute cette Société, est chargée d'accorder tant d'intérêts divers, et ce n’est pas sans peine qu'elle en vient à bout.

Richberg charge Caroline de disposer pour lui le cœur de Constance ; et tel dur que lui paroisse un tel soin, dont le succès lui doit enlever le seul homme qu'elle aime, elle interroge cette jeune personne sur ses sentimens. Quoique Constance aime Frédérick, et n’ait aucun goût pour Richberg, sa déférence pour son Amie lui arrache un consentement, dont la tendresse de Caroline est vivement alarmée. Elle parvient cependant à découvrir que le cœur de Constance est engagé; ce qui la rassure un peu.

Un second entretien avec Richberg lui prouve qu’il n'a point renoncé à son ancien attachement pour elle, et que le cruel sacrifice qu'il s'imposoit est une suite de son extrême délicatesse ; l'officieuse Emilie achève de les mettre d'accord, et de les disposer à faire réciproquement leur bonheur.

Reynolf, de son côté, sonde le cœur de sa Pupille ; et voyant qu'elle n'a pour lui que de la reconnaissance, il fait le sacrifice des vues qu'il avoit sur elle, et consent même à son union avec Frédérick. Il se charge de faire entendre raison aux parens de ce jeune homme, et il espère d'autant mieux y réussir, qu'assurant tout son bien à Constance, elle devient un parti considérable.

Voilà à-peu-près le plan de cette petite Comédie. Ces amours croisés produisent différentes scènes et quelques méprises qui y jetent une sorte d'intérêt, et quoique le dénouement soit prévu, l'intrigue est assez bien filée.

Si les caractères eussent été plus prononcés, elle auroit peut-être joui d’un meilleur sort ; mais on n’a vu dans Reynolf qu'un demi-Philosophe bavard et insignifiant, dont la morale triviale ne pouvoit intéresser, et que son amour déplacé rendait ridicule, sans qu’il offrît rien de plaisant.

On a remarqué quelques saillies dans le rôle d'Emilie ; mais on ne sait trop ce que c'est que ce Personnage, qui embrouille tout au lieu de tout arranger, et qui d'abord nuit plus à l’intrigue qu’il n’y sert.

Le rôle de Constance est très peu de chose ; c'est une jeune personne naïve, et qui n’a point de volontés. La facilité avec laquelle elle consent à épouser Richberg, quoiqu’elle aime Frédérick , n'inspire pas pour elle un grand intérêt.

Ce Frédérick est un jeune Amoureux, comme -il y en a tant, un rôle absolument nul.

Les deux meilleurs rôles de cette petite Pièce sont donc ceux de Richberg et de Caroline ; c'est aussi sur eux que porte toute l'attention.

Mais, quoique ce Richberg soit honnête, sensible et délicat, il n'inspire pas un bien vif intérêt, parce qu'une délicatesse, poussée à l'excès, est trop peu dans nos mœurs actuelles pour qu'on en sente tout le mérite, et qu'en définitif, il y a peut-être plus d'orgueil que de véritable générosité à refuser de devoir sa fortune à une femme qu'on aime. L'explication qu'il a avec Caroline et les mal-entendus qui prolongent cette scène, offrent cependant des détails agréables et remplis de sentimens.

Le rôle de Caroline n'est assurément point sans mérite. Elle se trouve dans une position assez neuve, délicate et intéressante. La pudeur naturelle à une femme bien élevée ; la crainte de n'être plus aimée ; un peu de jalousie , et par dessus tout un embarras qui l'empêche de s'expliquer, donnent un certain charme à ce caractère, et rendent cette jeune Veuve intéressante. Les scènes avec Richberg sont filées avec assez d'art, et ont été écoutées avec plaisir.

Mais ce qui a nui principalement au succès de cette Comédie, qui a- été plusieurs fois sur le point de n'être pas achevée, c'est d'abord l'amour de Reynolf pour sa Pupille, qui, comme nous l’avons dit n'est pas assez ridicule pour faire rire, et qui a paru trop déplacé pour être souffert. Ensuite le gros du Public n'a pas saisi la finesse de l'intrigue, dont les fils sont peut-être trop délicats; et ce qu'on ne comprend pas rarement amuse ou intéresse. Puis ce rôle d'Emilie, dont on attendait quelque chose et qui ne produit rien ; des allées et venues peu motivées ; tous les personnages amenés sur la scène vers le milieu de la Pièce, et qui sortent presque tous l'un après l'autre au moment où l'on attendoit le dénouement : ajoutons à cela une prose qui n'a rien de saillant ; des détails assez communs ; des vérités triviales ; des longueurs, et nous serons moins surpris de la destinée de ce petit Ouvrage.

Le Vaudeville qui le termine, et dans lequel on a remarqué un ou deux Couplets assez jolis, a ramené un peu les Spectateurs, et a été fort applaudi ; mais les murmures qui avoient eu lieu, et qui avoient souvent éclatés même avec indécence depuis le milieu de la Pièce, en rendent le succès au moins très équivoque.

Pour des Comédies de ce genre, il faudroit un plus petit Théâtre, un cercle de Spectateurs plus resserré et surtout mieux choisi. Comment veut-on faire admirer trop de délicatesse à des gens qui n’en ont pas assez, et qui sont par conséquent si loin de sentir tout le prix de cette vertu ?

La Pièce a été jouée avec l'ensemble et la supériorité qu’on pouvoir attendre de la réunion de talens quelle offroit.

M. Fleury a mis, dans le rôle de Richberg, de la sensibilité, de la grâce et de la finesse. Il l’a détaillé avec esprit ; il l’a fait valoir avec intelligence.

Mlle Contat a mis, dans celui d’Emilie, toute la grâce et la gaieté qu’on lui connoît ; mais lorsque le Public est une fois monté, il n’écoute plus rien ; c'est ainsi que nous avons perdu une scène très vive qu'elle a avec Reynolf, et qui, bien écoutée, auroit produit un effet agréable.

Ce rôle de Reynolf, quoiqu'il n’ait aucun rapport avec l'emploi des Comiques, a été confié à M. Dazincourt, qui certainement en a tiré le meilleur parti possible, et qui y a mis de la rondeur, de la franchise et de la sensibilité ; ce n’est donc pas sa faute, si ce rôle n'a pas été mieux accueilli.

Les rôles de Frédérick et de Constance, joués par M. Armand et par Mlle Mars, sont peu de chose. La dernière a mis dans le sien assez de grâce et de naïveté.

Mais c’est surtout Mlle Mézeray qui a mérité et recueilli de nombreux applaudissemens. Elle a déployé, dans le rôle de Caroline, une sensibilité touchante et vraie, elle en a nuancé les diverses teintes avec une très grande intelligence ; elle y a eu un maintien noble et des inflexions très justes. Ce petit rôle enfin ne peut que lui faire beaucoup d'honneur.

On doit des éloges à tous les Acteurs pour l'ensemble qu'ils ont mis dans cette Pièce, et le courage avec lequel ils ont. su faire tête à l’orage, en forçant le Public de l'écouter jusqu'au bout, et en lui arrachant plus d'une fois des applaudissemens mérités. Tout ce tumulte ne les a point effarouchés, et n’a. rien ôté de l'agrément de leur jeu.

Il est possible qu'en supprimant l’amour de Reynolf, en liant davantage les dernières scènes; en resserrant quelques détails et en faisant quelques sacrifices, cette Pièce reparoisse, et même obtienne du succès. Nous en avons vu réussir qui, à tous égards ne la valoient pas. Mais telle qu’elle est, on peut encore la regarder comme la conception d'une ame honnête et sensible, et comme l'Ouvrage d’un homme de beaucoup d’esprit, qui a pardevers lui des succès assez nombreux, et un Répertoire assez riche d’Ouvrages agréables, pour se consoler aisément de cette légère disgrâce.

N. B. Au moment où nous imprimons cet article, mous apprenons que, par l'effet d'une modestie bien rare, M. Marsollier a retiré sa Pièce.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, troisième année (an sixième (1798), tome sixième, p. 540-541 :

[Jugement nettement moins précautionneux que celui du Censeur dramatique : pas de succès, et elle n’est allée à sa fin que par respect envers les acteurs chargés d ela jouer. Pour l’essentiel, l’article se réduit ensuite à tenter de résumer une intrigue présentée ensuite comme compliquée : « trop de délicatesse » dans Trop de délicatesse : la pièce est « fidèle à son titre ».]

La petite pièce intitulée Trop de Délicatesse, en un acte et en prose, jouée sur le théâtre de la rue Feydeau, n'a pas eu de succès, et il est même probable que sans l'estime qu'on a pour les acteurs chargés de la jouer, elle n'auroit pas été écoutée jusqu'à la fin.

Les personnages sont au nombre de six, trois hommes et trois femmes, et tous six ont trop de délicatesse.

Caroline, amante aimée de Richebergue, a refusé de l'épouser, et s'est mariée avec un autre, parce que Richebergue étant riche, elle a cru sa délicatesse intéressée à ce refus. Richebergue, attribuant ce refus au défaut d'attachement, conserve toujours des sentimens tendres pour Caroline, mais par délicatesse il croit devoir cesser ses poursuites ; et quoiqu'elle soit devenue veuve, voulant se marier, il jette les yeux sur Constance, amie de Caroline. Caroline, par délicatesse, se charge de la commission : Constance a des obligations à Caroline, et par délicatesse elle croit devoir accepter Richebergue pour ne pas offenser son amie ; elle aime pourtant Fréderic, qui, par délicatesse, n'ose insister de peur de contrarier les vues de Constance. Emilie, amie et confidente de Caroline, est seule instruite de tout, et sert d'intermédiaire à tous; mais pour ne point trahir le secret de Caroline, et d'ailleurs par délicatesse, elle garde un silence fort embarrassant pour tous les autres. Enfin, Revol, tuteur de Constance, arrive de France fort amoureux de sa pupille ; mais ne voulant pas abuser de son pouvoir, par délicatesse, il se propose de sonder ses goûts. Pour s'en assurer, il lui offre un mari de 6o ans ; la jeune Constance le trouve un peu vieux : ce trait de lumière frappe le bon cœur de Revol, qui, par délicatesse, renonce à ses prétentions. L'effet de toutes ces délicatesses étant d'exclure toute franchise, il en résulte un imbroglio difficile à terminer. Enfin Emilie parle, et tout s'arrange au gré des amans. On peut voir, par cette analyse, que le défaut capital de trop de délicatesse est, pour être fidèle à son titre, de présenter en effet infiniment trop de délicatesse.

La base César ne semble pas connaître cette pièce.

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