Le Vieux garçon, comédie en 5 actes, en vers, de Dubuisson, 16 décembre 1782.
Théâtre de l'Odéon.
La pièce créée en 1782, a été reprise en 1792, pour trois représentations les 17, 19 et 22 avril 1792 sur le Théâtre des Amis de la Patrie (Théâtre de la rue de Louvois), d'après la base César.
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 115 du mardi 24 avril 1792, p. 474 :
[Le critique commence par rappeler la vraie première de la pièce, en 1782. Il y voit une incitation pour « les amateurs » d'aller voir une pièce sur un sujet très proche du Vieux célibataire de Collin d'Harleville, les deux pièces se proposant « d'inspirer le goût du mariage, en montrant les inconvéniens du célibat ». Il entreprend ensuite de faire le résumé de l'intrigue de la pièce de Duibuisson qui repose en effet sur la même configuration de personnages que celle de Collin, un oncle, un neveu et son épouse, mais Dubuisson construit autour de cette situation familiale un imbroglio à la vraisemblance incertaine : un ami vient voir le vieux célibataire pour qu'il convainque un jeune homme d'épouser sa fille. Les réticences du jeune homme reposent sur la connaissance qu'il a de son illégitimité. Or, en dialoguant avec le vieux célibataire, il découvre enfin que son père dont il ignorait l'identité, c'est justement le vieux célibataire. Plus de problème : le jeune homme consent enfin à se marier, il ne peut hériter de son père, « nos anciennes lois le défendent », mais il est facile de tourner la loi. Le jugement porté sur le critique est surprenant à nos yeux (ou du moins aux miens) : la pièce de Dubuisson repose sur un plan « vaste, bien conçu, très-moral », bien plus solide que celui de la pièce de Collin, jugé simplement charmant quand celui de Dubuisson est réellement convaincant. Or le succès a couronné la pièce charmante plutôt que la pièce solide. Le critique explique ce malheureux état de fait par l'écriture de chacune des deux pièces, celle de Collin, « fécondité, facilité, grâces dans le dialogue », celle de Dubuisson, « trop souvent les défauts contraires ». Et la conclusion qui s'impose, c'est que « c'est le style seul qui fait vivre les ouvrages », cruelle vérité « dont quelques-uns de nos littérateurs ne paraissent pas assez persuadés » : il vaut mieux écrire bien et penser mal que l'inverse... Conclusion d'un grand pessimisme.]
THÉATRE DE LOUVOIS.
On a ouvert ce théâtre par la premiere représentation du Vieux Garçon, de M. Dubuisson, joué au Théâtre Français en 1782.
Il y avait pour les amateurs un motif piquant de curiosité ; c'était le rapprochement, la comparaison à faire de cette piece avec le Vieux Célibataire, de M. Collin. Les deux auteurs ont eu le même but; celui d'inspirer le goût du mariage, en montrant les inconvéniens du célibat.
Gercourt, vieux garçon, est à la merci de sa gouvernante et de valets qui le pillent à l'envi. Il a, pour le moment chez lui, une niece et un neveu mariés ensemble depuis cinq ans, s'aimant bien et parfaitement heureux. Ce charmant tableau d'un bon ménage, lui fait envie, excite ses regrets; mais il n'en convient que tout bas. Il affecte, un [sic] apparence, de tenir au célibat, qu'il a embrassé par systême, et ne manque pas une occasion de dauber les gens mariés et le mariage.
Un de ses vieux amis, Dorimon, amene chez lui sa fille Sophie et un jeune officier au service de Hollande, dont il se propose de faire son gendre. Il vient prier son ami Gercourt d'employer son crédit pour faire passer Saint-Phar au service de France. Mais on est fort étonné de voir le jeune homme honnête et très-amoureux refuser le parti qu'on lui propose et s'obstiner à taire les motifs de son refus. Gercourt s'y méprend, et le croit un célibataire comme lui. Il l'approuve fort. Le neveu, marié, cherche au contraire à vaincre la résistance de Saint-Phar : ainsi s'engage une discussion très-éloquente de la part de l'apôtre du mariage, à qui tout l'avantage demeure. Cependant, Saint-Phar ne se rend pas, et son vrai motif, qu'il cache toujours avec soin, c'est qu'il est le fruit d'un amour illégitime, et que son existence est flétrie par un préjugé cruel et par des lois injustes. Gercourt qui, dans le fond, s'ennuie d'être vieux garçon, s'avise d'offrir sa main à Sophie. Il en est refusé, et reçoit d'elle une leçon assez dure et très-bonne pour tous les vieux libertins, qui finissent par vouloir épouser une jeune fille pour en faire une garde malade. Il revient alors sur ses pas ; et, enchanté de Sophie, il veut la servir en lui rendant son amant. Il va trouver Saint-Phar qu'il croit toujours célibataire déterminé ; il se sert, pour le convertir, de son propre exemple ; il lui avoue tous les maux, tous les chagrins et jusqu'à la honte de son état ; enfin, il lui apprend qu'il a même des remords ; à trente ans, il a séduit une jeune personne, a eu d'elle un fils, et puis l'a abandonnée ; elle a fui en pays étranger ; dans l'effusion de sa douleur, il la nomme, et Saint-Phar reconnaît son pere dans Gercourt. Sa mere est morte de chagrin en Hollande, sans avoir jamais voulu lui faire connaître le barbare qui les avait trahis tous deux.
Cet incident sert à l'union des jeunes amans ; Gercourt ne peut donner son bien à son fils, nos anciennes lois le défendent ; mais il en dispose en faveur de Sophie.
On peut appercevoir que ce plan est vaste, bien conçu, très-moral ; celui de M. Collin n'a pas la même force ; il a plus songé à l'agrément, et M. Dubuisson s'est plus occupé de l'utile ; en sortant du Vieux Celibataire, on a été amusé, intéressé, attendri ; on a vu un charmant ouvrage ; en sortant du Vieux Garçon, on sent qu'il faut se marier, ou l'on se félicite de l'être. Cependant le premier vient d'avoir un grand succès, et le second ne paraît en avoir qu'un médiocre. D'où cela vient-il ? Peut-être de la différence qui se trouve dans l'exécution ; d'une part, fécondité, facilité, grâces dans le dialogue ; de l'autre, trop souvent les défauts contraires. La comparaison prouve d'une maniere sensible que c'est le style seul qui fait vivre les ouvrages ; c'est une vérité dont quelques-uns de nos littérateurs ne paraissent pas assez persuadés.
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