Zamor ou les Deux fils

Zamor ou les Deux fils, de madame Belfort et Francis Le Vasseur, musique de Bianchi, 22 juillet 1806.

Théâtre des Jeunes Élèves.

La compréhension de la pièce impose qu’on ait à l’esprit que l’esclavage a été aboli dans les îles françaises des Caraïbes en 1794 (mais pas en Martinique), et rétabli en 1802, et que le sujet de l’esclavage est une question extrêmement sensible.

Courrier des spectacles, n° 3455 du 24 juillet 1806, p. 4 :

[Le compte rendu de cette pièce s’ouvre par un très étonnant paragraphe sur les rapports entre noirs et blancs, les noirs étant présentés comme devant dominer les blancs, en lien avec la libération des esclaves des Caraïbes, Saint-Domingue étant donné en exemple du risque qu’encourent les blancs devant des noirs n’ayant pas « d’autre intérêt que d’égorger [leurs] anciens maîtres pour se mettre à leur place ». Le critique passe ensuite à l’analyse du sujet, et raconte avec une extrême précision une intrigue très compliquée, récit où il ne se prive pas de glisser une bonne dose d’ironie (sur l’idée qu’a Zamor de sauver le perroquet, par exemple). On passe d’un bateau qui fait naufrage à un village en Espagne, où le frère de Fernand, le maître de Zamor, l’esclave noir, refuse d’aider des naufragés sans ressources (et c’est de son frère qu’il s’agit), et où apparaît le père de Fernand, ruiné lui aussi, et qui retrouve sa fortune grâce à une bienfaitrice, dans laquelle il reconnaît un amour de jeunesse. Tout s’arrange, et le critique achève son analyse par le fameux Plaudite qui marquait la fin des pièces de théâtre à Rome, et qui est ici chargé d’ironie (le critique ne croit guère à cette fin peu vraisemblable). Après avoir nommé les auteurs, dont une dame « déjà connue dans ce genre de composition », il s'intéresse à la délicate question du genre de la pièce, « point tout-à-fait un mélodrame », puisqu’il n’y a « ni appareil théâtral, ni faste militaire » ni « non plus un simple drame », puisqu’il y a de la musique. C’est donc pour lui « une composition mixte qui a obtenu du succès, et qui n’est pas dénuée d’intérêt ». Deux acteurs ont droit à une mention élogieuse, celui qui joue le Nègre et celui qui joue Fernand. La musique est jugée « soignée et agréable » et son auteur est nommé.]

Théatre des Elèves.

Zamor, ou les Deux Fils.

Un nègre est le héros de cette pièce, les intentions du poëte sont un peu surannées. On pouvoit, il y a vingt ans, louer beaucoup les vertus des nègres, pour décrier davantage les blancs ; car alors il étoit question de soumettre les blancs aux noirs, en faisant jouir ceux-ci des grands bienfaits de la liberté, de l’égalité et de la fraternité. On pouvoit aussi s’extasier devant les mœurs patriarchales et presque célestes des paysans, car il falloit chasser leurs seigneurs et dépouiller les propriétaires. Aujourd’hui, les noirs, les paysans, et la populace des villes nous ont donné une idée juste de leur perfection ; et St.-Domingue suffit pour attester ce qu’il faut attendre d’une multitude déchaînée qui ne peut avoir d’autre intérêt que d’égorger ses anciens maîtres pour se mettre à leur place.

Zamor est donc un de ces nègres parfaits, destinés à donner des leçons aux blancs. Il appartient à Fernand de Santello. qui, après avoir passé sept années en Amérique, et s’être assuré une belle fortune, s’embarque pour revenir en Espagne sa patrie. Il est rare, dans tous les drames, comme dans tous les romans, qu’on puisse s’embarquer sans essuyer une tempête et ensuite un nauffrage ; et si vous avez un Nègre avec vous, un chien ou un perroquet, on est toujours sûr qu’ils se sauveront de préférence à tous les passagers Zamor et son maître sont donc assez heureux pour échapper à la mort ; et ce qu’il y a de mieux, c’est que Zamor a la présence d’esprit d’emporter le perroquet dans sa cage. et de l’amener à bord. Les deux nauffragés descendent précisément dans un village où demeure le frère de Fernand ; mais ce frere est un mauvais sujet qui perd sa fortune au jeu, et qui se soucie fort peu de recevoir chez lui des gens qui n’ont rien. Fernand se présente donc inutilement pour obtenir un azyle ; des valets l’écartent brusquement ; mais un pauvre pêcheur d’une ame tendre et compatissante, ouvre aux nauffragés les portes de sa cabane et leur prodigue les soins les plus obligeans.

Il est rare, a-t-on dit souvent, qu’un malheur arrive seul. Tandis que Fernand de Sautello faisoit naufrage au milieu des mers, son père, riche négociant de Séville, faisait faillite en Espagne. Ce pauvre homme ruiné, arrive de son côté au village habité par son fils le joueur, persuadé qu’il en recevra le secours le plus tendre ; vain espoir ! il n’est pas mieux accueilli que Fernand, et c’est encore le pauvre pêcheur qui se charge de lui donner l’hospitalité- Le joueur ruiné est obligé de partir pour se soustraire à ses créanciers. Fernand reconnoît son père, et se trouve au désespoir de ne pouvoir le secourir. Le Nègre n’est pas moins désolé que son maître ; ou délibère sur le parti qu’il convient de prendre ; on se décide d’abord à vendre le perroquet ; mais quelle ressource qu’un perroquet dans un pareil embarras ! Le Nègre inspiré tout-à-coup par un esprit de grandeur et de générosité, se détermine à se vendre lui-même, et va s'offrir avec son oiseau à une jeune veuve nommée Dona Mélindès. La veuve accepte l’oiseau, mais ne veut pas du Nègre ; et quand elle apprend que c’est pour sauver son maître que ce généreux esclave a le courage de se vendre, elle envoie une somme d’argent à Fernand de Santello. L’Espagnol, en homme reconnoissant et bien élevé, se présente chez sa bienfaitrice pour lui exprimer sa gratitude ; mais quel est son étonnement lorsqu’il reconnoit l’amie de sa jeunesse, l’objet de ses premiers et de ses plus tendres sentimens ! Dona Melindès charmée de le revoir, couronne son bienfait en lui offrant sa main. Les alguasils ramènent le mauvais frère qu’ils ont arrêté. Fernand lui pardonne et lui paye ses dettes. Le Père se trouve heureux au milieu de ses enfans ; et c’est ici qu’il faut dire aux spectateurs : Plaudite.

Cet ouvrage est d’une dame (Mad. Belfort) déjà connue dans ce genre de composition, et de M. Francis le Vasseur. Ce n’est point tout-à-fait un mélodrame, car on n’y trouve ni appareil théâtral, ni faste militaire ; ce n’est pas non plus un simple drame, car les auteurs y ont mêlé les ornemens de la musique ; c’est une composition mixte qui a obtenu du succès, et qui n’est pas dénuée d’intérêt. Le rôle du Nègre a été fort applaudi ; Il a été joué avec talent par Fontana. Grevin s’est distingué dans celui de Fernand. La musique est soignée et agréable, elle est de M. Bianchi.

Mémorial dramatique ou Almanach théâtral pour l'an 1807 de Pierre-Joseph Charrin, p. 231 :

[Ce que le critique retient, c’est la valorisation, à ses yeux abusive, des « nègres » que la pièce affirme, et qui lui paraît anachronique : c’est trop tard. Mais cela n'a pas empêché le succès de la pièce.]

Zamor, ou les deux Fils, par Mad. Belfort et M. Francis le Vasseur. ( 22 Juillet.)

Les auteurs de cette pièce ont encore essayé de vous présenter un de ces nègres parfaits destinés à donner des leçons aux blancs ; mais ils sont venus trop tard. St.-Domingue suffit aujourd'hui pour attester ce qu'il faut attendre de pareils êtres. Leur ouvrage d'ailleurs n'est pas sans intérêt, et a obtenu beaucoup de succès.

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