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La Vivacité à l'épreuve

La Vivacité à l'épreuve, comédie en vers et en trois actes, de Vigée, 5 juillet 1793.

Théâtre de la Nation.

Titre :

Vivacité à l’épreuve (la)

Genre

comédie

Nombre d'actes :

3

Vers / prose ?

en vers

Musique :

non

Date de création :

5 juillet 1793

Théâtre :

Théâtre de la Nation

Auteur(s) des paroles :

Vigée

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1793, volume 6 (juin 1793), p. 357-361 :

[Compte rendu un peu désolé d’une pièce qui n’a pas trouvé son public (et qui ne le trouvera pas) : elle est « bien écrite, bien versifiée », « elle renferme plus de situations & de force comiques, que toutes les autres pieces du même auteur », les personnages ont des caractères qui contrastent entre eux, sauf peut-être le personnage féminin, « sans cesse indécise ». Mais le critique doute de la force de ces caractères. De même, il pense que le titre n’est pas le bon : ce qui est peint dans la pièce, c’est plutôt l’impatience, qui comporte toujours une part d’inquiétude, que la vivacité, réduite à la « promptitude à agir ». Il y aurait sans doute beaucoup à améliorer dans cette pièce, mais il faut lui reconnaître une qualité, d’être « si agréable & si pure » quand dans les théâtres du temps tout baigne « dans le méphitisine de la corruption & des mauvaises mœurs ». L’interprétation est jugée excellente, et le critique ne peut que se désoler du peu de public au Théâtre de la Nation, qui est pourtant le théâtre de la grande tradition théâtrale française.]

THÉATRE DE LA NATION.

Ce n'est pas du sang, c'est de l'éther qui bouillonne, c'est de l'air inflammable qui circule dans les veines de Cléante ; rien, si ce n'est son amour pour Emilie, ne peut égaler sa vivacité. Comment pourroit-il s'accorder avec tout ce qui l'entoure ? Le pere de cette charmante personne joint à la maturité de l'âge, le sang-froid le plus raisonné. Il aime Cléante, il l'estime, & bientôt il seconderoit sa pétulente impatience, en lui accordant la main d'Emilie, si, peu favorisé des biens de la fortune, il n'étoit obligé de compter sur l'héritage du vieux commandeur son frere, & conséquemment, de seconder tous ses désirs, de flatter ses caprices, & de chercher à lui plaire en toutes choses.

Eh bien! s'il est vrai que Cléante aime l'adorable Emilie, s'il est vrai qu'il est jaloux de la posséder un jour, & s'il veut que ce jour arrive bientôt, il faut chercher aussi à plaire au commandeur ; il faut aller, à son lever, entendre la longue énumération de ses maux ; à midi, se promener avec lui dans le jardin, à pas lents & comptés, & faire chaque soir son interminable partie. Quel supplice ! où Cléante trouvera-t-il une assez grande provision de patience, pour résister à tout cela ? il sécheroit sur pied ; il ne sauroit y tenir. N'importe, c'est à ce prix qu'on met la main d'Emilie.

Ne sachant pas qu'elle aime Cléante, & qu'il en est aimé, Damis a des vues sur elle, & il vient trouver son ami, pour le prier de parler au pere en sa faveur ; mais au moment où il va rendre compte du dessein qui l'amene, Cléante le prie lui-même d'intercéder pour lui, & de le suppléer auprès du commandeur. Le pere d'Emilie voyant qu'il n'obtiendra rien de l'amant de sa fille, veut le servir malgré lui, & c'est pour cela qu'il arrange une partie, & qu'il fait tant & si bien, que le soir même, Cléante s'assied avec le vieillard autour d'un tapis vert.

Le commandeur donne les cartes une à une, Cléante les donne par paquets ; le commandeur étudie son jeu, Cléante ne regarde pas seulement le sien ; le commandeur interrompt la partie, pour parler de ses campagnes ; Cléante n'y tient plus : le commandeur reprend ses cartes, les examine avec lenteur, & Cléante, excédé, abandonne furtivement la place. Allons, dit le commandeur, après avoir mûrement réfléchi, il me semble que vous êtes un peu long : jouez. On ne lui répond pas. Il leve les yeux, & il ne voit plus Cléante. Oh ! ciel, s'écrie-t-il, on ose me faire un pareil affront ; on ose se comporter de la sorte avec moi ; on ose me manquer jusqu'à ce point ? Je ne veux plus voir Cléante. Vainement Emilie, son pere & Damis, cherchent à l'appaiser, c'est un parti pris ; & il sort, en protestant qu'il ne verra plus Cléante.

Le commandeur veut pousser plus loin sa vengeance ; il prétend que Damis épouse sa niece, & c'est pour cela qu'il fait venir un notaire. Le contrat est dressé, Cléante revient ; tant mieux, dit l'oncle, il servira de témoin. Chacun signe ; Emilie même, la tendre Emilie signe ; mais lorsqu'on veut contraindre Cléante à signer, il s'emporte, il devient furieux. Le notaire parvient toutefois à le décider, c'est bien fort ; & au moment où il appose sa signature, il voit que le contrat est passé à son nom & à celui d'Emilie. II ne se possede plus, & dans son transport, il embrasse le pere, il embrasse Damis, il embrasse le commandeur, qu'il est sur le point d'étouffer.

A qui doit-on un changement si prompt & si heureux? A Damis, qui, à l'insu de tout le monde, a eu la générosité de faire substituer à son nom celui de Cléante. Le commandeur ne veut point de cet étourdi ; il est furieux ; mais on parvient à l'appaiser, & tout le monde est content.

Quand on fait que cette piece est sortie de la plume de M. Vigée, on n'est pas surpris qu'elle soit bien écrite, bien versifiée, & l'on voit avec beaucoup de plaisir, qu'elle renferme plus de situations & de force comiques, que toutes les autres pieces du même auteur. Damis & le commandeur contrastent parfaitement avec Cléante ; & si le caractere d'Emilie n'est que très-peu prononcé, & si elle paroît sans cesse indécise, c'est peut-être un moyen de plus employé par l'auteur pour faire ressortir davantage l'inconséquence de Cléante, qui prend toujours son parti en un clin-d'œil. Mais ces différens caracteres sont-ils tracés d'une maniere assez hardie, assez large, assez déterminée ? c'est ce que nous ne déciderons pas. Nous ferons seulement observer que Damis pourroit dire à son ami, avec Valsin des Fausses infidélités : Cléante, votre amour n'est qu'une frénésie , & que celui-ci pourroit répondre avec le chevalier : Damis , le vôtre à peine est une fantaisie.

Nous nous permettrons encore d'ajouter, qu'il nous semble que le titre de l'Impatience à l'épreuve conviendroit mieux à la comédie dont nous rendons compte, que celui qui a été adopté par l'auteur. Qu'importe que M. Lantier en ait déjà donné une sous le titre de l'Impatient ? La vivacité n'est autre chose que la promptitude à agir, à se mouvoir ; l'impatìence est le sentiment d'inquiétude que nous manifestons, soit dans la souffrance, soit dans l'attente de quelque bien à venir. L'homme vif n'est pas toujours impatient ; l'homme impatient est toujours inquiet & vif, & Cléante ne manifeste point d'autre caractere, depuis le commencement jusqu'à la fin de la piece.

Nous laissons à des juges plus éclairés, le soin de dire à M. Vigée, ce qu'il faut ajouter ou retrancher pour rendre sa piece meilleure ; & nous nous bornons à le féliciter d'en avoir fait une si agréable & si pure, dans un moment où presque tous les théatres sont plongés dans le méphitisine de la corruption & des mauvaises mœurs.

Cette comédie a été fort bien jouée par MM. Desessart, St. Phal, Naudet & Mme. Petit. M. Fleury a rempli le rôle de Cléante, de la maniere la plus distinguée ; & s'il est vrai, comme le dit Francaleu, que moins l'auditoire est grand, & plus il a d'oreilles, jamais piece ne fut mieux entendue que la Vivacité à l'épreuve. Il y avoit si peu, si peu de monde. Eh quoi ! l'on abandonne ainsi le théatre où. l'on conserve la tradition de tant de chef-d'œuvres dramatiques, comme on conservait à Rome le feu sacré de Vesta ! Eh quoi ! l'on abandonne ainsi le théatre qui a réfléchi tant de gloire sur le nom françois, & qui a réuni encore tant de véritables talens. Quelle ingratitude, quelle imprévoyance impardonnable !

César : trois représentations, les 5, 8 et 11 juillet 1793.

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