Une nuit de la Garde Nationale 1815

Une nuit de la Garde Nationale, tableau-vaudeville en un acte, de Scribe et Delestre-Poirson, 4 novembre 1815.

A ne pas confondre vec la pièce homonyme, d'auteur inconnu, de 1814.

Sur la page de titre de la brochure, seconde édition, à Paris, chez Fages, 1816 :

Une Nuit de la Garde nationale, tableau-vaudeville en un acte; par MM. Eugène Scribe et Delestre-Poirson, représenté, pour la première fois, sur le théâtre du Vaudeville, le samedi 4 novembre 1815.

Journal de Paris, n° 309 du 5 novembre 1815, p. 1-2 :

[Le critique ne craint pas de trop flatter le pouvoir en place (ou celui des occupants alliés). Après avoir prêté allégeance à la famille royale et au nouveau directeur du Théâtre du Vaudeville (cela ne peut pas nuire), il résume une intrigue se déroulant dans un « corps de garde », où deux hommes tendent un piège au mari de celle qui refuse l'un d'entre eux comme mari de sa jeune sœur : il le fait passer pour infidèle, mais il ignore qu'il l'est en effet. La femme, offensée, se précipite en tenue de garde national au corps de garde où son mari s'est volontairement fait mettre aux arrêts. Madame fait l'exercice comme un vrai garde national, puis est choisie pour ramener à la maison son époux : les deux ont besoin de se réconcilier, mais dans un vaudeville c'est jeu d'enfant. Le critique ne le dit pas, mais il est probable que le jeune prétendant à la main de la jeune sœur de madame va l'épouser : le contraire serait une grave entorse aux lois du vaudeville. Comme la pièce est tout à fait conforme à l'air du temps, le critique achève son article par une foule d'éloges : bien sûr, la pièce est parfois invraisemblable (et le critique minimise avec soin le poids de ces invraisemblances), mais elle est bien conçue et gaie, elle reflète une observation très fine de la vie nocturne des corps de garde, le couplets en sont remarquables, et il en donne un exemple qu'il juge éclairant. D'une gaieté « sans gravelures » (c'est rare au Vaudeville), elle est pleine « de mots heureux, qui ont excité un rire général ». Et les auteurs ont eu la modestie louable de rester anonymes, pas comme « certains de leurs confrères, qui souvent ont le cynisme de livrer leurs noms ou leurs prénoms aux sifflets du public ».

THÉATRE DU VAUDEVILLE.

Première représentation d'Une Nuit au corps-de-garde,
tableau-vaudeville en un acte..

Une petite pièce où la garde nationale est mise en scène ne peut manquer d'intéresser vivement les Français, et surtout les Parisiens. C'est avec orgueil que la France a applaudi au zèle de ces citoyens soldats, dont la sage fermeté a sauvé deux fois la capitale des malheurs qu'une guerre étrangère pouvait lui attirer. Jamais l'ordre et la tranquillité ne furent mieux observés que lorsque les alliés occupèrent Paris ; et Dieu sait si, en avril 1814, cet ordre était facile à établir !

Le hasard semble avoir merveilleusement servi les auteurs d'Une Nait au corps de garde. C'est le jour de la Saint-Charles, jour où la garde nationale parisienne célèbre avec tant de plaisir la fête de son colonel général et même celle du maréchal qui la commande sous ses ordres, que le théâtre de la rue de Chartres donne au public une nouveauté dont cette garde fait tous les honneurs. Je soupçonne M. Désaugiers d'être pour quelque chose dans ce hasard. Personne ne sait mieux que cet aimable chansonnier saisir un à propos, et les spectateurs, qui paraissaient être dans la confidence, se sont empressés d'affluer dans l'enceinte du petit Vaudeville. Chacun était curieux de voir si dans cette Nuit au corps de garde il ne reconnaîtrait pas quelques- uns de ces épisodes où il avait figuré lui- même comme acteur.

On conçoit qu'avant tout il faut une intrigue au théâtre. Le titre de la pièce annonçait d'une manière positive le lieu de la scène. Le caporal Saint-Léon, et son ami Dorval, sont tous deux de service. Le premier fait part à son camarade qu'il a demandé la main de la jeune sœur de Mme de Versac, et que cette dame, dans la lettre qu'elle lui a écrite a ajouté à la suite du refus, je n'aime pas les fats ; ma sœur pense comme moi. Saint- Léon, piqué de ce procédé, veut se venger. Il imagine pour cela d'exciter la jalousie de Mme de Versac, et lui fait savoir en effet que son mari doit avoir un rendez-vous avec une jolie femme. Le moyen qu'une nouvelle mariée, comme Mme de Versac, apprenne une pareille nouvelle de sang-froid ! Il se trouve que Versac, de son côté, a fait en garçon une partie suivie d'un bal qui s'est prolongé assez avant dans la nuit. Le pauvre mari a peur d'être grondé par sa femme qui tient beaucoup à l'exactitude : il ne voit rien de plus simple que de venir prier l'officier du poste de l'arrêter et de lui permettre d'attendre au corps de garde la fin de la nuit. Lorsque le jour paraîtra, dit cet époux novice, je me ferai reconduire chez moi par deux gardes nationaux, et ma femme, au lieu de se fâcher, me plaindra au contraire d'avoir été arrêté. Versac passe donc dans la chambre de l'officier en attendant le moment de rentrer chez lui.

Mais Mme de Versac a dans les mains le prétendu billet doux que le caporal Saint-Léon lui a fait tenir ; elle a pris l'uniforme de son mari, avec l'intention de prendre sa place au rendez-vous indiqué, lorsque la sentinelle la fait entrer malgré elle au corps-de- garde. Le père Laquille, instructeur de la compagnie, oblige ce nouveau camarade à faire l'exercice. On revient de la patrouille : Mme de Versac reconnaît Saint- Léon ; elle implore sa protection ; et Saint-Léon, que la circonstance favorise, est bien aise de prouver à cette dame qu'un fat peut quelquefois être utile : il la fait donc passer pour son frère. Mais voilà qu'on fait l'appel des hommes du poste, et au lieu de dix il s'en trouve onze. Le jour paraît ; il est question de reconduire Versac chez lui, et sa femme est désignée pour cette corvée. Surprise de la part de Versac, surprise encore plus grande de la part de sa femme ; reconnaissance, explication et raccommodement. Saint-Léon, étant convenu que le rendez-vous était de sa façon, prétend que les deux époux, quoiqu'au corps-de garde, ont passé la nuit ensemble, et que c'est comme s'ils n'avaient quitté de chez eux.

A quelques invraisemblances près, cette intrigue paraît nouée avec adresse. Ce qui contribue beaucoup à l'égayer, ce sont certains détails de localité qui sont à la portée de tous ceux qui ont monté leur garde. L'instructeur, le tambour, la marchande de petits pains et d'eau-de-vie, un certain M. Pigeon, qui ne s'est point encore fait faire d'uniforme, et qui monte sa garde en habit maron, donnent à cette bluette un air de connaissance qui a beaucoup égayé le public. Les couplets sont facilement tournés ; en voici entr'autres un qui est chanté par Mme Brise-Miche, marchande ambulante de comestibles, et que le public a fait répéter.

Air : Sans mentir.

Pendant long-temps pas un verre,
Pas un gâteau de vendus.
On n'faisait rien à Nanterre,
Le commerce n'allait plus.
Maint'nant contr' un' présidente
Je ne chang'rais pas d'emploi ;
On dirait qu'la soif augmente,
Et tout l'mond' veut boir', je croi,
D'puis qu'on boit (
bis) à la santé d' not' bon Roi.

Cette petite pièce est gaie sans gravelures, mérite devenu bien rare depuis longtemps au Vaudeville. Le dialogue renferme une foule de mots heureux qui ont excité un rire général. Le succès complet qu'a obtenu cette nouveauté est d'autant plus flatteur pour les auteurs, qu'il est mérité. Ils ont voulu garder l'anonyme, et ne se sont fait annoncer que sous le titre de deux chasseurs de la garde nationale ; bien différens en cela de certains de leurs confrères, qui souvent ont le cynisme de livrer leurs noms ou leurs prénoms aux sifflets du public,

Mercure de France, tome 64 [1815], novembre 1815, p. 472-473 :

[Compte rendu de la même pièce que dans le Journal de Paris, mais avec beaucoup moins d'enthousiasme : le critique a ri parfois, mais il n'a pas trouvé dans la pièce « un tableau, un croquis de nos mœurs et de nos habitudes ». Ce qu'il a vu ne correspond pas à son expérience d egarde national, et il aurait voulu voir «  d'autres incidens plus vrais et plus piquans que la rencontre ridicule de deux époux dans un corps-de-garde ». Il ne sauve que le personnage de M. Pigeon qui cumule tous les ridicules du bourgeois craintif qui fait un piètre défenseur de la patrie. L'article s'achève par une invitation aux auteurs : ils ont de l'esprit, et ils peuvent, en puisant dans la nature, faire de « la bonne comédie ».]

Mécontent du Théâtre Français, fatigué de tragédie, je suis allé voir la première représentation d'une Nuit de Corps-de-Garde au Vaudeville, dont le nouveau directeur, M. Désaugiers, a promis de nous faire rire, ce qui n'est vraiment pas facile en ce moment. J'ai ri en effet de quelques couplets assez gais, assez joliment tournés ; mais j'ai vainement cherché, dans cette bluette, un tableau, un croquis de nos mœurs et de nos habitudes. Je monte ma garde fort souvent, ainsi que mes concitoyens, et je n'ai jamais vu qu'un mari parisien eût besoin de se faire arrêter et consigner dans un corps-de-garde, pour éviter une scène conjugale; je n'ai jamais vu une femme de bonne compagnie endosser notre uniforme, courir les rues pendant la nuit après un époux infidèle...... Voilà bien de la sévérité pour un vaudeville, direz-vous; mais est-ce donc demander l'impossible que d'exiger le sens commun d'un auteur de vaudeville ? Ne pouvait-on créer d'autres incidens plus vrais et plus piquans que la rencontre ridicule de deux époux dans un corps-de-garde ? Rien n'était plus facile, et ce sont les auteurs eux-mêmes qui m'en fourniront moyen ; il suffisait de mettre en action le récit du commandant de la patrouille, et d'amener sur le théâtre les divers originaux qu'il a rencontrés dans sa promenade nocturne. Il en serait résulté des scènes vives, naturelles, et dont ils auraient tiré un aussi excellent parti que M. Pigeon, bon bourgeois, qui se croit mort chaque fois qu'il monte sa garde, et qui ne marche jamais sans son bonnet de coton ; en récompense, il arrive au poste sans giberne, sans fusil, sans briquet...... Nous voyons quelquefois des originaux de cette espèce : le portrait est fidèle ; aussi a-t-on ri de bon cœur, et M. Pigeon presque seul a-t-il fait réussir la pièce.

La bonne comédie est toujours puisée dans la nature. Les deux auteurs ont de l'esprit : qu'ils la consultent, qu'ils tâchent de la prendre sur le fait, et je leur garantis des succès assurés.

La pièce a été représentée au Grand Théâtre de Lyon, et le Journal du département du Rhône, n° 133 du mardi 19 décembre 1815, p. 4, en a rendu compte :

[Un compte rendu plus favorable : hommage à la Garde nationale pour son rôle dans le maintien de l’ordre ; résumé de l’intrigue ; jugement plutôt positif sur l’intrigue et des détails « qui contribue[nt] beaucoup à l’égayer », des couplets pleins d’allusions aux événements du temps (allusions très appréciées par le public). Et les interprètes sont eux aussi félicités (même si certains n’étaient pas très audibles).]

Première représentation d’une nuit de la garde nationale, tableau-vaudeville.

La garde nationale a acquis, dans les deux années malheureuse que nous venons de traverser, des droits incontestables à la reconnaissance publique. la ville de Lyon n’oubliera pas ce qu’elle doit à ces soldats-citoyens, dont le zèle et l’attitude imposante ont maintenu l’ordre et la tranquillité au milieu des événemens les plus effrayans et des circonstances les plus critiques. C’est, à coup sûr, une idée heureuse que celle d’exciter l’intérêt des Français, en mettant en scène la garde natiionale.

Avant tout, il faut une intrigue au théâtre ; voici celle que les auteurs de ce vaudeville ont imaginée. La scène se passe au corps-de-garde. Le caporal St-Léon et son ami Dorval sont tous deux de service. Le premier fait part à son camarade qu’il a demandé la main de la jeune sœur de Mad. de Versac, et que cette dame, dans la lettre qu'elle lui a écrite, a ajouté, à la suite d'un refus : Je n'aime pas les fats ; ma sœur pense comme moi. St-Léon, pour se venger, veut exciter la jalousie de Mad. de Versac, en lui faisant savoir que son mari doit avoir un rendez-vous avec une jolie femme. Versac, qui de son côté a assisté à un bal prolongé assez avant dans la nuit, a peur d’être grondé par sa femme qui tient beaucoup à l’exactitude. Il ne voit rien de plus simple que de venir prier l’officier de poste d el’arrêter, et de lui permettre d’attendre au corps-de-garde la fin de la nuit ; puis quand le jour paraîtra, de le faire conduire chez lui par deux gardes nationaux, certain que sa femme, au lieu de se fâcher, le plaindra au contraire d’avoir passé une mauvaise nuit. L’officier consent à tout et le fait entrer dans sa chambre.

Cependant Mad. de Versac, tourmentée par le prétendu billet doux que le caporal St-Léon lui a fait tenir, prend l’uniforme de son mari, et court à sa place au rendez-vous indiqué. Mais la sentinelle la fait entrer malgré elle au corps-de-garde. Le père Laquille, instructeur de la compagnie, oblige ce nouveau camarade à faire l’exercice. On revient de la patrouille, Mad. de Versac reconnaît St-Léon ; elle implore sa protection, et St-Léon s’empresse de prouver à cette dame qu’un fat peut quelquefois être utile ; il la fait donc passer pour son frère. Mais voilà qu’on fait l’appel des hommes du poste, et au lieu de dix, il s’en trouve onze. Le jour paraît ; il est question de reconduire Versac chez lui, et sa femme est désignée pour cette corvée. Surprise de la part de Versac, surprise encore plus grande de la part de sa femme ; reconnaissance, explication et raccommodement.

A quelques invraisemblances près, cette intrigue paraît nouée avec adresse. Ce qui contribue beaucoup à l’égayer, ce sont certains détails de localité qui sont à la portée de ceux qui ont monté la garde. L’instructeur, le tambour, la marchande d’eau de vie, un certain M. Pigeon qui n’a point encore d’uniforme et monte sa garde en habit maron, donnent à cette bluette un air de connaissance qui a beaucoup égayé le public ; plusieurs couplets tournés avec facilité, offrent des allusions qui ont été saisies avec empressement.

La pièce est fort bien jouée. Vizentini remplit le rôle de M. Pigeon avec une vérité qui retrace la nature. Le tambour l’Eveillé est un petit galopin bien vif, bien étourdi, représenté au naturel par cette charmante actrice, Mlle Chaubert qui joue si bien les ingénues. Mlle Valbourg fait plaisir dans le rôle de Mad. de Versac ; il ne lui manque qu’un peu d’assurance qu’elle acquerra par l’exercice. Les autres acteurs sont bien dans leurs rôles ; il eût été à désirer qu’ils parlassent plus haut, vu l’affluence des spectateurs qui remplissaient la salle.

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