Vitellie

Vitellie, tragédie en cinq actes, du comte A. de Selve ; 10 novembre 1809.

Théâtre Français.

Titre :

Vitellie

Genre

tragédie

Nombre d'actes :

5

Vers / prose

vers

Musique :

non

Date de création :

10 novembre 1809

Théâtre :

Théâtre Français

Auteur(s) des paroles :

A. de Selve

Almanach des Muses 1810.

Conception malheureuse. Il fallait que le spectateur s'intéressât à Vitellius ou à Domitien, ces deux misérables au nom desquels s'attachent et l'idée et l'image de tous les excès, de tous les crimes ; cela n'était pas possible. Aussi, malgré une ou deux scenes assez belles et quelques vers bien faits, l'ouvrage a-t-il éprouvé une réprobation presque continuelle.

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Nepveu, 1810 :

Vitellie, tragédie en cinq actes et en vers, Par A. de Selve ; Représentée au Théâtre Français, par les Comédiens ordinaires de l’Empereur, le 10 novembre 1809.

L’auteur a placé une préface avant le texte de sa pièce :

PRÉFACE.

Je ne me suis jamais abusé sur les vices du sujet de cette Tragédie ; mais comme il n'y en a pas sans inconvéniens, j'ai cru que celui-ci offrait assez d'avantages pour faire oublier ce qu'il a de défectueux, et intéresser au théâtre.

Qu'une jeune fille aime l'ennemi de son père ; qu'elle soit malheureuse parce qu'on s'oppose à ses amours, ce n'est là qu'une fable commune, usée depuis long-temps dans les drames comme dans les romans ; et c'est peut-être tout ce que l'on a pu voir, tout ce que les acteurs ont pu faire entendre à la représentation tumultueuse de cette pièce.

Qu'une jeune princesse, malheureuse par la tyrannie de son père, le soit encore plus par les penchans criminels de son amant, par l'effroi qu'il commence à lui inspirer, par les attentats qu'il médite, par les dangers où il l'expose et l'avenir qu'il lui prépare, on conviendra d'abord que cette situation n'est plus aussi commune. S'il est facile de concevoir que, dans de telles circonstances, elle a pu s'attacher à un jeune homme qui n'a encore commis d'autre crime que de l'aimer avec fureur ; si on la voit prête à causer une sanglante catastrophe sans être coupable que d'imprudence, préférant une mort volontaire au malheur de vivre avec celui dont elle attendait le bonheur de sa vie, n'excitera-t-elle point l'intérêt que nous inspire cette passion, qui est encore la plus théâtrale pour nous, et dont

                                 La sensible peinture
Est pour aller au cœur la route la plus sure.

Ce n'est plus une amante persécutée, c'est le malheur de l'amour produit par l'amour même, égaré dans son choix par une ame tendre, la séduction de la jeunesse et l'influence d'un siècle de corruption et de crimes.

Enfin, si cette fable se lie à des faits historiques aussi importans que la révolution qui donna l'empire à Vespasien ; si ce jeune homme, qui développe dans des circonstances terribles le caractère atroce que les vertus et l'ascendant de sa maîtresse avaient contenu jusqu'alors, est le même qui doit commander à tant de peuples sous le nom de Domitien, le sujet ne s'élève-t-il point à la dignité de la tragédie, qui aime à représenter, dans les grands, le malheur des passions humaines, et à retrouver dans leur ame l'origine des calamités publiques.

Voilà ce que je soumets au jugement du lecteur. Je n'entrerai dans aucune discussion pour me le rendre favorable. Les règles de la tragédie sont assez vagues pour fournir des raisons inépuisables à la défense d'une mauvaise pièce, comme à la critique de la meilleure. Je n'augmenterai pas le nombre des apologies inutiles : je n'ai voulu qu'indiquer mon intention, qui paraît avoir été méconnue.

Liste des personnages :

PERSONNAGES.

VITELLIUS, reconnu Empereur à Rome.

DOMITIEN, fils de Vespasien élu Empereur en Orient.

LICINIUS, fils de Pison autrefois désigné Empereur.

HELVIDIUS, Sénateur.

ASIATICUS, affranchi de Vitellius.

VITELLIE, fille de Vitellius.

CORNÉLIE, confidente de Vitellie.

PLAUTUS, ancien Officier du palais, partisan secret de Vespasien.

CÉSON,

LÉPIDE, Officiers de la garde.

Soldats, Peuple, Licteurs.

La Scène est à Rome dans le palais des Césars.

Les dernières pages de la brochure sont occupées par une « épitre à l'empereur » dans laquelle l'auteur, déçu de ne pas voir sa pièce jouée, sollicitait l'intervention de Napoléon 1er pour imposer aux acteurs de la Comédie Française la représentation de Vitellie, proposée depuis six ans et toujours pas mise au programme du théâtre. Le texte de Selve est plutôt étonnant, puisqu'il compare le théâtre à la conspiration des rois contre laquelle Napoléon a tellement brillé, les acteurs devenant l'équivalent de tyrans sanguinaires ligués contre la pièce.

Mercure de France, journal littéraire et politique, tome trente-neuvième, n° CCCCXXXV, samedi 18 novembre 1809, p. 173-177 :

[Un bien long compte rendu pour une pièce qui n’a connu qu’une représentation. C’est le récit d’une chute inéluctable qui nous est fourni. Pièce historique, qui comme d’habitude joue de l’histoire à sa guise, Elle se situe dans une période tragique de l’histoire romaine. Le résumé de l’intrigue, fort long, permet de se faire une idée de la complexité des événements mis en scène. Le critique avoue d’ailleurs que pour le cinquième acte, le chahut l’empêche de donner un résumé très sûr. On sait seulement qu’à la fin « la pauvre Vitellie s'est poignardée:aux acclamations du public ». Sinon, pour le style, excessive sévérité du public qui a sifflé « de très bonne heure » (voilà qui ressemble beaucoup à une cabale). Les sifflets visaient d’aulleurs surtout les personnages « négatifs » (Vitellius et Domitien, les deux « méchants ». A-t-elle été bien jouée ? C’est difficile à dire dans le cas d’une pièce « aussi défectueuse ».]

Théâtre Français. Vitellie, tragédie en cinq actes, par M. de Selves.

Cet ouvrage n'a vécu qu'une soirée. Sa fin n'a point été tragique. Ses juges étaient plus gais que sévères ; il est mort au bruit des éclats de rire plutôt qu'à celui des sifflets, et le public en a gardé si peu de rancune que les amis de l'auteur sont même parvenus à le faire nommer. Il n'est peut-être pas généreux de ressusciter, pour le disséquer, un mort qui a fait si peu de mal pendant sa vie, et nous le laisserions volontiers reposer en paix : mais notre devoir ne nous permet pas d'écouter un sentiment si charitable; Tâchons du moins d'en adoucir la rigueur, autant qu'il est possible, sans priver nos lecteurs d'une analyse qu'ils ne nous pardonneraient pas de supprimer.

L'auteur a placé son action à l'une des époques les plus tragiques de 1'histoire romaine ; et comme tous les poètes, il a suivi l'histoire ou s'en est écarté selon les besoins de son sujet. Il suppose que Vitellius, consterné de la défaite de ses troupes, de la défection de ses généraux, a consenti à traiter avec le sénat et à céder l'Empire à Vespasien ; ce qui est vrai : il suppose en outre que le mariage de sa fille Vitellie avec Domitien doit être le gage de la paix ; ce qui est faux, le sénat et Domitien occupent déjà le capitole, et c'est de là qu'ils envoient Helvidius à l'empereur pour conclure le traité.

Tel est l'état des choses au lever de la toile ; on en est instruit par une conversation entre Vitellius et Asiaticus, un de ses affranchis ; mais on apprend aussi que cet état ne sera pas long-tems le même. L'affranchi a réveillé le courage ou plutôt l'ambition de son maître, et a changé toutes ses résolutions. Il n'est plus question d'abdication ni de paix. On ne consent à recevoir Helvidius que pour gagner du tems. Pendant qu'il attend 1'audience promise, on a fait investir le Capitole ; il va être attaqué par Licinius ; et c'est à ce Licinius, et non à Domitien, que Vitellius veut donner sa fille. En effet, lorsque l'envoyé du sénat paraît, on le laisse haranguer, mais on rejette toutes ses demandes ; il a beau faire valoir le mérite de Vespasien et réclamer la foi jurée ; avant qu'il ait fini son discours, Licinius arrive et raconte l'incendie du Capitole, la mort de la plupart des sénateurs et eu particulier celle de Domitien.

On se doute bien cependant que cette mort est supposée ; Domitien aime Vitellie ; il en est aimé ; leur amour fait le sujet de la-tragédie, et par conséquent elle finirait au premier acte, si Domitien avait réellement péri. On le .voit donc paraître au second acte ; déguisé en simple soldat, il s'introduit dans le palais de Vitellius et jusqu'à l'appartement de Vitellie ; leur réunion est fort touchante. Domitien, qui n'est pas trop content de son père, propose un enlèvement à Vitellie, qui ne doit pas être fort satisfaite du sien ; elle se refuse cependant à une démarche aussi hardie, et ne dissimule pas qu'elle aime mieux s'exposer en restant à Rome à l'hymen de Licinius. Celui-ci paraît en ce moment. Domitien se cache et l'observe, mais il ne peut entendre long-tems les. tendres aveux de son.vainqueur ; il se montre, il le brave, il se nomme ; on tremblerait pour sa .vie, s'il n'était pas Domitien..... Heureusement Licinius a toute la générosité d'un chevalier français. Sa dame l'implore pour son rival ; il ne peut rien lui refuser, et promet qu'il fera conduire Domitien sain et sauf hors des murs deRome.

Au troisième acte Licinius ne nous dit pas ce qu'il a fait de son rival, mais il se montre un peu inquiet des nouveaux bruits de paix qui circulent. C'est Asiaticus qui les a semés, et bientôt il paraît avec Vitellius, à qui il rend compte de sa conduite. Il a su qu'Antonius Primus, général de Vespasien campé. sous les murs de Rome, était mécontent de son empereur ; .il lui a fait faire des propositions, et Antonius consent à changer de parti pourvu .que Vitellius vienne à bout de se défaire de Domitien, qu'nn sait n'avoir point péri au Capitole. On, ne. voit pas trop pourquoi Antonius insiste autant sur cet article, mais il est fort du goût de Vitellius. Une seule chose l'embarrasse ; il faut trouver Domitien pour l'exécuter ; et son fidèle affranchi le met d'abord sur la voie, en lui disant que Licinius sait fort bien, où prendre son rival. Vitellius s'adresse aussitôt à lui, mais Licinius ne dément point sa générosité ; il sort avec son secret, si bien que Vitellius n'a plus de ressource que dans sa fille ; il la fait appeler, lui confirme les nouvelles de paix qu'on lui a déjà données, et lui déclare que Domitien n'a plus qu'à paraître pour la conduire à 1'autel, et l'épouser.

Ainsi finit le troisième acte, .on ne sait pas trop pourquoi Domitien reparaît seul au quatrième, et manifeste sa joie de la paix et de l'hymen qu'on lui vient d'annoncer. Helvidius, qu'on avait peut-être oublié, reparaît aussi, mais c'est pour troubler la joie de Domitien en lui découvrant le piège qu'on lui cache, en lui apprenant qu'en allant à l'autel il court à la mort. Domitien fait paraître alors les premiers traits du caractère que lui donne l'histoire ; il veut assassiner Vitellius. Helvidius l'en détourne, le menace même de le dénoncer s'il persiste dans son dessein, et se retire en voyant Vitellie. Ici les incidens s'accumulent. Vitellius lui-même arrive un instant après. Domitien surpris se donne pour un soldat qui a des secrets à communiquer à l'empereur. Vitellie s'éloigne sans-les perdre de vue ; Domitien, après s'être nommé, tire l'épée et fond sur son ennemi ; mais la pieuse Vitellie se jette entre son père et son amant. Ce qu'il y a de bon, c'est qu'après un pareil coup Domitien sort du palais sans rencontrer le moindre obstacle, et qu'au contraire Vitellie soupçonnée de parricide est-arrêtée par ordre de Vitellius.

Nous voici arrivés au cinquième acte, et il faudra bien que mes lecteurs me dispensent de leur en rendre un compte exact. Le public, las de n'avoir vu de personnage agissant qu'un affranchi, de caractère généreux qu'un chef subalterne, n'a plus voulu rien entendre, et ne s'est plus inquiété de ce que devenaient des gens à qui il ne pouvait s'intéresser. Après beaucoup d'allées et de venues, de nouvelles apportées, de récits commencés par des confidens, on a vu enfin Domitien reparaître, non plus en habit de soldat et en casque de bronze, mais avec un beau manteau blanc et un casque doré qui annonçaient suffisamment qu'il était vainqueur. On a raconté assez longuement la mort d'Asiaticus, malgré l'impatience de Vitellie qui demandait des nouvelles de son père. Au lieu de la rassurer, Domitien a déclaré que Vitellius devait périr ; il a cédé ensuite à ses prières et a donné ordre de sauver l'Empereur déchu, mais on est venu annoncer aussitôt qu'il n'était plus tems et que l'affaire en était faite, sur quoi la pauvre Vitellie s'est poignardée:aux acclamations du public.

Cette pièce est le coup d'essai de son auteur. Elle aurait pu tomber avec beaucoup plus de fracas et donner cependant des espérances ; mais que peut-on se promettre pour l'avenir d'un ouvrage où il y a beaucoup de morts et point de tragédie, beaucoup d'événemens et point d'action, beaucoup de personnages et point de caractères ? Quelle idée se faire du jugement d'un auteur qui a pu se flatter de nous intéresser sur la scène à des personnages tels que Vitellius et Domitien ? Nous dira-t-il que Racine a fait le principal personnage d'une tragédie de Néron, monstre naissant, et qu'il a pris aussi Domitien à l'entrée de sa criminelle carrière ? Que si Racine a donné un représentant à la vertu dans la personne de Burrhus, il a confié le même rôle à son Helvidius l'un des ornemens de la secte stoïque ? Nous lui demanderions alors quel est dans sa tragédie l'équivalent de ce rôle d'Agrippine, 1'une des plus belles conceptions de son -illustre auteur ; ou s'il est dans Britannicus un personnage que l'on puisse comparer à son Vitellius, tyran plus méprisable encore que féroce, et dont le nom, lié dans l'histoire à celui du plus bas de tous les vices, réveille l'idée du ridicule plutôt qu'il n'inspire l'horreur.

Nous ne pousserons pas plus loin ce parallèle, de peur qu'on nous soupçonne de vouloir établir la moindre comparaison entre un chef-d'œuvre de Racine et une tragédie morte en naissant; nous n'avons voulu que montrer par un nouvel exemple, combien il est dangereux de vouloir suivre le génie dans les routes qu'il se fraye loin des chemins battus, et délicat de s'appuyer de son exemple pour se justifier de s'être égaré.

Au reste,1a perfection du style n'est pas une des moindres causes du succès de Britannicus, et le style de notre auteur ne ressemble point à celui de Racine. Sous ce rapport cependant le jugement du public a été un peu trop sévère. Il a sifflé de très-bonne heure des répétitions de mots, telles qu'on en trouve dans beaucoup d'ouvrages restés au théâtre ; mais les moindres fautes deviennent mortelles dans un auteur qui n'a pas su nous intéresser. On est d'ailleurs assez naturellement porté à siffler Vitellius et Domitien ; et pour être justes, nous devons ajouter que quelques tirades de Licinius et d'Helvidius ont été applaudies.

Il est assez difficile de décider si une pièce a été bien ou mal jouée, lorsqu'elle est aussi défectueuse et qu'elle a tombé. Comment dire en effet si Leclerc qui jouait Vitellius, a été au niveau d'un pareil rôle, si Damas a bien rendu le rôle presque aussi ingrat de Domitien ? Quel honneur faire à Lafond d'avoir rendu avec noblesse les meilleurs passages de celui de Licinius, et à Baptiste d'avoir récité avec intelligence les discours du sénateur philosophe ? Quant à Mademoiselle Volnais, qui jouait le rôle de Vitellie, sa situation, presque la même d'un bout de la pièce à l'autre, ne lui a guère permis que de pleurer, et le bruit qu'on faisait datas la salle a rarement permis de l'entendre. L'acteur qui s'est fait le plus remarquer, c'est Michelot. Il jouait Asiaticus , et ce personnage , quoique subalterne, est pourtant le seul qui agisse, le seul qui sache bien ce qu'il veut, qui ait un plan et qui le suive. Le principal trait de son caractère est une froide dissimulation, et Michelot l'a fort bien rendue. Ce seul résultat suffira peut-être, non-seulement à nos lecteurs, mais à l'auteur pour juger du mérite de l'ouvrage.                  V

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome I, janvier 1810, p. 279-284 :

[La pièce, dont le titre est bien Vitellie, et non Vitellius (la différence n’est pas mince !), a échoué, une fois de plus dans des conditions étranges : certains spectateurs n’ont pas cessé de manifester leur improbation pour maintes raisons. Elle ne pouvait réussir que par le talent supérieur d‘un auteur osant traiter un pareil sujet, avec un personnage masculin principal aussi négatif (le critique n’a pas vu que le personnage principal, c’était Vitellie, pas Vitellius). Ici, personnage méprisable, il ne peut susciter aucun intérêt chez les spectateurs. Pour réussir à instruire plus qu’à plaire, il aurait fallu avoir « un but plus élevé, une conception plus forte, un pinceau plus vigoureux » et montrer un tableau saisissant d’une Rome dégradée, au lieu de nous entretenir « du plus insignifiant amour, de la plus inutile rivalité, d'une lutte de générosité qui ne produit qu'un mouvement et point d'effet » (mais encore une fois, c’était le sujet que « cette rivalité » et « cette intrigue » autour de Vitellie). Au yeux du critique, la pièce a deux grands défauts : d’abord son sujet, qui oblige à montrer des personnages odieux. Et puis, l’intrigue est trop compliquée, les incidents trop nombreux, invraisemblables, inexplicables. Il montre ce défaut en analysant les rapports entre les personnages, une série de situations impossibles à justifier. L’intrigue est si peu cohérente que « la pièce s'est trouvée arrivée à sa fin sans qu'on puisse assurer qu'elle a été achevée ». Même un style digne de Corneille n’aurait pu sauver ce sujet. Et l’auteur est loin de Corneille : hormis quelques tirades remarquables, le style de l’auteur n’est pas bon, et sa versification est accusée d’être « diffuse » (sic). Trop de propos sentencieux ou philosophiques, des passages épiques, ou descriptifs, et surtout le recours à de « langoureuses expressions de l'amour glacial » dont le critique affirme enfin qu’il est « le nœud de l'ouvrage », mais pour le dénigrer. Les acteurs ont fait ce qu’ils ont pu pour sauver la pièce, mais tout leur talent n’a pu y suffire. Ils ont eu la cruauté de nommer l’auteur à la demande de « quelques voix », ce n’était pas rendre service à l’auteur...]

Théâtre Français.

Vittellius, tragédie en cinq actes.

Une seconde représentation de Vitellie, tragédie nouvelle, donnée dernièrement au Théâtre-Français, n'est point annoncée; et pour le malheur de son auteur, nous sommes forcés de ne rendre compte que de la première, quoiqu'il en eût fallu plus d'une pour bien suivre son plan et l'analyser avec exactitude. Ceux-là sans doute ne sont pas chargés de ce soin, qui, dès la première scène, murmurent au nom d'un affranchi, quoique ce nom soit historique, et trouvent mauvais un hémistiche, que ce nom remplit presque seul ; ceux qui paraissent s'indigner à la vue des premiers personnages sur la foi de leur honteuse célébrité ; qui coupent le fil de chaque scène ou le fil des scènes entr'elles, soit qu'ils les trouvent longues, ou les jugent mal liées ; qui couvrent enfin de signes d'improbation l'exposition, sans trop attendre le nœud, et le nœud sans s'embarrasser du dénouement.

C'est à-peu près ce qui est arrivé : jamais ouvrage ne fut écouté avec moins de faveur ; jamais les acteurs n'ont fait de plus inutiles efforts ; leurs cris ont vainement lutté contre ceux du parterre ; il a fallu céder au nombre. Damas a lui-même été vaincu dans cette lutte inégale, quoiqu'à coup sûr à son égard, on n'ait rien à reprocher à un zèle soutenu par de vigoureux moyens.

Pour ne pas succomber, il eût fallu que l'ouvrage fut le fruit d'un talent supérieur, déjà cher au public et signalé par des succès ; mais il le faut avouer, l'homme doué de ce talent l'aurait-il compromis en choisissant pour personnages principaux d'une action tragique, Vitellius. qu'un historien judicieux, s'il n'est délicat dans son expression, nomme une bête vorace, apparemment pour désigner à-la-fois l'instinct grossier et les passions ignobles d'un être qui dégradait l'humanité; et Domitien, dont le nom a été réservé comme un synonyme, de tout ce qui peut caractériser une cruauté en démence et une extravagante tyrannie ? Dans la tragédie nouvelle, Vitellius succombe plutôt sous le poids du mépris, que sous la force des événemens ; mais quel intérêt le spectateur peut-il prendre à sa chûte, quand c'est Domitien qui triomphe ? Le peuple romain, à la vérité, n'a pas encore à redouter son règne ; entre Vitellius et Domitien, le ciel a permis que Rome comptât Vespasien et Titus ; mais enfin, le héros de la tragédie nouvelle, est ce même Domitien qui haïssait trop son père et son frère pour leur ressembler ; l'auteur a cru devoir même signaler en plusieurs passages la férocité naissante de son caractère, et le montrer découvrant son génie : on voit que, dans une telle lutte, rien ne peut attacher au vainqueur, et rien ne peut intéresser pour le vaincu. Rome seule pourrait être l'objet de la pitié du spectateur ; mais au théâtre, il faut pour intéresser, qu'un grand peuple soit représenté par un grand-homme ; sans le vieil Horace, que serait au théâtre le débat illustre d'Albe et de Rome?

Ce n'est pas qu'avec un but plus élevé, une conception plus forte, un pinceau plus vigoureux, l’auteur n'eût pu instruire, du moins s'il ne pouvait réussir à plaire : de son sujet pouvait naître un tableau frappant de la dégradation de Rome sous des maîtres indignes de ce nom, de la corruption du sénat, de l'avilissement du peuple, de la vénalité des légions ; peut-être un grand talent eût-il produit beaucoup d'effet en ne choi[si]ssant pour ces tableaux imités de Tacite, qu'un cadre politique, et une situation historique connue et déterminée ; mais au milieu des horreurs de la guerre civile, dans un palais voisin du Capitole embrasé, au milieu des cris des Romains qui s'entr'égorgent, il nous entretient sans cesse du plus insignifiant amour, de la plus inutile rivalité, d'une lutte de générosité qui ne produit qu'un mouvement et point d'effet ; il ourdit une intrigue romanesque ; il arrange des déguisemens, des surprises, des tentatives d'assassinat, des coups de théâtre trop souvent jugés ridicules pour mériter d'être imités. Vitellie, fille de l'empereur, est l'objet de cette rivalité, de cette intrigue, et de tant d'incidens que la règle de l'unité a rassemblés dans un même lieu, au mépris d'une règle plus essentielle encore, la vérité, ou du moins la vraisemblance.

Vitellius perd la couronne et la vie : on ignore le sort de Licinius, son défenseur, que l'amour de sa fille a rangé sous sa bannière ; Vitellie ne pouvant être épouse de ce Licinius, ni celle de Domitien qui a tué son père, prend le parti de se tuer elle-même, et au milieu de ces flots de sang répandus près de Rome en cendres, d'un empereur mort, de ses amis massacrés, de sa fille expirante, on se demande où est une tragédie, parce qu'on n'a pas été un moment ému, intéressé, terrifié ou attendri.

Le premier défaut de l'ouvrage est sans contredit le choix du sujet : 1es noms, on le répète, étaient un obstacle insurmontable au succès : deux fois Néron a paru sur la scène tragique ; mais la première fois, c'est Néron hésitant encore entre le crime et la vertu, et c'est Racine qui, pour le peindre, emprunta le pinceau de Tacite, en n'employant que les couleurs qui lui sont propres. La seconde fois, c'est sa chûte qui nous est représentée ; mais aussi c'est la délivrance de Rome qui est le but de l'entreprise : si M. Legouvé n'eût offert que la rivalité de Galba et de Néron, il n'eût que très-médiocrement intéressé ; mais empruntant habilement un trait du règne de Néron, il a rapproché de sa chûte la conspiration d'Epicharis. et il a fait une tragédie.

Le second défaut est dans la complication de l'intrigue, la multiplicité des incidens, l'impossibilité d'une foule de situations qui se succèdent sans être, non pas motivées, ce qui serait impossible, mais même sans être expliquées. Domitien, dans le moment où sa tête est le garant de la sûreté de Vitellius, où il est cherché par-tout, où il est dénoncé à l'empereur comme caché près de lui, parcourt le palais sous un déguisement, entretient librement la princesse, affronte un rival qu'heureusement pour lui il trouve généreux : il écoute les longs sermons et les éternelles remontrances d'un certain Helvidius, stoïcien du parti du sénat, deux fois ambassadeur dans le cours de l'ouvrage, et qui se montre orateur éloquent, moins que déclamateur et moraliste ; il échappe à la mort, fuit, et revient vainqueur, sans qu'on apperçoive de la part de Vitellius un mouvement qui annonce le dessein de faire résistance : ce dernier rôle devait suffire pour perdre l'ouvrage ; souvent en scène, il n'y parle presque jamais : son affranchi. Asiaticus, dont le nom aussi long que malheureux, a éveillé le premier la critique, parle toujours pour lui, et quand on attend que l'empereur interroge ou réponde, c'est l'affranchi qui répond ou interroge : ce défaut a eu dans une scène quelque chose de comique, dont l'effet ne pouvait répondre à l'importance du sujet et à la gravité du genre : dans une autre scène, Vitellie vient froidement déclarer à l'amant qu'elle ne préfère pas, et qu'elle nomme malheureux amant avec une naïveté peu tragique, que la paix va être conclue, et que Domitien sera son époux : le parterre a paru juger qu'une telle déclaration convenait peu à la princesse dans le moment même où la vie de Domitien n'est en sûreté que si son rival est généreux ; ailleurs le même rival, dans un moment où les ordres les plus pressés du souverain le mandent, vient entretenir Vitellie de son inutile amour, et débiter les lieux communs propres à sa situation, mais non pas à la circonstance, et le parterre le pressait de se rendre près de l'empereur. C'est ainsi qu'à travers les honteuses terreurs de Vitellius, les déclamations d'Helvidius et les actes généreux, mais passifs, de Lucilius, les lamentations de Vitellie, les fureurs, les menaces, les tentatives, la fuite et le retour triomphant de Domitien, la pièce s'est trouvée arrivée à sa fin sans qu'on puisse assurer qu'elle a été achevée.

De grandes beautés de style, le ton soutenu de la plus haute politique, l'art sublime qui faisait croire que Corneille était un Romain, écrivant au sein de la cité maîtresse du Monde, n'auraient pas réussi à fasciner les yeux sur les vices d'un tel sujet et d'une telle conduite : or le style de l'auteur n'était pas propre à les dissimuler : quelques tirades sont écrites avec franchise, avec fermeté, et sont soutenues par d'assez beaux mouvemens, mais elles sont en bien petit nombre, et dans le seul rôle de Licinius : presque toujours la versification de l'auteur est diffuse et ses personnages prolixes ; il abuse du droit d'étendre la période, et affaiblit l'expression en abusant aussi de l'épithète ; nous croyons encore que le style manque d'unité; il est souvent sentencieux et philosophique : quelquefois il s'élève au ton épique, ailleurs il s'étend en redites descriptives ; mais il choque par-dessus tout, lorsqu'il s’abandonne aux langoureuses expressions de l'amour glacial qui est le nœud de l'ouvrage, nœud trop faible, nœud qu'un goût sévère eût banni loin d'un tel sujet, dont il n'adoucit point, mais refroidit l'horreur.

Les comédiens avaient reçu cet ouvrage, séduits peut-être par quelques tirades bien écrites, et un certain nombre de vers qui ont de l'éclat et promettaient de l'effet ; les acteurs ont combattu avec un rare dévouement pour faire sanctionner par le public le jugement du comité. La pièce était aussi bien distribuée qu'elle pouvait l'être, et même en supposant que tous les acteurs tragiques eussent été en état d'y paraître, cette déposition eût sans doute été la même ; certes Saint-Prix n'eût point disputé à Leclerc le rôle de Vitellius ; le rôle de Licinius appartenait à Lafond sans opposition et sans partage ; nul plus que Damas ne pouvait soutenir le rôle de Domitien ; personne ne pouvait mieux dire que Michelot le rôle d'Asiaticus, ou mieux déclamer celui du stoïcien que Baptiste. Vitellie est condamnée dans l'ouvrage à des pleurs éternels, et Mlle. Volnais, à laquelle il appartenait, n'a pas dû être surprise de n'en point arracher ; ce n'est la faute de son jeu, ni de son talent, ni de sa diction : les acteurs nous paraissent donc irréprochables, même dans leur obstination à tenir tête à l'orage ; une pièce nouvelle est une sorte de dépôt confié à leur fidélité, et ils ont répondu à la confiance de l'auteur ; mais la public n'a pas répondu à leur attente : au commencement de la petite pièce, ils ont cependant eu l'indiscrétion de répondre à quelques voix qui demandaient le nom de cet auteur, et en nommant M. de Selves, ils ont trahi un secret qu'il convenait de garder, puisqu'il paraît qu'on ne fait point un imprudent et stérile appel du jugement rendu contre l'ouvrage : quoiqu'en première instance, ce jugement est en dernier ressort. L'auteur peut s'en prendre â sa cause, elle n'était pas soutenable ; et c'est dans une autre mieux choisie, qu'il doit justifier le talent qui dans celle-ci a dû nécessairement l'abandonner.                   S....

D’après la base La Grange de la Comédie Française est bien du comte A. de Selve, elle a été créée le 10 novembre 1809 et n’a pas reparu sur la scène du Théâtre Français.

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