Voltaire à Romilly, trait historique, en un acte en prose, de Villemain d'Abancourt, 10 juillet 1791.
Théâtre de Molière.
Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Brunet, 1791 :
Voltaire à Romilly, trait historique en un acte, en prose. Par M. Willemain d'Abancourt. Représenté pour la première fois sur le Théâtre de Molière, le Dimanche 10 Juillet 1791.
Semper honos nomenque tuum,laudesque manebunt.
Virgil.
L'épigraphe est empruntée à l'Énéide de Virgile, livre 1, vers 609 : « Toujours ton honneur, ton nom, et tes louanges dureront ».
Le texte de la pièce est précédé de divers textes :
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[Reine Philiberte de Varicourt (1757-1822), originaire du Pays de Gex, dame de compagnie de Madame Denis, la cousine de Voltaire, et à la fois fille adoptive de Voltaire et sa fervente amie.]
A BELLE ET BONNE.
Filleule aimable de Voltaire,
Toi, dont les graces, les talens,
Et le don, l'heureux don de plaire
Ont embelli les jeunes ans,
Et de fleurs sèment la carrière,
Belle et Bonne, en ces doux instants,
Où livrée aux fers, l'imposture
Jette en vain des cris menaçans,
Combien ta jouissance est pure !
Le fanatisme est abattu ;
Voltaire est vengé ; son génie
Brille de la gloire infinie
Dont la raison l'a revêtu.
De son cœur digne légataire,
Jouis enfin de ton benheur :
Jamais plus charmante héritière
A pareils legs ne fit honneur.
A la vertu j'offre l'hommage
Que m'a dicté le sentiment ;
Par malheur, au lieu de talent,
Je n'ai que du zèle en partage :
Daigne en agréer les essais.
Ah ! si j'obtenais ton suffrage,
Ce serait le plus beau succès
Dont pût s'honorer mon ouvrage !
EXTRAIT D'UNE LETTRE DE M. FAVREAU, MAIRE DE ROMILLY.
« A Romilly, le 10 mai 1791.
« Deux heures plus tard, le corps de Voltaire était emporté à Troyes : malgré ma vive résistance, les amis de la constitution de cette ville, autorisés par un arrêté du département de l'Aube, voulaient à toute force s'en emparer ; mais le décret de l'assemblée nationale arrive, et il a tout changé.
« Hier, à trois heures après midi, le clergé, les officiers municipaux, et la garde nationale de Romilly se sont rendus processionnellement à la ci-devant Abbaye de Scellières, pour y faire l'exhumation. Ce cortège, aussi imposant que funèbre, a été bien attendrissant pour mon cœur. Je n'entreprendrai point de vous peindre les scènes sentimentales qu'il occasionnait presque à chaque pas. Arrivés à Scellières, les citoyens s'arrachaient les pioches, les piques et les pelles, pour ôter les terres qui couvraient la relique du patriote philosophe : c'était à qui le verrait le premier. Tout à coup mille cris d ejoie se font entendre : le voilà ! le voilà ! Un papier est jetté de la foule sur la tombe de ce grand homme ; on ylit ces vers :
« Non, ces lieux ne seront point profanes,
Ils contenaient ta cendre ; et ce simple tombeau,
Consacré par nos champs, honoré par tes mânes,
Est pour nous un temple nouveau. »
« Nous nous étions fait accompagner de deux chirurgiens et de quatre témoins pris au sein de notre municipalité : ils ont signé, en notre présence, le procès-verbal de l'état du corps. Nous l'avons trouvé entier et très-bien conservé, graces aux soins qu'on avoit pris de le faire embaumer. La garde nationale, en crêpes de deuil, rangée autour de la fosse, et les armes renversées, a fait une salve générale, au son déroulant du lugubre tambour.
« Après la cérémonie, et du vœu unanime de tous les assistants, on a exposé le corps à découvert, afin que tous pussent le voir. Une couronne de chêne est posée sur sa tête, et l'on se remet en marche sur le chemin de Romilly. Par-tout des branches d'arbres, des feuilles nouvelles, des cyprès se trouvent border notre passage, et des fleurs jetées à pleines mains sur le drap de sa résurrection. Des femmes tenaient leurs enfants et leur faisaient baiser le sarcophage, en présentant des couronnes de roses : une foule de jeunes gens rompt la marche ; ils offraient ce billet :
« Nos pères, éclairés par Voltaire, vengent aujourd'hui les outrages du fanatisme : s'il en reste un seul vestige, nous jurons de l'anéantir.
« Encore une fois, il est impossible de rendre ce cortège unique et majestueux : arrivé seulement à 8 heures du soir à l'église de Romilly, Voltaire fut exposé dans le chœur et mis à découvert. A minuit, nous avons fermé le cercueil et mis les scellés aux quatre coins.
« Dimanche nous lui ferons dresser un mausolée provisoire : le vendredi suivant, nous célébrerons un service en son honneur, et en commémoration du bien qu'il a fait aux hommes. Les municipalités voisines ont demandé en grace d'y assister.
« Jaloux de posséder le dépôt que l'assemblée nationale vient de confier à notre surveillance, on nous avertit d'être sur nos gardes. Nous avons arrêté, cette nuit, deux particuliers qui rôdaient autour de notre église, et qui paraissaient avoir de mauvais desseins. Mais soyez tranquille ;: il faudrait rompre deux mille bras avant de nous enlever ce trésor. »
Tel est le fond où j'ai puisé le sujet de la bluette que je soumets au jugement du public. Si j'avais été moins pressé par le tems, j'aurais essayé de la rendre plus digne de son suffrage ; mais n'ayant eu connaissance de la lettre ci-dessus que vers la fin du mois de juin, il est facile de juger du peu de momens qu'il m'a été permis d'y consacrer. On peut véritablement appeller cette bagatelle un impromptu, puisqu'elle a été composée, apprise, répétée et jouée en moins de douze jours. On m'objectera que le tems ne fait rien à l'affaire, et l'on aura raison : aussi ne fais-je pas mention de cette circonstance que pour prouver le zèle des acteurs, dont les talents m'ont embellie. Je leur dois l'indulgence du public, qui a bien voulu faire grace à l'exécution, en faveur du motif, et je m'empresse de leur en témoigner ma reconnoissance. En un mot, je n'ai eu d'autre dessei, en me livrant à ce travail, que de rendre un nouvel hommage à l'un des plus grands homme dont la France, c'est trop peu dire, dont le monde entier puisse se glorifier ; je l'ai fait, mon but est rempli.
LE MAIRE DE ROMILLY,
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M. de Saint-Amand.
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AUGUSTE, fils du maire,
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M. Monet.
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LE COMMANDANT DE LA GARDE NATIONALE,
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M. Clémence.
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LE MAGISTER,
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M. Boursault.
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UN CHANOINE de Saint-Claude,
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M. Duverger.
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L'ORATEUR des jeunes gens du département,
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M. Gosse.
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UN DÉPUTÉ des départemens
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M. Compain.
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SIRVEN,
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M. Jeannin.
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CHARLES,
NANINE,
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enfans de Sirven,
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M. Valcourt.
Mme. de Croix.
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LE CHEF de la députation des auteurs dramatiques,
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M. Villeneuve.
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LA MÈRE NICOLAS,
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Mme. Duversin.
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BABET,
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Mme. Dubois.
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VINCENT,
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M. Boyer.
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GERVAIS,
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M. Joannot.
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JEUNESSE du département.
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DÉPUTÉS de divers départemens.
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AUTEURS DRAMATIQUES.
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GARDE NATIONALE.
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PAYSANS ET PAYSANNES.
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La scène est à Romilly, sur la place du lieu.
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Le Théâtre représente la place publique de Romilly. L'Eglise paroissiale en occupe le fond : des deux côtés on voit des arbres et des maisons. Devant la porte principale de la paroisse, s'élève uen estrade destinée à recevoir les cendres de Voltaire. Toute la décoration doit consister en branchages de chêne et de cyprès, autour desquels des guirlandes de fleurs pendent en festons. Au moment où la toile se lève, il reste encore quelques ornemens à y ajouter : plusieurs paysans sont occupés à la décorer, tandis que des jeunes filles forment, sur le devant de la scène, des guirlandes de fleurs.
(Tous les acteurs forment un grouppe autour de l'estrade ; cependant l'orchestre exécute un chant triomphal : on couvre le sarcophage de fleurs des mères prennent leurs enfans dans leurs bras, et les approchent avec respect de la statue de Voltaire, qu'elles leur font baiser. La toile tombe.
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