L'Utilité du divorce

L'Utilité du divorce, comédie en trois actes, en prose, d'Augustin Prévost, 24 fructidor an 6 [10 septembre 1798].

Théâtre Sans Prétention.

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Fages, an 10 [1801] :

L'Utilité du divorce, comédie en trois actes, en prose ; Par Prévost, Artiste Dramatique, et Directeur du Théâtre Sans Prétention ; Représentée, pour la première fois, Paris, le 24 fructidor an 6. Seconde Édition.

Le texte de la pièce est précédé d'une longue préface, p. 2-3 :

[La pièce de Prévost a subi les foudres de la censure, et aussi, et peut-être surtout l'incohérence de l'administration, qui a exigé des coupures et des modifications que Prévost dit avoir acceptées à quelques exceptions près (sa pièce n'est pas possible sans le travestissement de l'homme en femme). Il proteste contre l'absence de réponse à ses courriers, il s'attache aussi à montrer que sa pièce a une valeur morale, qu'elle plaide en faveur de la loi sur le divorce dont il soutient qu'elle est utile.]

L'Italien marié à Paris, m'a donné l'idée de cette pièce. Bien des gens vont dire en voyant l'intitulé : voilà encore du triste; eh bien, l'on se trompe, c'est au contraire du gai : l'on a beaucoup ri à la représentation ; c'est parce que l'on y rit encore tous les jours que je la fais réimprimer. Ce n'est pas sans difficulté, que, sous le règne de liberté, elle a obtenu l'approbation du Censeur ; ce n'est qu'aux conditions marquées à l'original, telles que les voici:  et il faut dire que dans Paris, la moitié des femmes courent les rues habillées en hommes.

« Ne point travestir un homme en femme, et lui donner ainsi déguisé une femme en garde. Cette situation, sur-tout aussi prolongée qu'elle l'est, prête à des idées contraires aux mœurs. La dénomination de Monsieur ne peut subsister, sur-tout donnée à Dorimon, Passer les endroits rayés. Vu au Ministère de la Police générale; le chef de la première division, le 16 thermidor. »

Notez que l'approbation est sans signature et sans année.

Voilà donc ma pièce approuvée et réduite de manière qu'il n'y en a point. Que faire ? Pester tout bas contre la liberté. Cependant, après avoir réfléchi, j'écrivis la lettre suivante :

Citoyen, je me conformerai volontiers aux suppressions que vous avez faites dans ma pièce intitulée l'Utilité du Divorce, excepté le déguisement de l'homme en femme sans lequel il ne pourroit y avoir de pièce. Vos grandes occupations vous ont sans doute empêché de voir qu'il n'y a aucune indécence dans ce déguisement ; qu'il ne reste point seul avec la femme ; que c'est son cousin ; qu'il est amené par son pere, et qu'ils sortent sur-le-champ pour se rendre chez ses amis ; que le jeune homme a le plus grand intérêt à ne point découvrir son sexe, qu'il n'y a que le jaloux qui se trouve instruit. A la fin la pièce, tous les interlocuteurs le croient femme ; il se trahit lui-même, en disant si j'avois eu mon épée, etc.

La morale qui est répandue dans toute la pièce, est assez forte pour contribuer à la correction des mœurs ; c'est mon seul but : et j'ai l'orgueil de croire que cette pièce peut être mise au nombre de celles qui sont les plus utiles à la société.

Pardonnez toutefois, si je prends la liberté de vous écrire ; mais mon temps m'est précieux, que je ne puis aller moi-même vous faire mes petites observations, et vous prie de me croire avec respect aux loix, votre Concitoyen, PREVOST, Directeur du Théâtre Sans Prétention.

Nota. Quant aux phrases supprimées, je crois que l'on ne doit point me savoir mauvais gré de les avoir employées. J'ai mis cette scène de maître à danser, pour faire voir l'indécence de ceux qui montrent cette futilité ; il y en a qui la poussent jusqu'à faire déshabiller les femmes ; j'en ai vues en chemise avec un seul caleçon, prendre des leçons.

Quant à la phrase des voleurs, il faudroit donc aussi empêcher les colporteurs crier, tous les jours, des vols et des assassinats : cependant, je vous le répète, que je me conformerai à ces suppressions.

Voyant que je n'avois point de réponse, je me décidai à faire représenter ma pièce ; mais le lendemain ce n'est plus le Ministre de la police, c'est le Bureau central qui m'écrivit une lettre, par laquelle l'on me mande d'apporter sur-le-champ le manuscrit : disant que l'on avoit avili le nom de Citoyen, en le prodiguant à un être dégradé ; que la soubrette l'avoit prononcé avec malignité, que je dise son nom et celui de l'Auteur, ainsi que leur demeure, afin que l'on puisse sévir contre eux avec toute la sévérité des loix. Me voici donc encore une fois à réfléchir sur ce que pouvoit signifier l'exergue de la lettre du Bureau central, liberté, égalité. Cependant ma pièce est arrêtée, et je suis, en attendant que l'on vienne me chercher, ainsi que la soubrette, pour jouir de cette liberté dans quelque étroite prison ; mais j'ai eu le bonheur de ne point voir arriver un ange conducteur. Flottant toujours entre la crainte et l'espérance, je résolus d'envoyer au Ministre la lettre du Bureau central, accompagnée de celle ci :

Citoyen, je prends la liberté de vous écrire, pour vous demander la conduite que je dois tenir. Après avoir suivi ponctuellement vos ordres, et observé les suppressions que vous avez faites dans ma pièce, cependant je reçois du Bureau central la lettre ci-jointe. Je me trouve humilié d'être traité de cette manière sans l'avoir mérité ; j'ai toujours suivi la loi que l'on m'a imposée ; mais encore faut-il qu'il y ait une règle déterminée. Vous m'ordonnez de dire Citoyen, l'on m'en fait un crime ; je veux bien croire que ce sont des agens ineptes, qui ont mal fait le rapport : disant que le mot Citoyen a été répété dans toute la salle. C'est une fausseté ; l'on a beaucoup ri du personnage qui vient donner une leçon de danse, ayant une difficulté de parler, et les jambes torses. C'étoit ce que je m'étois proposé en faisant cette scène ; car la manière d'écrire d'aujourd'hui est toute différente que par le passé ; l'on ne peut faire écouter la morale, si elle n'est assaisonnée de quelques plaisanteries. Je reviens à mon personnage, qui est un parfait honnête homme, un français, et qui n'est point un être dégradé pour être contrefait. Je vous prie, Citoyen, de decider, si je dois dire Citoyen ou Monsieur, dans la scène du maître de danse. Je vous soumets de nouveau le manuscrit, et suis en attendant tout de votre justice ; votre Concitoyen, PREVOST.

Encore point de réponse, et moi de pester de nouveau, et de maudire un métier obligé d'être soumis aux caprices de différentes autorités qui ne s'entendent pas entre elles : c'est ainsi que l'on est ballotté, et les intérêts n'en souffrent pas moins : mais nous sommes libres ; l'on doit passer par dessus tout, pour jouir d'un si grand bienfait : il est vrai qu'il y en a à qui cette liberté a fait beaucoup de bien, mais c'est à celui qui ne connoît point de frein ; qui passe par-dessus toutes les convenances sociales ; qui, sachant que le peuple est plutôt porté d'inclination à se pervertir qu'à s'instruire, imagina des établissemens funestes aux mœurs ; comme maisons de jeux, de débauches, assemblées crapuleuses, connues sous le nom de bastringue, où l'homme même peu scrupuleux, rougiroit d'entrer. Cependant, sous les auspices de la liberté, ces manières d'amusemens sont tellement devenues en vogue, que c'est une épidémie ; aussi je pleure sur le sort de notre malheureuse France : que de suicides, d'assassinats s'ensuivent de pareilles licences ; que de ménages perdus par le jeu, de santés altérées par les suites de toutes ces débauches ; quelle ignorance succédera à la suite d'un siècle qui se passe dans le libertinage, causé par le mot liberté que l'on a jamais compris ! L'honnête homme gémit et se tait. Craignant d'être victime de cette liberté qui s'est trouvé dégénérée en licence : je crois même que je ne ferai pas mal de me taire aussi, car les censeurs pourroient me faire appercevoir que cette liberté n'est que le mot, et non pas la close.

Revenons plutôt à ma pièce. N'ayant donc point de réponses, point de nouvelles, ne voyant point d'ange conducteur, j'ai pensé que j'étois oublié, ou que l'on n'avoit point trouvé mon crime assez grand, que j'étois assez puni par la bourse. Chaque jour le Public me demandoit pourquoi je ne représentois plus cette pièce, et ne voulant pas lui en dire la raison, je lui donnai pour réponse, une indisposition d'Artistes. Ma défaite ne fut pas pour lui argent comptant; il vouloit me forcer de m'expliquer: pour ne point lui deplaire, je résolus de rejouer la pièce, et il en fut fort satisfait. Je n'ai point reçu de nouveaux ordres, et j'ai continué de la représenter. Je vous l'offre donc aujourd'hui ; ce n'est pas un chef-d'œuvre, c'est seulement une petite morale, entortillée d'une petite intrigue plaisante pour vous désennuyer, et vous faire voir l'utilité de la loi du divorce, que beaucoup de gens ont blâmée, faute d'avoir réfléchi au bien qu'elle pouvoit faire. Je conviens aussi qu'elle peut être nuisible, et qu'elle fait faire des mariages par la facilité de les briser ; mais il est certain que celui qui a mauvaise intention, trouve toujours les moyens de faire le mal. Cette loi ne le favorise donc en rien, et dégage de l'esclavage de malheureuses femmes qui ont eu la faiblesse de se laisser tromper, ou qui auroieut été forcées par leur parens, de former des nœuds contre leurs inclinations. Si, dans ma pièce, j'ai tâché de prouver l'utilité de cette loi, j'invite toujours ceux qui la liront, de profiter de la dernière phrase que la soubrette adresse au Public.

Votre Concitoyen, PREVOST.          

Liste des personnages :

PERSONNAGES.

Acteurs.

ARISTE, jaloux.

Leroy.

CLARICE, sa femme.

Lacroix.

DORIMON, père de clarice.

Larue.

CLITANDRE, neveu de Dorimon, sous les habits et le nom de Lucinde.

Auguste.

LISETTE, suivante de Clarice.

F. Leautier.

PASQUIN, valet de Mde Araminte.

Boulanger.

ARAMINTE, amie de Clarice.

Emilie.

ISIDOR, mari d'Araminte.

Lepreux.

Un Maître à danser.

Lacroix.

CROCHET, serrurier

Prévost.

Aux actes 1 et 3, « le Théâtre représente l'appartement d'Ariste », tandis qu'à l'acte 3, « le Théâtre représente la place publique ».

C'est, à la fin de la pièce (acte 3, scène 4, p. 34 de la brochure), Lisette qui tire la leçon à retenir :

Cette loi doit répugner à tous les époux bien unis; mais ce qui nous prouve son utilité, c'est qu'elle fait rentrer dans le devoir ceux qui pourroient s'écarter des règles de la bienséance, et dégager des liens de l'esclavage ceux dont les caractères deviennent incompatibles. Mais, Citoyens, si vous voulez suivre mon avis, c'est de bien réfléchir avant que de former les nœuds du mariage, afin de ne pas avoir la peine de les briser après.

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