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Zoraïme et Zulnar
Zoraïme et Zulnar, opéra en 3 actes et en prose, de Saint-Just [Godard], musique de Boyeldieu. 21 floréal an 6 [10 mai 1798].
Théâtre de la rue Favart
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Titre :
Zoraïme et Zulnar
Genre
opéra
Nombre d'actes :
3
Vers / prose
prose, avec couplets en vers
Musique :
oui
Date de création :
21 floréal an 6 [10 mai 1798]
Théâtre :
Théâtre Italien de la rue Favart
Auteur(s) des paroles :
Claude Godard Daucour de Saint-Just
Compositeur(s) :
François-Adrien Boïeldieu
Almanach des Muses 1799.
Sujet tiré de Gonzalve de Cordoue, roman de Florian.
Zulnar, guerrier redoutable, est en horreur à la tribu des Abencérages, qui ont plus d'une fois éprouvé sa valeur ; il quitte les drapeaux d'Abular, son général, et en s'éloignant sauve les jours de Zoraïme, fille du chef de cette même tribu. Reçu dans le palais de Zoraïme sous le nom d'Elnof, il y est guéri de ses blessures, et inspire à Zoraïme tout l'amour qu'il ressent pour elle. Cependant il n'est pas heureux, parce qu'il n'entend que des imprécations contre lui de la part de Zoraïme même, dont on croit qu'il a tué le frère, et de la part de Zalamir, jeune prince amoureux de sa maîtresse. Sa fierté ne peut se contraindre devant ce dernier ; il se découvre à ses yeux, et lui montre ce même Zulnar objet de tant de haines. Zalamir est trop généreux pour révéler le secret de Zulnar, mais il propose au guerrier de marcher avec lui contre Abular, et en attendant lui choisit une retraite chez un vieux soldat. Celui-ci reconnaît Zulnar ; il avertit Zoraïme que l'ennemi de la tribu des Abencérages est chez lui, et Zoraïme s'empresse de le dénoncer. Zulnar est arrêté, il paraît ; Zoraïme reconnaît Elnof lui-même. Désespérée d'avoir compromis les jours de son amant, elle ne songe plus qu'à le sauver. Déguisée en troubadour, elle va chanter sous les murs de la prison de Zulnar ; et dans cet instant arrive un ordre du grand-juge de remettre le prisonnier pour le conduire au supplice. Zoraïme enivre le porteur, se saisit de l'ordre dont il est porteur, se fait livrer Zulnar, marche avec lui contre Abular, et revient en triomphe avec son amant, qui a décidé la victoire en faveur des Abencérages. Cet événement a changé les esprits, et Zulnar, vainqueur, ne trouve point d'obstacles à son union avec Zoraïme.
Des situations attachantes, des scènes bien conduites, un très-beau spectacle. Musique qui fait honneur au C. Boyeldieu.
Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Martinet et chez Vente, an VI ;
Zoraïme et Zulnar, opéra en trois actes ; Par le C. Saint-Just, Musique du C. Boieldieu. Représenté pour la première fois sur le Théâtre de la rue Favart, le 21 Floréal, an 6 de la République Française.
L'opéra de Godard de Saint-Just fait partie des pièces inspirées de Florian, et emmène le spectateur dans l'Espagne musulmane.
La Décade philosophique, littéraire et politique, an VI, IIIe trimestre, n° 24, du 30 Floréal, p. 364-366 :
Théâtre de l'Opéra-Comique.
Zoraïme et Zulnar en 3 actes et en prose.
Le sujet de cet opéra est tiré d'un ouvrage de Florian, Gonsalve de Cordoue, et nous reporte à ces tems fameux où les Maures avaient fait de Grenade, non-seulement le siége de leur empire, mais encore celui de la galanterie, du courage et de la générosité.
Zulnar est le guerrier le plus terrible de ceux qui suivent les drapeaux d'Abular. Il est en horreur à la tribu des Abencerades qui n'ont que trop de fois éprouvé les effets de sa valeur ; mais gémissant lui même sur les maux qu'il leur a faits, et pressé par son repentir, il s'éloigne d'Abular, et sauve les jours de Zoraïme, la fille du chef de cette même- tribu des Abencerades. Il est reçu dans le palais de Zoraïme sous le nom d'Elnof, y est guéri de ses blessures, et parvient à inspirer à Zoraïme une passion égale à celle qu'il ressent lui-même. Quoiqu'auprès de sa maîtresse, sa situation n'est pourtant pas heureuse. Il n'entend de tous côtés, et dans la bouche même de Zoraïme dont il a tué le frère, et dans celle de Zalamir son rival, que des imprécations contre Zulnar. Il est perdu si l'on vient à le reconnaître. Cependant sa fierté l'emporte devant Zalamir, et se découvrant à ses yeux, il lui montre ce même Zulnar, objet de tant de haines, d'injures et de menaces. Zalamir trop généreux pour être son délateur, lui propose de tout expier en le secondant contre Abular ; et, en attendant, il lui choisit une retraite chez un vieux guerrier. Mais le soldat a reconnu Zulnar; il court avertir Zoraïme que leur ennemi est dans sa chaumière, et celle-ci sacrifiant la pitié à la vengeance, le fait saisir par les Abencerades. Zulnar paraît, c'est Elnof lui-même. On conçoit combien ce moment est terrible pour Zoraïme, combien elle est désespérée d'avoir involontairement livré son amant.
Au désespoir succède le désir de le sauver. Elle prend l'habit d'un troubadour, et va chanter sous les murs de sa prison. Dans cet instant, arrive un émissaire chargé d'un ordre du grand Juge, lequel ordre enjoint au geôlier de remettre son prisonnier entre les mains de l'émissaire, qui doit le conduire dans le lieu où son supplice est préparé. Elle enivre le messager ; lui dérobe cet ordre fatal, et le présentant elle-même au geôlier, elle se fait livrer Zulnar, le conduit hors des murs, combat glorieusement à ses cotés, et bientôt revient en triomphe avec son. amant qui a vaincu Abular. Cette victoire change tous les cœurs en faveur de Zulnar, et pour qu'il n'y ait plus d'obstacles à son union avec Zoraïme, on annonce le retour prochain et inespéré de ce frère qu'on avait cru mort.
Nous n'avons point parlé de deux autres personnages destinés à égayer la scène, le valet de Zulnar et la suivante de Zoraïme, mais en général c'est plutôt de l'intérêt qu'il faut chercher dans cette pièce, que beaucoup de comique, ou même de traits saillans ; elle offre, en effet, des situations attachantes, des. moyens neufs et heureux, tel que celui qui en rendant à Zulnar sa liberté, le met sous la garde de Zoraïme ; et ce mérite réel est encore embelli par deux accessoire aujourd'hui très-importants, la magie des décorations et la magnificence des costumes.
La critique pourrait avoir à s'exercer sur la résurrection subite du frère de Zoraïme, sur le choix du messager, qui avec des fonctions aussi importantes, ne sait pas lire ; sur les amours un peu froids du valet et de la suivante ; mais cela n'empêche pas que l'ouvrage ne mérite le brillant succès qu'il a obtenu.
La musique est digne. des plus grands éloges. Toujours adaptée à la situation; tour-à-tour forte , gracieuse et touchante, elle est pleine d'effets, sans efforts pénibles, et d'expression sans parure affectée.
Elle est du C Boyeldieu, et les paroles du C. Saint-Just, tous deux auteurs de la Famille Suisse.
Magasin encyclopédique, ou Journal des sciences, des lettres et des arts, 4e année (an VI – 1798), tome I p. 547-548 :
La pièce donnée à l'Opéra-Comique, sous le titre de Zoraïme et Zulnar, a obtenu le plus grand succès dans toutes ses parties. Le poëme est plein d'intérêt, malgré quelques inutilités, et la musique remplie de grands effets : les décorations et les costumes sont magnifiques.
Le sujet est tiré de Gonzalve de Cordoue, roman de Florian. Zulnar a persécuté la Tribu des Abencerrages ; mais il a vu Zoraïme, fille de leur chef, et il l'a aimée. Pour expier ses fautes, il quitte l'armée d'Abular, qu'il a souvent menée à de honteuses victoires ; il a pénétré, sous un nom supposé, auprès de Zoraïme : sa valeur lui a mérité le cœur de cette princesse, qui lui fait promettre de la venger de Zulnar, dont elle ne connoit que le nom. Il veut au moins triompher d'Abular, et s'y prépare, lorsque dans un moment d'emportement il se fait connoître à un de ses rivaux ; mais ce rival généreux, loin de le livrer, lui procure même une retraite.
Cependant Zoraïme, informée du lieu qui cache Zulnar, sans savoir que c'est le même qu'Enof son amant, le livre aux recherches du peuple, et se désespère bientôt d'une méprise qu'elle court réparer. Déguisée en Troubadour, elle parvient à surprendre une lettre du grand juge, qui ordonnoit au gardien de Zulnar, de le livrer au porteur de cet écrit. Elle y substitue une lettre amoureuse, échange qui produit une situation fort intéressante, et une scène très-comique : cette lettre d'amour, qui paroît être adressée par le grand-juge à un chef hideux d'eunuques noirs, produit la délivrance de Zulnar.
Zulnar, échappé de sa prison, s'unit à Zoraïme, et remporte une victoire complète sur les troupes d'Abular.
L'auteur des paroles est le citoyen Saint-Just, et celui de la musique, le citoyen Boyeldieu, tous deux auteurs de la Famille Suisse.
La pièce a été fort bien jouée par les acteurs de ce théâtre, que le public aime le plus : les costumes et les décorations sont magnifiques. Peut-être le décorateur auroit-il dû consulter le bel ouvrage sur l’Alhembra, publié par ordre du roi d'Espagne, et les gravures du voyage de Swinborne. Les voûtes d'une forme particulière de l'architecture moresque auroîent donné plus d'originalité à ses décorations, qui sont d'ailleurs très-agréables, et dont la perspective produit un très-bel effet.
C'est en établissant des ouvrages avec ce soin, que les artistes du théâtre itailien fixeront la bienveillance du public.
Le Censeur dramatique de Grimod de la Reynière, tome quatrième, n° 28 (10 prairial an 6 [29 mai 1798], p. 20 :
[Promesse d’un article complet pour plus tard, sur une pièce à qui on ne fait (pour l’instant) aucun reproche : tout y est beau et bon. Le rédacteur cède la plume à ce « vieil Amateur » dont on est libre de penser ce qu’on veut, pur invention du rédacteur ou véritable collaborateur bénévole.]
« On a donné, le 21 floréal, la première Représentation de Zoraïme et Zulnar, Drame lyrique en trois actes, en prose, paroles de M. Barbier-Daucourt-de-Saint-Just, Musique de M. Boyeldieu. Cet ouvrage a complétement réussi ; il est embelli par de magnifiques Décorations, et les costumes y sont aussi riches qu’élégans. J'en donnerai , dans ma première, une analyse détaillée qui sera suivie de quelques réflexions, tant sur la contexture de la Pièce, que sur la Musique et le jeu des Acteurs, qui a été autant soigné qu'il pouvoit l’être à une première Représentation, qui n'est ordinairement qu'une répétition générale. »
Je suis, &c.
« LE VIEIL AMA TEUR »
Le Ceuseur dramatique de Grimod de la Reynière, tome quatrième, n° 30 (30 prairial an 6 [3 juin 1798], p. 149-161 :
[Deux décades après l’annonce de son futur article, el « vieil amateur » tient sa promesse, et ne le fait pas à l’économie : il remplit 13 pages de la revue (un cinquième environ, d’une prose abondante, dont il dit qu’elle est peut-être trop longue). Son compte rendu est écrit dans le respect des formes après une brève annonce de ce qu’il va faire : son but est d’être utile, et il s’apprête à souligner les fautes commises à ses yeux par les auteurs, pour leur éviter de les répéter. Premier temps ensuite du compte rendu, le traditionnel résumé de l’intrigue. Il occupe plus de huit pages, est d’une grande précision, et commence comme une leçon d’histoire sur les dissensions entre les diverses factions musulmanes du sud de l’Espagne, entre les Zégris et les Abencerrages. Mais sans que ce soit très nettement marqué (« C'est à cette époque, fameuse que remonte l'action de la Pièce qui fait le sujet de cet Article « ), le critique passe à l’intrigue de la pièce, détaillée acte par acte, le passage d’un acte à l’autre étant explicité (« Le second acte s'ouvre... », ou non (la limite entre l’acte deux et l’acte trois ?). Le dénouement est par contre nettement marqué : " Le retour de Zulnar, son triomphe et son mariage avec Zoraïme, terminent la Pièce. ». Dans cette ibtrigue on retrouve tous les poncifs du drame héroïque, assez proche du mélodrame : amour subit qui enflamme les personnages, si possible entre ennemis, travestissements (celui de Zulnar comme celui de Zoraïsme), arrestations, messager qu’en enivre, évasion de la prison, avant la réapparition des gens dont la disparition provoquait les dissensions et la réconciliation finale. Dans tout ce résumé, le « vieil Amateur » n’est pas neutre : il qualifie les événements (« A cette nouvelle l'indignation redouble, et le nom de Zulnar n'en devient que plus odieux » : sentiments éprouvés par les personnages, mais peut-être aussi par le public et le critique), jugement sur des éléments de l’intrigue (« Ce Messager est un ivrogne, qui de plus ne sait pas lire, ce qui, soit dit en passant, est assez extraordinaire dans un Messager d'état. » : ce n’est pas dans la France de Napoléon 1er qu’on verrait une chose pareille), jusqu’à la critique de la conception de l’intrigue (« il y a lieu de croire qu'il ne s'étoit éloigné que pour faciliter à Zoraïme le moyen de sauver son Amant », critique suivie d’un « quoiqu’il en soit ». De façon très significative, la fin de la pièce est expédiée en quelques lignes : peur de manquer de place ou manque d’intérêt pour ce qui n’est pas la partie la mieux conçue de la pièce ? Après ce très long résumé (on a vu la pièce quand on a fini de lire « cette Analyse peut-être un peu longue, mais exacte »), le critique entreprend la série des remarques classiques, de façon méthodique. D’abord un jugement général sur la pièce, mettant en avant les défauts du plan et annonçant « des inconvenances majeures, des invraisemblances frappantes », si nombreuses qu’il faut se limiter à en donner des exemples. Ce que le critique considère comme des invraisemblables montrent sa conception de ce qui est vraisemblable et ce qui ne l’est pas (on a en tête le vers de Boileau sur le vrai invraisemblable). La première qui est citée, c’est le rôle de l’écuyer, d’abord lâche, puis héroïque. Double invraisemblance : un chevalier ne peut pas avoir un écuyer poltron, et son changement d’attitude est impossible : « Ce rôle est à refondre entièrement ». Au cours du troisième acte, le critique relève le déguisement de Zoraïme en troubadour, « rien moins que naturel et exécutable », excusé seulement par l’effet dramatique qu’il produit ; le choix par le juge d’un messager ivrogne (un responsable ne peut agir aussi légèrement) ; la bêtise coupable du messager qui pose un message important sur un coin de table (la scène de l’échange de messages ne plaît vraiment pas au « vieil Amateur ») ; la légèreté encore du geôlier, qui confie un prisonnier aussi important à ce troubadour qui devrait lui paraître bien jeune, puisque c’est une femme déguisée en homme : « une femme déguisée ne sauroit paroître bien âgée ». Il y a là bien des éléments à reprendre, et ces remarques ne sont faites que pour que l’auteur remédie à ces erreurs. Quelques lignes sur la musique suffisent : elle n’est que de la « petite Musique », « fraîche, agréable, chantante », mais le critique attend mieux d’un compoiteur capable de mieux faire. Les interprètes ont bien joué, mais l’un d’eux est invité à faire preuve de plus de retenue, de ne pas « abuser de son talent ». Et sa collègue féminine a droit à une remarque perfide : elle « employe tous les moyens qui sont en elle pour y produire de l'effet, malheureusement ses moyens ne sont pas fort étendus ». Quant aux décors et aux costumes, il sont de qualité. L’administration du théâtre n’a pas lésiné sur les moyens.
Un tel compte rendu permet de mieux comprendre ce qu’un spectateur avertit attend d’une pièce, ce qu’il peut accepter, ce qu’il refuse. On sent enfin que le genre de la pièce provoqie chez lui une grande réticence, même si elle n’est que très aprtiellement exprimée.]
THÉATRE DE L'OPÉRA-COMIQUE NATIONAL,
Plus connu sous le nom de THÉATRE ITALIEN.
Lettre du vieil Amateur, aux Auteurs du Journal.
Paris, 14 prairial 6.
Pièces nouvelles, et Débuts.
« Je vais m'acquitter, Messieurs, de la promesse que je vous ai faite dans ma dernière, en vous envoyant les détails que je m'étois proposé de vous adresser sur le Drame lyrique de Zoraïme et Zulnar, qui est à sa huitième representation (*), et donc le succès continue à soutenir. J'examinerai ensuite sur quelles bases repose ce succès au moins étonnant, non pour chagriner l'amour-propre des Auteurs, mais pour tâcher d'être utile à l’Art, en leur indiquant les fautes qu'ils peuvent avoir faites, afin qu'une autre fois ils évitent d'y tomber et qu'ils cherchent les moyens d'obtenir par la suite des suffrages d'autant plus flatteurs qu'ils seront mérités.
« Le sujet de Zoraïme, est tiré de l'Histoire des Maures, dans le tems où l'Espagne après avoir été subjuguée par leurs forces réunies, se vit encore déchirée par leurs divisions intestines. On connoît les guerres sanglantes qu’occasionna la rivalité des Zégris et des Abencerrages. C'est à cette époque, fameuse que remonte l'action de la Pièce qui fait le sujet de cet Article.
« Les Abencerrages sont les maîtres de la ville de Grenade, siège de leur empire ; une armée redoutable de Maures, commandée par le farouche Abulard, l'un des chefs du parti opposé, met à feu et à sang les campagnes voisines de cette cité fameuse, et menace même d'exercer jusques dans son sein la fureur qui l'anime. Cette guerre sanglante se prolonge avec un acharnement qui n'en fait présager la fin que dans la ruine entière de l'un des deux partis. Déjà plusieurs combats terribles se sont livrés jusques sous les murs mêmes de Grenade. Dans une de ces rencontres l'intrépide Zulnare, l'un des plus dangereux ennemis qu'ayent jamais eu les Abencerrages, a remporté une victoire complette sur les Zégris, et tué de sa main le fils d'Akbé qui commande à Grenade. Cet Akbé, a une fille de la plus grande beauté qui se nomme Zoraïme. Cette jeune princesse a couru les plus grands dangers dans une de ces rencontres où elle a manqué même de perdre la vie : elle n'a dû la conservation de ses jours qu'à Zulnare sur qui ses charmes ont produit la sensation la plus vive. Il n'est plus le maître de son cœur, et ne pouvant résister au feu qui le dévore, il prend une résolution conforme à l'excès de son amour. Il abandonne le parti d'Abulard pour voler à la défense de celui des Abencerrages. Pour exécuter son projet, il se déguise et parvient à s'introduire dans les murs de Grenade, où, sous le nom supposé d'Enof, il offre aux Zégris le secours de son bras. Il espère par ce moyen de gagner la confiance d'Akbé et de Zoraïme, de plaire à cette dernière et par suite d'obtenir sa main ; mais, il rencontre des obstacles dans l'exécution de ce projet : la main de son amante est promise au brave Alamir ; c'est au courage de ce généreux guerrier, que Grenade a du [sic] sa défense. Il ne veut pas borner ses travaux à la conservation de cette place importante; pour se rendre plus digne encore de la possession de Zoraime, il conçoit le projet de se battre contre Zulnar, ce Zulnar accusé d'avoir ravi le jour au frère de sa Maîtresse, et dans le sang duquel il veut éteindre sa vengeance. Il fait plus, il jure de ne quitter les armes, que lorsqu'il lui aura fait mordre la poussière : C'est en présence de Zulnar même, qui n'est connu à Grenade que sous le nom d'Enof, qu'il prononce ce redoutable serment ; mais Enof a trouvé le moyen de toucher le cœur de Zoraïme ; c'est à lui seul qu'elle veut confier le soin de sa vengeance ; elle lui remet en conséquence le fer avec lequel il doit trancher les jours de Zulnar ; ce n'est qu'en lui présentant sa tête qu'il pourra prétendre à sa main. Alamir et Zulnar, quoique jaloux l'un de l'autre ne peuvent cependant point ne se pas estimer réciproquement : ils promettent de tenter chacun de leur côté toutes les voies imaginables pour parvenir à leur but. La situation de Zulnar devient de plus en plus embarassante ; mais son courage inébranlable saura vaincre tous les obstacles. Tel est le premier acte le plus rempli d'esprit, mais non le plus intéressant, l'Auteur ayant conduit l'action de manière à graduer l'intérêt ; il est bon d'observer qu'aujourd'hui ce n'est pas un mince éloge.
« Le second acte s'ouvre par Zulnar, qui, toujours sous le nom d'Enof, se prépare à voler au combat : Alamir doit partager ses dangers ; il artend avec impatience qu'il vienne se joindre à lui pour accabler le parti des Abencerrages ; Alamir arrive, il exhale la rage qu'il éprouve au seul nom de Zulnar ; les attraits de Zoraïme, dont il veut mériter la main, quoiqu'elle paroisse préférer son rival, peuvent seuls faire diversion a [sic] sa fureur. Dans le transport brûlant qui l'agite il peint Zulnar, en présence de ce dernier qu'il ne connoît pas, et le peint sous les couleurs les plus odieuses ; il ne respire que vengeance ; déjà même il voudroit être aux prises avec son ennemi, pour l'assouvir en se baignant dans son coupable sang. A tant de traits, qui se succèdent avec rapidité, Zulnar ne se possède plus. Dans sa colère qu'il peut à peine étouffer, le nom d'Alamir est le seul qui s'échappe de sa bouche, et le regard sombre qu'il lance sur son rival, lui donne de justes soupçons. Alamir lui demande avec chaleur, s'il ne connoîtroit pas ce Zulnar objet de sa haine qu'il brûle d'immoler à son ressentiment. Eh bien ! répond le faux Enof qui ne se connoît plus, ce Zulnar, c'est moi. Cette confidence inattendue interdit un moment Alamir ; mille sentimens divers l'agitent ; le sort de son Rival, et de son Rival préféré, dépend de lui; il peut d'un mot perdre le meurtrier du frère de Zoraïme ; mais il réfléchit que ce Zulnar a quitté le parti du féroce Abulard pour se ranger de celui des Abencerrages, et que Grenade lui doit en partie son salut : sa générosité l'emportant alors sur les motifs de vengeance qu'il pouvoit avoir, non seulement il ne le fait point connoître au Peuple, qui ne manqueroit pas sur-le-champ de demander sa tête; mais même il trouve le moyen de lui sauver la vie en le cachant dans un asyle ignoré, jusqu'à ce qu'il soit temps de marcher à l'ennemi.
Cependant, Zulnar court le plus grand danger dans cet asyle; il a été reconnu par son hôte, qui va le dénoncer à Zoraïme : celle-ci, dont l'ame est généreuse et sensible, hésite et repugne à livrer au supplice un enneni coupable, il est vrai, mais malheureux. Pendant qu'elle flotte incertaine sur le parti qu'elle doit prendre, arrive son Père à la tête du Peuple. Le bruit vient de se répandre que les troupes ennemies sont aux portes de la ville, et forment le projet de l’emporter d'assaut. A cette nouvelle l'indignation redouble, et le nom de Zulnar n'en devient que plus odieux : la pitié cesse de combattre dans le cœur de Zoraïme ; elle annonce qu'il est en son pouvoir de livrer ce redoutable ennemi, et sur-le-champ elle indique à ses compatriotes le lieu de sa retraite. On va pour l'en arracher, lorsqu'il se présente lui même ; son aspect glace tout le monde d'étonnement ; celui de Zoraïme est à son comble, quand elle reconnoît dans Zulnar, cet Enof pour lequel son cœur brûle de la flamme la plus vive et que son imprudence vient de livrer à la mort. Zulnar, chargé de fers est conduit à la tour, où il doit rester jusqu'au lendemain, jour auquel le supplice le plus affreux doit terminer son sort.
« On peut se figurer le désespoir de Zoraïme ; elle forme le projet de sauver à tel prix que ce soit les jours de son amant : accompagnée d'une Esclave qui lui est dévouée, elle se déguise en Troubadour, pour parvenir plus facilement jusqu’à la tour où son amant languit dans les fers, et trouver les moyens de gagner, s'il est possible, le Geolier, chargé du soin de le garder. L'Esclave de Zoraïme a reçu d'un Valet qui lui fait la cour, et qui a reçu l'ordre de se rendre à l’armée, une lettre dans laquelle il parle de l'amour que Zulnar a pour Zoraïme, et du prix qu'il mer à la possession de sa main. Zoraïme s'empare d'un gage aussi cher de la tendresse et de la perséverance de son amant. Telle est sa situation, lorsqu'elle voit arriver un Messager du Grand juge qui apporte au Geolier de la prison de Zulnar des ordres importans relatifs à cet illustre Prisonnier. Ce Messager est un ivrogne, qui de plus ne sait pas lire, ce qui, soit dit en passant, est assez extraordinaire dans un Messager d'état. Zoraïme trouve un moyen de découvrir qu'il est porteur de dépêches très-imporrantes ; elle lui propose de vuider avec elle un certain flacon, dont la liqueur n'est pas à dédaigner. Le Messager ne se fait pas prier ; elle vient à bout de l'enivrer, et quand il a presque perdu la raison, elle fait tomber l'écrit que le Messager a eu l'imprudence de poser sur la table ; elle s'empresse de le ramasser, et y substitue adroitement la lettre que sa fidèle Esclave lui a remise, et qui probablement est à peu près pareille, pour que le Messager ne s'apperçoive pas du troc ; mais comme il n'y voit pas plus clair qu'il ne faut, il prend ce qu'on lui donne et s'éloigne pour aller remplir sa mission. Zoraiïme, pleine de la plus douce espérance, veut lire ce que renferme cet écrit intéressant, qui sans doute n'a pas été cacheté, elle s'approche en conséquence d'une lumière pour satisfaire sa juste curiosité ; mais le Geolier, qu'elle n'a point vu, saisit le papier, en lit à haute voix le contenu, Cet écrit renferme la sentence de mort de Zulnar. A ce coup inattendu Zoraïme est anéantie. Le Geolier poursuit sa lecture : le Grand juge le charge de remettre le Prisonnier au Porteur de l'ordre qu'on lui présentera. Tout-à-coup l'espoir renait dans le cœur de Zoraïme ; le Geo.lier lui confie le Prisonnier ; elle s'éloigne avec lui.
« Cependant, le Messager revient avec quelques Gardes ; il y a lieu de croire qu'il ne s'étoit éloigné que pour faciliter à Zoraïme le moyen de sauver son Amant : quoiqu'il [sic] en soit, il vient remettre au Geolier la lettre que Zoraïme a substituée à l'écrit dont il est Porteur ; le Geolier n'y comprend rien, et demande au bon Messager qu’est-ce qui lui parle de ses beaux yeux, et qui lui jure une constance à toute épreuve, le Messager lui répond que c'est le Grand juge Thisiphour.
« Cependant Zulnar, mis en liberté, en a consacré les prémices à la défense de Grenade, il vient de tailler en pièces les troupes d'Abulard et de délivrer la ville qui lui doit sa délivrance. On reçoit dans le même moment la nouvelle que le frère de Zoraïme, que l'on croyoit avoir été tué par Zulnar, est vivant et qu'il va bientôt paroître. Le retour de Zulnar, son triomphe et son mariage avec Zoraïme, terminent la Pièce.
« Le Lecteur a pu voir par cette Analyse peut-être un peu longue, mais exacte, les défauts les plus sensibles qu'offre la contexture du plan, et remarquer les moyens que l'Auteur a mis en œuvre pour remplir et faire marcher l'Action.. Des inconvenances majeures, des invraisemblances frappantes s'y présentent d'elles mêmes pour peu qu'on y réfléchisse. J'en vais indiquer quelques unes, pour prouver la vérité de mon assertion,
« D'abord la poltronerie de l'Ecuyer * de Zulnar est inexcusable sous tous les rapports; d'ailleurs elle pêche contre les usages reçus et blesse les lois de la Chevalerie. Jamais un Guerrier n'a pris pour Compagnon d'armes un homme lâche et incapable de le suivre dans les combats, dont il doit partager avec lui la gloire et les dan gers. Quelqu'un m'objecta à cet égard au foyer du Théâtre Italien que l'Ecuyer de D. Quichotte, Sancho, est l'être le plus pusillanime, dont on puisse se former une idée, et que, bien loin de blâmer son caractère, il a réuni tous les suffrages. Je répondis à cette personne que cela étoit vrai ; mais que l'objection n'en portoit pas moins à faux : en effet le Roman de D. Quichotte est hors de la classe ordinaire ; c'est une espece de Parodie; mais dans un Ouvrage héroïque, il faut observer les convenances, et jamais, je le répete, un Chevalier n'a pris pour second un homme capable de fuir à l'aspect du danger ; une autre inconvenance, c'est que ce même Ecuyer fait au troisième acte les actions les plus courageuses: Ce rôle est à refondre entièrement.
« C'est dans le troisième Acte surtout que les invraisemblances se multiplient, pour ainsi dire, à chaque scène. Je ne parlerai point du déguisement de Zoraïme en Troubadour ; il n'est rien moins que naturel et exécutable ; mais il produit de l'effet, et ce motif peut l'excuser. Ce qui ne sauroit l'être, c'est la bonhomie du grand Juge Tisiphour, qui choisit un ivrogne pour le charger de la mission la plus importante. Jamais un Messager d'Etat n'a tenu pareille conduite ; cet homme, qui doit être réservé, sage et prudent, s'amuse à boire la nuit avec un inconnu ; ce n'est pas tout, il a la bêtise, tranchons le mot, de poser ses dépêches sur la table, et sa confiance est telle, qu'il ne s'apperçoit pas de l'échange que Zoraïme en fait. Quand il a bu, il sort pour aller chercher les gardes qui doivent l'accompagner. On pourroit demander à l'Auteur pourquoi il ne paroît pas d'abord avec ces mêmes gardes, qui n'ont eu aucun motif pour rester en arrière ; il répondroit sans doute que, sans cette gaucherie, l'échange des papiers ne pourroit pas avoir lieu ; j'en demeurerai d'accord, mais il falloit chercher un autre moyen d'amener la scène de l'échange.
« Autre invraisemblance. Le Géolier qui surprend le faux Troubadour lisant l'ordre qu'il vient de subtiliser au Messager d'Etat, lui remet aussi-tôt, sans difficulté, le Prisonnier. Il devroit concevoir au moins quelque défiance en voyant un homme qu'il ne connoît pas, et surtout un très jeune homme, car une femme déguisée ne sauroit paroître bien âgée, en voyant, dis-je, un très jeune homme chargé d'une commission aussi importante. Point du tout, il lui confie ce Prisonnier sans aucune observation. Cette faute est d'autant plus inexcusable, qu'elle est du fait de l'Auteur. On croiroir qu'il a composé sa Pièce avant d'en avoir arrêté le plan, S'il avoit profondément médité son sujet, il auroit sans doute évité ces défauts, qui ne peuvent que déparer son Ouvrage, d'ailleurs estimable ; peut être a-t-il compté sur l'ignorance du parterre ; dans ce cas l'évènement aura justifié son motif. Ces taches, qu'il dépendoit de lui de faire disparoítre, n'empêchent pas sa Pièce d'être intéressante ; elle est, en général, assez naturellement écrite ; il s'y trouve néanmoins quelques expressions impropres, et des négligences qui ont pu lui échapper, et qu'il pourra facilement corriger. On ne peut qu'inviter l'Auteur à suivre une carrière dans laquelle il ne tiendra qu'à lui d'obtenir des succès préférables à ceux qu'on ne doit qu'à l'éclat des décorations et au jeu des Acteurs.
« La Musique est ce qu'on appelle, en termes de l'art, de la petite Musique ; mais elle est fraiche, agréable, chantante, et l'Auteur a prouvé, dans plusieurs endroits, qu'il étoit en état d'en faire dans le grand genre, quand il voudra s'en donner la peine ; c'est donc à lui seul à cultiver son talent, qui peut le placer un jour au rang des Compositeurs les plus distingués.
« La Pièce de Zoraïme est jouée avec toute la perfection dont elle est susceptible ; les Acteurs semblent s’y surpasser à l'envi. Je reprocherai néanmoins toujours à M. Chénard d'abuser de son talent. Il est un point où l'on doit s'arrêter ; s'élancer au-delà, c'est blesser la Nature ; il n'appartient qu'aux trétaux [sic] des Boulevarts d'exciter le rire aux dépens du bon sens, et de la raison. L'Actrice, chargée du rôle de Zoraïme, employe tous les moyens qui sont en elle pour y produire de l'effet, malheureusement ses moyens ne sont pas fort étendus ; mais on doit lui savoir infiniment de gré de ses efforts, et le Public s'est montré juste en l'applaudissant.
« Jalouse de concourir, de tout son pouvoir, au succès de Zoraïme, l'Administration n'a rien épargné pour lui donner le plus grand éclat. Décorations magnifiques et pittoresques ; Costumes aussi riches qu'élégans ; une pompe imposante ; soins et richesses dans les plus petits détails, tout a été mis en œuvre pour en rendre la représentation aussi variée qu'intéressante, et l'on doit convenir qu'à cet égard elle ne laisse rien à desirer »
* Ce rôle étant épisodique, on n'en a point fait mention dans l'Extrait, pour ne pas l'alonger.
D’après la base César, la pièce, œuvre de Claude Godard Daucour de Saint-Just pour le texte et François-Adrien Boïeldieu, a été représenté 37 fois au Théâtre Italien (salle Favart) (30 fois en 1798 à partir du 10 mai, 7 fois en 1799 jusqu’au 16 septembre).
D’après Nicole Wild et David Charlton, Théâtre de l'Opéra-Comique Paris : répertoire 1762-1972, p. 447, le livret est tiré de Gonzalve de Cordoue ou Grenade reconquise, roman de Florian. Créée au Théâtre Favart le 10 mai 1798 et reprise à partir du 29 octobre 1801 au Théâtre Feydeau,,elle a été jouée jusqu’en 1824.
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