Une visite à Saint-Cyr, tableau historique en un acte et en vaudevilles, de Moreau et Lafortelle, 15 décembre 1810.
Théâtre du Vaudeville.
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Titre
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Une visite à Saint-Cyr
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Genre
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tableau historique en vaudevilles
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Nombre d'actes :
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1
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Vers / prose ?
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prose, avec des couplets en vers
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Musique :
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vaudevilles
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Date de création :
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15 décembre 1810
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Théâtre :
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Théâtre du Vaudeville
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Auteur(s) des paroles :
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MM. Moreau et Lafortelle
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Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Martinet, 1810 :
Une visite à Saint-Cyr, tableau historique en un acte, en prose, mêlé en vaudevilles, Par M. Moreau et Lafortelle ; Représenté pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Vaudeville, le 15 décembre.
Dans le Journal de Paris des 15 et 17 décembre 1810 (première et deuxième représentations), la pièce est annoncée avec pour titre Ma Visite à Saint-Cyr. Le titre juste est rétabli les 3 et 13 janvier 1811.
Un rapide sondage dans le Journal de l’Empire de 1811 fait apparaître des représentations jusqu’au mois de décembre 1811 (le 4). J’en ai trouvé 7, sans prétendre eêtre exhaustif.
Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 15e année, 1810, tome VI, p. 393-395 :
[Le compte rendu s’ouvre par l’analyse du sujet, la visite de Pierre-le-Grand à Saint-Cyr, à laquelle s’ajoutent des intrigues secondaires assez artificiellement reliées à l’anecdote principale : on marie une jeune fille avec celui qu’elle aime, et une jeune fille dont les ancêtres manquent un peu de noblesse reste à Saint-Cyr grâce à l’intervention du czar. Bilan contrasté : pièce froide, manquant d’action, mais de jolis détails et des couplets agréables. Des sifflets et des applaudissements, les auteurs ayant été nommés.]
THÉATRE DU VAUDEVILLE.
Une Visite à Saint-Cyr, tableau historique en un acte et en vaudeville, joué le 15 décembre.
Le Czar Pierre, lors de son voyage en France, visita tous les beaux établissemens de ce royaume ; il ne pouvoit manquer de s'intéresser à la maison de Saint-Cyr, autant pour son objet qu'à cause de son illustre fondatrice ; aussi, demanda–t-il la permission de la voir. Madame de Maintenon étoit au lit, et reçut le Czar dans sa chambre à coucher II tira les rideaux sans façon, s'assit au chevet du lit, et causa avec cette femme étonnante dont il fut très-satisfait. Telle est l'anecdote que les auteurs d'une Visite à Saint-Cyr, ont arrangée ainsi qu'il suit. Ernest, français retiré en Russie et officier au service du Czar, a laissé sa fille, nommé [sic] Cécile, dans la maison de Saint-Cyr. Admis à accompagner le Czar Pierre qui voyage en France, il arrive à Paris avec Frédéric son fils, jeune officier d'un mérite distingué, qui, en visitant sa sœur, voit Héloïse, pensionnaire aussi modeste que jolie, et parvient à lui faire connoître par des lettres la passion qu'elle lui a inspirée. Madame de Maintenon est instruite de cette correspondance. Frédéric compte toujours sur sa sœur, pour le succès de ses amours ; mais Ernest qui vient la voir, lui annonce avec douleur qu'il est forcé de la retirer de Saint-Cyr, parce qu'il ne peut satisfaire à la loi rigoureuse de cet établissement, en fournissant la preuve de quatre degrés de noblesse. Il invite donc sa fille à faire ses préparatifs de départ. Madame de Maintenon a un entretien avec Héloïse ; elle lui fait sentir combien elle a été imprudente de recevoir des lettres d'un jeune homme. Héloïse se repent, et Madame de Maintenon pardonne. Sur ces entrefaites, arrivent deux étrangers, dont l'un est le Czar mais il veut garder {'incognito et s'annonce sous le titre d'Académicien. Il est fort bien accueilli de Madame de Maintenon, qui lui présente ses élèves, et permet qu'il les interroge. La première question du souverain est relative à la géographie ; il demande ce que l'on pense de la Russie. Héloïse répond en faisant l'éloge de ce pays et de Pierre le-Grand ; mais elle ajoute que l'on reproche à ce souverain d'être sujet à la colère Cette opinion met le Czar en fureur, et cet emportement commence à le trahir aux yeux de Madame de Maintenon Il se calme pourtant en voyant un tableau, l'ouvrage des élèves de Saint-Cyr, représentant Pierre-le-Grand visitant le mausolée du cardinal de Richelieu. Une exclamation lui échappe et fait reconnoître le monarque.
L'empereur obtient que Cécile restera à Saint-Cyr, il dote Héloïse et la marie à Frédéric.
La pièce manque d'action ; elle est un peu froide, mais ce défaut est racheté par de jolis détails et par des couplets agréables A la fin de la représentation quelques sifflets se sont mêlés aux applaudissemens, mais ils n'ont pu empêcher qu'on ne vînt nommer les auteurs : ce sont MM. Moreau et Lafortelle.
L’Esprit des journaux français et étrangers, tome I, janvier 1811, p. 279-284 :
[Le critique n’aime pas les vaudevilles historiques et le fait savoir. Après une notation un peu ironique sur la faible valeur historique de ce genre de pièces, il marque nettement que les limites de l’inexactitude ont été franchies par les auteurs de ce vaudeville. Pour le montrer, il lui suffit de raconter l’anecdote dont est censée s’inspirer la pièce, avant de faire le résumé de l’intrigue sur un mode ironique : il fait semblant de croire que la pièce rectifie ce qu’on avait toujours cru. Au lieu du silence attribué à Pierre-le-Grand, un assaut de politesse, « un échange de fadeurs et de complimens » auquel il ne manque « que d'être un peu plus historique ». Autre correction apportée à l’histoire, la représentation d’Athalie à Saint-Cyr, dont on croyait qu’elle n’avait jamais eu lieu. C’est l’occasion de citer un joli couplet sur cette représentation imaginaire. Même trahison de l’histoire par les interprètes, dont le critique montre les entorses à l’histoire, pour le costume de Pierre-le-Grand ou pour la beauté de Mme de Maintenon à son âge très avancé : il fallait la faire jouer par une actrice moins fraîche. Les détails cités sont jugés peu amusants, et la conclusion est sans nuances : « ce mélange de la fiction et de l'histoire offre très-peu d'intérêt », la pièce est froide, ce qui n’a pas empêché le succès, puisque les auteurs ont été cités malgré quelques sifflets.
Un Pont-Neuf est une « chanson populaire sur un air fort connu » (Dictionnaire de l’Académie Française, 6e édition de 1835, tome second, p. 456.]
Une Visite à Saint-Cyr.
On sait bien que le théâtre du Vaudeville n'est pas une chaire d'histoire, et que toutes les fois qu'il y paraît un personnage célèbre, il faut s'attendre d'avance à lui entendre chanter toute autre chose que ce qu'il a dit pendant sa vie. Depuis long-temps, en effet, nos troubadours se sont mis fort à l'aise sur le chapitre de la vérité, et à la manière dont ils la brodent, je ne doute pas qu'ils ne finissent par faire changer le proverbe, et qu'on ne dise bientôt : Menteur comme un auteur de Vaudevilles ; mais, quelque privilège que ces messieurs aient obtenus sur ce point, il serait louable à eux de n'en pas abuser comme ils viennent de le faire dans la pièce dont il est ici question, et si la fureur de composer un petit acte en prose, mêlé de couplets, n'exclut pas tout-à-fait la conscience, c'était bien le cas de nous en donner la preuve. J'en tombe d'accord : le Vaudeville a ses licences, mais..... il est aussi certaines bornes qu'il devrait respecter, et il n'est pas bien, sous prétexte d'ajuster l'histoire sur des Pont-Neuf, de bouleverser la petite masse de notions positives qui peut circuler parmi ses habitués.
Si je plaide en faveur de l'exactitude historique, avec tant de véhémence, c'est que je suis persuadé que nos chansonniers, malins comme des démons, se font un jeu de renvoyer leurs auditeurs avec un air de plus et une connaissance de moins dans la tête. A Dieu ne plaise que je veuille ici leur supposer de la bonne foi, et les accuser de pêcher par ignorance ! Et quand bien même j'oserais former cet impertinent soupçon, la politesse seule ne m'obligerait-elle pas à les déclarer coupables avec préméditation ? Je déclare donc que c'est bien sciemment qu'ils ont violé les domaines de l'histoire, et il ne me reste plus qu'à récapituler rapidement les petits outrages qu'ils se sont permis.
On avait cru jusqu'à présent que Mme. de Maintenon, avertie de la visite que le czar Pierre se proposait de lui faire à Saint-Cyr, s'était décidée, pour éviter les embarras du cérémonial, à se mettre au lit, et à recevoir le prince dans un appartement hermétiquement fermé. On croyait encore que le czar, en entrant, avait tiré lui-même les rideaux de la fenêtre, puis ceux du lit, avait attentivement considéré la fondatrice de Saint-Cyr, et s'était ensuite éloigné sans lui dire un seul mot, ni lui faire la moindre politesse ; mais les choses se sont passées bien autrement, comme il est aisé de le voir, au Vaudeville. D'abord, Pierre-le-Grand entre incognito dans les jardins de Saint-Cyr; il se fait ensuite présenter sous le titre d'académicien à Mme. de Maintenon, qui consent à le prendre pour tel, malgré le costume russe, qui n'était pas, à coup sûr, celui des membres de l'académie. Le czar examine les institutions de l'établissement, interroge les élèves sur la Russie et sur son monarque : on lui dit des vérités ; il se fâche, et Mme. de Maintenon observe, judicieusement, que, tant de vivacité, tant de chaleur ne sont pas communes aux académiciens. C'était le cas d'une petite distinction ; mais on a fort bien compris que Mme. de Maintenon ne voulait pas parler de leur caractère. Quoi qu'il en soit, pour calmer 1a co1ère du czar, on lui fait une petite galanterie, et il se décèle. A partir de ce moment, ce n'est plus entre lui et Mme, de Maintenon qu'un échange de fadeurs et de complimens ; et il ne manque à tant de politesse que d'être un peu plus historique.
Je ne sais pas trop non plus pourquoi on s'est avisé de nous dire qu'Athalie n'a jamais été représentée à Saint-Cyr. En dépit de l'âge et de la haute piété qui ne permettaient plus guère à Mme. de Maintenon de s'occuper de théâtre, il est prouvé. par les registres du Vaudeville, qu'Athalie a été représentée à Saint-Cyr peu de jours avant la visite du czar. Le jardinier Ambroise nous donne même quelques détails sur les acteurs ; ce sont, dit il, de jeunes demoiselles qui remplissent tous les rôles :
Notre Abner et notre Joas,
Par ma foi sont assez gentilles ;
On encourage Azarias
Avec du sucre et des pastilles.
Rien n'est encore décidé
Pour notre premier personnage.
Un mousquetaire a demandé
Notre grand-prêtre en mariage.
De bonne foi. un pareil couplet ne nous dédommage-t-il pas bien d'un léger défaut d'exactitude ? Les acteurs n'ont pas voulu, d'ailleurs, demeurer en reste avec les auteurs à cet égard ; si le czar du Vaudeville s'était donné la peine de faire quelques recherches, il aurait appris que le czar de Russie, lors de son voyage à Paris, ne portait point le costume polonais, mais se montra constamment vêtu d'un habit brun uni, à boutons d'or, décoré de l'étoile de son ordre, une perruque ronde et brune, jamais de chapeau sur la tête. Au lieu de la couleur bleue, Mme. de Maintenon ne devrait-elle pas aussi porter cette couleur feuille-morte, qu'elle affectionnait tant, et qu'elle croyait plus conforme à son âge et sa situation, avant d'habiter le Vaudeville ? Ce sont là, sans doute, des remarques bien minutieuses ; aussi ne veux-je pas leur donner plus d'importance qu'elles n'en méritent ; mais il est un point sur lequel je ne saurais me taire : je veux croire que Mme. de Maintenon conserva des reste de beauté dans un âge très-avancé; mais est-il possible de retrouver quatre-vingts ans et plus sur le visage de Mme. Hervey ? Cet anachronisme passe aussi la permission, et je ne puis accorder autant de fraîcheur à la respectable directrice de Saint-Cyr.
Je n'ai rien dit d'une petite amourette qui se lie, tant bien que mal, à la visite de Pierre-le-Grand, Je n'ai point parlé non plus d'un brave officier qui se croit noble comme le roi, et qui est fort surpris, lorsqu'il faut en venir aux preuves, d'apprendre qu'il n'est le fils de personne, en dépit de Bride-Oison, qui prétend qu'on est toujours le fils de quelqu'un. C'est s'y prendre un peu tard que d'attendre jusqu'à plus de quarante ans pour prendre des informations sur son père. Malheureusement toutes ces petites gentillesses sont peu amusantes ; ce mélange de la fiction et de l'histoire offre très-peu d'intérêt, et l'imagination des auteurs a eu beau s'évertuer, leur pièce n'en est pas moins froide. Ils ont néanmoins été applaudis jusqu'à la fin, demandés, suivant l'usage, et le czar de toutes les Russies, daignant s'humaniser un moment, est venu nommer MM. Moreau et Lafortelle, dont quelques sifflets, bien timides, ont à peine osé troubler le triomphe.
A......e.
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